En cours au Siège de l'ONU

Soixante-quatorzième session,
24e séance – matin
AG/J/3606

Sixième Commission: les délégués s’interrogent sur les critères pour l’identification des normes impératives du droit international (jus cogens)

La Sixième Commission, chargée des questions juridiques, a poursuivi, ce matin, l’examen de la première série de chapitres thématiques du rapport de la Commission du droit international (CDI), traitant en particulier des crimes contre l’humanité et des normes impératives du droit international général (jus cogens). 

La plupart des intervenants ont de nouveau appuyé l’idée d’élaborer une convention internationale sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité à partir du projet d’articles préparé par la CDI, ce qui, selon l’Australie, permettrait de combler « les lacunes » entre les différents instruments en vigueur sur les graves crimes internationaux.  La Thaïlande et le Soudan ont applaudi cette avancée possible dans « la lutte contre l’impunité » qui permettrait de renforcer l’efficacité des juridictions nationales et d’engager des poursuites contre des auteurs de tels crimes.

Tout en saluant le travail de codification de la CDI, plusieurs délégations ont toutefois exprimé des réticences sur ce point, notamment Israël, qui a souhaité l’établissement de « garde-fous » contre les abus et l’utilisation « politique » de ce projet d’articles.  Les États-Unis ont jugé que « le moment n’était pas venu » de négocier une convention en raison du manque de clarté de ces textes et du manque de consensus, d’autant plus qu’il faut prendre en compte la diversité des systèmes juridiques nationaux qui ne reconnaissent pas tous la compétence de la Cour pénale internationale (CPI). 

Le second sujet à l’étude, les normes impératives du droit international général (jus cogens), a suscité un débat animé, du fait notamment de la difficulté à définir et identifier ces normes qui occupent une position hiérarchique dominante dans l’ordre juridique international.  À ce propos, la liste non exhaustive de normes impératives présentée par la CDI a été critiquée par les Pays-Bas, inquiets que la nature « contraignante » d’une telle liste entrave l’émergence d’une pratique des États et d’une opinio juris à l’appui d’autres normes.  La Thaïlande a jugé aussi que cette liste « endiguerait » l’évolution dynamique du jus cogens et préféré n’y voir qu’un « ensemble d’exemples » dont peuvent s’inspirer les États pour développer des critères d’acceptation universelle. 

Dans le même esprit, les États-Unis ont marqué leur désaccord avec la liste non exhaustive, arguant que des questions se poseront sur la raison pour laquelle certaines normes sont incluses et d’autres non.  S’ils reconnaissent que des normes comme l’interdiction du génocide relèvent du jus cogens, les États-Unis, comme Israël, se sont étonnés que le droit à l’autodétermination puisse être reconnu comme une norme de jus cogens.  « La CDI elle-même n’a pas émis de conclusion constante sur cette question et a montré un manque de méthodologie à ce sujet », a déploré le représentant américain.  Appelant à un « équilibre entre le développement du droit et sa codification », en particulier sur les questions qui ne font pas l’objet d’un consensus, le Soudan a mis en garde contre la formulation d’un « droit idéal ». 

Quant aux conséquences juridiques des normes impératives du droit international (jus cogens), les États-Unis se sont inquiétés qu’elles puissent annuler une résolution du Conseil de Sécurité, tandis que le Brésil insistait pour que le Conseil de sécurité respecte ces normes impératives.  Enfin et surtout, les délégations ont trouvé difficile de définir « l’acceptation et la reconnaissance par la communauté internationale des États dans son ensemble » qui conditionne l’existence de telles normes.  Notant que ce « seuil subjectif » aux dires de la Thaïlande, est traduit dans le projet d’articles comme une « large ou très large majorité des États », les États-Unis ont douté que cela soit suffisant au vu du caractère impératif du jus cogens

Alors que plusieurs États ont regretté que la CDI ait surchargé son programme de travail avec trop de nouveaux thèmes, au risque, selon la Grèce, de s’éloigner de son rôle de codificateur du droit international, le délégué de la Micronésie a, au nom de l’environnement, défendu le thème de la réparation aux particuliers pour les violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et les graves violations du droit international.  À ses yeux, « il y a une acceptation croissante au sein de la communauté internationale qu’il existe un droit humain à un environnement sain ou, à tout le moins, que la jouissance d’un grand nombre de droits de l’homme dépend de la jouissance d’un environnement sain ». 

En début de séance, la Sixième Commission a adopté un projet de résolution* par lequel elle recommande à l’Assemblée générale d’inviter le Groupe g7+ à participer à ses sessions et travaux en qualité d’observateur. 

La Commission poursuivra ses travaux demain, mercredi 30 octobre, à partir de 15 heures. 

* A/C.6/74/L.2

RAPPORT DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL SUR LES TRAVAUX DE SA SOIXANTE ET ONZIÈME SESSION - A/74/10

Suite des déclarations sur les chapitres I à V et XI du rapport

M. RENE LEFEBER (Pays-Bas) a résolument appuyé la recommandation de l’élaboration d’une convention sur la base du projet d’articles sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité par une conférence diplomatique internationale.  Il a établi quelques distinctions entre un tel texte et l’initiative pour une convention internationale sur la coopération dans les enquêtes et les poursuites des crimes de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, dite initiative MLA, appuyée par 69 États.  Dans sa portée, l’initiative MLA vise à offrir une entraide judiciaire mutuelle et un cadre d’extradition pour les trois crimes graves précités, alors que le projet d’articles de la CDI se concentre uniquement sur les crimes contre l’humanité.  Ce projet d’articles a en outre une approche holistique, couvrant un vaste éventail de concepts, tels que la responsabilité des États, l’extradition ou encore la prévention, alors que l’initiative précitée vise à forger un cadre moderne pour l’entraide judiciaire et l’extradition.  Ces deux initiatives se renforcent mutuellement, a-t-il dit, en cherchant à combler les lacunes dans la lutte contre l’impunité. 

S’agissant des normes impératives du droit international général (jus cogens), M. Lefeber a indiqué que l’inclusion d’une liste de normes ayant le rang de jus cogens n’est pas souhaitable.  La nature contraignante d’une telle liste composée par la CDI aurait en tout état de cause pour effet de prévenir l’émergence d’une pratique des États et d’une opinio juris en appui d’autres normes.  Enfin, il a commenté l’ajout de deux sujets à son programme de travail à long terme: réparation due aux personnes victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, d’une part, et prévention et répression des actes de piraterie et des vols à main armée en mer, d’autre part.  Concernant ce dernier point, le délégué a souligné la pertinence d’un travail « limité » de la CDI, en raison du grand nombre d’instruments traitant d’ores et déjà de cette question. 

M. MARIO OYARZABAL (Argentine) a remercié la CDI pour son travail sur les normes impératives du droit international général (jus cogens), en raison de leur importance pour la consolidation et le développement du droit international.  Il a insisté sur les critères utilisés pour leur définition.  S’agissant du premier critère, selon lequel la norme de jus cogens est une norme du droit international général, M. Oyarzabal a remarqué que le projet de conclusion 5 reflète l’idée selon laquelle sa manifestation la plus claire est le droit international coutumier, auquel participe la jurisprudence des tribunaux nationaux et internationaux, dont celle de la Cour suprême de l’Argentine.  Ensuite, abordant le second critère incarné par la reconnaissance et l’acceptation de la norme de jus cogens par les États « dans leur ensemble », le délégué s’est rallié au projet de conclusion 7 citant « la grande majorité des États ».  Quant aux preuves de l’acceptation par les États présentées par le projet de conclusion 8, telles les opinions juridiques des gouvernements, la jurisprudence nationale ou les dispositions de traités, elles peuvent, a-t-il ajouté, inclure comme élément additionnel le stade de ratification de certains traités.  Enfin, le délégué a rappelé l’impact que peut avoir le jus cogens, tel le refus d’une extradition fondé sur une norme impérative du droit international, et conseillé la « prudence » pour privilégier la sécurité juridique dans les relations entre États.

Saluant les travaux du Rapporteur spécial sur les crimes contre l’humanité, M. Oyarzabal a rappelé que l’Argentine a ajouté des commentaires au projet d’articles adopté en 2017, qui portaient sur l’ajustement de certaines définitions aux derniers développements du droit international, sur la nécessité que ces crimes soient jugés par les États dans des tribunaux civils, ou sur l’interdiction de l’amnistie pour leurs auteurs.  Le délégué s’est félicité que les commentaires d’une cinquantaine d’États, d’organisations internationales et d’autres entités aient été pris en compte dans les projets d’article, en particulier pour la suppression de la définition du genre conforme à l’évolution du droit pénal international et des droits de l’homme.  Favorable à l’élaboration d’un projet de convention sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité par l’Assemblée générale ou par une conférence diplomatique, le délégué a parlé aussi de « l’initiative MLA » qui, avec l’appui explicite de plus de 60 États, dont l’Argentine au nombre de ses initiateurs, promeut l’élaboration d’un traité sur l’extradition et l’entraide judiciaire en matière de crimes internationaux qui serait complémentaire du projet d’articles de la CDI.

Mme SARAH WEISS MA’UDI (Israël) a félicité le Rapporteur spécial, M. Sean Murphy, pour son travail sur la codification des crimes contre l’humanité.  Elle a jugé très important que les projets d’article reflètent correctement le droit coutumier et les principes largement acceptés sur cette question et qu’ils contiennent « des garde-fous » contre d’éventuels abus.  Israël est en effet préoccupé par les mécanismes figurant dans certains projets d’article qui pourraient être utilisés à mauvais escient par des États et d’autres acteurs « dans des buts politiques ».  L’un des principes fondamentaux du droit criminel international est que les États ont la prérogative souveraine d’exercer leur compétence juridictionnelle par le biais de leurs tribunaux nationaux pour les crimes commis sur leur territoire ou par leurs ressortissants, a rappelé la représentante.  Et ce n’est que lorsque les États ne sont pas capables ou ne souhaitent pas le faire que des mécanismes alternatifs doivent être pris en considération.  Quant à la proposition de négocier et d’élaborer une convention internationale à partir du texte du projet d’articles sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité, la représentante l’a jugée prématurée, notamment parce que la définition des crimes contre l’humanité est loin de faire consensus. 

Passant au chapitre sur les normes impératives du droit international général (jus cogens), Mme Weiss a regretté que le Rapporteur spécial, M. Dire Tladi, se soit beaucoup appuyé sur la théorie et la doctrine, plutôt que sur les pratiques nationales pertinentes.  Le manque d’analyse rigoureuse de la pratique des États risque, selon elle, de saper le pouvoir juridique d’éléments importants de ce projet.  Elle a en outre fait part de ses réserves sur les projets de conclusion, qui ne reflètent pas toujours correctement le caractère exceptionnel des normes de jus cogens et le seuil très élevé pour leur identification.  Elle s’est inquiétée de la tendance du Rapporteur spécial à confondre le terme erga omnes avec le terme jus cogens, ce qui donne une impression trompeuse de l’état actuel du droit.  De plus, Israël estime que les normes listées en annexe n’ont pas toutes le caractère de jus cogens, comme par exemple le droit à l’autodétermination. 

Mme DAPHNE HONG (Singapour) a salué le travail de la Commission sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité, tout en estimant que les projets d’article devraient encore être améliorés et clarifiés, comme sa délégation l’avait proposé dans ses commentaires écrits.  Au sujet des normes impératives du droit international général (jus cogens), Mme Hong a émis des doutes sur le projet de conclusion 21, estimant que « la référence à la Cour internationale de Justice (CIJ) pourrait restreindre malencontreusement les options des États Membres », notamment en ce qui concerne d’autres voies pour le règlement pacifique des différends, comme la médiation, la conciliation ou même l’arbitrage ad hoc.  Quant à la liste non exhaustive des normes, elle a estimé qu’elle devrait refléter correctement la méthodologie que la CDI a elle-même mise au point pour l’identification des normes ayant un caractère jus cogens, ce qui n’est actuellement pas le cas du projet de conclusion 22 et du projet d’annexe.

Mme MARIA TELALIAN (Grèce) a salué la recommandation de la CDI concernant l’élaboration d’une convention sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité, par l’Assemblée générale ou par une conférence de plénipotentiaires, sur la base du projet d’articles.  La déléguée a néanmoins noté qu’il existe nombre de chevauchements entre ce projet et le premier projet de l’initiative MLA sur l’entraide judiciaire, et que la mise en œuvre simultanée de ces deux initiatives pourrait se révéler « inefficace et source de confusion néfaste ».  Ce risque peut être évité, et les deux initiatives peuvent devenir complémentaires si leurs champs d’application sont clairement définis, a-t-elle suggéré, soit, d’un côté, une convention purement pénale sans dispositions disproportionnées sur l’extradition ou l’entraide judiciaire, et, de l’autre, un traité purement procédural d’extradition et d’entraide judiciaire pour les cas de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. 

Mme Telalian a aussi abordé la question des normes impératives du droit international général (jus cogens) et félicité le Rapporteur spécial, M. Dire Tladi, pour quatre rapports qui permettent à la CDI d’apporter aux juristes internationaux des directives normatives précieuses.  Elle a confirmé que le champ et l’effet du jus cogens s’étendent bien au-delà des articles 53 et 64 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.  Plus encore que les traités, toute norme internationale provenant de déclarations coutumières ou d’actes contraignants d’organisations internationales ne peuvent exister ou avoir un effet juridique si elles sont en contradiction avec une norme de jus cogens.  La représentante a par ailleurs salué le projet de conclusion 3 selon lequel une norme de jus cogens reflète et protège les valeurs fondamentales de la communauté internationale et souhaité que cette caractéristique du jus cogens soit aussi l’un de ses critères d’identification dans les actes judiciaires des États.  Elle a donc recommandé l’utilisation d’un libellé « plus affirmatif » à ce sujet. 

En conclusion, s’agissant du dernier chapitre du rapport, la déléguée a loué l’œuvre de la CDI, d’une grande importance dans un environnement international en transformation radicale, car elle est la seule entité dans le système de l’ONU qui peut codifier le droit international.  Pour cette raison, elle a regretté que la Commission ait ajouté un large éventail de nouveaux thèmes à son ordre du jour, thèmes « dénués de pratique par les États et qui ne sont pas cristallisés dans un droit coutumier », ce qui risque de l’éloigner de son rôle de codificateur du droit international. 

M. JAMES KINGSTON (Irlande) a annoncé que l’Irlande soutient résolument les appels à élaborer une convention basée sur le projet d’articles sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité, de préférence dans le cadre d’une conférence de plénipotentiaires.  Elle soutient également l’initiative conjointe pour un traité multilatéral sur l’entraide judiciaire et l’extradition aux fins de poursuites nationales pour les crimes internationaux les plus graves, qui pourrait contribuer à lutter contre l’impunité.

M. Kingston s’est félicité que les articles 53 et 64 de la Convention de Vienne sur le droit des traités aient figuré au cœur de l’examen de la question des normes impératives du droit international général (jus cogens).  Au sujet de la liste non exhaustive de normes de jus cogens, il s’est inquiété qu’elle ne représente pas l’ensemble des normes considérées par la CDI dans ses travaux précédents, ce qui pourrait générer de la confusion.  Plus précisément, il a estimé que la liste figurant dans l’annexe 1 n’apporte que « peu de valeur ajoutée » et pourrait être « contre-productive ».  En ce qui concerne les autres décisions et conclusions de la Commission, M. Kingston a salué l’intégration des cinq projets de clause type, qui peuvent constituer un outil utile pour ceux qui négocient les traités. 

M. ELSADIG ALI SAYED AHMED (Soudan) a rappelé que la lutte contre l’impunité est un objectif des plus nobles et indiqué qu’il revient en premier lieu aux juridictions nationales de le poursuivre.  Il a salué la mention du « genre » retenue dans le projet d’articles sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité.  Le délégué a jugé « excellent » l’article 8 qui dispose que « tout État veille à ce que les autorités compétentes procèdent à une enquête rapide, approfondie et impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire que des actes constitutifs de crimes contre l’humanité ont été commis ou sont en train d’être commis sur tout territoire sous sa juridiction ».  Il a ensuite commenté le paragraphe 3 l’article 9 qui prévoit que l’État qui procède à l’enquête préliminaire visée au paragraphe 2 du même article en communique rapidement les conclusions auxdits États, selon qu’il convient, et leur indique s’il entend exercer sa compétence.  Il a souhaité l’ajout de la mention « autant que de besoin » après cette phrase.  Une convention sur la base du projet d’articles pourrait être utile, a déclaré le délégué. 

S’agissant des normes impératives du droit international général (jus cogens), M. Ahmed a indiqué que le débat sur une liste non exhaustive entre États sera long.  La liste actuelle contient-elle de telles normes? a-t-il demandé.  Il a appelé à un équilibre entre le développement du droit et sa codification, en particulier sur les questions qui ne font pas l’objet d’un consensus.  Enfin, il a mis en garde contre la formulation d’un « droit idéal » et rappelé que la question de la compétence universelle fait l’objet de divergences entre États. 

Selon M. ANDREA TIRITICCO (Italie), les projets d’articles sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité et commentaires y relatifs constituent une base solide pour l’élaboration d’une convention internationale, par l’Assemblée générale ou par une conférence internationale ad hoc, qui deviendrait un instrument juridiquement contraignant.  Les projets d’article reflètent généralement la pratique des États et le droit international coutumier et visent à combler une importante lacune normative, celle de la coopération judiciaire horizontale pour la poursuite des crimes contre l’humanité.  La valeur ajoutée qu’ils apportent à la coopération internationale dans le domaine de la reddition de comptes pour les crimes les plus graves ne peut qu’être mise en avant, a dit M. Tiriticco.  Quoiqu’il en soit, l’Italie insiste sur la nécessité d’inclure une formulation générale visant à éviter tout risque de conflit d’obligations pour les États parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI).

Au sujet des normes impératives du droit international général (jus cogens), M. Tiriticco a fait observer que les projets de conclusion et les commentaires ne lèvent pas les doutes exprimés par l’Italie l’année dernière.  Ils se limitent à réitérer des éléments normatifs, qui font déjà partie du droit des traités et du droit sur la responsabilité des États.  C’est le cas notamment de la non-dérogation et de la reconnaissance internationale dans la définition du jus cogens.  S’agissant des conséquences juridiques, M. Tiriticco a regretté que les projets de conclusion ne traitent pas des questions controversées, notamment celles liées à l’interaction entre l’immunité de l’État, la juridiction et l’application de la responsabilité de l’État pour les lacunes dans les règles de jus cogens.  Quant à la liste non exhaustive des normes de jus cogens, il a estimé qu’elle bénéficierait d’une analyse plus poussée de la jurisprudence internationale, notamment de celle de la Cour internationale de Justice (CIJ). 

M. MARIK STRING (États-Unis) a rappelé l’importance que revêtent pour son pays les traités concernant de graves crimes internationaux, mais il a néanmoins fait savoir que « ce n’est pas encore le moment de considérer la négociation d’une convention fondée sur les projets d’article ».  Le délégué a regretté que certains commentaires et propositions de révision n’aient pas été inclus dans les projets d’article et que, pour cette raison, ces derniers manquent de clarté sur certains points et doivent faire l’objet d’un consensus, garant de l’efficacité d’une future convention.  Par ailleurs, le délégué a insisté sur le fait que ces textes doivent rester « souples dans leur application, en prenant en compte la diversité des systèmes nationaux, en particulier l’appartenance ou la non-appartenance d’un État au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), une cour envers laquelle les États Unis réitèrent leurs objections de principe constantes et de longue date ».  Pour cette raison, a-t-il a ajouté, les États-Unis proposent que l’examen de la question des crimes contre l’humanité soit reporté à la soixante-seizième session de la Sixième Commission.

S’agissant des normes impératives du droit international général (jus cogens), M. String s’est déclaré préoccupé par le projet de conclusion 5 et l’idée qu’un principe général de droit international puisse être à la base d’une norme de jus cogens.  À son avis, quand bien même un principe général de droit peut avoir une influence sur la pratique des États, il ne peut, par lui-même, constituer une base indépendante de normes impératives.  À propos du projet de conclusion 7, M. String s’est interrogé sur le niveau d’acceptation et de reconnaissance correspondant au critère de la communauté internationale dans son ensemble, doutant qu’une « très large majorité des États » soit suffisante, vu le statut impératif du jus cogens

M. String a encore exprimé sa préoccupation à propos du projet de conclusion 16, qui indique qu’une résolution, décision ou autre acte d’une organisation internationale n’aurait pas d’effet contraignant s’il est contraire au jus cogens.  Bien qu’apparemment les résolutions du Conseil de sécurité ne soient plus incluses dans ce propos, ces résolutions pourraient être affectées ou bloquées dans l’avenir, ce qui aurait des conséquences graves, d’autant plus qu’il n’existe pas de consensus sur les normes jouissant du statut de jus cogens.  Ensuite, s’agissant du projet de conclusion 21 sur la résolution des différends, le délégué s’est interrogé sur la pertinence même de cette conclusion, vu que le droit international n’impose aucune obligation aux États de soumettre des différends à une tierce partie pour une résolution contraignante.  Enfin, M. String a marqué son désaccord avec la liste non exhaustive de normes impératives, arguant que des questions se poseront sur la raison pour laquelle certaines normes sont incluses et d’autres non.  Si les États-Unis reconnaissent que des normes comme l’interdiction du génocide relèvent du jus cogens, ils s’interrogent sur l’appartenance du droit reconnu à l’autodétermination comme une norme de jus cogens supérieure aux autres normes.  « La CDI elle-même n’a pas émis de conclusion constante sur cette question et a montré un manque de méthodologie à ce sujet. »  Cette question, selon le délégué américain, obscurcit la différence entre normes impératives et obligations erga omnes.  De même il a critiqué le caractère vague de « règles essentielles du droit international humanitaire ». 

Abordant les nouveaux sujets, M. String a suggéré que la CDI limite le nombre de points inscrits à son ordre du jour « afin de garantir l’engagement des États ».  S’il a marqué son intérêt pour la question de la prévention et de la répression de la piraterie et des vols à main armée en mer, il a dit en revanche qu’il n’était pas favorable à l’inclusion de la question de la réparation due aux personnes victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire.  D’abord parce que cela impliquerait un nouvel examen de ces deux domaines juridiques, ensuite parce qu’un tel examen risquerait d’être « politisé ».  Enfin, le délégué a rappelé son inquiétude sur la question de la juridiction pénale internationale abordée par la CDI.  En conclusion, il s’est dit préoccupé par « le manque de clarté sur le caractère potentiellement contraignant des travaux de la CDI, décrits comme des conclusions, des principes ou des directives, ces dernières évoquant une obligation imposée aux États ».  Une meilleure transparence sur les intentions de la CDI éclaircirait le statut accordé aux travaux de la Commission. 

M. ANDREI METELITSA (Bélarus) a appuyé l’idée d’élaborer une convention sur la base du projet d’articles sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité, et salué la proposition de l’Autriche d’accueillir une conférence diplomatique à Vienne.  Il faut s’assurer de la compatibilité d’un tel texte avec les autres instruments internationaux, a-t-il dit.  S’agissant de l’article 2 sur la définition des crimes contre l’humanité, le délégué a souhaité l’inclusion de la traite des êtres humains, aux côtés de l’esclavage.  Il a rejeté le commentaire relatif à cet article sur le genre et souhaité « que la question du genre n’entrave pas l’élaboration d’une convention ».  Le délégué a en outre souhaité une reformulation de l’article 4 sur l’obligation de prévention et de l’article 14 sur l’entraide judiciaire. 

S’agissant des normes impératives du droit international général (jus cogens), il a invité la CDI à se concentrer sur les points largement agréés par la communauté juridique internationale.  Il a souhaité que les passages du rapport sur ce point reflètent la pratique des États.  Il s’est demandé dans quelle mesure un traité peut générer une telle norme, étant donné que, selon lui, seule la Charte des Nations Unies a cette qualité.  Il s’agit d’une question complexe, a noté le délégué du Bélarus.  Il a rejeté le paragraphe 1 du projet de conclusion 11 qui dispose qu’est nul en totalité tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international général (jus cogens), et que la division des dispositions d’un traité n’est pas admise.  Il a en outre jugé « douteuse » l’inclusion de l’apartheid dans la liste non exhaustive de ces normes. 

Enfin, le délégué ne s’est pas dit convaincu par la suggestion de codifier davantage encore le second point inscrit au programme de travail de long terme de la CDI, à savoir la prévention et la répression des actes de piraterie et des vols à main armée en mer. 

M. GEORGE RODRIGO BANDEIRA GALINDO (Brésil) a rappelé que 7 des 229 membres à avoir siégé au sein de la CDI depuis 1948 étaient des femmes, soit 3%.  Il a appuyé le projet d’articles sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité et le fait qu’il se fonde sur le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI).  Durant la période de consultation, le Brésil a souhaité inclure une autre disposition du Statut, selon laquelle aucun des articles ne saurait être interprété comme autorisant un État partie à intervenir dans un conflit armé ou dans les affaires intérieures d’un autre État.  Bien que nous aurions préféré une référence explicite, nous notons avec satisfaction que ce principe a été réaffirmé par la CDI dans son rapport, a-t-il affirmé.  Le délégué a appuyé la recommandation de l’élaboration d’une convention sur la base dudit projet d’articles et souhaité qu’elle soit élaborée par l’Assemblée générale, « afin d’engager la communauté des nations dans son ensemble ».  Il a souhaité que la relation entre la compétence universelle et la compétence de la CPI soit traitée, ainsi que le besoin d’inclure des garde-fous afin de prévenir les abus du principe d’universalité. 

S’agissant des normes impératives du droit international général (jus cogens), M. Bandeira Galindo  a indiqué qu’une liste non exhaustive de telles normes permet de les identifier plus aisément, tout en souhaitant que la liste reflète les termes utilisés par la CDI.  Il a ainsi souhaité le remplacement de « l’interdiction de l’agression » par « l’interdiction du recours à la force ».  Le délégué a en outre salué l’approche prudente qui a prévalu s’agissant de la question d’un jus cogens régional.  La CDI ne devrait pas hésiter à reconnaître que les résolutions du Conseil de sécurité doivent, elles aussi, respecter les normes du jus cogens, a conclu le représentant du Brésil. 

M. AITKEN (Australie) s’est déclaré attentif à la recommandation faite aux États d’élaborer une convention sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité sur la base du projet d’articles et a reconnu le rôle que jouerait un tel instrument juridique pour réduire les lacunes entre les différentes conventions sur les crimes internationaux graves. 

S’agissant des normes impératives du droit international général (jus cogens), M. Aitken a apprécié les projets de conclusion sur les conséquences et l’effet de telles normes.  Notant la diversité de vues sur la pertinence d’un débat sur l’existence d’un jus cogens régional, il a toutefois émis des doutes sur l’utilité de ce concept qui pourrait nuire à l’universalité du jus cogens.  Il s’est en outre déclaré peu convaincu de l’utilité de la liste des normes impératives incluse dans le projet de conclusion 23.  Les projets de conclusion restent par nature « méthodologiques » et il ne s’agit là que d’une liste non exhaustive, a-t-il conclu. 

M. CLEMENT YOW MULALAP (États fédérés de Micronésie) a félicité la CDI pour son adoption en première lecture des projets de conclusion et des commentaires sur les normes impératives du droit international général (jus cogens), y voyant une contribution majeure pour l’étude et la mise en œuvre du droit international.  Il s’est dit en accord avec la Commission pour qualifier de normes impératives du droit international général les obligations essentielles pour la sauvegarde et la préservation de l’environnement humain, telles que l’interdiction de pollution massive de l’atmosphère ou des mers.  Pour le représentant, « la protection des environnements naturels d’importance est un objectif qui reflète les valeurs fondamentales de la communauté internationale ».  Chaque État est donc obligé par la communauté internationale de prendre toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde et à la protection de l’humanité.  Tout manquement flagrant ou systémique à cette obligation constitue une violation grave du jus cogens, a souligné le délégué, déplorant toutefois que de nombreux États s’en exonèrent en polluant massivement des environnements naturels d’importance pour l’humanité sans prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à cette pollution, notamment à l’émission de gaz à effet de serre.  De telles violations nécessitent une réponse collective, a-t-il plaidé, rappelant l’obligation faite aux États de « travailler ensemble pour corriger les dommages qui nous affectent tous ». 

M. Yow Mulalap s’est également félicité de la décision de la CDI d’inscrire à son programme de travail à long terme le thème de la réparation aux particuliers pour les violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et les graves violations du droit international.  À ses yeux, « il y a une acceptation croissante au sein de la communauté internationale qu’il existe un droit humain à un environnement sain ou, à tout le moins, que la jouissance d’un grand nombre de droits de l’homme dépend de la jouissance d’un environnement sain ». 

M. CHRISTIAN WENAWESER (Liechtenstein) a appuyé le projet d’articles sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité et s’est attaqué à cette idée reçue selon laquelle il existerait une hiérarchie entre les crimes les plus graves commis, le génocide étant le premier d’entre eux.  Cela est de nature à induire en erreur, a-t-il dit, ajoutant que le génocide est au cœur des crimes contre l’humanité.  L’élaboration d’une convention sur les crimes contre l’humanité est très importante pour rendre justice aux victimes d’atrocités, a-t-il dit.  Il s’est félicité que le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) soit la base du projet d’articles.  Si le Statut n’a pas été universellement ratifié, ce n’est pas en raison de la qualité de ce texte et des crimes visés, a expliqué le délégué.  Il s’est dit vivement préoccupé que le projet d’articles ne comprenne pas de clause de non-réserves.  Émettre une réserve à l’endroit d’un traité aussi court saperait son efficacité, a déclaré M. Wenaweser.  Il a aussi déploré le manque d’une affirmation claire, selon laquelle il ne saurait y avoir d’immunité par rapport à de tels crimes.  Le droit coutumier international est sans équivoque sur ce point, a-t-il dit, jugeant qu’un tel manque survient à un moment inopportun compte tenu des « conversations qui se déroulent ailleurs ».  Enfin, le délégué a insisté sur l’importance de ce projet d’articles, d’autant que le Statut de Rome n’est pas universel et que « la coopération entre le Conseil de sécurité et la CPI n’est pas à un niveau adéquat ». 

Mme VILAWAN MANGKLATANAKUL, Directrice générale du Département des traités et des affaires juridiques au Ministère des affaires étrangères de la Thaïlande, a félicité le Rapporteur spécial, M. Sean Murphy, pour sa contribution au travail de la CDI et pour l’adoption de tout un ensemble de projets d’article sur le sujet des crimes contre l’humanité.  Son pays, a-t-elle assuré, appuie la recommandation de la CDI en vue de l’élaboration d’une convention par l’Assemblée Générale ou par une conférence diplomatique, qui facilitera les poursuites judiciaires nationales, en finira avec l’impunité et renforcera la coopération internationale pour la suppression des crimes contre l’humanité.  La déléguée a reconnu la nécessité du projet d’article 4 sur les mesures préventives et la coopération internationale pour prévenir les crimes contre l’humanité, un élément important qui représente une « autre approche que la seule poursuite judiciaire ».  Elle a par ailleurs appuyé les projets d’article 10, 13 et 14 qui traitent de l’extradition et de l’entraide judiciaire, en particulier le paragraphe 3 de l’article 13 excluant l’exception pour crime politique. 

À propos des normes impératives du droit international général, Mme Mangklatanakul a approuvé le recours largement accepté à la définition du jus cogens donnée par l’article 53 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités comme base du projet de conclusion 2.  Mais en ce qui concerne le projet de conclusion 7, elle a appelé à la « prudence », en raison de ses effets juridiques extraordinaires, sur le critère « acceptation et reconnaissance par la communauté internationale des États dans son ensemble »  Ce « seuil subjectif » est à ses yeux bien plus élevé que la notion de « large majorité ou très large majorité des États » et demande des éclaircissements, quand bien même elle a accepté le point de vue de la CDI selon lequel il faut aussi prendre en compte, « l’universalité de l’acceptation dans différentes régions, systèmes juridiques et cultures ».  Enfin, la déléguée a noté que la création d’une liste non exhaustive du jus cogens « endiguerait » son évolution dynamique.  Elle a donc réaffirmé son choix de ne considérer cette liste que comme un « ensemble d’exemples » que peuvent observer des États pour développer des critères d’acceptation universelle, plutôt qu’une codification du jus cogens

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