Conseil de sécurité: les nouvelles autorités soudanaises rejettent la main tendue par la Procureure de la CPI sur la question du Darfour
Deux mois après le renversement de l’ex-Président Omar Al-Bashir par l’armée soudanaise, la Procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Mme Fatou Bensouda, a invité ce matin les autorités de Khartoum à ouvrir un « nouveau chapitre » dans l’histoire des relations du pays avec la Cour, jusqu’ici marquées par un « manque total de coopération », en acceptant de lui livrer les suspects toujours visés par un mandat d’arrêt pour les crimes commis au Darfour, dont M. Al-Bashir. Rejetant la main tendue par la Procureure, le Soudan a répondu qu’il ne reconnaissait pas la compétence de la CPI et que sa position sur la question demeurait inchangée, en dépit des changements politiques récents.
M. Al-Bashir, que la Cour accuse de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis au Darfour depuis 2002, est actuellement détenu dans la capitale soudanaise, où il a été destitué par l’armée du pays, le 11 avril dernier, après plusieurs mois de manifestations populaires contre son gouvernement. Dès le lendemain, le Conseil militaire de transition qui lui a succédé a annoncé son intention de ne pas livrer l’ex-Président déchu à la CPI.
J’invite les nouvelles autorités de Khartoum à prendre le contrepied du « manque total de coopération » du Gouvernement précédent avec mon Bureau et à ouvrir un « nouveau chapitre » de coopération au profit des victimes du Darfour, a offert en début de séance Mme Bensouda, venue présenter au Conseil son vingt-neuvième rapport sur la situation au Darfour, dont la CPI est saisie depuis l’adoption en 2005 par les Quinze de la résolution 1593.
La Procureure a précisé que cinq mandats d’arrêt émis par la CPI, visant des anciens hauts responsables du Gouvernement soudanais, étaient toujours en souffrance. Outre M. Al-Bashir, la Cour attend l’arrestation de M. Ahmad Harun, Ministre de l’intérieur du Soudan de 2003 à 2005, M. Abdel Raheem Hussein, ancien Ministre de la défense du pays, ainsi que le chef de milice M. Ali Kushayb et le dirigeant rebelle M. Abdallah Banda. Si les deux derniers sont toujours en fuite, MM. Harun et Hussein sont désormais aux mains des autorités soudanaises, à l’instar de M. Al-Bashir, qui a été déféré, dimanche 16 juin, au parquet de la justice soudanaise spécialisé dans les affaires de corruption.
À moins qu’il ne soit en mesure de démontrer aux juges de la CPI que la justice soudanaise est capable de traduire ces cinq suspects en justice pour des faits identiques à ceux retenus contre eux, le Soudan a l’obligation légale de coopérer avec la Cour, a estimé Mme Bensouda, appelant le Conseil militaire de transition à livrer ces suspects à la Cour.
Mon pays n’est pas partie au Statut de Rome de la CPI et la Cour n’est pas un organe de l’ONU, a tranché le Soudan, dont la position sur la question demeure inchangée, en dépit des récentes évolutions politiques.
Le représentant du Soudan a par ailleurs dénoncé le contenu du nouveau rapport de la Procureure, dans lequel Mme Bensouda se dit préoccupée par les violences des Forces d’appui rapide soudanaises contre des manifestants pacifiques, qui auraient fait des dizaines de morts non seulement à Khartoum, le 3 juin dernier, mais également dans le reste du pays, depuis la mi-décembre 2018. Selon le rapport, ces évènements auraient contribué à une détérioration de la situation sécuritaire au Darfour, les violences contre les manifestants ayant aggravé le sort des 1,64 million de personnes déplacées dans la région, avec notamment une recrudescence des violences sexuelles contre les femmes résidant dans les camps ou dans leurs environs. À cela, s’ajoute la persistance des combats entre les forces soudanaises et l’Armée de libération du Soudan-faction Abdul Wahid dans le Jebel Marra, ainsi que la saisie par les Forces d’appui rapide de sites précédemment sous la responsabilité de l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour (MINUAD), qui auraient dû être transférés à la population civile. Dans ce contexte, le rapport de Mme Bensouda appuie la volonté du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (UA) de proroger d’un an le mandat de la MINUAD et demande au Conseil de sécurité d’en faire de même.
Ce rapport contient des « informations erronées » et fait référence à des évènements n’ayant pas eu lieu ou qu’il monte en épingle, s’est insurgé le représentant du Soudan, soulignant la contradiction entre ce document et le rapport du Secrétaire général sur le Darfour, qui mentionne une amélioration de la situation dans la région et recommande le retrait progressif de la MINUAD selon un calendrier déjà établi. Les travaux de la CPI concernant le Darfour ne doivent en effet pas faire entrave au processus de paix au Soudan, a estimé à son tour le Koweït, précisant, au passage, que l’acte d’accusation de la CPI contre M. Al-Bashir n’avait pas bénéficié de l’appui des organisations internationales et régionales auxquelles le Soudan est partie, dont la Ligue des États arabes, qui a rejeté la « politisation de la justice internationale » au détriment de la souveraineté des États.
La majorité des membres du Conseil, dont les États-Unis, la France, l’Allemagne, la République dominicaine, le Royaume-Uni, la Pologne, le Pérou et la Côte d’Ivoire, a toutefois appelé le Soudan à coopérer avec la CPI et a dénoncé l’usage excessif de la force par les nouvelles autorités de Khartoum contre les manifestations. Plusieurs d’entre eux ont ainsi appelé le Conseil militaire de transition à ouvrir une enquête indépendante pour faire toute la lumière sur ces évènements, ainsi qu’à œuvrer au « transfert pacifique du pouvoir » à la population civile, via l’organisation d’élections libres.
La Fédération de Russie est, quant à elle, revenue sur l’arrêt de la Chambre d’appel de la CPI rendu le 6 mai 2019, dans l’affaire concernant la Jordanie, qui a conclu, en invoquant le droit international coutumier, qu’on ne pouvait soulever devant un tribunal international l’argument de l’immunité pour les chefs d’État. « C’est curieux », a commenté le délégué russe, en faisant remarquer que, jusqu’à présent, la traque d’Omar Al-Bashir prouvait le contraire. En effet, a-t-il rappelé, tous les États dans lesquels le suspect s’est rendu ont reconnu son immunité.
RAPPORTS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SUR LE SOUDAN ET LE SOUDAN DU SUD
Déclarations
Venue présenter son vingt-neuvième rapport sur la situation au Darfour, Mme FATOU BENSOUDA, Procureure de la Cour pénale internationale (CPI), a commencé par rappeler les événements qui se sont produits le 11 avril dernier à Khartoum, où après plusieurs mois de manifestations populaires contre le Gouvernement soudanais, le Président Omar Al-Bashir a été déchu du pouvoir, après 30 ans passés à la tête du pays, cédant la place à une « période incertaine de transition politique ».
Tout en précisant qu’elle ne sous-estimait aucunement la « complexité et la fluidité » des événements qui se déroulent à l’heure actuelle au Soudan, Mme Bensouda a souhaité adresser au Conseil un message clair: « L’heure est venue d’agir. » Il est en effet temps pour le peuple du Soudan, a-t-elle poursuivi, de choisir l’état de droit plutôt que l’impunité, afin que justice soit rendue pour les crimes commis au Darfour.
Mme Bensouda a par ailleurs fait part au Conseil de sa préoccupation face aux rapports récents faisant état de violences perpétrées contre des civils dans la capitale du pays, y compris des violences sexuelles et sexistes. Ces violences, a-t-elle précisé, se propageraient maintenant dans d’autres régions du Soudan, dont le Darfour. La Procureure a exhorté le Conseil à lancer un appel fort en faveur d’une cessation immédiate de ces violences. Il est également impératif, a-t-elle ajouté, que les nouvelles autorités soudanaises ouvrent rapidement des enquêtes pour faire la lumières sur ces attaques et traduire leurs auteurs en justice.
Dans le cadre de son propre mandat, qui découle du Statut de Rome, Mme Bensouda a renouvelé son engagement à œuvrer en faveur de la responsabilité au Soudan. Elle a appelé tous les États parties au Statut à coopérer avec son Bureau pour y parvenir. « Les États parties doivent continuer, de bonne foi, à remplir leur obligation de coopération vis-à-vis de la Cour dans le cadre de son enquête et de ses poursuites s’agissant du Darfour », a-t-elle insisté.
Quant au Soudan, a ajouté la Procureure, il a désormais l’opportunité de déroger à sa politique précédente de « manque total de coopération » avec son Bureau et d’ouvrir un « nouveau chapitre » au profit des victimes de la situation au Darfour.
La Procureure a précisé que cinq mandats d’arrêt émis par la Cour étaient toujours en souffrance pour des personnes ayant occupé des postes de haut responsable au sein du Gouvernement soudanais à l’époque des crimes commis au Darfour. Outre l’ex-Président Al-Bashir, ces mandats concernent M. Ahmad Harun, ancien Ministre de l’intérieur du Soudan de 2003 à 2005, M. Abdel Raheem Hussein, ancien Ministre de la défense du pays, ainsi que le chef de milice M. Ali Kushayb et le dirigeant rebelle M. Abdallah Banda.
À moins qu’il ne soit en mesure de démontrer aux juges de la CPI que la justice soudanaise est capable de traduire ces cinq suspects en justice pour les faits retenus contre eux, le Conseil militaire de transition du Soudan a l’obligation légale de coopérer avec la Cour, conformément à la résolution 1593 (2005) du Conseil. Cela suppose, a-t-elle précisé, de livrer ces suspects à la CPI, aussi bien ceux qui sont toujours en fuite, MM. Kushayb et Banda, que les suspects actuellement incarcérés par les nouvelles autorités de Khartoum, à savoir, outre M. Al-Bashir, MM. Harun et Hussein. Mme Bensouda s’est ainsi dite prête à dialoguer avec le Conseil militaire de transition afin de relancer la coopération entre le Gouvernement soudanais et son Bureau qui avait prévalu entre 2005 et 2007. Elle a également appelé le Conseil à soutenir pleinement ses efforts à cet effet.
Par ailleurs, Mme Bensouda a jugé « intolérable » les violences perpétrées par les forces armées soudanaises, et notamment ses Forces d’appui rapide, dont ont été victimes des civils dans la capitale du pays, le 3 juin dernier. Elle a appelé le Conseil à condamner fermement ces violences, qui auraient causé la mort de 61 personnes selon les autorités du pays, cependant que la société civile soudanaise parle, elle, de plus de 100 victimes. Selon Mme Bensouda, ces violences viennent s’ajouter à la série d’attaques perpétrées depuis la mi-décembre 2018 par l’armée soudanaise à travers tout le pays, y compris au Darfour. Tout en prenant acte de l’intention du Conseil militaire de transition d’enquêter sur ces différentes attaques, la Procureure a exhorté ce dernier à faire en sorte que ces enquêtes soient menées « promptement », par des « experts indépendants » et sur l’ensemble des violations des droits de l’homme commises à l’encontre des manifestants soudanais.
Au Darfour, les attaques contre des civils se sont poursuivies sur l’ensemble de la période couverte par le nouveau rapport, a par ailleurs déploré la Procureure. À cet état de fait, s’ajoutent les 1,64 million de personnes déplacées dans la région, dont la situation demeure, selon la Procureure, très précaire. Mme Bensouda a notamment mentionné la poursuite des violences sexuelles à l’encontre des filles et femmes déplacées, aussi bien dans les camps que dans les environs. Les attaques contre le personnel de maintien de la paix perdurent également, a-t-elle ajouté. Au vu de cette évolution, la Procureure a dit partager l’opinion du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (UA), selon laquelle les développements sécuritaires et politiques récents au Soudan ont contribué à une détérioration de la situation sécuritaire au Darfour.
Toujours au Darfour, la Procureure a également noté avec préoccupation que des sites préalablement sous la responsabilité de l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour (MINUAD) avaient été saisis par les Forces d’appui rapide soudanaises. Dans ce contexte, Mme Bensouda a appuyé la volonté du Conseil de paix et de sécurité de l’UA de proroger le mandat de la MINUAD pour une période de 12 mois et sa demande au Conseil de sécurité d’en faire de même. Elle a également rejeté l’appel lancé par le Conseil militaire de transition à la MINUAD de transférer ses actifs aux Forces d’appui rapide. Ces actifs doivent être transférés à la population civile, a-t-elle estimé.
Concernant les allégations de crimes récemment commis au Darfour, a déclaré la Procureure, « permettez-moi de préciser que je continuerai à suivre de près les événements et que je n’hésiterai pas à enquêter et, le cas échéant, à poursuivre les auteurs présumés des crimes relevant de la compétence de la CPI ». L’heure est venue d’agir, a déclaré en conclusion la Procureure. « Les victimes de la situation au Darfour ont attendu bien trop longtemps que justice soit rendue. »
M. MARC PECSTEEN DE BUYTSWERVE (Belgique) a déclaré qu’à la suite des développements de ces derniers mois au Soudan, le Gouvernement de transition avait une occasion de rendre enfin justice aux victimes. « Le processus de transition politique, entamé après l’arrestation de l’ancien Président Omar Al-Bashir, permet en effet d’envisager l’ouverture d’un nouveau chapitre dans l’histoire des relations entre la CPI et le Soudan », a analysé le représentant. Il a estimé que le cadre juridique à la base de la coopération dont la Cour doit bénéficier de la part des autorités soudanaises était « très clair ».
Dans son arrêt du 6 mai dernier, la Chambre d’appel de la CPI a confirmé sans équivoque que le Soudan était tenu, conformément à la résolution 1593 (2005) du Conseil de sécurité, de coopérer pleinement avec la Cour et le Procureur, a poursuivi M. Pecsteen de Buytswerve. Par conséquent, il incombe aux autorités du Soudan d’exécuter les mandats d’arrêt délivrés par la CPI contre les personnes recherchées dans le cadre de la situation au Darfour. Or, la présente situation est inédite selon lui. Pour la première fois depuis la délivrance des différents mandats d’arrêt, plusieurs des suspects sont aujourd’hui détenus, a observé la délégation belge. Aussi a-t-elle encouragé les autorités soudanaises à montrer l’exemple en respectant leurs obligations internationales et en répondant favorablement à l’invitation de la Procureure à entamer un dialogue afin de s’assurer que les personnes visées par un mandat d’arrêt soient traduites en justice, « devant la CPI ou au Soudan ».
M. JONATHAN GUY ALLEN (Royaume-Uni) a rappelé que la situation au Darfour avait été la première affaire renvoyée par le Conseil de sécurité devant la CPI. En dépit des progrès enregistrés depuis lors, il ne faut pas oublier les raisons de ce renvoi, a-t-il recommandé, rappelant le nombre de 300 000 morts et la poursuite des combats, notamment dans la région du Jebel Marra. La situation s’est avérée de surcroît très préoccupante ces dernières semaines et la violence se poursuit à un rythme effréné, notamment des mains des forces sécuritaires du Soudan, a souligné le représentant. Il a aussi dénoncé le pillage des stocks humanitaires.
Le représentant s’est aussi inquiété de l’incertitude politique actuelle. « Les actes de répression ne sont pas les actes d’autorités crédibles et responsables », a-t-il affirmé. Il a estimé que le Conseil de sécurité avait le choix de permettre un nouvel avenir pour le Soudan avec un soutien à long terme de la communauté internationale pour aider le pays à surmonter, entre autres, les conséquences des mauvaises politiques économiques. Il a appelé à un transfert rapide du pouvoir à des autorités civiles qui soient déterminées à rendre justice pour les crimes perpétrés au Darfour.
Mme SHÉRAZ GASRI (France) a estimé que le travail de la Procureure et de ses équipes n’était pas seulement nécessaire pour rendre justice aux victimes des crimes commis au Darfour, mais également « indispensable à l’émergence d’un état de droit au Soudan et à la stabilisation du pays ». Condamnant les violences survenues au Soudan ces dernières semaines, elle a appelé instamment les acteurs à la retenue et à ne pas recourir à la violence. De même, la France demande que toute la lumière soit faite sur les exactions commises, y compris les violences sexuelles, « à la suite du très préoccupant communiqué de Pramila Patten », la Représentante spéciale du Secrétaire général chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit, et que les responsables répondent de leurs crimes. Elle regrette dans ce contexte le report de la publication, par le comité soudanais désigné, des conclusions de l’enquête sur les violences du 3 juin dernier à Khartoum, et appelle à leur communication dans les meilleurs délais.
Par ailleurs, la représentante de la France s’est dite extrêmement préoccupée par les informations faisant état de violences au Darfour ces dernières semaines, notamment dans le Jebel Marra. Selon Mme Gasri, la lutte contre l’impunité est à la fois « un impératif de justice et une condition de stabilisation de la région », ce qui oblige le Soudan à assumer ses responsabilités. Il est notamment essentiel, plus que jamais, que la CPI puisse poursuivre et mener à bien son enquête, afin de lutter contre l’impunité pour les crimes les plus graves commis au Darfour, a plaidé la délégation.
Mme Gasri a donc appelé le Soudan à coopérer avec la CPI, conformément à la résolution 1593 (2005), en mettant à exécution les mandats d’arrêt déjà émis contre ses ressortissants et en remettant ceux-ci sans délai à la Cour. Ce faisant, les autorités soudanaises non seulement rempliraient leurs obligations internationales, mais elles enverraient également à la communauté internationale un signal fort de leur détermination à en finir avec l’impunité. Mme Gasri a aussi appelé les autorités soudanaises à permettre aux équipes de la CPI d’accéder au Darfour afin d’y recueillir des éléments nécessaires.
M. GENNADY V. KUZMIN (Fédération de Russie) a déploré le manque de progrès dans l’enquête sur la situation au Darfour. Il a expliqué qu’il ne ferait pas de commentaire sur la situation interne au pays, le Conseil de sécurité disposant déjà de mécanismes pour une telle discussion, sans la présence de la Procureure.
Il est revenu sur l’arrêt de la Chambre d’appel de la CPI rendu le 6 mai 2019, dans l’affaire concernant la Jordanie, qui a conclu qu’il n’y avait pas d’immunité des chefs d’État en droit international coutumier vis-à-vis d’un tribunal international. « C’est curieux », a-t-il commenté en faisant remarquer que jusqu’à présent, la traque d’Omar Al-Bashir prouvait le contraire. En effet, a-t-il rappelé, tous les États dans lesquels le suspect s’était rendu avaient reconnu son immunité.
Le représentant est ensuite revenu sur l’adoption, il y a 100 ans, du Traité de paix de Versailles, en citant son article 227 dans lequel les puissances alliées et associées avaient accusé Guillaume II de Hohenzollern, ex-empereur d’Allemagne, pour « offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée des traités ». L’idée de créer un tribunal international pour le juger y avait également été évoquée mais n’avait jamais été concrétisée, les Pays-Bas ayant refusé de livrer l’ancien empereur, a-t-il rappelé.
Le représentant a poursuivi en soulignant que le droit international en vigueur prévoit l’immunité des fonctionnaires, sans aborder la question de la compétence juridictionnelle. Selon lui, l’État qui décide d’exercer cette compétence s’immisce donc dans les relations internationales. En conclusion, il a appelé les États parties au Statut de Rome à agir de manière responsable et à s’abstenir de toute mesure pouvant provoquer des frictions internationales.
M. KACOU HOUADJA LÉON ADOM (Côte d’Ivoire) a dit que son pays souscrivait aux appels pressants de la communauté internationale à identifier et à traduire devant les juridictions internationales compétentes, notamment la CPI, les personnes ou groupes armés auteurs de violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire.
Au sujet de la crise politique que vit le Soudan en ce moment, la Côte d’Ivoire souhaite vivement que les efforts de médiation de l’UA, de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), du Premier Ministre éthiopien et de la Troïka portent leurs fruits à court terme, afin de mettre le Soudan à l’abri d’une instabilité qui pourrait saper les fondements de la paix dans ce pays.
La délégation appelle à une coopération constructive entre la CPI et le Soudan, fondée sur la confiance mutuelle et la volonté des deux parties d’œuvrer de concert au renforcement des institutions judiciaires nationales. Elle réitère également son soutien à la Procureure pour le travail accompli et l’encourage à poursuivre inlassablement ses efforts afin de mener à terme les différentes enquêtes en cours au Darfour.
M. THABO MICHAEL MOLEFE (Afrique du Sud) s’est dit gravement préoccupé par les violences et les nombreux morts au Darfour. Il a déploré que la violence vise en particulier les civils et s’est inquiété de la persistance des défis sécuritaires et des violations des droits de l’homme. Les femmes et les enfants demeurent les plus vulnérables et les plus touchés par la violence sexuelle, qui continue d’être utilisée comme arme de guerre au Darfour, a dénoncé M. Molefe avant d’appeler l’armée et les forces de sécurité à assurer la protection des civils ainsi que le respect des droits de l’homme et des libertés au Darfour.
Rappelant le communiqué du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (UA) du 13 juin 2019 et la déclaration à la presse des pays africains présentée au Conseil le 3 juin, le délégué a condamné les tragiques pertes en vies humaines, tout en rappelant aux autorités de transition soudanaises leur obligation de protéger les civils et de respecter les droits de l’homme fondamentaux. Il a exhorté le Conseil militaire de transition, les forces pour la liberté et le changement et toutes les autres parties à revenir au dialogue dans l’objectif d’apporter des réponses aux aspirations légitimes du peuple soudanais. M. Molefe a aussi appelé le Conseil militaire à se replacer dans le cadre établi par l’UA et a souligné la primauté des initiatives africaines dans la recherche de solutions à la crise au Soudan.
M. JUERGEN SCHULZ (Allemagne) s’est dit très préoccupé par l’usage excessif de la force par l’armée soudanaise à l’encontre des civils et des manifestants du pays. Il a exhorté les nouvelles autorités soudanaises à enquêter sur ces violences et, plus généralement, à œuvrer en faveur d’un « transfert pacifique du pouvoir » à la population civile, via l’organisation d’élections libres. Sans cela, l’instabilité risque de se propager à l’ensemble du pays, a-t-il mis en garde.
Le représentant allemand a en outre renouvelé l’appui de son pays envers l’enquête de la CPI sur les crimes commis au Darfour. Il a encouragé les autorités soudanaises à agir pour lutter contre l’impunité dans le pays et à collaborer pleinement avec la Cour et le Bureau de la Procureure. C’est essentiel pour éviter que de nouveaux crimes ne soient commis, a estimé le représentant, appelant le Gouvernement soudanais à livrer les personnes visées par des mandats d’arrêt de la Cour. « Ce serait un pas dans la bonne direction », a-t-il insisté.
Le représentant a enfin réitéré l’appui de l’Allemagne à la CPI et à son indépendance. « C’est une pièce importante de l’ordre international », a-t-il déclaré, appelant les États n’ayant toujours pas adhéré au Statut de Rome à le faire dans les plus brefs délais.
M. JOSÉ SINGER WEISINGER (République dominicaine) a constaté une situation préoccupante au Soudan, pointant du doigt notamment les actes de violence, les violences sexuelles dont sont notamment victimes les femmes déplacées et les restrictions imposées à la liberté de mouvement des déplacés. Il a néanmoins salué le courage du peuple soudanais qui a réussi à modifier sa trajectoire historique.
Le représentant a appelé le Soudan à établir un système judiciaire fiable permettant de « faire de l’impunité une chose du passé » et de donner espoir aux victimes des crimes commis par le régime d’Al-Bashir. Il a aussi appelé les autorités soudanaises à coopérer avec le Bureau de la Procureure et notamment à autoriser celui-ci à mener des enquêtes sur place. Il a salué la décision récente de la Chambre d’appel de la CPI selon laquelle les États ont le devoir d’extrader les chefs d’État qui font l’objet d’un mandat d’arrêt international. M. Singer Weisinger a aussi appelé les membres du Conseil de sécurité à se montrer unis sur le dossier soudanais.
M. MUHSIN SYIHAB (Indonésie) s’est félicité dans un premier temps de la situation sécuritaire relativement calme qui a prévalu au Darfour au cours de la période à l’examen, marquée par le déclin des affrontements intercommunautaires. Il a toutefois exprimé sa préoccupation devant les violations des droits de l’homme qui continuent de se produire à travers tout le Darfour, et qui visent en particulier les personnes déplacées, les femmes et les enfants. Par ailleurs, les efforts en vue de rendre justice doivent s’inscrire dans le cadre plus général de la quête de paix au Darfour, a estimé la délégation en plaidant pour que les actions de la communauté internationale ne remettent pas en cause le dialogue en cours entre les parties soudanaises.
Si elle a reconnu la responsabilité du Conseil de sécurité pour veiller à ce que le Gouvernement soudanais respecte les dispositions de la résolution 1593 (2005), l’Indonésie a cependant estimé que le rôle de la CPI devait être complémentaire des juridictions pénales nationales. « Nous considérons que le renvoi de la situation au Darfour et les actions menées par la Procureure ne devraient pas annuler le principe de complémentarité ni empêcher les tribunaux soudanais de faire valoir leur compétence pour juger les auteurs de violations et d’abus des droits de l’homme », a insisté M. Syihab, en appelant les autorités soudanaises à assumer leurs responsabilités à cet égard.
M. ANGEL HORNA (Pérou) s’est inquiété des conséquences des derniers évènements au Soudan sur la situation humanitaire du pays et a dénoncé la répression violente des manifestations qui a fait plus de 100 morts depuis le 9 avril. « La CPI nous offre aujourd’hui une occasion de veiller à ce que les crimes les plus graves ne restent pas impunis », a-t-il rappelé. Il a ensuite exhorté le Conseil militaire de transition à arrêter et livrer les personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes contre l’humanité, de guerre et de génocide. Il faut veiller à ce que les crimes commis par l’ancien Président Omar Al-Bashir et les autres personnes qui font l’objet d’un mandat d’arrêt, notamment MM. Abdel Hussein, Ahmad Harun et Ali Kushayb, soient punis, a-t-il ajouté.
Le représentant a ensuite appelé les États à coopérer avec la CPI et la Procureure afin de rendre justice pour les crimes commis au Darfour. Il a d’ailleurs déploré que certains États parties au Statut de Rome n’aient pas exécuté les mandats d’arrêts émis par la CPI et n’aient donc pas remis les suspects qui se trouvent sur leur territoire. Enfin, il a appuyé les mécanismes visant à pousser le Conseil de sécurité à agir face aux cas de non mise en œuvre et de manque de coopération.
M. JOB OBIANG ESONO MBENGONO (Guinée équatoriale) a condamné les attaques « horribles » perpétrées le 3 juin dernier à Khartoum, ainsi que certaines violences qui se sont propagées dans différentes villes du pays depuis la mi-décembre 2018, causant la mort de 70 personnes depuis le 9 avril 2019, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.
Tout en saluant les rapports de la MINUAD selon lesquels la situation du pays demeurerait « relativement calme », le représentant a appuyé les efforts de l’Union africaine au Soudan. Ceux-ci visent à restaurer le dialogue et instaurer une paix durable sur l’ensemble du territoire, notamment dans la zone du Jebel Marra, où, de façon intermittente, des heurts se produisent entre les forces soudanaises et l’Armée de libération du Soudan-faction Abdul Wahid.
Le représentant a par ailleurs appelé le Conseil militaire de transition et l’ensemble des parties soudanaises à maintenir le dialogue et à prendre toutes les mesures de sécurité nécessaires pour parvenir à un accord de transition politique, en vue d’établir un gouvernement de consensus dirigé par les civils. Le représentant a enfin renouvelé son appui à la CPI dans le cadre de son enquête sur les crimes commis au Darfour.
M. WU HAITAO (Chine) a appelé au respect de la souveraineté du pouvoir judiciaire au Soudan. Il a aussi invité à écouter les préoccupations exprimées par ce pays et l’Union africaine au sujet du travail de la CPI. Il a constaté que la situation s’était considérablement améliorée au Darfour, facteur important pour la stabilité dans le pays et l’ensemble de la région. La Chine s’engage à jouer un rôle constructif sur ce dossier, a assuré le délégué.
M. MARK A. SIMONOFF (États-Unis) a dénoncé le fait que les nouvelles autorités de Khartoum aient répondu par la force aux manifestations pacifiques dans la capitale. Ces évènements doivent faire l’objet d’une enquête indépendante, a estimé le représentant, condamnant également l’usage excessif de la force contre les manifestants dans d’autres régions du pays, y compris au Darfour. Ces violences viennent s’ajouter aux combats sporadiques entre l’armée soudanaise et l’Armée de libération du Soudan-faction Abdul Wahid dans le Jebel Marra, ainsi qu’aux violences intercommunautaires dans d’autres régions du Darfour.
Le représentant a regretté les retards dans la transition pacifique du pourvoir à des autorités civiles au Darfour, ainsi que les violences croissantes dont sont victimes les civils dans les camps de déplacés, y compris les violences sexuelles contre des filles et femmes dans ces camps comme dans leurs alentours, « qui demeurent monnaie courante ».
Le représentant a par ailleurs appuyé la suspension de toutes les activités du Soudan au sein de l’Union africaine jusqu’à ce que le pouvoir soudanais soit transféré à un gouvernement civil. Le représentant a appelé le Conseil militaire de transition à répondre à l’appel de la Procureure de la CPI en vue de reprendre sa coopération avec le Bureau de Mme Bensouda. Il incombe également au Conseil militaire de transition de mettre sur pied un gouvernement national civil, attaché à entreprendre des réformes et à rendre la justice pour les crimes perpétrés contre la population soudanaise.
Par ailleurs, le représentant a rejeté les tentatives récentes de la CPI visant à affirmer la compétence de la Cour sur des États non parties au Statut de Rome, et ce, sans leur consentement. Dans ce cadre, il a rejeté l’arrêt récent rendu par la CPI concernant la Jordanie. Il a toutefois précisé que cela n’affectait en rien la détermination des États-Unis à lutter contre l’impunité pour les crimes de génocide.
M. MARIUSZ LEWICKI (Pologne) a rappelé qu’en vertu de la résolution 1593 (2005), le Gouvernement du Soudan et les autres parties au conflit dans ce pays avaient l’obligation de coopérer pleinement avec la CPI et la Procureure. Il a encouragé les parties à dialoguer avec son Bureau et à veiller à ce que les suspects comparaissent en justice, que ce soit devant la CPI ou au Soudan, conformément aux principes de complémentarité et de régularité des procédures.
Le représentant a ensuite exhorté les parties au conflit au Darfour à mettre un terme aux hostilités et à la violence et à arracher les racines du conflit. Le représentant a fermement condamné les actes de violence commis à Khartoum par les forces de sécurité soudanaises à l’encontre de manifestants et a appelé le Conseil militaire de transition à respecter les aspirations du peuple soudanais.
Le délégué a partagé l’espoir de la Procureure que le nouveau gouvernement soudanais déciderait d’entamer un nouveau chapitre de coopération avec la CPI. Il a appelé le Conseil de sécurité et les États parties au Statut de Rome à accorder leur plein appui au peuple soudanais, au Bureau de la Procureure et à tous ceux qui s’engagent en faveur de la paix et de la reddition de la justice pour les crimes atroces commis au Darfour.
M. MANSOUR AYYAD SH. A. ALOTAIBI (Koweït) a appelé le Conseil de sécurité à faire preuve de cohérence sur la situation au Darfour. « Le conflit est terminé et nous sommes entrés dans une phase de consolidation de la paix », a-t-il déclaré, appelant l’ONU à soutenir les efforts en matière de transition au Darfour et dans l’ensemble du pays. Dans ce cadre, le représentant a jugé que les travaux de la CPI concernant le Darfour ne devaient pas faire entrave au processus de paix au Soudan. Il a de plus affirmé que l’acte d’accusation de la CPI contre M. Omar Al-Bashir n’avait pas bénéficié de l’appui des organisations internationales et régionales auxquelles le Soudan est partie, dont la Ligue des États arabes, qui a rejeté la « politisation de la justice internationale » au détriment de la souveraineté des États. Le représentant koweitien a ainsi appelé à respecter la souveraineté et l’indépendance du Soudan.
M. ELSADIG ALI S. AHMED (Soudan) a rappelé que son pays n’était pas partie au Statut de Rome et que la CPI n’était pas un organe de l’ONU. Il a indiqué que la position du Soudan restait inchangée en dépit des récentes évolutions politiques. « La référence à la question de la complémentarité est une bonne nouvelle », a-t-il ajouté.
Il a poursuivi en mentionnant l’évolution positive « assez substantielle » que connaît son pays, prédisant qu’elle déboucherait sur la création d’un régime où la liberté et l’état de droit l’emporteraient et où l’impunité n’aurait pas droit de cité. Le représentant a ensuite indiqué que le Procureur public du Soudan avait ouvert une enquête sur l’ancien Président Al-Bashir, ainsi que sur MM. Ahmad Harun et Abdel Raheem Hussein, précisant que M. Al-Bashir comparaissait déjà en justice depuis la semaine dernière.
Le délégué soudanais a ensuite dénoncé le fait que le rapport de la Procureure de la CPI contienne des « informations erronées » en raison des statistiques employées et qu’il fasse référence à des évènements n’ayant pas eu lieu ou ayant été exagérés. Son contenu est d’ailleurs contraire au rapport du Secrétaire général qui affirmait que la situation s’était améliorée au Darfour et qui recommandait le retrait progressif de la MINUAD selon le calendrier déjà fixé, a-t-il constaté.
S’agissant de l’affaire concernant la Jordanie, M. Ahmed a estimé que le jugement rendu se fondait sur une interprétation politique des faits et violait l’article 10 du Statut de Rome ainsi que le droit international coutumier. La résolution 1593 (2005) ne prévoit pas d’exception à l’immunité qui, a-t-il souligné, est « un droit de l’État et non pas un droit de l’individu en question ». Ce dernier peut l’invoquer devant la Cour et toute tentative d’interpréter autrement ces faits est une erreur, selon le délégué.