Conférence sur les océans: la réunion préparatoire s’achève à New York en ayant donné les grandes lignes de la déclaration à adopter en juin à Lisbonne
Au deuxième jour de la réunion préparatoire de la deuxième Conférence des Nations Unies sur les océans, les discussions se sont poursuivies sur les éléments essentiels du texte à adopter à Lisbonne en juin. De nombreux participants ont demandé que la future déclaration s’appuie sur les deux rapports scientifiques faisant référence en la matière, pour justifier une action urgente en matière de protection des océans et encourager tous les secteurs à s’impliquer, notamment les jeunes, les communautés locales et les autochtones.
C’est aussi ce qu’a dit, en faisant le bilan de la réunion, M. Miguel de Serpa Soares, Secrétaire général adjoint aux affaires juridiques et Conseiller juridique de l’ONU, en rappelant qu’il faut plaider, dans la déclaration, pour une action concertée mondiale axée sur la science. Il faut également que le futur texte tienne compte des connaissances des populations autochtones, a confirmé M. Alexander Trepelkov, Directeur de la Division des objectifs de développement durable, qui s’exprimait au nom du Secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales. Selon le Directeur, « nous sommes habités par un sentiment d’urgence », étant donné que quatre des cibles de l’objectif de développement durable 14 (ODD 14) arrivent à échéance en 2020. Il a donc souhaité que les résultats de la conférence de Lisbonne soient ambitieux et s’alignent sur le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et l’Accord de Paris sur les changements climatiques.
La Conférence, qui se tiendra du 2 au 6 juin, doit aboutir à une « déclaration, convenue au niveau intergouvernemental, brève et concise, orientée vers l’action et mettant clairement l’accent sur les domaines d’action reposant sur la science et l’innovation qui favorisent la réalisation de l’objectif 14 », l’ODD consacré aux océans, mers et ressources marines.
D’emblée la Chine a jugé utile de rappeler que cette déclaration doit être adoptée par consensus au niveau intergouvernemental, déduisant qu’elle devra donc se limiter à l’ODD 14 et précisant qu’elle ne sera pas juridiquement contraignante. Cet appel a reçu un écho différent auprès de Monaco pour qui la Conférence sur les océans n’est pas déconnectée d’autres processus et « n’opère pas dans un vacuum ». La délégation monégasque a toutefois demandé de veiller à ne pas dupliquer ces autres processus.
Concrètement, pour que le consensus prévale, le représentant chinois a recommandé que le document final n’aborde pas de questions délicates, un point de vue partagé par son homologue russe pour lequel la déclaration devrait éviter de diviser et surtout mettre en avant la science au service de tous. Elle devrait aussi inciter la communauté internationale à mettre en place le concept de communauté marine et de planète bleue, a poursuivi le représentant de la Chine, en arguant que « nous sommes une communauté de pays reliés par les mers et, par conséquent, nous devons développer la coopération, les échanges technologiques et les économies bleues en optant pour des approches ancrées sur la science et des données scientifiques ». Il a toutefois insisté sur le caractère volontaire de ce processus.
Face à la détérioration constante et alarmante de la santé des océans qui a été documentée dans deux récents rapports scientifiques -les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et de la Plateforme intergouvernementale science-politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES)-, son homologue du Royaume-Uni a demandé que le document final prenne acte de ces rapports en arguant qu’il s’agit précisément de données scientifiques. Monaco a renchéri en disant qu’« il n’est pas question de les ignorer ». Ils apportent une très large base scientifique là où le doute n’est plus permis, a tranché le représentant en refusant l’idée de délais supplémentaires pour une action tangible. À cet égard, il s’est dit préoccupé par l’incapacité flagrante de réaliser les cibles fixées pour 2020 en termes d’action pour les océans, et a appelé à redoubler d’efforts notamment pour s’attaquer à la pollution plastique marine et promouvoir les modes de production et de consommation durables.
Pour le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), les rapports du GIEC et de l’IPBES sont clairs: nous devons revoir nos modèles, passer à une économie circulaire et opter pour des solutions vertes. Cela suppose que l’on se base sur la science et l’innovation. La déclaration pourrait appeler à une gestion efficace des océans pour une bonne mise en œuvre des ODD, a proposé le PNUE, en les ancrant dans la Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes.
Pour insuffler un esprit plus proactif, les Émirats arabes unis ont proposé d’intégrer à la déclaration une série de solutions. En outre, les Émirats ont appelé à s’appuyer sur les engagements volontaires pris à ce jour en faveur des océans, notamment dans les domaines de la lutte contre la pollution plastique. Les Émirats arabes unis et la Barbade encouragent l’implication des jeunes et des communautés locales dans ces efforts, d’autres délégations ajoutant les communautés autochtones.
S’agissant du financement, notamment pour la mise en place des aires marines protégées, les Émirats arabes unis ont recommandé d’adopter des approches novatrices à l’instar de ce qui s’est fait aux Seychelles. De manière plus générale, ils ont demandé au monde de la finance d’intégrer l’aspect « résilience » dans leurs financements. Cuba a même proposé la mise en place d’un fonds mondial pour financer les recherches sur les océans en partant du principe qu’il s’agit d’un patrimoine commun de l’humanité.
De nombreuses délégations, notamment celles de petits États insulaires, comme Tonga, ont à nouveau insisté sur le lien qui existe entre changements climatiques et océans. Elles ont mis l’accent sur l’importance de la science pour orienter les politiques de protection de la santé des océans et la préservation des écosystèmes marins. Le Honduras a conseillé de mettre l’accent sur des technologies de traitement et d’assainissement des eaux usées qui sont déversées dans les océans, tout en soulignant les efforts à faire pour que ces technologies soient accessibles et abordables pour les pays en développement. Israël a, lui aussi, insisté sur la priorité à accorder à la lutte contre la pollution marine en utilisant la technologie, celle-ci permettant de remédier à la pollution de manière plus durable et de lutter contre les espèces marines nocives pour l’environnement marin.
L’Islande a demandé que le processus en cours entérine les mécanismes et accords existants comme la Convention sur le droit de la mer et le Comité préparatoire à l’élaboration d’un instrument international juridiquement contraignant sur la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (le « BBNJ »), sans préjuger des résultats de ce processus. Son représentant a souligné l’énorme avantage que représentent des océans sains, pour la sécurité alimentaire et la lutte contre la pauvreté. Il a demandé que cela soit mis en exergue dans la déclaration. S’agissant des défis à relever, il a pointé du doigt le manque d’investissements et de volonté politique. La déclaration doit, selon l’Islande, appeler à des actions urgentes dans tous les secteurs et dans tous les pays. De son côté, le Mexique a plaidé pour l’opérationnalisation du mécanisme en ligne pour les échanges technologiques.
Certaines entités onusiennes sont également intervenues pour apporter leur concours à la Conférence sur les océans de Lisbonne. Le PNUE travaille déjà aux préparatifs de la Conférence où il sera représenté au plus haut niveau, a assuré son représentant. L’UNESCO a insisté sur l’importance des données fiables sur les océans et les écosystèmes marins. L’organisation a aussi souligné la nécessité de bien traiter ces données pour favoriser une action en pleine connaissance de cause. Le représentant de l’Université de Lisbonne, qui est partenaire de l’UNESCO pour ce qui est du patrimoine culturel sous-marin, a insisté sur le fait qu’il s’agit d’un patrimoine commun de l’humanité. Il a souhaité que cette question du patrimoine culturel sous-marin soit également abordée à Lisbonne en juin.
La représentante du Secrétariat de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) s’est, elle aussi, appuyée sur le rapport du GIEC, en insistant sur les liens entre l’ODD 14 et la lutte contre les changements climatiques. La CCNUCC appelle à limiter l’augmentation des températures et à lutter contre l’acidification des océans, a-t-elle rappelé. Son Secrétariat entend appuyer les parties et assurer la liaison avec d’autres entités des Nations Unies, notamment avec la Conférence sur les océans.
L’organisation « Ocean Unite » et les 25 partenaires de « Rise-Up for the Ocean » ont appelé à lancer une véritable révolution en restaurant la vie dans les océans, en investissant dans un avenir à zéro émission carbone et en misant sur une économie durable et circulaire, un appel appuyé par « Ocean Conservacy ». Pour réussir à relever le défi que pose la santé des océans, le Fonds mondial pour la nature a fait un plaidoyer en faveur de la participation des communautés autochtones aux efforts de préservation et de protection de la mer et des écosystèmes côtiers.
Dans l’après-midi, les représentants d’États Membres et de la société civile ont poursuivi leur plaidoyer en faveur d’une déclaration ministérielle qui soit à la hauteur des enjeux, sachant que, comme l’a rappelé la Suède, 2020 est une année charnière, puisque quatre des cibles de l’ODD 14 arriveront à échéance.
Le Costa Rica a demandé un document ambitieux, qui solidifie les alliances et promeuve le renforcement des capacités, notamment en faveur des pays en développement. Dans le même esprit, l’Italie a promis de contribuer au fonds d’affectation spéciale dédié à soutenir la participation à la Conférence des délégations des pays en développement, notamment les petits États insulaires en développement (PEID).
Les délégations sont revenues sans cesse sur le lien étroit qui existe entre santé des océans et changements climatiques. L’Italie a ainsi souhaité que la déclaration établisse des synergies entre les changements climatiques et toutes les autres questions de la sphère environnementale, y compris la question cruciale des émissions de gaz à effet de serre par le transport maritime.
Il faut aussi se concentrer sur la pollution causée par les outils et équipements de pêche, a exigé l’organisation non gouvernementale « Global Ghost Gear Initiative » en alertant sur les centaines de tonnes de matériels de pêche qui dérivent dans les océans et contribuent à la destruction de la faune et la flore marines. C’est pour y remédier que « Monterey Bay Aquarium » a insisté sur l’aquaculture de petite échelle et une action vigoureuse contre la pollution des plastiques, en commençant par réduire leur production. Le Pérou a, quant à lui, rappelé qu’il fallait, dans la déclaration, mentionner la pêche durable et l’utilisation durable des ressources biologiques marines.
Le représentant des îles Vierges britanniques a aussi souligné l’importance, dans la déclaration, de tenir compte des collectivités locales dans la conservation des ressources biologiques marines. Il est vrai, ont renchéri les Fidji, que la déclaration politique doit être faite « pour les peuples ». Elle ne doit pas être prisonnière des lourdeurs onusiennes. Le délégué de ce pays a souhaité que ce texte vienne résoudre les questions existentielles des populations, citant par exemple Ana, une Fidjienne obligée d’acheter du poisson en conserve pour pallier la pénurie de poisson dans les eaux environnantes où elle a coutume de pêcher.
Comme dans la matinée, des orateurs ont souligné que la science, la technologie et l’innovation doivent être prioritaires pour trouver des solutions aux principaux problèmes des océans. C’est ce qu’a dit par exemple l’organisation « Shorab Ali Dewan Cultural Society ». Le problème est que le secteur des recherches océaniques représente à peine 0,4% des dépenses mondiales relatives à la recherche scientifique, a déploré la France en recommandant une plus grande implication des États dans le financement de ce secteur.
L’organisation « Observatory for Marine and Coastal Governance-Center for Social and Environmental Studies » a insisté pour que la science soit accessible au public, y compris aux populations autochtones, de même que l’ONG « Children for the Oceans », qui a conseillé de s’atteler à la vulgarisation des connaissances océanographiques. C’est une question sur laquelle travaille d’ailleurs la « National Marine Educators Association ».
En conclusion de ces deux journées de réunion préparatoire, les deux cofacilitateurs du processus préparatoire et des négociations sur le texte de la déclaration de la Conférence sur les océans de 2020, M. Martin Bille Hermann (Danemark) et Mme Ngedikes Olai Uludong (Palaos), ont mis l’accent sur l’urgence mondiale à laquelle les océans font face. Ils ont signalé que le projet de déclaration serait disponible avant que ne commencent les consultations officieuses à la mi-mars, étant donné que le projet de déclaration final doit être prêt début mai.