Biodiversité marine: la Conférence intergouvernementale discute des « outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées »
En ce quatrième jour des travaux de la Conférence intergouvernementale chargée d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant sur la haute mer, le Groupe de travail sur « les mesures telles que les outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées », a poursuivi son débat, entamé hier après-midi, sur les conditions de désignation des aires protégées marines et sur les instances devant évaluer et décider d’une telle opportunité.
En se référant au document établi par la Présidente pour faciliter les travaux de la conférence, les délégations ont surtout parlé des aires marines protégées, alors que la Norvège, l’Australie ou encore les Seychelles, ont prévenu que ces aires ne sont que l’un des outils de gestion par zone parmi la multitude pouvant s’appliquer en haute mer.
En effet, les aires marines protégées sont des espaces géographiques clairement définis, et gérés de façon à assurer à long terme la conservation de la nature. Dans ces aires, la pêche ainsi que d’autres activités humaines sont restreintes, ce qui permet aux êtres vivants en déclin de se reconstituer tout en protégeant des espèces et des habitats vulnérables. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) indique que les aires marines protégées couvrent actuellement environ 6,35% des océans et elles sont de plus en plus reconnues comme un outil de gestion par zone efficace, à côté d’autres comme les réserves marines, les parcs marins, ou encore des zones marines de conservation spéciale.
Le 3 octobre 2018 par exemple, plus d’une douzaine de pays ont signé au Groenland un accord pour protéger une zone bien précise de la région Arctique, « le Haut-Arctique », dont la surface équivaut à la mer Méditerranée. Ces pays se sont mis d’accord pour interdire la pêche commerciale dans cette zone pour les 16 prochaines années.
Au cours de la journée, les délégations ont donc plaidé pour la création d’autres outils de gestion par zone dans le cadre du futur instrument, y compris les aires maritimes protégées. Elles ont globalement arrêté que les propositions de création de tels outils doivent être soumises par les États Membres au secrétariat du futur instrument.
Les critères de soumission proposés par le document de la Présidente ont été jugés pléthoriques par la Micronésie qui parlait au nom des petits États insulaires en développement du Pacifique. L’Argentine, intervenant pour le compte d’un groupe de pays d’Amérique latine, a rappelé que bien que nombreux, ces critères ne sont pas exhaustifs.
Après la soumission du dossier, un comité scientifique devrait l’évaluer, ont suggéré la majorité des orateurs qui ont aussi insisté sur une décision qui doit être prise de manière consensuelle. Mais, s’il n’est pas possible que tous soient d’accord, a préconisé la Turquie, alors il faut prévoir d’autres mécanismes de prise de décisions. C’est en fin de compte un organe mondial qu’il reste à créer qui aura le dernier mot après l’avis technique du comité scientifique, ont suggéré les délégués.
Pour le Saint-Siège, si l’on adopte une structure mondiale de désignation de ces aires protégées marines, il faut que les organes régionaux et sectoriels soient dûment consultés. La Fédération de Russie préfère de son côté que les décisions finales soient prises par des organes sectoriels régionaux et non pas par une structure mondiale, et que ces aires marines protégées aient un temps de vie préétabli.
Il ne faut pas non plus donner aux États côtiers adjacents le pouvoir de contribuer au processus de prise de décisions sur les outils de gestion par zone, a ajouté la délégation américaine qui ne veut pas que ces États aient un avantage sur les autres. Un avis que ne partagent pas d’autres pays comme le Canada qui a plaidé pour la consultation des pays adjacents à l’aire marine en création, arguant que « cela pourrait avoir un impact sur leurs eaux territoriales ».
Le débat était également polarisé sur le bien-fondé de tenir compte des savoirs traditionnels dans l’évaluation des soumissions. Si plusieurs délégations, dont Belize, qui s’exprimait au nom de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), ont dit préférer que « la détermination des aires s’appuie sur les informations scientifiques les plus fiables », d’autres en revanche ont souligné l’importance des savoirs traditionnels dont la pertinence est déjà reconnue dans d’autres instruments multilatéraux comme l’Accord de Paris sur le climat.
Les travaux se sont achevés par l’examen du point sur la « relation avec les mesures prévues par les autres instruments, cadres et organes en vigueur ». Les délégations ont insisté pour que le nouvel instrument ne vienne pas saper les mesures déjà mises en œuvre dans les régions et par les États côtiers adjacents.
Demain, vendredi 29 mars, la journée sera consacrée aux travaux du Groupe sur l’« étude de l’impact sur l’environnement », mais avant, les délégations vont terminer les discussions sur « les mesures telles que les outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées ».
CONFÉRENCE INTERGOUVERNEMENTALE SUR UN INSTRUMENT INTERNATIONAL JURIDIQUEMENT CONTRAIGNANT SE RAPPORTANT À LA CONVENTION DES NATIONS UNIES SUR LE DROIT DE LA MER ET PORTANT SUR LA CONSERVATION ET L’UTILISATION DURABLE DE LA BIODIVERSITÉ MARINE DES ZONES NE RELEVANT PAS DE LA JURIDICTION NATIONALE: (A/CONF.232/2019/L.1, A/CONF.232/2019/L.2, A/CONF.232/2019/1 et A/CONF.232/2019/INF.2)
Groupe de travail sur les mesures telles que les outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées: suite des travaux
Le Groupe de travail sur les mesures telles que les outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées, a repris, ce matin, son débat entamé hier après-midi sur la détermination des aires protégées marines et sur les procédures devant guider la soumission et la désignation de celles-ci.
Les délégations ont ainsi longuement commenté le document des négociations établi par la Présidente pour faciliter les travaux de la conférence intergouvernementale chargée d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant se rapportant à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale.
Elles ont été de nouveau nombreuses à insister sur le fait que la détermination des aires doit s’appuyer sur les informations scientifiques les plus fiables dont on puisse disposer, comme l’a rappelé le Belize qui s’exprimait au nom de la Communauté des Caraïbes (CARICOM).
Pour la Micronésie qui parlait au nom des petits États insulaire du Pacifique, il faudrait tout de même tenir compte des savoirs traditionnels. Son représentant s’est insurgé contre ces délégations qui rejettent aujourd’hui ces savoirs qui sont pourtant inscrite dans des accords multilatéraux, notamment le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation et l’Accord de Paris sur le climat, auxquels elles sont pourtant parties. Ces savoirs traditionnels, a-t-il plaidé, viennent compléter les éléments scientifiques et ne les remplacent pas. Il a aussi rappelé qu’ils sont l’héritage de millénaires de pratique de la mer des peuples du Pacifique par exemple. Le Canada s’est dit tout à fait d’accord sur l’importance de ces savoirs.
Revenant également sur les critères de désignation des aires protégées marines, la Micronésie a jugé pléthorique la liste proposée par le document de base des négociations, arguant qu’une aire protégée ne peut les remplir tous. L’Argentine, intervenant pour le compte d’un groupe de pays d’Amérique latine, a rappelé que bien que nombreux, ces critères ne sont pas exhaustifs. Il faudrait donc ajouter l’expression « entre autres » à la fin de l’énumération.
Pour la Micronésie en outre, la décision sur la création des aires marines protégées doit être prise par la conférence des parties à l’instrument. De plus, cela doit se faire selon une approche consensuelle. Le Japon a partagé cet avis qui a fait la quasi-unanimité au sein du groupe de travail. S’il n’est pas possible que tous tombent d’accord, a préconisé la Turquie, alors il faut prévoir d’autres mécanismes de prise de décisions.
Mais avant qu’une décision ne soit prise, les propositions doivent être soumises par les États Membres, ont suggéré la plupart des délégations qui ont aussi voulu que le secrétariat du futur instrument soit l’organe de dépôt desdites demandes. Le Japon voudrait que, dans le dossier technique de soumission au secrétariat, les États inscrivent les coordonnées des scientifiques à contacter en cas de besoin d’informations complémentaires. Il a insisté aussi sur le fait que l’organe scientifique d’évaluation des soumissions doit être constitué d’éminents scientifiques de renommée internationale.
Les États-Unis ont tenu à préciser que même si la société civile peut participer au montage technique de la proposition, cette dernière doit être soumise par les États au secrétariat qui à son tour la ferait suivre à l’organe scientifique. Et ces États doivent pouvoir accéder, en ligne, aux commentaires faites par l’organe scientifique d’évaluation et y répondre si besoin. Il ne faut pas non plus donner aux États côtier adjacents le pouvoir de contribuer au processus de prise de décisions sur les outils de gestion par zone, a ajouté la délégation américaine qui ne veut pas que ces États aient un avantage sur les autres. Ce n’est pas l’avis du Canada qui a plaidé pour la consultation des pays adjacents à l’aire marine en création, « puisque cela pourrait avoir un impact sur leurs eaux territoriales ».
Ensuite, a exigé la Suisse, il faut de vastes consultations inclusives avant l’accord final de création d’aires marines protégées, afin de faciliter l’engouement de tous pour le respect des décisions prises. Justement, Monaco a souligné que les décisions prises par l’instance désignée devront être rendues publiques et communiquées à toutes les parties prenantes. Pour le Saint-Siège, si l’on adopte une structure mondiale de désignation de ces aires protégées marines, il faut que les organes régionaux et sectoriels soient dûment consultés.
Abondant dans le même sens, la Norvège a parlé d’un mécanisme régional auquel son pays appartient, tout en rappelant qu’il ne faut pas seulement se focaliser sur les aires marines protégées qui ne sont qu’un élément de la vaste palette des outils de gestion par zone. Le pays soutient aussi qu’un organe régional peut bien faire la soumission des dossiers en lieu et place des États, même s’il est prêt à se ranger au compromis s’il s’avérait que l’option d’une soumission des États était retenue.
La Fédération de Russie a indiqué également que des organisations sectorielles compétentes peuvent tout aussi être impliquées dans la prise de décisions sur la création des aires maritimes protégées. La délégation a insisté sur le fait qu’un tel régime doit être limité dans le temps et souhaité que les décisions finales soient prises par des organes sectoriels régionaux et non pas par une structure mondiale.
Dans l’après-midi, les délégations ont poursuivi les échanges sur « les outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées ». Elles ont de nouveau rappelé que ce sont les États qui devraient soumettre des dossiers de proposition de création d’outils de gestion par zone. La République de Corée insiste même sur le fait que c’est exclusivement les pays qui devront soumettre les propositions, alors que pour Singapour, d’autres entités comme des organes sectoriels pourraient aussi le faire. Cette délégation estime aussi que chaque soumission doit contenir certains éléments de manière obligatoire. L’Australie a rappelé qu’il faut tenir compte, dans les négociations, de tous les types d’outils de gestion par zone et pas uniquement des aires maritimes protégées.
En effet, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a relevé que pas moins de six catégories différentes d’outils de gestion par zone couvrent déjà les eaux marines. L’organisation a expliqué que plusieurs types d’outils peuvent coexister dans la même zone. Étant donné que chaque zone a ses propres spécificités, l’UICN propose que des mesures intérimaires soient prises avant de les modifier au vu de la mise en œuvre de l’instrument. Les acteurs non étatiques devraient aussi prendre part au processus de consultation sur la désignation d’outils de gestion par zone, a-t-elle souligné.
Si les avis ont convergé sur le fait que c’est au secrétariat du futur instrument qu’il faut déposer les soumissions, certains États ont indiqué qu’en plus d’un organe scientifique qui va évaluer les dossiers, les États adjacents pourraient aussi être consultés. L’Érythrée estime qu’il faut surtout définir clairement ce qu’on entend ici par « États côtiers adjacents ». Les États adjacents n’ont pas besoin d’être consultés, mais leur avis peut être éventuellement demandé, a fait observer l’Australie, tandis que la République de Corée ne veut pas d’un mécanisme d’évaluation qui vienne saper le rôle des mécanisme régionaux existant déjà.
L’International Indian Treaty Council, une ONG de protection et de défense des peuples autochtones d’Amérique latine, d’Amérique du nord et du Pacifique, est revenu sur l’importance des savoirs traditionnels. Son représentant a insisté sur la participation des peuples autochtones dans la gestion de la haute mer. Il a rappelé que ces peuples ont une relation intime avec la nature, et cela du fait du respect mutuel qu’ils se vouent. Ces peuples ont donc acquis des savoirs qu’ils veulent partager avec le monde, et il a affirmé que « la science et les savoirs traditionnels sont les deux faces d’une même médaille ». Cette importance des savoirs traditionnels a été également saluée par Greenpeace.
Le Comité international sur la protection des câbles a ensuite rappelé l’importance de la protection des câbles marins qui sont cruciaux pour notre société de communication. Cette organisation qui fut créée en 1958 vise à promouvoir la protection des câbles internationaux sous-marins contre les dangers de l’homme et de la nature. Sa représentante a donc prévenu que garantir les communications internationales nécessite que des dispositions sur la protection des câbles marins soient clairement intégrées dans l’instrument à venir.
Les délégations ont aussi débattu de la « relation avec les mesures prévues par les autres instruments, cadres et organes en vigueur ». Elles ont pour la plupart insisté pour que le nouvel instrument ne vienne pas saper les mesures déjà mises en œuvre dans les régions et par les États côtiers adjacents.
Le document guidant les négociations prévoit l’institution « d’un (ou plusieurs) mécanisme(s) de coordination en vue de renforcer la coopération et la coordination entre les instruments et cadres juridiques en vigueur et les organes mondiaux, régionaux et sectoriels compétents en ce qui concerne les outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées ». Il est également prévu qu’« en vue de renforcer la coopération et la coordination, un groupe de travail composé d’organismes scientifiques relevant des instruments et cadres juridiques en vigueur et des organes mondiaux, régionaux et sectoriels compétents sera mis sur pied ».
En outre, l’instrument pourrait prévoir un paragraphe indiquant que « la présente partie ne porte aucunement atteinte aux droits souverains et à la compétence des États côtiers sur les zones relevant de leur juridiction nationale, y compris la zone économique exclusive et le plateau continental jusqu’à 200 milles marins et au-delà ».
L’Algérie, au nom du Groupe des États d’Afrique, ainsi que la Palestine, parlant au nom du Groupe des 77 et la Chine (G77), ont demandé un certain nombre d’éclaircissements sur certains termes usités. L’Union européenne a noté que certains points de cette section sont déjà prévus dans d’autres parties du document de travail, ce qui fait doublon. Afin de ne pas faire ombrage et saper les mesures déjà mises en œuvre dans les régions et par les États côtiers adjacents, la Micronésie, au nom des petits États insulaires en développement du Pacifique, a demandé qu’il soit tenu compte de l’environnement juridique international.
C’est aussi préoccupant par certains libellés, que les États-Unis ont également prévenu que le nouvel instrument ne doit pas saper les prérogatives d’autres instruments déjà en vigueur, notamment au sein d’organes mondiaux, régionaux et sectoriels de conservation de la biodiversité marine. Les Palaos ont pour leur part rappelé qu’ils comptent déjà de nombreuses aires marines protégées dans leurs eaux territoriales. Le pays n’entend pas voir ce nouvel instrument venir remettre en question des efforts déjà entrepris au niveau national.