Biodiversité marine: les délégations débattent des champs d’application du futur instrument sur la conservation de la biodiversité en haute mer
Au troisième jour des négociations visant à établir un instrument sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité dans les zones marines ne relevant pas des juridictions nationales, les délégations ont plongé dans le vif du débat sur les divers champs d’application du futur instrument (géographique, matériel et temporel), tout en discutant de la question de l’accès aux ressources et notamment du partage des avantages.
Le Groupe de travail informel sur les ressources génétiques marines, y compris les questions relatives au partage des avantages était donc à pied d’œuvre dans la matinée, alors qu’ont débuté dans l’après-midi les travaux du Groupe de travail sur les mesures telles que les outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées.
À la lumière du Document établi par la Présidente de la Conférence pour faciliter les négociations, les délégations ont en majorité décidé que le champ d’application géographique de l’instrument doit être « la haute mer et la Zone ». Un avis du reste partagé par la Palestine, s’exprimant au nom du Groupe des 77 et la Chine (G77), ainsi que par les Fidji, au nom des petits États insulaires en développement du Pacifique. La Suisse propose que ce champ d’application géographique soit clairement décrit au tout début de l’instrument, tandis que Maurice milite également pour des précisions sur la question de la colonne d’eau placée au-dessus du plateau continental étendu.
En effet, s’il est clair que l’État côtier peut jouir des ressources de sa zone économique exclusive et de son plateau continental, il y a des cas où le plateau continental est étendu au-delà de 200 milles marins, la limite au-delà de laquelle commence la haute mer. Dans ce cas, que faut-il donc faire des ressources contenues dans la colonne d’eau située au-dessus de ce plateau continental étendu? Il a été constaté par le passé que les activités d’exploration et d’exploitation du plateau continental étendu conduisent nécessairement à des perturbations du sous-sol marin et de la colonne d’eau qu’il surplombe, et peuvent par conséquent gêner et perturber les activités que les autres pays pratiquent librement sur la haute mer (navigation, pêche), et aboutir à des conflits d’usage. D’où ces appels à des précisions lancés par certains États.
Au sujet du champ d’application matériel, la plupart des orateurs ont plaidé pour que le nouvel instrument ne s’applique pas aux poissons en tant que produits de base ou comme ressources de subsistance pour les communautés côtières. Il ne viserait donc que les poissons utilisés pour la recherche scientifique en haute mer.
En ce qui concerne le champ d’application temporel, le document des négociations prévoit que « le présent instrument s’applique aux ressources génétiques marines recueillies après son entrée en vigueur ». Certains ont salué cette disposition car, pour les États-Unis par exemple, il n’est pas question d’établir un instrument aux effets rétroactifs. Pour éviter toute équivoque, la Chine a suggéré de mentionner que « l’instrument entre en vigueur pour chaque État quand celui-ci a déposé ses instruments d’adhésion ». Pour cette délégation, une telle mention serait conforme à la Convention de Vienne sur le droit des traités.
Pour ce qui est de l’accès aux ressources, y compris les questions liées au partage des avantages, certains pays comme le Japon affirment que l’accès aux ressources génétiques de la haute mer doit être libre, car « les recherches y relatives ont des retombées non négligeables pour l’ensemble de l’humanité ». De ce fait, « pourquoi demander l’accord des États côtiers pour accéder à des ressources ne faisant pas partie de leur juridiction nationale? », ont-ils demandé. Cuba a répondu qu’il est utile d’avoir des règles pour encadrer justement ces recherches en haute mer.
Dans l’après-midi, le Groupe de travail sur les mesures telles que les outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées, a entamé les négociations sur la détermination des aires marines protégées. Nombre de délégations ont indiqué que les « informations scientifiques fiables et solides » doivent être la base de la désignation des aires protégées. Pour d’autres, il serait aussi judicieux de tenir compte des savoirs traditionnels. Les avis étaient également partagés en ce qui concerne les facteurs socioéconomiques comme critères de détermination des aires protégées, alors que la raison d’être même d’une telle liste de critères a été remise en question.
Ce point sur les mesures telles que les outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées, sera de nouveau examiné demain, jeudi 28 mars, au cours des séances du matin et de l’après-midi.
CONFÉRENCE INTERGOUVERNEMENTALE SUR UN INSTRUMENT INTERNATIONAL JURIDIQUEMENT CONTRAIGNANT SE RAPPORTANT À LA CONVENTION DES NATIONS UNIES SUR LE DROIT DE LA MER ET PORTANT SUR LA CONSERVATION ET L’UTILISATION DURABLE DE LA BIODIVERSITÉ MARINE DES ZONES NE RELEVANT PAS DE LA JURIDICTION NATIONALE: (A/CONF.232/2019/L.1, A/CONF.232/2019/L.2, A/CONF.232/2019/1 et A/CONF.232/2019/INF.2)
Groupe de travail informel sur les ressources génétiques marines, y compris les questions relatives au « partage des avantages »: suite des travaux
Le Groupe de travail sur les ressources génétiques marines a repris, ce matin, les discussions entamées hier après-midi sur le champ d’application, l’accès aux ressources et le partage des avantages des ressources génétiques marines, en se référant au document établi par la Présidente de la Conférence pour faciliter les négociations.
En ce qui concerne le champ d’application, les délégations ont d’emblée évoqué le champ d’application géographique. La plupart d’entre elles ont choisi l’option qui prévoit que « la présente partie s’applique aux ressources génétiques marines de la haute mer et de la Zone ». Un avis du reste partagé par la Palestine, s’exprimant au nom du Groupe des 77 et la Chine (G77), ainsi que par les Fidji, au nom des petits États insulaires en développement du Pacifique. Les États-Unis ont insisté pour que soit ajoutée une phrase précisant que « l’instrument ne devrait pas empiéter sur les zones relevant de la juridiction nationale ».
En tout état de cause, la Suisse propose que ce champ d’application géographique soit clairement décrit au tout début de l’instrument. En effet, « pourquoi un État côtier aurait-il des droits sur les ressources génétiques de la haute mer? » a demandé l’Australie, tandis que Maurice a également milité pour des précisions sur la question de la colonne d’eau placée au-dessus du plateau continental étendu.
Au sujet du champ d’application matériel, le document de base indique que « le présent instrument s’applique à l’utilisation de poissons et autres ressources biologiques pour la recherche sur leurs propriétés génétiques ». De ce fait, il ne s’applique pas, entre autres, « à l’exploitation du poisson et autres ressources biologiques à titre de produits de base ».
La Chine a ainsi précisé que « le nouvel instrument ne doit pas s’appliquer aux poissons en tant que produits de base ou comme ressources de subsistance pour les communautés côtières ». Une grande majorité de pays, dont les États-Unis, l’Australie ou encore le Canada, se sont rangés à cet avis, alors que la Chine a proposé que le libellé indique clairement que « cet instrument ne s’applique pas aux ressources halieutiques ». Pour la Norvège, il faut considérer l’intention du navire se trouvant en haute mer: soit l’utilisation du poisson comme bien de consommation, soit comme objet d’étude. Mais pour la Thaïlande, « il sera difficile de vérifier si le poisson qu’un navire envisage de pêcher sera dédié à la consommation ou servira pour la cause de la science ».
Le Japon ne voudrait pas que soit mentionnée la question des poissons dans l’instrument, puisque le sujet est largement traité par la Convention sur la diversité biologique. Le Chili rappelle pour sa part qu’il faut se garder de mettre en péril les zones de pêches en haute mer, arguant que l’Accord de New York sur les stocks de poissons est l’instrument international approprié sur la question, une position partagée par la République islamique d’Iran. Pour le Saint-Siège, étant donné que les dispositions générales de l’instrument sont déjà claires sur la question, cette section sur le champ d’application matériel devient de facto superfétatoire.
La question du champ d’application temporel a été aussi longuement discutée. Le document des négociations prévoit que « le présent instrument s’applique aux ressources génétiques marines recueillies après son entrée en vigueur », ou alors, en seconde option, que cette section soit laissée sans texte ni précision sur le début d’applicabilité de l’instrument. L’Argentine propose une troisième option qui mentionnerait que « l’instrument s’applique aux ressources dont l’utilisation est postérieure à l’entrée en vigueur de l’instrument ». Pour les États-Unis, il n’est pas question d’établir un instrument aux effets rétroactifs. C’est pourquoi la Suisse propose que l’instrument ne concerne que les ressources marines génétiques collectées en haute mer après son entrée en vigueur.
Pour éviter toute équivoque, la Chine suggère même de mentionner que « l’instrument entre en vigueur pour chaque État quand celui-ci a déposé ses instruments d’adhésion ». Pour la délégation, une telle mention serait conforme à la Convention de Vienne sur le droit des traités. Cette proposition a reçu l’assentiment de la Norvège et de l’Australie, entre autres.
Dans la section sur l’accès aux ressources et le partage des avantages, la Turquie est d’avis que l’expression « ressources génétiques marines des zones ne relevant pas de la juridiction nationale » demeure floue tant que l’on n’apporte pas des précisions techniques et une définition consensuelle de la haute mer. Pour le Japon, il ne fait aucun doute que l’accès aux ressources génétiques de la haute mer doit être libre, car les recherches y relatives ont des retombées non négligeables pour l’ensemble de l’humanité. De ce fait, « pourquoi demander l’accord des États côtiers pour accéder à des ressources ne faisant pas partie de leur juridiction nationale? », s’est interrogée la délégation nippone. Les États-Unis ne militent pas non plus pour une restriction d’accès, d’autant plus qu’il faut « respecter la liberté scientifique en haute mer », a précisé l’Australie. « Aucune des options proposées ne limite la recherche en haute mer », a objecté Cuba qui voit plutôt en ces mesures une manière de règlementer et faciliter la recherche.
D’une manière générale, la Chine estime qu’il faut que toutes les dispositions de l’instrument soient en cohérence avec la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Le Japon milite pour sa part pour un instrument qui sera clair et évitera les doublons. Au nom du Groupe des États d’Afrique, l’Algérie a rappelé que l’objectif de ce nouvel instrument est justement d’éliminer les lacunes des instruments et accords existant déjà.
Groupe de travail sur les mesures telles que les outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées
Animé par la déléguée de la Nouvelle-Zélande, Mme ALICE REVELL, le Groupe de travail sur les mesures telles que les outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées, a abordé, dans l’après-midi, la question des « règles de procédure concernant les outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées », notamment le point sur la « détermination des aires ».
Le document des négociations dispose, entre autres, que « la détermination des aires s’appuie sur les informations scientifiques les plus fiables dont on puisse disposer, sur les savoirs traditionnels et sur les normes et critères scientifiques internationalement reconnus ». Le représentant de l’Algérie, s’exprimant au nom du Groupe des États d’Afrique, ainsi que la Palestine, parlant au nom du Groupe des 77, ont demandé le bien fondé des facteurs économiques et sociaux comme critères de détermination des aires protégées. Pour de nombreux orateurs, les facteurs socioéconomiques sont tout de mêmes pertinents, comme l’a affirmé le Bangladesh.
Pour la Chine par contre, cette détermination doit reposer sur « les informations scientifiques fiables et solides ». L’Union européenne pense qu’il faut définir ce que l’on entend par « critères scientifiques internationalement reconnus ». La République de Corée souhaite qu’un organe spécifique établisse la liste de base, au lieu d’avoir une foultitude de critères dans un instrument international.
De même, pour l’Union européenne, s’il faut avoir une liste indicative de critères de détermination des aires protégées, comme celle contenue dans le document, il vaut mieux laisser la liste ouverte car il est impossible de tout mettre dans l’instrument. Les États fédérés de Micronésie, au nom des petits États insulaires en développement du Pacifique, pensent plutôt qu’il faut établir une liste claire, sinon l’instrument ne pourra être mis en œuvre du fait d’un vide juridique. Néanmoins, cette délégation suggère que ladite liste soit constamment mise à jour. Ce dernier point a été partagé par des délégations comme l’Inde, la Norvège ou encore le Sénégal. Le Cameroun demande de son côté que la Convention sur la diversité biologique soit consultée pour compléter la liste des critères de détermination des aires protégées marines.
La Micronésie insiste sur l’importance de déterminer les aires protégées en se basant également sur les savoirs traditionnels, puisque dans le Pacifique par exemple, les peuples ont pu naviguer pendant des millénaires en s’appuyant sur ces savoirs. Dans le même esprit, l’Argentine, au nom des pays d’Amérique latine, estime que l’on pourrait convoquer ces savoirs traditionnels quand cela est nécessaire. Mais selon le Japon, la détermination des aires protégées doit s’appuyer exclusivement sur des normes et critères scientifiques. « Comment les savoirs traditionnels peuvent-ils être utiles à cette fin? » s’est étonné le délégué.
Les débats ont aussi porté sur « l’instance/organe de décision prévu et chargé de définir, sur la base des informations scientifiques les plus fiables dont on puisse disposer et de l’avis de l’organe scientifique/technique prévu, des normes et critères supplémentaires présidant à la détermination des aires ». Pour la Nouvelle-Zélande, cela n’empêche pas que les États puissent aussi identifier des aires protégées en se basant sur des critères reconnus. Les États-Unis suggèrent que ce soient les États qui proposent les sites d’aires protégées marines, même si d’autres parties prenantes peuvent aussi apporter des contributions au cours de ce processus. De son côté, la Fédération de Russie penche pour une approche régionale pour l’établissement des aires protégées marines. Et dans le cas où aucun organe régional n’existe, alors les États parties de ladite région peuvent se référer aux critères existants ailleurs.
Selon Monaco, les normes et critères peuvent être créés plus tard, alors que la Turquie veut que les décisions sur la détermination et la désignation des aires protégées soient prises par consensus. Enfin, le Paraguay a pris la parole au nom d’un groupe d’une dizaine de pays pour insister pour que soient prises en compte les priorités des pays sans littoral qui ne peuvent prétendre aux aires marines protégées.