Financement du développement: « Avec des fonds adéquats, prévisibles et durables, tout est possible », affirme le Secrétaire général
« Le financement est un test pour mesurer notre sérieux », a prévenu d’emblée le Secrétaire général de l’ONU à l’ouverture du Dialogue de haut niveau de l’Assemblée générale sur le financement du développement, premier sommet sur cette question depuis l’adoption en 2015 du Programme d’action d’Addis-Abeba. M. António Guterres a prévenu les dirigeants du monde, les représentants d’organisations non gouvernementales et d’entités du secteur des entreprises et de la société civile que, « sans ressources, nous n’arriverons pas aux résultats escomptés pour les peuples de la planète ».
En revanche, « avec un financement adéquat, prévisible et durable, tout est possible », selon lui. Un vœu qui a reçu un écho concret à la fin de la journée avec les nombreuses annonces d’initiatives lancées en ce sens. De plus, les discussions ont permis de dégager quelques idées fortes pour changer la donne: améliorer les systèmes fiscaux nationaux et internationaux, renforcer la mobilisation des ressources nationales, lutter contre les flux financiers illicites et trouver une issue à la crise de la dette des pays en développement. Voilà quelques mesures phares qui devraient, ont jugé les participants, « faire passer le financement du développement de milliards de dollars à des milliers de milliards », comme l’envisage le Secrétaire général dans un rapport sur le sujet.
Nous avons besoin de quelques 2 500 milliards de dollars par an pour combler le déficit de financement, a rappelé en début des travaux, le Président de l’Assemblée générale. Pour M. Tijjani Mohamad-Bande, « il est temps de passer des paroles à l’action ».
Le Secrétaire général a fait, pour l’heure, un constat sans complaisance: « nous ne sommes pas sur la bonne voie pour atteindre les objectifs ». Il a ainsi noté, entre autres, la baisse de l’aide publique au développement (APD) et l’augmentation du niveau d’endettement des pays en développement, ou encore le fait que les petits États insulaires en développement (PEID) subissent, en plus de tout, le coût élevé du dérèglement climatique.
Le chef de l’ONU a toutefois fait part de « nouvelles prometteuses », comme les marchés financiers qui intègrent de plus en plus la durabilité dans la façon dont ils exercent leurs activités. Il a rappelé qu’en début de semaine, ici au Siège des Nations Unies, les Principes de l’ONU pour une banque responsable avaient été adoptés par de nombreuses institutions bancaires: un secteur d’une valeur de 35 000 milliards de dollars s’est ainsi engagé à utiliser des pratiques durables. En outre, plus de 200 000 milliards de dollars de capital privé sont investis dans les marchés financiers mondiaux, des fonds qui peuvent être redirigés vers des projets de développement durable, y compris en utilisant des instruments financiers innovants.
Pour que certains individus ne soient plus exclus des services financiers, le Secrétaire général a mis en place une équipe spéciale chargée d’explorer la façon dont la numérisation financière peut contribuer à accélérer l’inclusivité et le développement durable, avec un accent sur les femmes pauvres, entrepreneuses, chefs de famille, et sur les pays les moins avancés. Il a annoncé qu’il réunirait, le mois prochain, 30 patrons de toutes les régions du monde pour lancer l’Alliance des investisseurs mondiaux pour le développement durable.
En attendant la concrétisation de ces projets, les intervenants au dialogue ont suggéré une plus grande mobilisation des ressources nationales. D’autant plus « qu’il n’y aura jamais assez d’aide pour développer le Ghana et l’Afrique au niveau souhaité », a fait, par exemple, observer le Président de ce pays. La Directrice générale de la région Afrique du Groupe Standard Bank a suggéré aux gouvernements africains de susciter un sentiment d’urgence en vue de mobiliser le secteur privé et lever des fonds adéquats pour réaliser le développement, avant de préconiser d’améliorer le commerce interafricain qui reste à un niveau insuffisant selon elle, ainsi que le financement des petites et moyennes entreprises et de l’entrepreneuriat féminin.
Il n’y a pas de solution unique pour revenir sur la bonne voie, a constaté M. Bill Gates, Coprésident de la Fondation Bill and Melinda Gates. Le philanthrope a de plus mis en garde quant aux limites de la contribution du secteur privé, car celui-ci ne peut à lui seul combler toutes les lacunes de financement. D’où son insistance auprès des gouvernements pour qu’ils renforcent leurs systèmes de recouvrement des impôts, sans porter préjudice cependant aux plus démunis. Il a dès lors conseillé aux pays en développement d’opter pour des systèmes fiscaux taxant moins les pauvres et se focalisant plus sur les grandes entreprises.
Le Groupe des 77 et de la Chine a de son côté jugé contre-productif d’insister sur la mobilisation des ressources nationales dans les pays en développement sans essayer de combler les lacunes à l’échelle internationale qui empêchent ces pays de pouvoir bénéficier d’une bonne partie de leurs ressources. Il parlait ainsi des 400 milliards de dollars détournés chaque année par les flux financiers illicites, qui pourraient servir au financement du développement si on luttait effectivement contre ce phénomène. Le Premier Ministre du Pakistan s’est d’ailleurs insurgé contre « les pays occidentaux qui manquent de volonté politique pour régler ce problème », justifiant leur inaction par le fait qu’ils en sont selon lui les principaux bénéficiaires.
À sa suite, le Ministre du développement international de la Norvège a suggéré de réinventer les institutions et les règles internationales, et, surtout, de « modifier notre posture morale » en mettant fin au système actuel de secret bancaire et au « contorsionnisme fiscal » qui nuit aux pauvres. C’est aussi pourquoi d’autres intervenants ont insisté sur la réforme du système fiscal international qui, actuellement, facilite ces fuites de capitaux du Sud vers le Nord. Il a également été question d’assurer la restructuration de la dette des pays en développement.
DIALOGUE DE HAUT NIVEAU SUR LE FINANCEMENT DU DÉVELOPPEMENT
Déclarations d’ouverture
M. TIJJANI MOHAMAD-BANDE, Président de la soixante-quatorzième session de l’Assemblée générale, a rappelé que le Dialogue de haut niveau sur le financement du développement avait pour but de faire l’évaluation des progrès accomplis depuis l’adoption du Programme d’action d’Addis-Abeba. Il donnera une orientation et une ligne directrice pour accélérer la mise en œuvre de ce Programme, a-t-il espéré. Revenant sur les décisions prises cette semaine à l’ONU, il a rappelé que les dirigeants avaient lancé une action climatique ambitieuse et une décennie d’action pour la réalisation du Programme de développement durable à l’horizon 2030, tout en veillant à bâtir un monde plus sain à travers la couverture sanitaire universelle. Rien ne se fera pourtant sans combler le déficit de financement et sans saisir les opportunités d’investissements dans le financement du développement durable, a estimé le Président. « Il est temps de passer des mots à l’action, la seule voie pour transformer notre monde. »
Nous avons besoin de quelque 2 500 milliards de dollars par an pour combler le déficit de financement, a rappelé M. Mohamad-Bande en soulignant l’urgence de la sensibilisation et de l’action dans ce domaine. Il a toutefois vu des signes encourageants dans les investissements, dans les infrastructures et les partenariats mondiaux public-privé qui ont porté des fruits. Mais beaucoup reste à faire, a-t-il noté, appelant à « rester ferme » dans nos engagements et à « créer des ressources correspondant à notre niveau d’ambition ». Ainsi, M. Mohamad-Bande a demandé de respecter les promesses en termes d’aide publique au développement (APD) et d’accroître les investissements publics et privés pour générer plus de croissance et créer des emplois décents. Il a également invité à tenir compte des recommandations formulées dans le rapport de cette année sur le financement du développement durable: remanier l’architecture institutionnelle mondiale afin de libérer de nouvelles sources de financement innovantes. Le Président de l’Assemblée générale a expliqué que cela est spécialement nécessaire pour faire face aux situations particulières des pays qui ont le plus besoin de financement, comme les pays les moins avancés (PMA), les pays à revenu intermédiaire et les petits États insulaires en développement (PEID).
Les ressources nationales doivent être davantage mobilisées, a poursuivi le Président, qui a attiré l’attention sur la nécessité d’avoir des politiques fiscales redistributives et une coopération fiscale internationale pour lutter contre les évasions fiscales. Combattre les flux illicites des capitaux est l’autre face de la même médaille, a-t-il ajouté. En effet, des milliers de milliards de dollars sont perdus chaque année dans les pays en développement à cause des fuites de capitaux, ces fonds dépassant largement le volume de l’aide au développement. « Nous ne pouvons pas ignorer ces pertes sèches pour le développement durable », a-t-il dit, avant de parler aussi du problème de l’endettement. Le Président a constaté en effet des signes alarmants d’accumulation de dettes qui touchent disproportionnellement les PMA, les PEID et les pays en développement sans littoral. Il ne faut pas que l’histoire se répète avec la dette insoutenable qui pèse sur ces pays, a dit le Président. Il a ensuite souligné que le commerce reste un moteur important de croissance. Renforcer le cadre du commerce multilatéral peut donc permettre d’intégrer tous les pays dans l’économie mondiale, selon lui. Le Président a aussi plaidé pour l’innovation, les transferts de technologies et la numérisation, comme facteurs de développement, en priorité pour l’Afrique et les PEID.
Quant à la lutte contre les changements climatiques, elle ne crée pas de dividendes économiques, a estimé M. Mohammad-Bande tout en encourageant à investir dans l’énergie propre et accessible qui permet de créer des revenus. Les femmes constituent plus de la moitié de la main d’œuvre mondiale, a-t-il encore dit en soulignant que des femmes autonomisées sont des agents du changement économique et social. Atteindre nos objectifs ne peut se faire qu’avec la participation active des femmes, a insisté le Président.
M. ANTÓNIO GUTERRES, Secrétaire général de l’ONU, a commencé son intervention en rendant hommage à l’ancien Président de la France, Jacques Chirac, décédé aujourd’hui, en saluant son dévouement envers la démocratie et la coopération internationale. M. Guterres, qui a eu l’ancien Président comme collègue au Conseil européen, a fait état d’« une solide et profonde amitié » entre les deux hommes. Il a rappelé que Jacques Chirac avait été un véritable « pionnier dans la lutte contre les changements climatiques » en mettant, il y a déjà longtemps, le climat au centre de l’agenda international.
Passant au sujet du jour, il a fait remarquer que tout au long de cette semaine de haut niveau, les intervenants avaient souligné la nécessité d’agir d’urgence et d’élever le niveau d’ambition dans les efforts menés pour atteindre les objectifs de développement durable et répondre à l’urgence climatique. « Le financement est un test de notre sérieux », a-t-il dit, en prévenant que, « sans ressources, nous n’arriverons pas aux résultats escomptés pour les peuples de la planète ». En revanche, avec un financement adéquat, prévisible et durable, tout est possible, selon le Secrétaire général.
« Nous ne sommes pas sur la bonne voie pour atteindre les objectifs », a rappelé le Chef de l’ONU, qui a dénoncé le manque de financement, qu’il soit public ou privé. La baisse de l’aide publique au développement (APD) et l’augmentation du niveau d’endettement limitent les dépenses consacrées aux objectifs, a-t-il relevé, notant que près d’un tiers des pays les moins avancés (PMA) du monde sont actuellement endettés ou risquent grandement de l’être. Pour les petits États insulaires en développement (PEID), il a observé qu’en plus de leur lourde dette, ils sont confrontés au coût élevé de la dévastation liée au climat.
Le Secrétaire général a toutefois fait part de « nouvelles prometteuses », comme les marchés financiers qui intègrent de plus en plus la durabilité dans la façon dont ils exercent leurs activités. « Divers investisseurs, assureurs et bourses ont adopté les principes de responsabilité sociale et durable. » M. Guterres a signalé qu’en début de semaine, ici au Siège des Nations Unies, les Principes de l’ONU pour une banque responsable avaient été adoptés par les institutions bancaires: un secteur d’une valeur de 35 000 milliards de dollars s’est ainsi engagé à utiliser des pratiques durables. De plus, les investisseurs accordent une plus grande attention à l’empreinte environnementale des entreprises dans lesquelles ils investissent, leur demandant plus d’informations sur les risques climatiques et d’autres menaces. En outre, plusieurs institutions financières ont déjà démarré la mise en œuvre des recommandations de l’Équipe spéciale sur les informations financières ayant trait au climat (TCFD), a indiqué le Secrétaire général, qui a invité chaque entreprise à s’y mettre.
Autres constatations du Secrétaire général: plus de 200 000 milliards de dollars en capital privé sont investis dans les marchés financiers mondiaux, des fonds qui peuvent être redirigés vers des projets de développement durable, y compris en utilisant des instruments financiers innovants. Ces derniers marquent progressivement leur empreinte, mais il faut accélérer le rythme: « le marché des obligations vertes a d’ailleurs crû de 45%, et le marché des obligations à impact social a lui aussi augmenté de manière significative », s’est réjoui M. Guterres. Il a aussi loué les mesures prises pour réduire les frais de virements bancaires trop élevés. Elles pourraient donner à cette source majeure de financement un rôle encore plus important dans les économies nationales, en particulier concernant les individus vulnérables, comme les migrants et leurs familles.
Partant de ces progrès, M. Guterres a encouragé l’industrie financière à prendre ses responsabilités en matière de pratiques risquées, tout en encourageant chaque pays à mobiliser ses ressources domestiques pour financer une stratégie de développement durable, notamment via le développement et la mise en œuvre du cadre de financement national intégré (CFNI). Il a plaidé la collaboration entre pays: d’une part dans la lutte contre les crimes de nature fiscale, qui privent les communautés nationales de dizaines de milliards de dollars de revenus par an; d’autre part pour relever le nouveau défi de la taxation de l’économie numérique.
Pour que certains individus ne soient plus exclus des services financiers, le Secrétaire général a mis en place une équipe spéciale chargée d’explorer la façon dont la numérisation financière peut contribuer à accélérer l’inclusivité et le développement durable, avec un focus sur les femmes pauvres, entrepreneuses, chefs de famille, et sur les PMA. « Nous devons faire en sorte que la haute finance soit canalisée dans de petits projets », a conclu M. Guterres. Il a annoncé qu’il réunirait, le mois prochain, 30 patrons de toutes les régions du monde pour lancer l’Alliance des investisseurs mondiaux pour le développement durable, qui, à elle, seule gère 16 000 milliards de dollars.
M. NANA ADDO DANKWA AKUFO-ADDO, Président du Ghana, a déclaré que, depuis son accession à la présidence en janvier 2017, son but est de bâtir un « Ghana qui se passe de l’aide ». La vérité est qu’il n’y aura jamais assez d’aide pour développer le Ghana et l’Afrique, au niveau souhaité, a-t-il remarqué. En tirant les conclusions de cette affirmation, le Président a dit qu’il fallait que son pays exploite efficacement ses propres ressources et déploie ses efforts de manière créative et efficiente pour financer sa transformation économique et sociale. M. Akufo-Addo a estimé que l’Afrique devait prendre les devants en générant les fonds supplémentaires nécessaires pour avancer. « Nous devons prendre la direction tandis que les partenaires extérieurs -privés ou publics– doivent suivre les priorités que nous fixons », a-t-il dit.
Après avoir énuméré les atouts de l’Afrique en matière de ressources naturelles et le fait que « le continent n’en tire aucun profit », le Président a souligné la nécessité de bâtir des institutions fortes capables d’éviter une telle situation. Il a posé une série de questions pour ouvrir le débat: « Comment renforcer les capacités de nos services géologiques pour connaître exactement la qualité et la quantité de nos ressources? Comment faire pour créer des départements juridiques au sein de nos gouvernements qui veilleront à ce que les pays africains obtiennent leurs parts dans les contrats qu’ils signent? Comment renforcer les autorités fiscales pour lutter contre les évasions fiscales qui profitent aux multinationales? Comment respectons-nous l’état de droit? »
Les contrats léonins et leurs effets pernicieux doivent être éliminés si nous voulons réaliser notre vision pour un développement socioéconomique rapide, a réclamé le Président du Ghana. Il a aussi invité les gouvernements à prendre conscience de la manière dont ils dépensent leurs revenus et à en être responsables. Cela exige, a-t-il expliqué, l’élaboration de budgets transparents et de systèmes de gestion des dépenses qui distribuent les ressources avec sagesse. Nos économies devraient être basées sur la valeur ajoutée des activités économiques, c’est-à-dire sur les choses que nous produisons, a-t-il précisé. Pour conclure, M. Akufo-Addo a affirmé qu’une grande partie de la croissance et de la prospérité que nous voulons sur le continent viendra du commerce entre les pays africains.
M. BILL GATES, Coprésident de la Fondation Bill and Melinda Gates, a déclaré que le monde était loin d’avoir accompli la promesse des objectifs de développement durable. Alors que les ressources nationales peinent à être mobilisées, a-t-il relevé, la croissance ralentie, les changements climatiques et l’endettement croissant font partie des sujets de préoccupation. Il n’y a pas de solution unique pour revenir sur la bonne voie, a-t-il noté, avant de demander aux dirigeants de reconnaître que différents défis de développement nécessitent différents types de financement qui peuvent, par exemple, cibler des besoins spécifiques, des zones géographiques données ou encore des groupes de personnes particulières.
Étant donné le grand fossé qui existe entre ce qui est disponible et ce qui est nécessaire, il faut mobiliser les ressources nationales, a recommandé M. Gates. Avec des revenus intérieurs supplémentaires, on pourrait trouver une partie du montant nécessaire pour réaliser les objectifs de développement durable, a-t-il dit. C’est pourquoi il a invité les États à collaborer pour renforcer leurs systèmes de recouvrement des impôts et combler ainsi le déficit de financement. Pour éviter toutefois que les impôts n’aient un effet délétère sur les plus démunis, il a conseillé aux pays en développement d’opter pour des systèmes fiscaux taxant moins les pauvres et se focalisant plus sur les grandes entreprises. C’est le sens du soutien qu’apporte la Fondation Gates aux pays en développement, en misant sur une plus grande transparence, a-t-il indiqué.
De même, l’APD joue un rôle essentiel, en particulier pour répondre aux besoins pressants des PMA, a reconnu M. Gates tout en avertissant de tendances inquiétantes. Il a cité à cet égard des données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) indiquant que les flux nets d’aide sont en baisse, en particulier vers l’Afrique subsaharienne. Des restrictions supplémentaires peuvent nuire aux progrès déjà accomplis, a relevé M. Gates, en se disant enthousiaste face au potentiel des financements mixtes et à la contribution du secteur privé au développement par le biais des investissements et du partage des connaissances. Il a tout de même mis en garde quant aux limites de la contribution du secteur privé, car celui-ci ne peut à lui seul combler toutes les lacunes de financement. M. Gates a terminé en plaidant pour que les ressources mobilisées soient investies là où cela fera le plus de différence et là ou on en a le plus besoin.
Mme SOLA DAVID-BORA, Directrice générale de la région Afrique du Groupe Standard Bank, a dit que la réalisation des 17 objectifs de développement durable nécessite des capacités financières considérables, à savoir 2 600 milliards de dollars par an. La collaboration et le dialogue entre les secteurs privé et public sont essentiels pour trouver le financement nécessaire, a-t-elle estimé. Mme David-Bora a suggéré aux gouvernements africains de susciter un sentiment d’urgence face aux problèmes qui entravent le développement en vue de mobiliser le secteur privé et de lever suffisamment de financements pour réaliser le développement. Ces pays doivent aussi créer d’autres conditions pour garantir des capitaux à long terme, a-t-elle ajouté: c’est la clef de l’inclusion financière, selon elle. La collaboration internationale est nécessaire pour assurer que les Africains aient accès au marché financier, a encore déclaré la Directrice générale. De plus, à son avis, les préoccupations liées au respect de la vie privée ne devraient pas empêcher de tirer parti des avantages de la technologie financière (fintech). Elle a enfin préconisé d’améliorer le commerce interafricain qui reste à un niveau insuffisant, ainsi que le financement des petites et moyennes entreprises et de l’entreprenariat féminin.
Dialogue interactif 1: Mettre les ressources publiques au service de sociétés plus équitables et durables, notamment en combattant les flux financiers illicites
Le dialogue a donné l’occasion aux dirigeants et experts de faire le procès du système financier international tout en suggérant des moyens d’améliorer le financement du développement durable.
C’est ainsi que le Premier Ministre de la Palestine, M. MOHAMMAD SHTAYEH, s’exprimant au nom du Groupe des 77 et de la Chine (G77), a estimé que, pour le financement du développement, les ressources mobilisées doivent être prioritairement orientées vers l’éradication de la pauvreté qui représente l’un des plus grands défis du monde. Le Premier Ministre a aussi identifié des obstacles au financement des objectifs de développement durable, comme les mesures économiques coercitives, y compris les sanctions unilatérales contre des pays en développement. Il a aussi jugé contre-productif de souligner l’importance de mobiliser des ressources nationales dans les pays en développement, sans essayer de combler les lacunes à l’échelle internationale qui empêchent ces pays de pouvoir bénéficier d’une bonne partie de leurs ressources.
C’est dans cette même optique que le représentant du Président du Nigéria a déploré le fait que les flux financiers illicites restent un obstacle au financement du développement national, malgré les efforts de son pays pour mobiliser les ressources domestiques. Ce sont ainsi 400 milliards de dollars qui pourraient servir au financement du développement chaque année si on luttait contre ces flux, a précisé M. KEVIN P. GALLAGHER, professeur à la Boston University. Mme SNEHA SHAH, de Refinitiv-Thomson Reuters, n’a pas dit le contraire en affirmant que « l’argent est bien là, mais il n’est pas là où il devrait être », puisque 86% des transactions financières seulement passent par les systèmes bancaires réguliers. « Pour le reste, le mystère reste entier. »
En attendant, « nos pays en développement sont dévastés à cause de ces flux financiers illicites », s’est révolté le Premier Ministre du Pakistan. M. IMRAN KHAN s’est de fait insurgé contre « les pays occidentaux qui manquent de volonté politique pour régler ce problème », puisque, a-t-il affirmé, ils en sont les principaux bénéficiaires. Il a accusé les dirigeants occidentaux de « vider les poches des pays les plus pauvres par des montages financiers qui continuent de marcher ». Il a rappelé que les fonds dédiés à l’APD ne représentent qu’« une goutte d’eau dans la mer » par rapport aux fonds qui partent des pays du Sud vers ceux du Nord. Il a ironisé en soulignant que s’il s’agissait de l’argent lié au trafic de stupéfiants ou du terrorisme, alors les pays développés réagiraient différemment. Pourquoi donc y a-t-il deux poids, deux mesures ? a-t-il lancé sous une pluie d’applaudissements.
À sa suite, le Ministre du développement international de la Norvège, M. DAG-INGE ULSTEIN, a également pris un ton dramatique pour relever que l’objectif de « ne laisser personne de côté » n’est pas une formule magique, mais plutôt un vœu qui nécessite des fonds pour le réaliser. Il s’est insurgé contre les secrets bancaires et la corruption qui sapent la confiance, alors même qu’il est connu de tous que mettre fin aux flux financiers illicites peut permettre de dégager des fonds pour financer le développement. C’est pourquoi le Ministre a suggéré de réinventer les institutions et les règles internationales, et, surtout, de « modifier notre posture morale » en mettant fin à ce système de secret bancaire et ce « contorsionnisme fiscal » qui apparaît comme un fardeau pour les pauvres. Selon M. Ulstein, « si la famille des Nations Unies adoptait cette posture morale, alors les flux financiers illicites tariraient et on aurait plus de transparence ». Êtes-vous prêts à prendre une telle posture? a-t-il lancé à l’assistance en concluant son propos.
La Belgique est déjà dans la lutte contre les flux financiers illicites, a retorqué le Vice-Premier Ministre de Belgique. M. ALEXANDER DE CROO a également assuré que son pays soutient un ensemble d’initiatives multilatérales de renforcement des systèmes fiscaux des pays en développement. Le Commissaire pour la coopération internationale et le développement de l’Union européenne, M. NEVEN MIMICA, a aussi plaidé pour une plus grande mobilisation des ressources nationales dans les pays en développement. C’est pourquoi l’Union européenne entend poursuivre la lutte contre les flux financiers illicites, tout en œuvrant à l’amélioration des systèmes fiscaux des pays en développement.
Parmi les mesures à changer, le Conseiller principal du Centre Sud, M. MANUEL MONTES, a évoqué des pratiques fiscales qui font que l’industrie extractive paye des impôts au lieu du siège des entreprises, dans les pays du Nord, alors que les ressources sont exploitées dans les pays en développement. À ce propos, Mme SVETLANA V. LUKASH, du Bureau du Président de la Fédération de Russie, a parlé des actions menées par son pays dans la zone eurasiatique dans le but d’étendre le projet BEPS (projet sur l’érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices) de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Il s’agit de lutter contre ces stratégies de planification fiscale qui exploitent les failles et les différences dans les règles fiscales en vue de faire « disparaître » des bénéfices à des fins fiscales ou de les transférer dans des pays ou territoires où l’entreprise n’exerce guère d’activité réelle.
Mme IRENE OVONJI-ODIDA, de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises, a pour sa part préconisé la réforme du système fiscal international par le biais d’une approche multilatérale, « car tout le monde est concerné », a-t-elle argué. En attendant, le Ministre des affaires étrangères des Bahamas, M. DARREN HENFIELD, a dit que le système fiscal de son pays avait été adapté pour mobiliser plus de ressources, étant donné que le pays est peu enclin aux emprunts du fait de son statut de pays à revenu intermédiaire. Lui emboitant le pas, le Ministre des affaires étrangères et de la mobilité humaine de l’Équateur, M. JOSE VALENCIA AMORES, a attiré l’attention sur la situation des pays à revenu intermédiaire qui ne peuvent accéder à des facilités de prêts comme les pays les moins avancés (PMA).
Le Premier Ministre du Tadjikistan, M. QOHIR RASULZODA, s’est félicité du fait que 43% des dépenses nationales soient désormais orientées vers le capital humain. Le Président du Tchad, M. IDRISS DEBY ITNO, a appelé à une remobilisation de la communauté internationale en faveur du Programme d’action d’Addis-Abeba. M. Deby Itno a aussi demandé que les pays développés respectent leurs engagements pris dans la capitale éthiopienne, et que ceux en développement renforcent leurs capacités fiscales.
C’est la volonté politique qui est cruciale, a estimé M. ZHAOXU MA, Vice-Ministre des affaires étrangères de la Chine, en énonçant l’une des conditions majeures d’amélioration du financement du développement. Selon lui, les pays développés devraient donc respecter leurs promesses en matière d’APD, tandis que les pays en développement doivent utiliser de manière optimale des fonds dédiés au développement pour améliorer les secteurs importants comme la santé, l’éducation ou encore les infrastructures, tout en se prémunissant des interférences étrangères dans leurs affaires intérieures. Il faut enfin renforcer le multilatéralisme et s’opposer à l’unilatéralisme, a préconisé le Vice-Ministre avant d’indiquer que la Chine avait toujours contribué au financement du développement en octroyant 400 milliards de yuan aux pays du Sud. Enfin, la Chine entend intégrer dans le Programme 2030 son initiative appelée « une ceinture, une Route ».
En fin de dialogue, Mme SARAH CLIFFE, Directrice du Centre international sur la coopération de New York University (NYU), l’animatrice de la session, a conclu le débat en suggérant aux pays en développement de mobiliser davantage de ressources nationales sans forcément attendre les résultats de la lutte contre les flux financiers illicites.
Dialogue interactif 2: Financer les objectifs de développement durable et la lutte contre les changements climatiques en dépit du fardeau de la dette
Reprenant l’idée qu’il faut une courbe ascendante de financement pour réaliser les ODD, le modérateur de cette discussion, M. MATTHEW BISHOP, Directeur principal de Bellagio & Fellows Program Global Policy and Advocacy, Fondation Rockfeller, s’est inquiété de la situation des pays qui traversent des périodes difficiles et qui ont donc un long chemin à parcourir. La Fondation Rockefeller est très dynamique dans le financement mixte, a-t-il indiqué avant de demander quelles politiques les pays et la communauté internationale pourraient prendre pour préserver et créer un espace fiscal tout en maintenant la viabilité de la dette.
Le Premier Ministre de Saint-Vincent-et-les Grenadines, M. RALPH E. GONSALVES, a tenu à dire, dès le début de ce segment, que le Dialogue de haut niveau sur le financement du développement était plutôt politique que technique. « Je suis Premier Ministre depuis 17 ans et j’ai entendu beaucoup de choses sur la façon de s’attaquer aux problèmes de la dette », mais « concrètement, rien ne se fait », a-t-il dénoncé. Bien sûr qu’il est difficile d’avoir accès à l’argent, a-t-il reconnu avant d’appeler à faire tout de même preuve de volonté politique pour financer et réaliser les objectifs de développement durable. Pour lui, le problème c’est que les pays développés ne respectent pas leurs engagements en matière de financement du développement.
Le Premier Ministre des Fidji, M. JOSAIA VOREQE BAINIMARAMA, a aussi imputé le problème de la dette au manque de contribution financière des pays développés qui ne respectent pas leurs engagements. Pour compenser cela, les pays en développement ont besoin de nouvelles idées et d’opportunités de collaboration pour les appliquer. Il a suggéré de recourir, par exemple, à des prêts à taux zéro pour les dettes climatiques. Au passage, le Premier Ministre a dénoncé les institutions financières internationales qui, à son avis, ont peur de prendre des risques pour financer le développement durable. Il faut des fonds concédés à des conditions favorables, surtout pour les pays qui sont sous la menace des risques de catastrophes, a plaidé M. Bainimarama.
Il faut accorder des moratoires pour les dettes des pays frappés par les catastrophes naturelles, a renchéri M. ERIC LECOMPTE, expert de Jubilee États-Unis Network, regrettant que les pays victimes de ces catastrophes soient obligés de payer leurs dettes et leurs intérêts alors qu’ils ont besoin de cet argent pour leur reconstruction. Il a plaidé pour la mise en œuvre du Programme d’action d’Addis-Abeba et pour la restructuration des dettes des pays qui connaissent un fort endettement. Il faut également des lois pour lutter contre les fonds vautours et les paradis fiscaux, a-t-il recommandé. Si on y arrive, on dégagera quelque 12 000 milliards de dollars pour financer le développement, pour créer des millions d’emplois et pour éviter le décès de millions d’enfants, a-t-il promis.
Il faut investir dans les infrastructures et dans les énergies renouvelables pour parvenir à une viabilité à long terme, a recommandé, pour sa part, le Ministre des affaires étrangères du Timor-Leste, M. DIONISIO DA COSTA BABO SOARES, pour qui la soutenabilité de la dette est une responsabilité commune.
L’Irlande a créé un fonds pour bâtir la résilience climatique dans les petits États insulaires en développement, a déclaré M. CIARAN CANNON, Ministre d’État aux affaires étrangères de l’Irlande, qui a réitéré l’engagement de son pays à appliquer l’Accord de Paris sur le climat de 2015. Le Gouvernement irlandais vient de lancer un plan pour interdire les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030, a-t-il signalé en prévoyant zéro émission nette d’ici à 2050.
Attention, la crise de la dette est là pour durer, a prévenu Mme GITA GOPINATH, économiste en chef au Fonds monétaire international (FMI), en soulignant la nécessité d’une meilleure gestion des dépenses publiques, en particulier des dettes. Elle a appelé les bailleurs de fonds à jouer leur rôle, tandis que le FMI a lancé des programmes d’aide aux gouvernements pour qu’ils améliorent la mobilisation des ressources et la coopération fiscale. Pour ce qui est de l’octroi des crédits, le FMI travaille à ce que les grandes normes soient respectées et que les contrats tiennent compte de la vulnérabilité des économies.
Beaucoup de pays ne sont pas en mesure de rembourser leurs dettes, a confirmé Mme REBECCA GRYNSPAN, Secrétaire générale de l’association des pays ibéro-américains, observant que la pratique du taux zéro est courante actuellement sur les grands marchés financiers. Mais comment faire pour que les pays en développement puissent en bénéficier pour investir dans les infrastructures, notamment? Elle a invité à soutenir les idées avancées par les PEID, surtout ceux qui sortent d’une catégorie de pays et courent le risque d’être surclassés dans une catégorie qui ne tient pas compte de leur vulnérabilité.
Après avoir plaidé en faveur de l’investissement bleu, ou économie bleue, M. BABA MOUSSA, Directeur général de l’Institut ouest-africain pour la gestion financière et économique, a estimé qu’il fallait se concentrer plus sur la capacité de gérer les dettes et moins sur le remboursement des dettes. Les pays à faible revenu doivent renforcer leurs capacités dans ce domaine, a-t-il dit. Relevant que les prêts responsables ne sont pas suffisants, il a conseillé de recourir aussi aux placements de fonds ou aux investissements responsables. Les institutions financières internationales doivent revoir leurs conditions de prêts pour les pays en développement, a-t-il en outre demandé, tandis que le secteur privé doit jouer son rôle dans ces pays pour fournir des assurances et des garanties face aux catastrophes naturelles.
Le Premier Ministre de la Barbade a dénoncé la diminution des possibilités d’emprunt pour les pays à revenu intermédiaire comme le sien où l’économie n’est pas suffisamment diversifiée. Il a demandé des critères plus souples d’accès aux crédits pour son pays. Mais le Premier Ministre de Cabo Verde, M. JOSÉ ULISSES CORREIRA E SILVA, qui a demandé la mise en place d’un mécanisme d’adaptation pour répondre aux catastrophes extrêmes, a estimé que la résilience climatique ne devait pas être financée par l’endettement surtout dans les pays à revenu intermédiaire. De même, Mme FRANCINE BARON, Ministre des affaires étrangères de Dominique, a estimé que les investissements dans les infrastructures ne peuvent être financés par les dettes dans les pays à faible revenu comme les PEID. La Ministre a plaidé pour la création d’un instrument de financement du développement durable pour les PEID.
M. GASTON ALPHONSO BROWNE, Premier Ministre d’Antigua-et-Barbuda, a dénoncé le fait que son pays est victime de l’utilisation de l’énergie fossile par les grands pays qui provoquent le changement climatique et les catastrophes naturelles. Les pays industrialisés doivent assumer leur responsabilité en acceptant d’accorder des financements tenant compte de la vulnérabilité des pays. « Ceux qui ont créé la crise climatique doivent soutenir ceux qui en sont victimes aujourd’hui », a lancé le Premier Ministre. Quant à M. DANNY FAURE, Président des Seychelles, il a proposé de suivre une nouvelle approche pour répondre aux sous-investissements des objectifs de développement durable, une approche qui attire des bailleurs de fonds « tous azimuts ».
Enfin, Mme EMANUELA CLAUDIA DEL REI, Vice-Ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale d’Italie, s’est enorgueillie de financer, depuis 12 ans, à hauteur de 46 millions d’euros, 72 projets de résilience climatique dans les PEID.
Dialogue interactif 3: Redéployer l’argent pour combler le fossé financier de l’action climatique et des objectifs de développement durable
L’expert ouvrant ce segment, M. THARMAN SHANMUGARATNAM, Ministre hors classe de Singapour et Président du Groupe des personnalités éminentes du G20 sur la gouvernance financière mondiale, s’est inquiété que le secteur de la finance mondiale ne ressente pas assez l’urgence climatique: « les changements sont urgents et nécessaires, la décennie à venir sera critique ». Pour lui, les réformes ne sont pas si radicales ou extraordinaires; elles sont tout à fait faisables. Mais elles nécessitent beaucoup de coordination. Le Ministre a résumé les trois mesures à prendre, selon lui: mobiliser les financements privés, susciter de bons rendements et reverdir la finance. Vu le niveau quasi-insoutenable de dette de certains pays, il a appelé chaque pays à combler les déficits et à éliminer les fuites, au niveau national. « C’est aux gouvernements d’agir », a-t-il prévenu. « Il s’agit aussi de diversifier les risques pour attirer les investisseurs institutionnels. »
M. JULIUS MAADA BIO, Président de la Sierra Leone, a appelé à agir davantage pour rassurer les investisseurs en leur envoyant les bons signaux via des réformes structurelles et institutionnelles. Le plus important, selon le Chef d’État, est de surmonter les entraves aux structures numériques. Dans cet esprit, la Sierra Leone a donné la priorité aux technologies de l’information et de la communication (TIC) et, parmi elles, aux chaînes de blocs favorisant l’inclusion financière grâce au protocole de Kiva, mis en place en partenariat avec l’ONU. La Directrice exécutive de Kiva, Mme JULIA HANNA, a d’ailleurs présenté les progrès concrets obtenus grâce aux chaînes de blocs pour atteindre les populations les plus vulnérables de Sierra Leone et leur permettre d’ouvrir un premier compte en banque. Sous des applaudissements nourris, elle a invité les dirigeants présents à utiliser la technologie des chaînes de blocs pour accélérer l’accès au financement des populations rurales et vulnérables. Mme MONICA JUMA, Ministre des affaires étrangères du Kenya, a abondé dans ce sens en vantant, elle aussi, les bienfaits des TIC sur l’économie: une grande majorité des Kényans a accès aux services de financement grâce aux TIC, ce qui contribue à la mise en œuvre des objectifs de développement durable, a-t-elle signalé. « Une percée sans précédent », a assuré la Ministre.
M. MATTHEW RYCROFT, dirigeant du Département du développement international du Royaume-Uni, a imaginé un « mouvement » rassemblant investisseurs, consommateurs, banques et organisations internationales pour aller dans la bonne direction, tandis que M. FRANK ELDERSON, Directeur exécutif de la supervision de la Banque des Pays-Bas, a pointé le rôle décisif des banques centrales et multilatérales dans le processus: « avec d’énormes pouvoirs viennent d’énormes responsabilités ». La nécessité de mobiliser le capital mondial a été aussi soulignée par M. AKINWUMI ADESINA, Président de la Banque africaine de développement: « avec 113 000 milliards de dollars d’actifs, il faut travailler ensemble pour mobiliser tous ces fonds. N’ayons pas peur que l’argent ne soit pas là, car il est là, il faut seulement savoir comment l’utiliser. »
La modératrice de ce débat, Mme GILLIAN TETT, Présidente du Directoire de l’édition américaine du Financial Times, a alors donné la parole à deux personnes « représentant, justement, énormément de capital ». Mme ANNE FINUCANE, Vice-Présidente et Directrice exécutive de Bank of America, qui a indiqué que la banque avait contribué au financement des objectifs de développement durable dans le domaine de l’environnement grâce à des conditions de faveur pour des produits comme les obligations vertes ». Commercialement, ça fonctionne et on a pu le prouver », a-t-elle assuré.
« Vous avez beaucoup, beaucoup d’argent, et vous avez des objectifs à long terme. Pourtant, rien ne se fait. » Que faut-il faire pour que les choses se passent? a alors demandé la modératrice à M. MARK WISEMAN, Président du fonds d’investissements Blackrock Alternative Investors. « Il s’agit de protéger les investissements », a-t-il répondu, « et d’investir dans des projets à faible impact carbone dans les pays en développement ». M. Wiseman a expliqué que l’argent circule et que les possibilités existent. « Vous verrez plus d’argent et plus de capital privé », a-t-il prédit en soulignant l’importance de la notion d’échelle. Il a aussi relevé que combiner les projets permet aux investisseurs institutionnels de se diversifier. Si l’on peut, bien sûr, accepter certains risques, l’investisseur doit payer dans sa propre devise, a-t-il dit en invitant à régler le problème de la fluctuation des devises. Aucun de ces problèmes n’est insurmontable, a-t-il assuré. Selon lui, les conditions actuelles sont parfaites pour diversifier les portefeuilles. Il a réitéré que, à son avis, on verra plus de capital circuler dans le futur.
« Le problème est que le carbone est trop bon marché », a pointé, quant à lui, le Directeur adjoint du Fonds monétaire international (FMI), M. DAVID LIPTON. Les taxes carbones sont le moyen le plus efficace de progresser, a-t-il assuré, à condition d’établir un prix correct: 75 dollars la tonne, selon l’expert. « Cette taxe doit être appliquée de manière équitable », a-t-il recommandé avant de suggérer de répartir les recettes fiscales de manière harmonieuse afin de redistribuer vers les plus affectés. Le Premier Ministre de la Jamaïque, M. ANDREW HOLNESS, a lui aussi appelé à établir un prix juste du carbone. Mais « la répartition des financements pour la lutte contre les changements climatiques est à revoir », selon lui: il faut faire davantage pour l’adaptation des pays en développement particulièrement sous tension et endettés, car le système actuel de reclassement dans d’autres catégories limite leur développement. Les pays développés devraient davantage s’engager, selon lui, parce que « les pays en développement n’auront jamais les ressources pour lutter ». M. JUSUF KALLA, Vice-Président de l’Indonésie, a abondé dans ce sens.
M. MAURICE TULLOCH, Président-Directeur général d’Aviva Assurances, a comparé les efforts à fournir à ceux du « Plan Marshall », en biens supérieurs. « Nous devons procéder à un classement des entreprises selon leur durabilité, orienter les subventions vers les bons domaines, notamment dans les énergies propres. » M. MICHAL SABIA, Président-Directeur général de la Caisse des dépôts et de placement du Québec, a souligné qu’il n’y avait pas de solution magique à un problème si complexe mais a suggéré de changer de cadre. Il faut, selon lui, ajuster l’utilisation de capitaux privés pour les diriger vers le développement des infrastructures dans les pays en développement.
« Tout le monde s’accorde à dire que des milliards de dollars sont mal investis, que des techniques peuvent être utilisées plus intelligemment et que les financements mixtes sont opportuns pour rééchelonner les projets. Une coopération et une direction claires sont plus que jamais nécessaires, a conclu la modératrice.
Annonces et nouvelles initiatives
Le modérateur, de ce segment consacré aux annonces et nouvelles initiatives, M. LOUIS ALFONSO DE ALBA, Envoyé spécial du Secrétaire général pour le Sommet sur le climat de 2019, a invité les délégations à faire part de leurs initiatives en vue de mobiliser les ressources.
Le Premier Ministre de Sainte-Lucie, M. ALLEN CHASTANET, a ainsi annoncé que Sainte-Lucie serait le premier pays à s’associer avec le Forum économique mondial sur une initiative dénommée « Country Financing Roadmap ». Il a aussi déclaré que son pays, ainsi que d’autres États membres de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), était encouragé par l’engagement pris par le Secrétaire général de faire progresser la proposition d’échange de dette climatique de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC).
Le Ministre de l’économie de la Malaisie, M. MOHAMED AZMIN ALI, a annoncé la création d’un modèle de financement novateur à long terme, avec la Banque islamique d’investissement, pour financer un programme de lutte contre le choléra dans les pays membres de l’Organisation de la conférence islamique (OCI). Des obligations islamiques seront lancées pour financer le « One Wash Program », une campagne d’assainissement et d’hygiène publique.
Le Ministre du développement et de la coopération internationale de Suède, M. PETER ERIKSSON, a précisé que son gouvernement entendait axer son intervention future sur les envois des fonds par les migrants dans leurs pays d’origine.
Le Ministre du commerce et du développement de la coopération du Danemark, M. RASMUS PREHN, a souligné que depuis 40 ans, le Danemark respectait l’obligation de consacrer 0,7% de son PIB à l’APD. Le Gouvernement danois compte aussi solliciter le secteur privé dans le cadre d’un fonds de développement du secteur privé qui devrait être capable de mobiliser 4,5 milliards de dollars.
Le Secrétaire aux affaires étrangères du Mexique, M. MARCELO EBRARD, a annoncé l’augmentation de 15% de sa coopération avec les pays voisins dont l’objectif est d’obtenir des résultats concrets à court terme, en termes de développement. Le Ministre a invité la communauté internationale à financer ce genre de coopération « en fonction des capacités de chaque pays ».
Le Ministre des affaires et de la coopération internationale du Maroc, M. NASSER BOURITA, a parlé du processus de réforme de l’action publique qui doit bénéficier à la population et de l’Initiative « Triple A » visant à adapter l’agriculture africaine et l’environnement. Le Maroc s’efforce aussi de promouvoir le commerce entre le pays et le reste du continent africain.
Le Ministre des affaires étrangères et européennes du Luxembourg, M. JEAN ASSELBORN, a insisté sur la nécessité d’aller au-delà de l’APD. C’est pourquoi le Luxembourg entend consacrer 1% de son PIB à l’APD au lieu de 0,7%. À cela s’ajoute l’action climatique que le Luxembourg finance à hauteur de 200 millions d’euros jusqu’en 2021.
Le Ministre du commerce extérieur et du développement de la coopération de Finlande, M. VILLE SKINNARI, a souligné le rôle de la Coalition des ministres des finances pour l’action climatique. Quarante pays sont actuellement membres de cette initiative depuis février 2019. Grâce à la Coalisation, les gouvernements reçoivent des outils pour élaborer des politiques fiscales qui incluent des mesures relatives au climat. Ces politiques doivent permettre d’ouvrir des canaux financiers qui draineront le financement pour l’action climatique.
Le Sous-Secrétaire d’État des États-Unis pour la croissance économique, l’énergie et l’environnement, M. KEITH KRACH, a déclaré que l’engagement de son pays en faveur du développement international est inscrit dans la stratégie de sécurité nationale du Président Donald Trump. Il a mis en avant deux initiatives de sa délégation, la première étant le programme « Mobiliser les investisseurs institutionnels au service du développement », financé par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), qui vise à combler le déficit en investissements nécessaires à l’Afrique pour atteindre ses objectifs de développement durable. La deuxième est le « Development Finance Corporation », dans le cadre duquel les États-Unis renforcent leur capacité de mobilisation et facilitent la participation des capitaux du secteur privé sur les marchés émergents. « Notre modèle consiste à promouvoir la libre entreprise qui favorise l'autonomie plutôt que les prêts prédateurs ou la dépendance vis-à-vis de la dette », a-t-il expliqué.
La Ministre d’État pour le bien-être et le bonheur des États arabes unis, Mme OHOOD AL ROUMI, a défendu l’utilisation du financement privé et des partenariats pour réaliser le développement durable. Dans le domaine de l’énergie renouvelable, les partenariats avoisinent le milliard de dollars, a-t-il souligné.
Le Directeur général de l’Agence de développement et de coopération de la Suisse, M. MANUEL SAGER, a axé son intervention sur l’importance de l’accès à l’eau potable dans les pays partenaires du sien: le but est de désamorcer les tensions causées par la rareté de l’eau.
La représentante de la France a dit que son gouvernement vise à atteindre un objectif de 0,5% du PIB consacré à l’APD d’ici à 2025. Elle a donné une liste d’initiatives menées par son pays avec différents partenaires en vue notamment de recueillir des données sur les flux financiers de développement, y compris les financements privés.
M. AMAR BHATTACHARYA, membre du Groupe technique chargé de mobiliser 100 milliards de dollars par an jusqu’en 2020, a annoncé les résultats préliminaires d’une étude que le Groupe a mené sur la nécessité d’aligner le niveau de financement sur celui requis par l’Accord de Paris. Il a annoncé la tenue, en 2020 d’un sommet mondial des banques qui réunira quelque 500 institutions financières dans le monde.
M. RAMY RIOUX, Directeur de l’International Development Finance Club, a décrété que si les fonds publics existent pour réaliser les objectifs de développement durable, il faut consacrer 150 milliards de dollars pour le climat et 150 milliards autres pour le développement durable. Le Club, a-t-il ajouté, peut jouer un rôle de catalyseur pour aider à trouver 20 000 milliards de dollars pour les objectifs de développement durable.
Mme BARBARA ZVAN, Présidente d’Investor Leadership Network, a souligné l’importance de la transparence pour les investisseurs privés en particulier dans l’action pour le climat. C’est le même avis exprimé par Mme STEPHANIE VON FRIEDEBURG, Présidente d’International Finance Corporation, qui a prôné la transparence pour motiver les investisseurs privés qui gèrent des milliards de dollars. Une partie de cet argent peut être consacrée aux objectifs de développement durable, a-t-elle remarqué.
Mme ANNE-MARIE LEVESQUE, Présidente de 2X CHALLENGE, a indiqué avoir mobilisé 2 milliards de dollars pour le développement durable depuis le lancement de cette initiative. L’investissement ira en particulier à l’entreprenariat féminin.
Mme LISE KINGO, Directrice exécutive du Pacte mondial des Nations Unies, a annoncé le lancement d’un instrument financier visant à financer la décarbonisation complète d’ici à 2050. Quelque 1,5 milliard de dollars sont déjà réunis grâce à la mobilisation d’une entreprise américaine pour cette initiative.
M. RICHARD CURTIS, Avocat des objectifs de développement durable et réalisateur, a déclaré qu’il mène une campagne pour mobiliser le monde de la finance sur la question du développement durable et pour sensibiliser l’opinion publique sur le fait qu’elle a le droit de connaître l’utilisation faite de l’argent public et privé, en particulier les pensions de retraite des travailleurs.
M. GERBRAND HAVERKAMP, Directeur exécutif de Global Benchmark Alliance, a dit qu’il lancera une campagne sur l’importance des TIC pour mobiliser le financement des ODD. Quelque 2 000 entreprises seront invitées très bientôt pour participer à cette initiative.
Mme MARIA RAMOS, Secrétaire générale de l’Équipe chargée du financement numérique, a signalé le creusement du fossé numérique d’où la nécessité d’un fort engagement pour le combler.
Mme DOMINIQUE SOURIS, Directrice exécutive de Youth Climate Lab, a demandé des investissements pour l’inclusion des jeunes. Vous avez des milliards de dollars pour les armements, donc vous devez avoir des millions pour les jeunes, a-t-elle lancé aux gouvernements en faisant appel aux promesses que ces derniers ont faites.
Mme GENEVIEVE JIVA, Coordonnatrice de Pacific Island Climate Action Network, a demandé plus de volonté politique et appelé à surmonter les obstacles de l’accès au financement pour les jeunes.
Déclarations de clôture
M. MARC-ANDRÉ BLANCHARD, (Canada), Président du Groupe des Amis du financement du développement, s’est félicité du fait que ce Groupe, qui était au début une plateforme de discussion entre ambassadeurs, est désormais au cœur de la recherche de financements pour la mise en œuvre des objectifs de développement durable. Il est possible, à son avis, de « mettre ensemble les capitaux et le développement durable ». Pour cela, les Nations Unies doivent être en première ligne car c’est la seule tribune pouvant permettre un tel débat et faire changer les choses, a dit M. Blanchard. Il a également fait part de sa fierté d’avoir été, avec la représentante du Ghana, cofacilitateurs du Dialogue de haut niveau de ce jour. Il a expliqué que leur but initial était d’avoir, à défaut d’un document final, au moins des engagements et promesses qui, s’est-il félicité, ont été nombreux à être présentés au cours du dialogue.
La Vice-Secrétaire générale de l’ONU, Mme AMINA J. MOHAMMED, a estimé que la coopération multilatérale était la seule solution à tous les défis de notre temps. Mais il faut travailler dur pour permettre que le multilatéralisme apporte un développement durable bénéficiant à tous, a-t-elle suggéré, ajoutant qu’il faut un niveau significatif d’investissement public et privé pour réaliser cette vision. Elle a déclaré que les pays les plus vulnérables tels que les PEID doivent être au centre des efforts. Mme Mohammed a également rappelé que les gouvernements ne peuvent réaliser les ODD à eux seuls, le secteur privé ayant un rôle important à jouer pour combler le manque de fonds. Les gouvernements devraient, de leur côté, instaurer un environnement favorable aux investissements sur le long terme.
Mme Mohammed a relevé que les efforts nationaux de mobilisation de capitaux doivent aller de pair avec les efforts mondiaux pour lutter contre les flux financiers illicites, puisque les paradis fiscaux coûtent entre 500 et 600 milliards de dollars par an en termes de perte fiscale. Sachant que 200 milliards de ces fonds concernent les pays en développement, soit plus que les 150 milliards de dollars qu’ils reçoivent par an dans le cadre de l’APD, les gouvernements doivent donc faire davantage pour lutter contre ce fléau et œuvrer au rapatriement des fonds, tout en traduisant les responsables en justice. La Vice-Secrétaire générale a promis que l’ONU allait poursuivre son travail d’accompagnement des pays dans la recherche des financements. « J’en ai fait une priorité en ma qualité de Présidente du Groupe des Nations Unies pour le développement durable », a-t-elle rappelé.
Mme MONA JUUL, Présidente du Conseil économique et social (ECOSOC), a rappelé que le financement du développement était une priorité absolue de son mandat. Elle a dit avoir entendu des actions concrètes de la part des États Membres. Certains ont aligné toutes leurs ressources sur le programme des ODD, a-t-elle souligné, tandis que d’autres réforment leur régime fiscal pour élargir l’espace fiscal et développer une fiscalité plus progressive et respectueuse des genres. Mais, a-t-elle insisté, pour récolter les bénéfices de ces politiques, les actions globales et urgentes sont attendues de tous.
Mme Juul a identifié quatre secteurs où il faut agir en priorité : les flux financiers illicites, qui érodent la confiance et augmentent les inégalités ; la fiscalité, qui doit devenir juste et équitable pour être un pilier du développement financier ; le rôle de la communauté internationale dans le changement systémique des marchés financiers et des affaires ; enfin, à mesure que les vulnérabilités face à la dette augmentent, Mme Juul a recommandé de mettre les promesses à exécution en matière de prêts et d’emprunts responsables, pour éviter de prochaines crises de la dette.
M. TIJJANI MUHAMMAD-BANDE, Président de l’Assemblée générale, a conclu les débats en louant les recommandations pratiques accouchées lors du Dialogue. « Le financement public reste la base du financement du développement », mais « l’échelle demeure un défi », c’est pourquoi le secteur privé jouera un rôle essentiel, selon lui.
Revoir à la hausse certains projets internationaux demeure certes une tâche difficile, mais le défi est à relever ensemble, a-t-il recommandé. La soutenabilité de la dette et la réforme fiscale pour les pays en développement seront là aussi des éléments cruciaux, a-t-il pointé, en soulignant aussi la nécessité d’une bonne gouvernance, en toute transparence, essentielle pour forger « l’avenir que nous voulons », selon la formule consacrée. Partisan d’une politique de long terme, M. Muhammad-Bande voit dans la lutte contre les flux financiers illicites un potentiel immense pour combler les déficits de financement des pays en développement. « Les investisseurs doivent pourvoir financer le développement durable. Nous voulons que les peuples aient confiance dans le système de gouvernance internationale », a-t-il conclu.