Sixième Commission: les délégations débattent de la liste des normes impératives du droit international général dressée par la CDI dans son rapport
« Peu utile », « restrictive », « trop condensée », les délégations n’ont pas ménagé leurs critiques, cet après-midi, devant la Sixième Commission, chargée des questions juridiques, à l’endroit de la liste non exhaustive des normes impératives du droit international général (jus cogens), contenue dans le rapport de la Commission du droit international (CDI), soumis à l’examen de la Commission depuis cette semaine. Elles ont été nombreuses aussi à proposer des pistes en vue d’amender cette liste.
Selon cette liste, qui figure en annexe des projets de conclusion sur le sujet, les normes impératives sont: l’interdiction de l’agression; l’interdiction du génocide; l’interdiction des crimes contre l’humanité; les règles fondamentales du droit international humanitaire; l’interdiction de la discrimination raciale et de l’apartheid; l’interdiction de l’esclavage; l’interdiction de la torture et le droit à l’autodétermination.
Ouvrant le débat, le délégué de l’Allemagne a indiqué que son pays n’est pas convaincu par la nécessité d’une telle liste, tandis que son homologue de la Fédération de Russie a jugé « inopportune » son inclusion en tant qu’annexe. Cette liste peut avoir pour conséquence d’affaiblir les travaux de la CDI, a prévenu la déléguée russe.
Si elle a souligné « l’utilité » de cette liste, la déléguée suisse a regretté son « caractère restrictif » et encouragé la Commission à analyser la pratique des États, dont celle de la Suisse, pour l’élargir. Elle l’a appelée à considérer les principes suivants comme faisant partie du jus cogens: le principe d’égalité des États, l’interdiction de la piraterie, l’interdiction du châtiment collectif, l’interdiction de l’inégalité de traitement, ainsi que le principe du caractère personnel et individuel de la responsabilité pénale.
L’interdiction de l’agression devrait être remplacée par une formulation alignée sur l’Article 2 de la Charte des Nations Unies, a, de son côté, déclaré la déléguée croate, à savoir l’interdiction « de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ».
Si elle a souhaité l’inclusion de « l’interdiction du terrorisme », la déléguée croate a, en revanche, plaidé pour que le droit à l’autodétermination soit exclu de la liste, le contenu de ce droit et ses bénéficiaires n’étant en effet pas clairement établis par le droit international.
Dans cette veine, la déléguée de la Fédération de Russie a déclaré que la CDI n’avait pas suffisamment étudié les normes incluses dans la liste. De son côté, la déléguée du Portugal a jugé cette liste trop « condensée », certaines normes de jus cogens largement reconnues n’y figurant pas. Une référence aux normes environnementales impératives, comme l’obligation de protéger l’environnement, aurait été appréciée, a déclaré la déléguée du Portugal.
Une note plus approbatrice est venue de la délégation de Cuba, qui a salué la tentative de parvenir à un document qui renforce le cadre juridique établi par la Charte et d’autres normes du droit international, dans un contexte actuel marqué par la transformation par certains États des actes unilatéraux contraires à la Charte et au droit international en « pratique légitime ».
De manière plus générale, le représentant du Mexique a appelé à renouveler le débat sur les facultés du Conseil de sécurité en matière de maintien et de consolidation de la paix et de la sécurité internationales, en particulier au regard de ces normes impératives qui imposent l’interdiction des crimes contre l’humanité et autres atrocités. La question de la compatibilité des résolutions du Conseil de sécurité avec le jus cogens est purement « théorique », a réagi la représentante russe.
Enfin, plusieurs délégations, dont celles d’El Salvador, ont, une nouvelle fois, questionné l’existence d’un jus cogens régional. La représentante de la Fédération de Russie s’est, à ce titre, félicitée que le jus cogens régional ne fasse pas l’objet d’un projet de conclusion dans le rapport de la CDI.
La Sixième Commission reprendra ses travaux demain, jeudi 31 octobre, à 10 heures.
RAPPORT DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL SUR LES TRAVAUX DE SA SOIXANTE ET ONZIÈME SESSION - A/74/10
Suite des déclarations sur les chapitres I à V et XI du rapport
M. EICK (Allemagne) a résolument appuyé la recommandation de l’élaboration d’une convention sur la base du projet d’articles sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité, de préférence par le biais d’une convention diplomatique. Ce projet ne contient pas d’obligations « trop lourdes » ou « inusuelles » pour les États et demeure dans le cadre « familier » de la coopération pénale internationale.
Le délégué a ensuite pris note de la liste non exhaustive des normes impératives du droit international général (jus cogens), tout en ajoutant qu’il n’est pas convaincu par « la nécessité et l’utilité » d’une telle liste. Il a commenté le projet de conclusion 7 qui dispose que « l’acceptation et la reconnaissance par une très large majorité d’États sont requises aux fins de détermination d’une norme en tant que norme impérative du droit international général (jus cogens) ». Il a souhaité que l’expression « très large majorité d’États » soit comprise à la lumière de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice (CIJ) comme « majorité écrasante ». Il a par ailleurs partagé les doutes de certaines délégations par rapport à la procédure suivie par la CDI sur ce point.
Enfin, le délégué a estimé, s’agissant de l’inclusion de nouveaux points au programme de travail à long terme de la CDI, que la juridiction pénale universelle est digne d’intérêt.
M. PABLO ADRIÁN ARROCHA OLABUENAGA (Mexique) s’est félicité que le travail de la CDI sur la question des crimes contre l’humanité se soit matérialisé par des projets d’article qui pourraient éventuellement être adoptés sous forme de convention. Pour le Mexique, l’obligation primordiale de réprimer conformément au droit ce type de crimes incombe toujours aux États. En cas d’incapacité ou de manque de volonté pour assumer cette responsabilité, il existe des organismes internationaux ayant pour mandat d’éviter l’impunité, comme la Cour pénale internationale (CPI).
Passant aux normes impératives du droit international général (jus cogens), le délégué a rappelé que, par nature, seules des normes de même nature et postérieures peuvent déroger aux normes du jus cogens. « Aucune disposition du droit conventionnel, et pas même la Charte des Nations Unies, ni les organes qui en émanent, ne peuvent déroger à ce corps de normes. » Selon le délégué, les réflexions de la CDI permettent de renouveler le débat sur les facultés du Conseil de sécurité en matière de maintien et de consolidation de la paix et de la sécurité internationales, en particulier au regard des normes impératives qui imposent l’interdiction des crimes contre l’humanité et autres atrocités comme le génocide, les crimes de guerre et le nettoyage ethnique, ainsi que les limites imposées à l’usage de la force.
S’agissant des autres décisions et conclusions de la Commission, M. Arrocha Olabuenaga a considéré que les projets de clause type sur l’application provisoire des traités peuvent être d’une grande utilité pour négocier des traités. S’il s’est félicité de la décision de la Commission de former un groupe d’étude sur le sujet de l’élévation du niveau de la mer au regard du droit international, il l’a aussi appelée à intégrer dans son programme de travail la question relative à la juridiction pénale universelle.
M. MANUEL DE JESÚS PIREZ PÉREZ (Cuba) a salué le projet d’articles sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité, estimant qu’il devrait jouer un rôle essentiel dans la prévention de l’impunité. Le projet devrait intégrer clairement le principe fondamental suivant lequel la responsabilité première de prévenir et punir les graves crimes internationaux commis dans une juridiction incombe en premier lieu à l’État concerné. En vertu de l’un des principes fondamentaux du droit pénal international, les États ont la prérogative souveraine d’exercer leur compétence devant les tribunaux nationaux sur les crimes contre l’humanité commis sur leur territoire ou par leurs ressortissants. Par ailleurs, a continué le représentant, une convention internationale sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité devrait éviter les conflits avec les instruments internationaux déjà adoptés et veiller à la cohérence avec les règles et les institutions de droit pénal international existantes. En termes de cadres théorique et conceptuel, Cuba aimerait que la CDI évalue l’opportunité de classer l’interdiction de crimes contre l’humanité comme norme impérative du droit international général.
Au sujet des normes du jus cogens, le représentant a fait observer que les 23 projets de conclusion et l’annexe pourraient devenir un guide, avant tout méthodologique, permettant aux États et aux organisations internationales d’identifier l’émergence de normes impératives du droit international et leurs conséquences juridiques. Les projets de conclusion ne devraient pas être absolus ou restrictifs dans leur contenu et leur portée, a précisé le représentant. Il a également salué la tentative de parvenir à un document qui renforce le cadre juridique établi par la Charte et d’autres normes du droit international, en particulier dans le contexte actuel qui veut que certains États transforment des actes unilatéraux contraires à la Charte et au droit international en pratique « légitime ».
Pour ce qui a trait aux autres sujets, le représentant cubain a estimé que la question de l’élévation du niveau de la mer était « de la plus haute importance » pour son pays, vu sa situation géographique d’archipel.
Mme PACAS (El Salvador), traitant du thème des crimes contre l’humanité, a particulièrement apprécié, dans les commentaires relatifs aux projets d’article, la référence au non-refoulement d’une personne, dans la mesure où cela permet d’éviter « un crime contre l’humanité » à son encontre. De plus, la déléguée a souhaité que le terme « disparition forcée » d’individus soit interprété de manière plus large, sur la base d’autres instruments internationaux telle la Convention internationale pour la protection de toutes personnes contre les disparitions forcées, ce qui faciliterait l’harmonisation des législations nationales comme celle du Salvador. Le délégué a réitéré le soutien de son pays à une convention pour la prévention et la répression des crimes contre l’humanité.
Sur la question des normes impératives du droit international général (jus cogens), Mme Pacas a rappelé l’importance de prendre en compte les commentaires et pratiques législatives, judiciaires et exécutives qui informent les États et les organisations internationales, y compris régionales. Quant à la preuve de l’acceptation et de la reconnaissance des normes du jus cogens, la déléguée a suggéré d’ajouter la mention des résolutions approuvées par une organisation régionale. Il n’est pas possible de déroger à de telles normes en raison de leur acceptation par la communauté internationale dans son ensemble. Enfin, la déléguée a considéré que la notion de jus cogens régional risquait de créer une ambiguïté sur la nature universelle de ces normes.
Au nombre des autres sujets soumis à la CDI, elle a réaffirmé son appui à celui de la réparation due aux personnes victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire.
M. BORUT MAHNIČ, Directeur du Département de droit international du Ministère des affaires étrangères de la Slovénie, s’est prononcé en faveur d’une convention sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité afin de combler les lacunes de la codification existante, tout en saluant un certain nombre de modifications du projet d’articles à l’issue de consultations avec les États, des organisations internationales et des organisations non gouvernementales. À l’instar des pays nordiques, il a trouvé la définition de « genre » obsolète. Il a aussi appuyé l’accélération des procédures d’extradition comme le propose le Rapporteur spécial.
M. Mahnič a apprécié le nouveau paragraphe 9 de l’article 14 dans lequel est envisagée la possibilité de conclure des accords ou arrangements avec des mécanismes internationaux établis par l’ONU ou par d’autres organisations internationales et ayant pour mandat de recueillir des éléments de preuve concernant les crimes contre l’humanité; il a jugé peu convaincante l’idée d’exclure les cours et tribunaux internationaux de ce nouveau paragraphe. La Slovénie étant parmi les initiateurs de l’Initiative « Mutual Legal Assistance (MLA) », son représentant a expliqué que MLA est désormais appuyé par 68 États, qui poursuivent leurs efforts concertés tendant à l’adoption d’un cadre moderne d’entraide judiciaire et d’extradition dans les cas des crimes les plus graves au regard du droit international.
L’ordre du jour de la CDI est surchargé, a estimé Mme ELENA A. MELIKBEKYAN (Fédération de Russie). L’objectif de la Commission n’est pas de trancher toutes les questions mais de faire en sorte que son programme de travail soit basé sur les demandes des États. Il y a neuf points à son programme, a-t-elle dit, en demandant « une pause ». Elle a aussi appelé la CDI à conduire ses travaux de manière impartiale.
À son avis, il faut prendre le temps d’examiner soigneusement l’idée d’élaborer une convention internationale sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité à partir du projet d’articles préparé par la CDI. La déléguée russe a indiqué son désaccord avec le préambule du projet d’articles, selon lequel les crimes contre l’humanité sont une menace à la paix et à la sécurité internationales et constituent une norme impérative du droit international général (jus cogens). L’objectif de la convention doit être plus clair, à savoir le renforcement de la coopération des États sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité. Elle a aussi regretté la politisation des travaux de la Cour pénale internationale (CPI), qui a « discrédité » la justice pénale internationale.
S’agissant des normes impératives du droit international général (jus cogens), Mme Melikberyan s’est félicité que le jus cogens régional ne fasse pas l’objet d’un projet de conclusion. Elle a indiqué que la question de la compatibilité des résolutions du Conseil de sécurité avec le jus cogens est purement « théorique ». Elle a jugé peu « opportune » l’inclusion de la liste non exhaustive en annexe du projet de conclusion 23. Les normes n’ont pas été identifiées et étudiées par la conclusion, a-t-elle regretté. Cette liste peut avoir pour conséquence d’affaiblir les travaux de la CDI, a-t-elle prévenu, en ajoutant qu’il fallait partir de la Charte des Nations Unies pour identifier de telles normes plutôt que d’en dresser une liste.
S’agissant des normes impératives du droit international général (jus cogens) Mme GORDANA VIDOVIC MESAREK (Croatie) a souhaité la reformulation du projet de conclusion 14 paragraphe 3, selon lequel la règle de l’objecteur persistant ne s’applique pas aux normes impératives du droit international général (jus cogens). Elle a appuyé l’idée d’une liste non exhaustive de ces normes, tout en souhaitant des modifications de cette liste contenue en annexe du rapport. L’interdiction de l’agression devrait être remplacée par une formulation alignée sur l’Article 2 de la Charte, à savoir l’interdiction de « la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ». Elle a souhaité que le droit à l’autodétermination soit exclu de cette liste, dans la mesure où le contenu de ce droit et ses bénéficiaires ne sont pas clairement établis par le droit international. Elle a en revanche souhaité l’inclusion de « l’interdiction du terrorisme ».
Mme SUSANA VAZ PATTO (Portugal) a partagé les préoccupations de plusieurs délégations au sujet du rôle de la Sixième Commission dans la codification du droit international, estimant qu’elle devait faire davantage d’efforts pour considérer favorablement, comme principe, les recommandations de la CDI, sans quoi les États intéressés se tourneront vers d’autres cadres pour négocier et adopter des conventions internationales. En outre, même s’il est souhaitable, le consensus paralyse souvent l’action et bloque les résultats attendus à une large majorité, a regretté la représentante.
En passant à l’adoption, en seconde lecture, des projets d’articles sur les crimes contre l’humanité, Mme Vaz Patto a salué une grande avancée, confirmant sa conviction selon laquelle il est possible d’élaborer un cadre juridique international contraignant. Elle a soutenu la recommandation d’élaborer une convention internationale sur la base du projet d’articles sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité. Cela dit, elle a émis quelques réserves sur la définition de « crimes contre l’humanité », qu’elle aurait préféré voir alignée sur celle du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), et a regretté que l’approche du « genre » comme construction sociale ne figure que dans les commentaires et n’ait pas été intégrée dans le projet d’article 2.
Mme Vaz Patto a estimé que la discussion sur les normes impératives du droit international général(jus cogens) contribue à maintenir la stabilité du système juridique international et que davantage de clarté est essentiel pour aider les États à mieux identifier ces normes et à les respecter. Selon elle, la liste de normes du rapport semble trop condensée et certaines normes de jus cogens largement reconnues n’y figurent pas. Elle aurait apprécié une référence aux normes environnementales impératives, comme l’obligation de protéger l’environnement.
Mme BUHLER (Suisse) a résolument appuyé la recommandation de l’élaboration d’une convention sur la base du projet d’articles sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité. Une telle convention permettrait de combler une lacune dans le cadre juridique existant et de participer à la lutte contre l’impunité. Elle a souhaité qu’une telle convention n’affaiblisse pas les obligations existantes du droit international et ne contredise pas une éventuelle convention générale sur l’entraide judiciaire dans la poursuite des crimes internationaux.
La déléguée suisse a, en outre, souligné l’utilité d’une liste illustrative des normes impératives du droit international général (jus cogens), tout en regrettant son « caractère restrictif ». La Suisse considère les principes suivants comme faisant partie du jus cogens: le principe d’égalité des États, l’interdiction de la piraterie, l’interdiction du châtiment collectif, l’interdiction de l’inégalité de traitement ainsi que le principe du caractère personnel et individuel de la responsabilité pénale. À cette aune, la déléguée a encouragé la Commission à analyser soigneusement la pratique des États, dont celle de la Suisse pour élargir sa liste.