Conseil de sécurité: pour certaines délégations, une « fenêtre d’opportunité unique » existe pour mettre fin au conflit en Syrie
Certaines délégations ont indiqué, ce matin, devant le Conseil de sécurité, à l’occasion d’une séance sur la situation humanitaire et le processus politique en Syrie, qu’il existe une « fenêtre d’opportunité unique », selon les mots de la France, de mettre fin à un conflit, entré dans sa neuvième année. « Ensemble, nous pouvons mettre un point final aux combats et nous consacrer au processus politique », a renchéri la Fédération de Russie.
La séance a été ouverte par la Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques et de la consolidation de la paix, Mme Rosemary DiCarlo, qui a fait le point sur les objectifs poursuivis par l’Envoyé spécial pour la Syrie: dialogue approfondi entre le Gouvernement et l’opposition, et règlement négocié du conflit. Il est temps de passer des paroles aux actes et de montrer qu’une « autre Syrie » est possible, a-t-elle déclaré.
Cette autre Syrie a été au cœur de la déclaration de la France qui a noté « la convergence des différentes positions » sur la nécessité de vaincre le terrorisme, d’améliorer la situation humanitaire et de parvenir à une « solution inclusive » sur la base de la résolution 2254 (2015). Le Conseil devrait tirer profit de ces convergences et se saisir de cette « étroite fenêtre d’opportunité », a-t-elle dit.
La Fédération de Russie a, à son tour, souligné l’évolution importante en Syrie, marquée notamment par la victoire contre Daech, même si elle a jugé « prématuré », à l’instar de Mme DiCarlo, de « parler de la fin du conflit syrien ». Le représentant s’est néanmoins prononcé pour un « véritable partenariat international », non seulement pour appuyer la lutte antiterroriste mais aussi pour assurer le relèvement économique de la Syrie.
« La défaite militaire proclamée de Daech offre une fenêtre d’opportunité aux parties au conflit de faire taire définitivement les armes et de s’engager résolument, à travers un dialogue constructif, dans le règlement politique de la crise », a renchéri la Côte d’Ivoire. Pour le Koweït, une solution politique durable au conflit passe par la révision de la Constitution, des élections crédibles et transparentes et le retour sûr des réfugiés.
Plusieurs délégations ont pointé le rôle particulier que doivent jouer les autorités syriennes, à commencer par les États-Unis qui les ont exhortées à prendre des « mesures concrètes ». Une impatience partagée par le Royaume-Uni qui a exhorté le « Gouvernement à faire ce qui est bon pour son peuple », tandis que la Pologne lui a demandé de participer aux négociations de « bonne foi » et sans conditions préalables.
Le processus politique doit être mené par les Syriens, a rétorqué la Syrie, pour qui la discussion sur la Constitution doit se tenir sans ingérence étrangère. Elle a entamé son propos en citant un ancien directeur du Musée du Louvre, selon lequel « chaque homme civilisé a deux parties: la sienne et la Syrie ».
La situation humanitaire du pays a été abondamment évoquée, à commencer par le Directeur au Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA). M. Ramesh Rajasingham a mis en garde contre les « risques réels » d’une catastrophe humanitaire à Edleb et dans le nord-ouest de la Syrie. Il a indiqué que près de 2,2 milliards de dollars ont été promis lors de la Conférence de Bruxelles III pour financer le Plan de réponse humanitaire, couvrant ainsi près de 65% des opérations dans le territoire syrien.
« La crise humanitaire en Syrie est essentiellement une crise de protection », a précisé l’Allemagne, ajoutant que la lutte antiterroriste ne doit pas primer sur le droit international. S’il a salué les contributions financières annoncées à Bruxelles, le Pérou a rappelé que seul un règlement politique permettra de surmonter la « catastrophe humanitaire ».
Enfin, plusieurs délégations, dont celles du Koweït et de la Syrie, ont dénoncé la décision des États-Unis de reconnaître la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan. L’annexion d’un territoire par la force est une violation du droit international et doit être condamnée, a appuyé l’Afrique du Sud. La décision américaine confirme les propos que nous avons tenus dès le début de la crise, a affirmé la Syrie: l’objectif de cette guerre, c’est de pérenniser la colonisation israélienne sur les territoires occupés, y compris le plateau du Golan, et de détruire la Syrie.
LA SITUATION AU MOYEN-ORIENT
Déclarations
Entré dans sa neuvième année, le conflit syrien est loin d’être terminé, a prévenu Mme ROSEMARY DICARLO, Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques et de la consolidation de la paix. S’agissant du nord-est du pays, elle a espéré que l’accord récent entre la Fédération de Russie et la Turquie apaiserait les tensions. Elle a reconnu que la semaine dernière, les « Forces démocratiques syriennes » ont pris le contrôle de Baghouz, le dernier bastion de Daech, mais, a-t-elle prévenu, ce dernier constitue toujours une menace. Les besoins humanitaires demeurant pressants, il faut à tout prix éviter l’escalade militaire. La lutte contre le terrorisme ne peut primer sur le droit humanitaire. Le Gouvernement syrien, l’opposition et les autres parties prenantes doivent coopérer pour alléger les souffrances humaines. « Il y a urgence », a martelé Mme DiCarlo.
Elle a rappelé les objectifs poursuivis par l’Envoyé spécial pour la Syrie, M. Geir Pedersen: lancer un dialogue approfondi entre le Gouvernement et l’opposition; mettre en œuvre des mesures concrètes en faveur des détenus; faire en sorte que tous les Syriens participent au processus politique et aboutir à un règlement négocié du conflit. Le sort des détenus a déjà fait l’objet de la réunion que le Groupe de travail créé à cet effet a tenu le 18 mars dernier, à Moscou. Le Bureau de l’Envoyé spécial a fait plusieurs propositions, dont celle de dépasser le principe d’échange de détenus. L’ONU a en outre proposé que le Groupe de travail se réunisse une nouvelle fois à Genève.
Il est temps, s’est impatientée Mme DiCarlo, de passer des paroles aux actes et montrer qu’une autre Syrie est possible. Des discussions se tiennent d’ailleurs sur le mandat et la composition du comité constitutionnel qui, dans l’idéal, devrait comprendre au moins 30% de femmes. Concluant sur le Golan syrien, la Secrétaire générale adjointe a assuré que les efforts de l’ONU pour faciliter le processus politique en Syrie continueront de s’appuyer sur les principes de souveraineté nationale et d’intégrité territoriale.
M. RAMESH RAJASINGHAM, Directeur au Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), a averti que la situation à Edleb et dans les zones avoisinantes du nord-ouest de la Syrie est gravement préoccupante. L’accord conclu le 17 septembre 2018 entre la Turquie et la Fédération de Russie pour établir une zone démilitarisée a donné lieu à une réduction de la violence mais ces dernières semaines ont été marquées par une augmentation « alarmante » du nombre de victimes parmi les civils et de nouveaux déplacements. Les pilonnages s’intensifient le long des lignes de front tout comme les frappes aériennes et les attaques dans les zones urbaines à coup d’engins explosifs improvisés. Les zones résidentielles d’Alep ont également été la cible de tirs de mortier et de tireurs embusqués. Le mois dernier, 90 personnes ont été tuées, dont la moitié était des enfants, et au moins 86 000 personnes ont fui cette dernière flambée de violence. Les risques d’une catastrophe humanitaire sont réels et une opération militaire d’envergure compromettrait la réponse humanitaire.
Poursuivant, M. Rajasingham a indiqué que des dizaines de milliers de déplacés, dont la majorité sont des femmes et des enfants, continuent d’arriver au camp el-Hol, dans la province de Hassaké, en provenance de la province de Deïr el-Zor. La plupart de ces déplacés sont dans un état de santé extrêmement faible, ayant parcouru des centaines de kilomètres dans des camions sans toiture, exposés pendant de longues périodes à des affrontements intenses, après avoir vécu pendant des années dans une privation extrême et subi les abus de Daech. Depuis le mois de décembre, plus de 140 personnes ont perdu la vie sur la route de el-Hol ou peu de temps après avoir atteint le camp, dont 80% étaient des enfants de moins de 5 ans.
La population du camp dépasse désormais les 72 000, après avoir connu une augmentation de 25 000 personnes depuis le mois dernier. D’autres arrivées sont attendues, a prévenu le représentant d’OCHA, inquiet d’un possible débordement. La situation à el-Hol et dans le sud-est de Deïr el-Zor présente des défis complexes en matière de protection, à commencer par l’absence « notable », dans le camp, d’hommes adultes et de garçons de plus de 15 ans. À Hajin, Baghouz et d’autres zones directement touchées par les opérations contre Daech, la destruction des habitations et des infrastructures, ainsi que le risque élevé de contamination par les explosifs sont des obstacles sérieux au retour des dizaines de milliers de civils déplacés.
Quant au camp de fortune de Roukban, des efforts ont été faits pour une solution en faveur des 41 000 personnes qui y vivent dont 95% souhaitent partir, tout en craignant pour leur protection. Quelque 362 personnes ont quitté le camp depuis le 23 mars dernier pour un centre d’accueil dans la ville de Homs. Des discussions sont en cours avec le Gouvernement de la Syrie, la Fédération de Russie, les États-Unis et la Jordanie pour affiner le processus et répondre aux préoccupations soulevées par les habitants de Roukban. Il faut, a dit le représentant d’OCHA, une approche bien planifiée afin de respecter les principales normes de protection. Il a remercié les bailleurs de fonds pour les promesses de contributions annoncées, le 14 mars dernier, à la troisième Conférence de Bruxelles. Près de 2,2 milliards de dollars ont été promis pour financier le Plan de réponse humanitaire, couvrant ainsi près de 65% des opérations dans le territoire syrien. Les organisations humanitaires ont démontré leur capacité d’action, a conclu le haut fonctionnaire, qui a précisé que l’an dernier, 5,5 millions de personnes ont reçu de l’aide en Syrie à partir de Damas et des points de passage aux frontières.
Le conflit syrien entrant dans sa neuvième année, M. JONATHAN R. COHEN (États-Unis) a jugé qu’il est temps que le régime syrien et ses alliés prennent des mesures concrètes pour y mettre un terme. Le comité constitutionnel devrait pouvoir mettre en place des dirigeants qui protègent au lieu de nuire à la population. Le représentant a appelé à l’application intégrale de la résolution 2254 (2015) du Conseil, y compris le règlement politique, le cessez-le-feu et un accès humanitaire sans entrave. Il a, dans la foulée, exprimé son soutien aux efforts des Nations Unies visant à revitaliser le processus politique. Cependant, a-t-il tempéré, ces efforts resteront vains si la violence ne cesse pas. À cet égard, il s’est déclaré profondément préoccupé par les récentes frappes aériennes menées par la Syrie et la Fédération de Russie dans les zones démilitarisées. Il s’est également inquiété de l’épuisement, le mois dernier, de l’aide humanitaire destinée à Roukban.
Il a plaidé pour un troisième convoi humanitaire et a invité la Fédération de Russie à faire pression sur le régime syrien pour qu’il l’autorise. Le représentant s’est tout de même dit satisfait de la coordination du retour des réfugiés et des déplacés, estimant que ces personnes doivent avoir des informations précises sur la situation qui les attend. Le représentant a aussi soutenu une démarche menée par les Nations Unies pour résoudre la question des détenus, ajoutant que son pays s’est engagé à verser 2 millions de dollars au Mécanisme international, impartial et indépendant sur les crimes commis en Syrie.
Notre réponse doit être fondée sur les besoins et respecter pleinement les principes humanitaires, a déclaré M. CHRISTOPH HEUSGEN (Allemagne), s’exprimant également au nom du Koweït et de la Belgique, en tant que porte-plumes. « La crise humanitaire en Syrie est essentiellement une crise de protection », a-t-il précisé. Gravement préoccupé par la situation à Edleb, il a réitéré l’avertissement du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), à savoir que toute offensive militaire provoquerait une catastrophe humanitaire incontrôlable et ingérable. « La lutte contre le terrorisme ne doit pas entraver l’action humanitaire impartiale. »
S’agissant de la situation des personnes déplacées dans le nord-est, le camp el-Hol fonctionne au-delà de ses capacités, s’est inquiété M. Heusgen, en appelant toutes les parties à permettre à l’ONU et ses partenaires d’accéder aux personnes dans le besoin. Ensuite, le Conseil doit suivre de près la situation sécuritaire des rapatriés et des réfugiés à Roukban et ailleurs en Syrie. « Soyons clairs: il appartient à ceux qui encouragent des réinstallations plus nombreuses et rapides de prouver que les conditions nécessaires sont en place », a insisté le représentant. Enfin, a-t-il promis, l’Allemagne, le Koweït et la Belgique s’engagent à verser les contributions qu’ils ont annoncées lors de la troisième Conférence de Bruxelles sur l’avenir de la Syrie et de la région.
M. JONATHAN GUY ALLEN (Royaume-Uni) a salué la chute du dernier bastion de Daech, qui ne sonne pas pour autant la fin de la lutte contre le groupe terroriste tant il garde intactes ses capacités de nuisance. Le représentant a reconnu la gravité de la situation humanitaire en Syrie et rappelé que son pays a débloqué cette année une somme de 40 millions de livres sterling. Appuyant les efforts de la Turquie pour prévenir l’escalade militaire dans le nord-est, il a prévenu que le conflit syrien perdurera tant que ses causes sous-jacentes ne seront pas réglées. Le régime Assad, s’est-il expliqué, maintient le même cap qui a conduit au conflit, tout en entravant l’acheminement de l’aide humanitaire. « Il est temps que le Gouvernement syrien fasse ce qui est bon pour son peuple », s’est impatienté le représentant.
M. MANSOUR AYYAD SH. A. ALOTAIBI (Koweït) a dit que ce mois de mars a vu de nombreux jalons dans la crise syrienne dont le premier est le neuvième anniversaire du conflit. Il a exhorté toutes les parties à respecter le cessez le feu, les droits de l’homme et l’accès durable de l’aide humanitaire. Le représentant a estimé qu’il était plus que jamais nécessaire de trouver une solution durable dans le cadre d’un dialogue mené par les Syriens. Le deuxième jalon, a-t-il poursuivi, est la troisième Conférence de Bruxelles qui nous rappelle que la situation humanitaire continue de se dégrader. Il a salué les promesses faites et a demandé aux pays de respecter leurs engagements. Depuis le début de ce conflit, a rappelé le délégué, le Koweït a débloqué plus d’un milliard de dollars.
Le représentant a insisté sur l’importance de trouver une solution politique durable au conflit, sous l’égide des Nations Unies et qui passerait notamment par la révision de la Constitution, des élections crédibles et transparentes, et le retour sûr des réfugiés. Le troisième jalon, a-t-il conclu, est le fait que Daech a perdu du terrain. Mais il faut l’éliminer « totalement », sans oublier ses sources de financement et sa logistique. En conclusion, le représentant a dénoncé la décision des États-Unis de reconnaître la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan.
Mme HARSHANA BHASKAR GOOLAB (Afrique du Sud) a dit que la seule solution durable en Syrie est une solution politique à trouver dans le cadre d’un dialogue mené par les Syriens afin de parvenir à une transition reflétant la volonté de tout le peuple. La solution doit garantir la protection de toutes les communautés syriennes et s’agissant de la situation humanitaire, la représentante a appelé la communauté internationale à soutenir les efforts des Nations Unies. De nombreux Syriens souhaitant rentrer chez eux, il est essentiel d’assurer les conditions d’un retour sécurisé. Dans une société aussi complexe et aussi diverse que la Syrie, il ne peut y avoir de solution militaire au conflit. Mme Goolab a rappelé la résolution 242 (1967) du Conseil de sécurité demandant le retrait de toutes les forces des Territoires occupés, y compris le plateau du Golan. Or, 40 ans après l’occupation du Golan, Israël est toujours là, en violation flagrante des décisions du Conseil de sécurité. L’annexion d’un territoire par la force est une violation du droit international et doit, à ce titre, être condamnée, a martelé la représentante.
Mme JOANNA WRONECKA (Pologne) a rappelé que plus de 12 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire multisectorielle en Syrie et qu’il y a six millions de personnes déplacées dont 870 000 se trouvent dans des sites de dernier recours. Elle a néanmoins entrevu une lueur d’espoir à la suite de la troisième Conférence de Bruxelles qui a enregistré des annonces de contributions record de 7 milliards de dollars pour venir en aide du peuple syrien en Syrie et dans les pays d’accueil.
Pour la Pologne, il ne saurait cependant y avoir de paix sans justice et dans un climat d’impunité pour les violations graves du droit international humanitaire. Toute opération militaire doit être conforme à ce droit et aux droits de l’homme pour protéger les civils pris entre les feux croisés. La protection des civils et l’accès humanitaire sans entrave ne sont pas un choix mais une obligation pour toutes les parties au conflit, a martelé la représentante, ajoutant que ceux qui ne l’honorent pas doivent répondre de leurs actes. Dans la foulée, elle a appelé les parties à pleinement respecter l’accord sur la zone de désescalade à Edleb.
S’agissant de la situation humanitaire dans le camp de Roukban, la représentante a dit compter sur une solution à long terme et s’est dite encouragée par les récentes mesures prises par les autorités syriennes pour autoriser un autre convoi interagences. Il n’y a pas, a-t-elle martelé, de solution militaire au conflit. Seule une solution politique, conforme à la résolution 2254 du Conseil de sécurité et au Communiqué de Genève, peut ouvrir la voie à la paix. La représentante a dit attendre la mise en place du comité constitutionnel qui marquerait un premier pas vers un processus politique sous l’égide des Nations Unies et qui permettrait l’émergence d’un cadre intrasyrien pour un accord politique. Les autorités syriennes ont un rôle particulier à jouer, en prenant part aux négociations de bonne foi et sans conditions préalables.
M. JOSÉ MANUEL TRULLOLS YABRA (République dominicaine) a souligné la nécessité d’alléger les souffrances en Syrie, pays plongé dans la « désolation ». Il a souhaité que l’acheminement de l’aide humanitaire respecte les principes de neutralité et d’impartialité et qu’un accès humanitaire accru aux zones difficiles d’accès soit assuré. Il a évoqué les conditions d’accès au camp de Roukban et plaidé pour qu’un autre convoi humanitaire puisse y être dépêché. Le délégué s’est dit vivement inquiet par la situation à Edleb et a appelé au respect de l’accord de cessez-le-feu en vue d’éviter l’escalade. Il a salué l’approche ambitieuse de l’Envoyé spécial en vue d’un processus politique le plus inclusif possible. Une paix durable en Syrie ne pourra être instaurée qu’avec l’apport de tous les Syriens, en particulier les femmes, a-t-il acquiescé.
M. GBOLIÉ DÉSIRÉ WULFRAN IPO (Côte d’Ivoire) a dit demeurer préoccupé par les chiffres alarmants révélés par OCHA, notant, entre autres, que le nombre de déplacés internes dans le camp el-Hol, « refuge de la majorité des personnes fuyant l’ultime poche de résistance de l’État islamique », est passé de 9 721 en décembre 2018 à 70 480 le 20 mars 2019. Il a salué la tenue, à Bruxelles, de la troisième Conférence des donateurs, laquelle a permis de mobiliser 7 milliards de dollars. Le représentant a ensuite fait part de son plein soutien aux cinq priorités définies par l’Envoyé spécial pour la Syrie, lors de son exposé devant le Conseil de sécurité le 26 février 2019. Il s’est dit d’avis qu’il convient d’approfondir le dialogue avec le Gouvernement syrien, l’opposition et la société civile, notamment à travers la Commission syrienne des négociations. Le représentant a également affirmé que la défaite militaire proclamée de Daech offre une fenêtre d’opportunité aux parties au conflit de faire taire définitivement les armes et de s’engager résolument, à travers un dialogue constructif, dans le règlement politique de la crise. La Côte d’Ivoire appelle aussi les belligérants à préserver le cessez-le-feu dans la zone démilitarisée d’Edleb afin de permettre l’acheminement de l’aide et exhorte également les parties syriennes à s’accorder sur la mise en place effective du comité constitutionnel.
M. VASSILY A. NEBENZIA (Fédération de Russie) a souligné l’évolution importante en Syrie, marquée par la victoire contre Daech. « Il est prématuré de parler de la fin du conflit syrien », a-t-il reconnu, en appuyant les efforts de l’Envoyé spécial sur le plan politique et en plaidant pour la désescalade dans tout le pays. À Edleb, a-t-il affirmé, mon pays s’attache à la mise en œuvre du mémorandum d’accord signé avec la Turquie. Mais la situation est dangereuse, cette région étant aux mains des terroristes de Hay‘at Tahrir el-Cham. Il a accusé ce groupe terroriste de se livrer, avec les Casques blancs, à des simulacres d’attaques chimiques pour incriminer le Gouvernement syrien. Si nous ne faisons rien, Edleb pourrait devenir le foyer d’une « internationale terroriste », a-t-il prévenu, ajoutant que ce groupe terroriste n’est en rien différent de Daech. « Si quelqu’un le pense, il se trompe. »
Évoquant la Conférence de Bruxelles III, le représentant a préconisé un changement de paradigme: la rencontre dans la capitale belge ne doit pas devenir le cadre de violations des principes de l’aide humanitaire et d’attaques contre le régime syrien. Le délégué s’est prononcé pour un véritable partenariat international, non seulement pour appuyer la lutte antiterroriste en Syrie mais aussi pour assurer le relèvement économique, auquel la Russie contribue déjà. « Ensemble, nous pouvons mettre un point final aux combats et nous consacrer au processus politique », a encouragé le représentant.
M. GUSTAVO MEZA-CUADRA (Pérou) s’est inquiété de constater que le changement du rapport des forces ces derniers mois ne s’est pas encore traduit par un cessez-le-feu durable en Syrie. À la perspective d’une nouvelle escalade de la violence dans le nord-est du pays, notamment à Edleb, il a appelé le Gouvernement syrien et tous les acteurs du conflit à prévenir une détérioration de la situation. Il est urgent de répondre aux besoins humanitaires de plus de 70 000 personnes déplacées au camp el-Hol, a poursuivi le représentant. Saluant les contributions financières récemment annoncées à Bruxelles, il a néanmoins rappelé que seul un règlement politique pour une paix durable en Syrie permettra de surmonter la catastrophe humanitaire. En conclusion, il a réaffirmé l’engagement du Pérou vis-à-vis du processus de Genève et de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’unité de la Syrie.
M. MUHSIN SYIHAB (Indonésie) a prié la communauté internationale de respecter pleinement la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Syrie. Seul un processus dirigé par et pour les Syriens peut conduire à un règlement politique durable de la crise, a-t-il fait valoir. À cet égard, il a souligné l’importance d’établir, « de façon mesurée et sans précipitation », un comité constitutionnel crédible et inclusif. Préoccupé par la situation humanitaire en Syrie, le représentant a également souhaité la création de 4 000 abris supplémentaires et davantage de réponses sur les fronts de l’alimentation, de l’eau, de l’assainissement et de la santé. En conclusion, il a appuyé l’avis du Secrétaire général selon lequel la communauté internationale a l’obligation morale d’aider les Syriens à s’unir autour d’une vision pour leur avenir.
M. JOB OBIANG ESONO MBENGONO (Guinée équatoriale) a jugé nécessaire de poursuivre le processus de négociation mené sous l’égide de l’ONU, même s’il reste difficile de fixer un calendrier pour la formation du comité constitutionnel. À cette fin, il a appelé toutes les parties, en particulier les autorités syriennes, à prendre les mesures nécessaires et à privilégier leur coopération avec l’Envoyé spécial, et il a espéré que la réunion d’Astana sur la Syrie, prévue en avril, permettra d’avancer. Revenant sur la situation humanitaire, le représentant a jugé indispensable de maintenir la Syrie au centre des préoccupations de la communauté internationale et de fournir un appui financier à plus de 12 millions de personnes innocentes. Alarmé par l’offensive sanglante de Baghouz, il a appelé les parties à faire preuve de modération et à donner la priorité à la protection des civils conformément au droit international humanitaire.
Mme KAREN VAN VLIERBERGE (Belgique) a noté que le dénominateur commun des objectifs de l’Envoyé spécial est de susciter la confiance et d’approfondir le dialogue afin de faire avancer le processus. Or, la confiance entre les parties au conflit ne sera pas possible sans perspective de justice. Comme mesure concrète, elle a appelé toutes les parties à exercer leur influence afin de libérer les personnes détenues arbitrairement. La représentante a ajouté que la Conférence de Bruxelles III a souligné le rôle essentiel de la société civile. Une société civile dynamique qui est prise en considération au niveau politique et qui illustre le droit de se réunir et de s’exprimer librement, constitue l’épine dorsale de toute communauté, a souligné la représentante. Bruxelles III, a-t-elle poursuivi, a également mis un accent particulier sur les femmes syriennes. Le Ministre belge des affaires étrangères a en effet organisé un dîner pour elles et leur rôle dans le processus de paix. La représentante a souligné la nécessité d’une participation significative des femmes à hauteur d’au moins 30% dans tous les organes de décision.
Elle a appelé à une cessation nationale des hostilités afin de garantir la protection des civils. Elle s’est dite gravement préoccupée par la recrudescence de la violence à Edleb et a jugé impératif que toutes les parties, y compris les garants d’Astana, restent pleinement engagées à respecter l’accord signé en septembre, vu qu’une opération militaire majeure pourrait provoquer une crise humanitaire démesurée. Pour ce qui est de la reconstruction, Mme Van Vlierberge a dit que son pays adhère pleinement à la position de l’Union européenne. Nous ne serons prêts à aider à la reconstruction que lorsqu’une transition politique globale, véritable et inclusive, négociée par les parties syriennes au conflit sur la base de la résolution 2254 (2015) et du Communiqué de Genève de 2012, sera fermement engagée.
M. WU HAITAO (Chine) a salué les efforts de l’ONU pour trouver une solution politique en Syrie et améliorer la situation humanitaire. Le peuple syrien demande une fin rapide du conflit, a martelé le représentant, qui a appelé l’ONU à opérationnaliser le comité constitutionnel. Ce comité, a-t-il souligné, doit tenir compte de tous les points de vue, y compris celui du Gouvernement syrien. Rappelant l’importance de la lutte contre le terrorisme, le représentant a voulu que l’on appuie les efforts des parties. Quant à l’action humanitaire, il a insisté sur le respect de la souveraineté nationale de la Syrie. Il n’a pas manqué de rappeler que son pays a débloqué une somme « très importante » pour les réfugiés syriens, dont le retour devrait sonner le début de la reconstruction. La Chine, a conclu le représentant, appuie les efforts de l’ONU en Syrie mais ces efforts doivent être conformes à la résolution 2254 (2015) et respecter l’intégrité territoriale du pays.
Pour M. FRANÇOIS DELATTRE (France), même si la défaite territoriale de Daech en Syrie marque une nouvelle étape importante dans la lutte contre l’organisation terroriste, cette victoire ne doit pas faire oublier l’ampleur des défis à relever pour éviter une résurgence de Daech, sous une forme ou une autre. La menace que fait peser le groupe terroriste, qui a basculé dans la clandestinité tout en disposant d’importantes réserves, reste réelle. M. Delattre a également exprimé ses préoccupations face à la mainmise du groupe terroriste Hay‘at Tahrir el-Cham sur la quasi-totalité de la zone de désescalade d’Edleb. Il a appelé à une réflexion commune pour apporter une réponse coordonnée à cette menace, tout en préservant l’accord de cessez-le-feu agréé par la Russie et la Turquie. La France tient également à souligner l’importance du cessez-le-feu national, a-t-il ajouté.
S’agissant de l’impératif de la protection des civils, du personnel humanitaire et médical, le représentant a rappelé que toutes les parties doivent respecter leurs obligations en vertu du droit international et que ces obligations ne sont pas négociables. Il a également exigé la garantie d’un accès humanitaire immédiat, sûr, complet, sans entrave et durable sur l’ensemble du territoire syrien. Il est inacceptable, a-t-il martelé, que le régime syrien continue d’entraver l’accès humanitaire dans la Ghouta orientale et le sud-ouest, pour punir les populations. Il est urgent, a pressé le représentant, qu’un nouveau convoi humanitaire puisse être déployé au camp de Roukban « immédiatement ».
M. Delattre en a profité pour rappeler que le retour chez eux des déplacés de Roukban doit se faire dans le respect du droit international humanitaire et être organisé en étroite coordination avec les Nations Unies. De plus, il faut accroître la réponse humanitaire dans le nord-est du pays pour faire face à l’afflux de personnes déplacées, et la France, a-t-il affirmé, prend d’ores et déjà toute sa part à cet effort, des financements d’urgence ayant été débloqués à cet effet. Le soutien aux populations syriennes et aux pays accueillant des réfugiés nécessite une mobilisation de tous et de tous les instants, a souligné le représentant.
Dans ce contexte, une solution politique sur la base de la résolution 2254 et du Communiqué de Genève reste la condition préalable à la stabilisation durable de la Syrie et de la région, a poursuivi M. Delattre qui a exigé que tous les éléments de la feuille de route endossée il y a plus de trois ans par le Conseil de sécurité soient mis en œuvre sous l’égide des Nations Unies. À ses yeux, le comité constitutionnel, pour autant qu’un accord sur sa composition et ses règles de fonctionnement soit trouvé, pourrait contribuer utilement au processus politique.
Notant que les principaux obstacles au retour des réfugiés sont d’ordre politique et sécuritaire, le représentant s’est dit préoccupé par les informations indiquant que les services de sécurité syriens arrêtent arbitrairement des réfugiés qui rentrent chez eux. Dans les zones reconquises par le régime, ces pratiques sont à la fois en violation des droits de l’homme et, de surcroît, des accords de reddition. Le représentant a rappelé la Russie à sa responsabilité de garante de ces accords.
M. BASHAR JA’AFARI (République arabe syrienne) a rappelé les propos de l’ancien Directeur du Musée du Louvre, André Perreault, selon lequel « chaque homme civilisé a deux parties: la sienne et la Syrie ». Il a aussi convoqué Diderot qui disait: « la politique n’est pas une anecdote frivole mais une responsabilité ». L’objectif de cette guerre, a poursuivi le représentant, est de pérenniser la colonisation israélienne sur les territoires occupés, y compris le plateau du Golan, et de détruire la Syrie. La décision américaine de reconnaître la souveraineté d’Israël sur le Golan confirme les propos que nous avons tenus dès le début de la crise, a affirmé le représentant. Les États-Unis et d’autres ont utilisé toutes les armes à leur disposition, y compris l’appui aux groupes terroristes et aux groupes radicaux, et le recours aux idéologies religieuses, pour parvenir à leur objectif. Ils ont même fait appel aux combattants terroristes étrangers et manipulé l’aide humanitaire pour écorcher la crédibilité du Gouvernement syrien. Mais l’objectif d’Israël et des autres gouvernements de détruire la Syrie est une « erreur monumentale » vouée à « un échec cuisant », a prévenu le représentant.
Il a parlé de la question des personnes détenues depuis 1791 jours dans le camp de Roukban qui, a-t-il souligné, est géré par les Américains. Le Gouvernement syrien a pris toutes les mesures nécessaires pour libérer ces personnes et dûment demandé aux États-Unis de démanteler le camp. Nous appuyons, a dit le représentant, le travail de l’Envoyé spécial et notamment sur le retrait de la présence étrangère « illégale » du territoire syrien. Le processus politique doit être mené par les Syriens, a martelé le représentant pour qui la discussion sur la Constitution doit se tenir sans ingérence étrangère.
En réponse aux États-Unis, qui ont expliqué que le conflit syrien a commencé avec le meurtre par le Gouvernement syrien d’un jeune garçon de 13 ans, il y a neuf ans, le représentant a répondu que son gouvernement n’a tué ni brûlé le corps de ce jeune homme. « C’est un mensonge », s’est-il emporté. Quant à la demande du représentant américain d’autoriser un troisième convoi à Roukban, il a indiqué que l’ONU a pu voir que 80% des habitants du camp veulent partir. Pourquoi dans ces conditions envoyer un convoi humanitaire? Même le Croissant-Rouge veut partir, a dit le représentant. La demande d’un troisième convoi est d’ailleurs contradictoire avec l’interdiction du Gouvernement américain de faire accoster les navires qui transportent l’aide humanitaire en Syrie. À son homologue américain, il a demandé: où sont les combattants de Daech qui auraient fui les villes qu’ils tenaient? Qui va leur demander des comptes? Pourquoi ces combattants se réfugient dans les camps des américains? « C’est la Syrie qui est la victime de ce conflit », a renchéri le représentant en reprenant les mots du Premier Ministre du Qatar selon lequel « 137 milliards de dollars ont été investis pour détruire la Syrie ». « C’est un scandale! » a estimé le représentant.