Biodiversité marine: les négociations pour un futur traité se poursuivent sur la question des ressources génétiques marines et de leur partage
Après le démarrage, hier, de la deuxième session de négociation sur un futur traité relatif au droit de la mer, qui aura pour but « la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité dans les zones marines ne relevant pas des juridictions nationales », les discussions se sont poursuivies aujourd’hui sur l’un des quatre thèmes à l’étude: les ressources génétiques marines, y compris le partage des avantages.
Le Groupe de travail informel de la Conférence intergouvernementale chargé de cette question s’est penché sur plusieurs sections du Document établi par la Présidente de la Conférence pour faciliter les négociations. Les États Membres ont indiqué leurs préférences par rapport aux différentes options proposées, soulevant des questions et, parfois, demandant des éclaircissements.
Le matin, la discussion portait sur la section intitulée « Partage des avantages », qui concerne l’utilisation des ressources génétiques marines de la haute mer. Des divergences de vue ont émergé notamment par rapport à l’idée de définir des objectifs section par section au lieu de présenter les objectifs globaux du futur traité dans une section à part entière, au début du document.
La base juridique du futur instrument a également fait l’objet de controverses car, si la plupart des pays défendent le principe du patrimoine commun de l’humanité lorsqu’il est question de la haute mer et de ses ressources génétiques, d’autres contestent son applicabilité. Ainsi, la Fédération de Russie a-t-elle argué que le mandat de la Conférence intergouvernementale ne doit porter aucunement atteinte aux bases de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.
Or, selon ce pays, appliquer la notion du patrimoine commun de l’humanité reviendrait à « rouvrir la Convention ». Par conséquent, dès lors qu’on ne reconnaît pas les ressources génétiques marines comme faisant partie de ce patrimoine, il n’existe plus de base juridique pour parler de partage de leurs avantages sous forme pécuniaire, d’après la Russie qui estime donc que « ce partage doit se faire sur une base strictement volontaire et non pécuniaire ».
Prenant le contrepied, le Groupe des 77 et la Chine, la Communauté des Caraïbes (CARICOM) et d’autres délégations ont revendiqué le caractère non volontaire de ce partage et exigé que le futur accord couvre les avantages pécuniaires et non pécuniaires. Leur contre-argument, était que même si la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer est considérée comme la « Constitution des océans », ce traité est appelé à évoluer pour refléter l’évolution du droit international, de la science et de la technologie.
Dans l’après-midi, le Groupe de travail s’est focalisé sur les questions relatives au centre d’échange, aux droits de la propriété intellectuelle et, enfin, à la surveillance de l’utilisation des ressources génétiques marines des zones ne relevant pas de la juridiction nationale. Le Groupe a également brièvement abordé les points portant sur le champ d’application de l’accès aux ressources et le partage des avantages.
La Conférence intergouvernementale poursuivra ses travaux mercredi 27 mars, à partir de 10 heures.
CONFÉRENCE INTERGOUVERNEMENTALE SUR UN INSTRUMENT INTERNATIONAL JURIDIQUEMENT CONTRAIGNANT SE RAPPORTANT À LA CONVENTION DES NATIONS UNIES SUR LE DROIT DE LA MER ET PORTANT SUR LA CONSERVATION ET L’UTILISATION DURABLE DE LA BIODIVERSITÉ MARINE DES ZONES NE RELEVANT PAS DE LA JURIDICTION NATIONALE: (A/CONF.232/2019/L.1, A/CONF.232/2019/L.2, A/CONF.232/2019/1 et A/CONF.232/2019/INF.2)
Groupe de travail informel sur les ressources génétiques marines, y compris les questions relatives au « partage des avantages »: suite des travaux
Il faudrait un « régime simple et pratique » de partage des avantages, a tout d’abord plaidé le représentant de la Norvège, souhaitant que les connaissances sur les aires marines protégées soient mises à la disposition du plus grand nombre de pays. Il a d’ailleurs insisté sur la responsabilité de partager les informations entre États parties, notamment par le biais de banques de données scientifiques communes. Il a aussi mis l’accent sur l’intérêt de permettre aux pays en développement de participer aux croisières scientifiques, avant de réfuter l’idée du partage des avantages pécuniaires.
La délégation de la Chine a pour sa part pris position sur les « objectifs », au nombre de 10, énoncés dans cette section: ils sont acceptables, selon elle, mais y a-t-il vraiment lieu d’avoir une section qui leur soit consacrée dans cette partie du document? Il aurait peut-être été préférable de regrouper les objectifs de l’ensemble du futur accord dans une partie globale, a commenté la délégation chinoise. Idem pour les « approches et principes du partage des avantages », qui fait l’objet de la section suivante du chapitre. Cette idée a été partagée par l’Australie, le Canada, le Saint Siège et l’Islande, entre autres.
Où qu’ils se trouvent dans le document, les objectifs du partage des avantages doivent être énoncés très clairement et doivent être mesurables, a estimé de son côté le Conseil international pour le droit de l’environnement, qui a mis l’accent sur l’aspect opérationnel du partage des avantages. La portée de ce que couvrent « les avantages » est la question clef, selon la représentante qui a appelé à tenir compte des pays à capacités limitées comme les petits États insulaires en développement (PEID). Le Conseil a indiqué avoir élaboré un document sur « une approche par niveau » qui traite des questions relatives aux modalités du partage des avantages des ressources génétiques marines et de leurs bénéficiaires.
La Chine et l’Australie ont été d’avis qu’il fallait mettre l’accent sur les avantages non pécuniaires, comme le transfert des techniques marines et la participation à des croisières scientifiques ou encore le partage des échantillons. La Chine a donc proposé de restructurer cette partie du document en tenant compte des différentes formes de partage et de leurs modalités. Le Canada et l’Australie ont également souligné que le futur accord devait souligner les obligations des États parties dans ce domaine.
De son côté, le représentant des Fidji a insisté sur le fait que cet instrument n’a pas pour vocation de créer un nouvel ordre mondial, mais qu’il faut également sortir du statu quo actuel, y compris dans le contexte plus large des objectifs de développement durable, et plus spécifiquement l’objectif 14.7.
Pour ce qui est du texte de la sous-section, le représentant des Fidji a préconisé de mettre en avant les spécificités des pays en développement et les circonstances particulières des PEID, un point de vue partagé par les représentants des Samoa, des États fédérés de Micronésie et des Tonga. Il a soulevé la question de savoir qui vont être propriétaires des ressources génétiques marines et des aires marines protégées avant de pouvoir prendre des décisions sur les modalités de leur partage.
Le contexte international a changé en ce qui concerne le lien entre les plateaux continentaux et les ressources en haute mer, a fait remarquer la délégation de Cuba. Ce sujet, a-t-elle ajouté, implique tous les pays. Les actions qui se réalisent en haute mer ont donc des incidences qui relèvent des juridictions nationales, a expliqué la représentante pour justifier sa position. Pour Cuba, la valeur ajoutée du futur accord figure dans la responsabilité commune du partage. C’est pourquoi, pour l’instant, la délégation cubaine souhaite maintenir tous les principes de ce partage qui figurent dans le document.
Le Saint Siège a demandé des éclaircissements sur le concept de partage des avantages pécuniaires, notamment par rapport aux paiements et leurs modalités. Quant aux avantages non pécuniaires, la délégation a estimé qu’ils devaient bénéficier à tous. Elle a préconisé d’appliquer le principe du patrimoine commun de l’humanité comme base juridique pour orienter les négociations, un point de vue partagé par le Viet Nam, la République islamique d’Iran, la Thaïlande, le Népal et l’Érythrée. La Colombie a estimé qu’on ne peut parler de conservation de la biodiversité marine si l’on n’accepte pas ce principe de patrimoine commun de l’humanité, qui justifie précisément le partage équitable des avantages découlant des ressources génétiques marines. Cette approche est toutefois ancrée dans des valeurs morales, a fait observer le représentant de l’Islande en soulignant que ces valeurs ne sont pas forcément les mêmes pour tous les pays.
L’Indonésie a vu le principe de partage des avantages comme s’appliquant seulement aux États parties au futur accord, un partage qui se ferait de manière non volontaire et qui comprendrait les avantages pécuniaires et non pécuniaires, une position reprise par son homologue de l’Iran et d’autres.
Diamétralement opposée à ces positions, la Fédération de Russie a contesté l’applicabilité du principe du patrimoine commun de l’humanité comme base juridique du nouvel accord en rappelant que le mandat de la Conférence est de ne pas porter atteinte aux bases de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Or, en appliquant la notion du patrimoine commun de l’humanité cela reviendrait à « rouvrir la Convention ». Par conséquent, si l’on ne reconnaît pas les ressources génétiques marines comme faisant partie de ce patrimoine, il n’y a pas de base juridique pour parler de partage de leurs avantages sous forme pécuniaire. Ainsi, la Russie plaide pour un partage des avantages sur une base strictement volontaire et non pécuniaire.
Réagissant à cette interprétation, la représentante de la CARICOM, a estimé que même si l’on parle de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer comme étant « la Constitution des océans », ce document doit être en évolution, « un texte vivant », pour pouvoir refléter l’évolution du droit international, de la science et de la technologie.
Allant dans le même sens, le Groupe des 77 et la Chine a estimé que les avantages liés à l’utilisation des ressources génétiques marines doivent être plus que des avantages non pécuniaires et que leur partage ne saurait se faire uniquement sur une base volontaire. « Cela ne nous suffit pas », a-t-il martelé.
L’océan au-delà des juridictions nationales représente un écosystème unique et il est difficile de concevoir sa subdivision en différentes zones, a considéré l’Érythrée, pays favorable à la création d’un fonds d’affectation spéciale pour ce qui est du partage équitable des avantages liés à l’utilisation des ressources génétiques marines. Une position reprise par la Papouasie-Nouvelle-Guinée, qui a précisé que les avantages partagés ne visent pas un gain privé mais plutôt à disposer de ressources pour protéger tout l’écosystème marin, y compris de la haute mer.
Partisane d’un régime pragmatique qui facilite l’utilisation rationnelle des ressources génétiques marines et favorise le partage des avantages liés à ces ressources, la Nouvelle-Zélande a souligné qu’on ne connaît pas grand-chose encore sur ces ressources et que, par conséquent, le futur accord ne devrait pas entraver la recherche.
Passant dans l’après-midi à d’autres questions, le Groupe de travail informel a abordé le sujet du centre d’échange décrit dans le document de base des négociations comme un « centre d’échange chargé de favoriser l’utilisation transparente des ressources génétiques marines, de diffuser des données et des informations scientifiques ainsi que des renseignements au sujet du renforcement des capacités et du transfert de techniques, et d’améliorer la coopération et la coordination ».
Pour Singapour, ce centre d’échange doit être appréhendé comme un diffuseur d’informations, et de ce fait, il n’a pas besoin d’un fonds d’affectation spéciale, celui-ci pouvant être prévu ailleurs dans l’instrument pour couvrir d’autres besoins. « Il faut effectivement prévoir le fonds d’affectation ailleurs », a renchéri le Canada qui préfère parler du centre comme d’un « dépositaire d’informations ». Si le fonds d’affectation spéciale est créé, alors il faut bien en surveiller le fonctionnement, a suggéré le Conseil international du droit de l’environnement, une organisation de la société civile.
Ces centres peuvent aussi servir de site de renforcement de capacités, a noté l’Union européenne, alors que l’Australie, bien que d’accord avec l’idée du centre, ne partage pas toutes les fonctions qui lui seraient dévolues. Le Brésil, au nom d’un groupe de pays d’Amérique latine, a estimé que l’importance de ce centre vaut bien le chapitre spécifique qui lui sera consacré dans l’instrument.
Il faut toutefois éviter de mettre la charrue avant les bœufs, a tempéré la délégation des États-Unis pour qui il faut d’abord négocier sur tous les chapitres avant de revenir sur le sujet du centre d’échange. Il faut d’abord s’entendre sur le contenu de l’instrument, a acquiescé la Norvège, alors que la Suisse a insisté pour qu’il y ait un seul centre mondial.
Le centre doit se focaliser sur la diffusion de l’information scientifique et le renforcement des capacités afin de ne pas entraîner de dépenses énormes, a prévenu le Japon. En effet, « un centre de ce type nécessite des ressources humaines et financières importantes », a souligné la représente de l’organisation non gouvernementale (ONG) Deep Ocean Stewardship Initiative qui rêve d’une « plateforme mondiale en ligne qui concentre toutes les recherches scientifiques en haute mer ». La République de Corée et la Fédération de Russie, pour leur part, sont d’avis que ce centre ne semble pas déterminant, puisque de nombreuses structures existent déjà avec des fonctions similaires à celles que l’on veut lui faire jouer.
Les délégations ont ensuite débattu des « droits de propriété intellectuelle ». La première option du document des négociations prévoit que « les ressources génétiques marines auxquelles il est accédé sous le régime du présent instrument ne sont brevetables que lorsqu’elles sont modifiées par une intervention humaine aboutissant à un produit susceptible d’application industrielle ». Cet avis a été partagé par le Groupe des 77 et la Chine qui souhaite tout de même des précisions sur les chevauchements entre cette option et les prescriptions et directives en vigueur au sein de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Le Sri Lanka s’est prononcé dans le même sens, en préconisant « un texte qui ne soit pas contradictoire avec les textes de l’OMPI ». Au nom de la CARICOM, la Barbade dit être d’accord avec le libellé de cette première option, mais avec de légères modifications.
La deuxième option prévue dispose que « les États parties appliquent le présent instrument d’une manière compatible avec les droits et obligations découlant des accords conclus en la matière sous les auspices de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle et de l’Organisation mondiale du commerce ». La troisième option, qui prévoit de ne pas légiférer sur la question dans l’instrument, a rallié la délégation de l’UE qui a argué que les questions de droits de la propriété intellectuelle sont déjà régies par l’OMPI et l’Organisation mondiale du commerce (OMC). De même pour les États-Unis selon lesquels le futur traité risque de saper les régimes de droits de propriété intellectuelle déjà en vigueur.
Des pays tels que l’Australie, le Japon, la République de Corée, la Fédération de Russie, le Canada et Singapour ont indiqué que des discussions sont en cours à l’OMPI et à l’OMC et qu’il vaut donc mieux ne pas se prononcer dans cet instrument. Ce n’est pas la position de la République islamique d’Iran qui a insisté pour que ces questions soient débattues dans le cadre du futur instrument, puisque l’OMPI n’est pas compétente pour des questions hors des juridictions nationales.
L’Algérie, au nom du Groupe des États d’Afrique, a souligné l’ironie de la situation qui veut que les questions de ressources génétiques ne soient traitées ni par l’OMC ni par l’OMPI qui se rejettent mutuellement la compétence. Il faut donc que nous nous y attelons, a-t-elle estimé. La représentante des Fidji, parlant au nom des PEID, a aussi tiré la sonnette d’alarme en disant qu’alors que l’on négocie, des ressources génétiques marines sont déjà brevetées, alors même que l’on devrait les considérer comme faisant partie du patrimoine de l’humanité. Elle a aussi souligné que l’OMPI semble débordé par le poids des tâches.
Les délégations ont aussi planché sur « la surveillance de l’utilisation des ressources génétiques marines des zones ne relevant pas de la juridiction nationale ». L’une des options prévues par le document de base veut que « l’utilisation des ressources génétiques marines des zones ne relevant pas de la juridiction nationale fasse l’objet d’une surveillance dont les modalités sont définies dans la présente partie ». Cette option n’a pas reçu l’agrément du Japon qui a mis en garde quant aux dépenses énormes qui découleraient de cette mesure. Celle-ci contribuerait en plus à « décourager les chercheurs », a-t-il prédit. Obliger des scientifiques à faire des transmissions récurrentes de données peut s’avérer couteux, ont précisé les États-Unis, avant que la République de Corée ne dise clairement son opposition à toute surveillance.
Cependant, la Turquie a milité pour une telle surveillance. Il est important, selon ce pays, d’avoir un organe scientifique chargé de coordonner ces activités. Même son de cloche du côté de la Papouasie-Nouvelle-Guinée qui a insisté sur la traçabilité qu’assurerait un organe de surveillance. Adoptant une approche médiane, la Chine a opté pour une méthode de surveillance « plus légère ». Il ne doit pas y avoir de surveillance de la recherche scientifique au-delà de ce que prévoit la Convention des Nations Unie sur le droit de la mer en la matière, a-t-elle argué.
Le Groupe de travail a ensuite brièvement abordé les points portant sur le champ d’application et de l’accès aux ressources et le partage des avantages. Globalement, la plupart des délégations ont marqué leur faveur pour que « la présente partie s’applique aux ressources génétiques marines de la haute mer et de la Zone ». La Turquie est revenue sur son appel lancé hier qui insiste sur une définition préalable du concept de haute mer.
Par ailleurs, au sujet du « Champ d’application temporel », certains pays ont voulu que l’instrument s’applique à toutes les ressources génétiques marines de la haute mer, alors que pour d’autres, l’option I est de mise, c’est-à-dire que « le présent instrument s’applique aux ressources génétiques marines recueillies après son entrée en vigueur ». La Barbade a dit préférer qu’aucune indication temporelle ne soit mentionnée dans l’instrument. L’UE a tout de même précisé que les activités de pêches ne doivent pas être prises en compte dans ce traité. Une préoccupation partagée par la Fédération de Russie pour qui il faut faire un distinguo entre le poisson comme produit de consommation et le poisson vu comme une ressource génétique.