La Commission du développement social examine les défis posés par le vieillissement et le handicap à l’heure où l’on cherche à atteindre les objectifs de développement durable
Pour la troisième journée de travaux de sa cinquante-sixième session, la Commission du développement social a fait le point, au cours de deux tables rondes, sur la mise en œuvre du Plan d’action international de Madrid sur le vieillissement ainsi que sur les moyens à déployer pour intégrer la question du handicap dans la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Ce débat a été l’occasion pour plusieurs délégations d’appeler à la tenue, en 2020, d’une nouvelle assemblée mondiale sur le vieillissement.
Dans un monde où le nombre de personnes âgées devrait doubler, tripler ou quadrupler d’ici à 2050, selon les pays, les experts venus éclairer la discussion n’ont eu de cesse de souligner l’importance pour les gouvernements de se préparer à cet important changement démographique. Il leur faut dès maintenant adopter des politiques et prendre des mesures pour permettre aux personnes âgées de demeurer actives le plus longtemps possible et de vivre une vie digne, exempte de violences et de maltraitances.
La question des ressources, en particulier des pensions de retraites, a occupé une large part des débats, certains jugeant impérative la participation des personnes âgées au marché du travail le plus longtemps possible, en raison des contributions qu’elles peuvent y apporter et des revenus qu’elles peuvent en retirer.
« On ne doit pas considérer les populations vieillissantes comme un fardeau, mais reconnaître leur potentiel pour l’économie et le développement durable », a ainsi insisté le Ministre du travail, de la solidarité et de la sécurité sociale du Portugal, M. José António Vieira Da Silva, qui a déploré la vision à court terme du monde des entreprises.
Pour d’autres délégations, l’activité professionnelle des personnes âgées s’impose en raison du fait que, dans certains pays, le système de pension ne suffit pas et pèse trop sur la population active. « Pour de nombreuses personnes âgées, la retraite n’est tout simplement pas envisageable », a déploré un panéliste.
La dépendance financière de nombreuses personnes âgées a par ailleurs mis en évidence leur grande vulnérabilité en général. Certains se sont inquiétés du risque de violences commises par ceux qui les considèrent comme un fardeau, tandis que d’autres ont dénoncé les pratiques prédatrices de certains conseillers financiers, mais aussi de proches qui réussissent à s’approprier les biens d’un membre âgé de leur famille grâce à une procuration.
La situation des femmes âgées a également été soulevée, ces dernières pâtissant, selon les régions du monde, d’un faible niveau d’éducation et de l’absence de droits, comme le droit à la propriété.
Parmi les autres défis identifiés aujourd’hui, il faut citer le manque de reconnaissance de la gériatrie comme spécialité médicale, la difficile prise en charge de personnes atteintes de démence et l’absence de ressources financières et humaines adéquates. Plusieurs délégations ont en effet reconnu qu’il n’y avait pas eu suffisamment d’efforts en pratique pour mettre en œuvre le Plan d’action de Madrid, le premier programme mondial dans ce domaine. Ce plan, adopté en 2002, avait pourtant marqué un tournant dans la prise en compte au niveau mondial de ce défi majeur qu’est le vieillissement de la population.
Dans l’après-midi, les délégations se sont penchées sur la question du handicap, en discutant de l’intégration du handicap dans la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Délégations et panélistes se sont inquiétés du fait que, malgré les efforts de la communauté internationale, les politiques et stratégies nationales de développement ne parviennent toujours pas à prendre pleinement en compte les besoins, inquiétudes et perspectives des personnes handicapées.
Plusieurs intervenants ont mis l’accent sur l’importance de la collecte de statistiques ventilées par handicap, regrettant par ailleurs que, pendant longtemps, le manque de méthodologie valable ait servi d’excuse pour retarder les efforts à consentir en faveur des droits des personnes handicapées.
Des défis ont également été identifiés pour ce qui est des différences de développement de la statistique selon les pays, du manque d’expertise pour analyser les données et des différences sur la manière dont est mesuré le handicap, selon les pays et, pour un même pays, dans le temps.
Parmi les suggestions faites, la Présidente de la Fédération chinoise des personnes handicapées, Mme Zhang Haidi, a proposé de créer un système d’évaluation du développement durable des personnes handicapées, ainsi qu’une « organisation mondiale du handicap » au sein des Nations Unies.
La Commission du développement social poursuivra ses travaux demain, jeudi 1er février, à partir de 10 heures, avec la reprise de son débat général.
SUITE DONNÉE AU SOMMET MONDIAL POUR LE DÉVELOPPEMENT SOCIAL ET À LA VINGT-QUATRIÈME SESSION EXTRAORDINAIRE DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
Examen des plans et programmes d’action concernant la situation de certains groupes sociaux élaborés par des organismes des Nations Unies
Table ronde de haut niveau sur le thème « Troisième cycle d’examen et d’évaluation du Plan d’action international de Madrid de 2002 sur le vieillissement » (E/CN.5/2018/4)
« Nous vieillissons tous et nous voulons tous vieillir dans un monde décent. » C’est en ces termes que la modératrice de la table ronde, Mme SYLVIA BEALES, consultante sur le développement social inclusif, a lancé cette matinée de discussions sur la question du vieillissement.
Le nombre de personne âgées dans la région Amérique latine et Caraïbes devrait doubler d’ici à 2030 et ces personnes constitueront 30% de la population dans les décennies suivantes, a indiqué d’emblée M. HÉCTOR CARDENAS, Ministre de l’action sociale du Paraguay. C’est pourquoi les pays de la région, caractérisée par la présence de nombreux emplois informels et une couverture sociale faible, voire inexistante, ont lancé de nombreuses initiatives à l’intention des personnes âgées, notamment en matière de prévention de la violence et de prise en charge des personnes atteintes de maladie mentale, comme Alzheimer, a-t-il signalé.
Le Ministre a présenté les résultats de la quatrième Conférence intergouvernementale régionale sur le vieillissement et les droits des personnes âgées tenue à Asunción, du 27 au 30 juin 2017, qui a été marquée par l’adoption de la Déclaration d’Asunción sur l’établissement de sociétés sans exclusive. Ce texte, a-t-il dit, appelle les gouvernements à intégrer de manière transversale la question du vieillissement en mettant en place des politiques qui tiennent compte de l’inégalité entre les sexes et qui combattent la violence et l’abandon. L’accent est mis, également, sur la collecte de données ventilées, l’élaboration de programmes de soins et de prévention des différentes formes de démence, ainsi que sur les services palliatifs.
En ce qui concerne l’Europe, M. JOSÉ ANTÓNIO VIEIRA DA SILVA, Ministre du travail, de la solidarité et de la sécurité sociale du Portugal, a présenté les résultats de la Quatrième Commission de la conférence ministérielle sur le vieillissement en Europe, qui s’est tenue les 21 et 22 septembre 2016 à Lisbonne, qui a été l’occasion de souligner l’importance de reconnaître le potentiel et la capacité à travailler des personnes âgées, et de garantir leur dignité. Il a indiqué que la mise en œuvre du Plan d’action de Madrid s’est effectuée dans un contexte d’incertitude économique qui a conduit plusieurs pays à réduire leurs dépenses sociales. En outre, a-t-il ajouté, la population vieillit rapidement en Europe où les taux de fécondité sont faibles. Face aux nouveaux risques qui se profilent, il a réclamé de nouvelles mesures et a appelé à changer d’état d’esprit pour dissiper les stéréotypes. « On ne doit pas considérer les populations vieillissantes comme un fardeau, mais reconnaître leur potentiel pour l’économie et le développement durable », a-t-il insisté.
Aussi les ministres se sont-ils engagés, à Lisbonne, à utiliser les possibilités qu’offre une vie plus longue, en autonomisant les individus, en promouvant une image positive du vieillissement et en permettant aux personnes âgées de participer plus longtemps au marché du travail et à la société. Par la Déclaration de Lisbonne, les pays se sont aussi engagés à créer des services de recherche d’emploi adapté à tous, inciter au recrutement et proposer des programmes de formation tout au long de la vie. Le Ministre a ajouté qu’il fallait inciter à repousser le départ à la retraite et fournir des services pour assurer une bonne qualité de vie et la dignité. Il faut des soins de qualité et des programmes communautaires adaptés aux personnes âgées, en relevant notamment les défis de la démence et de l’isolation sociale, a-t-il ajouté.
À son tour, Mme SHIRIN SHARMIN CHAUDHARY, membre du Parlement du Bangladesh, a fait le point sur l’action menée par les pays membres de la Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique (CESAP) pour faire face au défi du vieillissement. Elle a appelé à élaborer des stratégies pour permettre aux personnes âges de contribuer au développement durable, précisant que dans son pays le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans devrait être multiplié par 3 d’ici à 2050. « Le Bangladesh est donc en train de se transformer d’une société vieillissante en une société âgée. » La plupart des pays d’Asie-Pacifique, a-t-elle indiqué, se sont dotés d’un plan d’action pour gérer le vieillissement et de lois spécifiques aux personnes âgées. Ainsi, le Bangladesh a adopté une politique nationale en 2013, le Myanmar un plan d’action en 2014 et le Népal un même plan en 2017, « autant de mesures qui démontrent que les pays à faible revenu sont de plus en plus conscients du problème que pose le vieillissement », selon la Ministre.
En outre, de nombreux pays de la région ont adopté des mesures et lancé des initiatives pour permettre aux personnes âgées d’être actives sur le marché du travail, a-t-elle poursuivi. Le Bangladesh œuvre de surcroît pour augmenter le nombre de retraites dans le pays, tandis que d’autres pays ont élargi les systèmes de soins à l’intention des personnes âgées. Outre la promotion d’une image positive du vieillissement, Mme Chaudhary a jugé nécessaire de combattre la violence à l’égard de personnes âgées, d’assurer leur dignité et de renforcer l’attachement filial.
Pour ce qui concerne l’Afrique, M. LAZAROUS KAPAMBWE, Représentant permanent de la Zambie, a expliqué que bien qu’elle soit souvent décrite comme un « continent jeune », sa structure démographique connaît une modification spectaculaire, la part des personnes âgées devant passer de 4,9% en 2015 à 7,6% en 2050. La situation est très contrastée selon les pays, a-t-il ajouté: les personnes de plus de 60 ans représentant plus de 15% de la population à Maurice et dans l’île de la Réunion, 11% aux Seychelles, et 8% en Afrique du Sud, mais moins de 4% de la population totale en Angola, au Burkina Faso ou encore en Gambie.
Depuis 2012, davantage de gouvernements africains ont élaboré des politiques sur le vieillissement, mais de nombreux défis existent, à commencer par une connaissance insuffisante des droits des personnes âgées et une faible couverture sanitaire. Le panéliste a aussi pointé le manque de personnel spécialisé, le faible soutien des organisations internationales et le manque de ressources budgétaires. En outre, seul un tiers des pays africains disposent de données facilement accessibles sur le vieillissement, ce qui restreint les possibilités d’analyse de qualité. Il a aussi déploré l’absence de programmes pour assurer la formation continue des personnes âgées, notamment dans le domaine des technologies de l’information et des communications (TIC).
Autres difficultés rencontrées en Afrique, moins d’une personne sur cinq touche une retraite et aucune mesure n’existe pour aider les personnes âgées handicapées. Seul un petit nombre de pays ont adopté des programmes de promotion du vieillissement et aucune mesure n’existe pour lutter contre la maltraitance de personnes âgées ou promouvoir une image positive du vieillissement.
M. Kapambwe a ensuite fait le point sur les mesures adoptées en Zambie où l’âge de la retraite est passé de 55 à 65 ans. Une politique nationale sur le vieillissement a été élaborée pour fournir des soins aux personnes de plus de 60 ans, a-t-il aussi indiqué avant d’appeler à une meilleure coopération entre les ministères et à déployer les ressources et le personnel nécessaires.
Pour la dernière région examinée, l’Asie occidentale, le docteur ABLA SIBAI, Présidente du Département d’épidémiologie et de la santé de la population de l’Université américaine de Beyrouth et Cofondatrice du Centre d’études sur le vieillissement du Liban, a fait le point sur la situation du vieillissement dans les pays membres de la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (CESAO), précisant que le nombre de personnes âgées dans la région devrait être multiplié par 4 d’ici à 2050 et atteindre 85 millions. Elle a fait état d’une augmentation des maladies chroniques dégénératives, se préoccupant également du déclin des structures familiales élargies. En outre, les conflits que connaît la région, en République arabe syrienne notamment, provoquent des vagues de migration de jeunes, qui laissent derrière eux de nombreuses personnes âgées.
Les personnes âgées, en particulier les femmes, pâtissent également d’un faible niveau d’éducation, comme c’est le cas au Yémen où le taux d’analphabétisme chez les femmes âgées peut atteindre 80%. En outre, de nombreuses personnes âgées travaillent jusqu’à un âge avancé, en raison du manque de programmes de protection sociale. Pour de nombreuses personnes âgées, la retraite n’est tout simplement pas envisageable, a déploré le Docteur Sibai.
En outre, la région connaît les débuts d’une transition épidémiologique, caractérisée par des taux importants de maladies transmissibles et nontransmissibles, comme le diabète et l’obésité, qui touchent de nombreuses femmes des pays du Golfe. Comme autre obstacle, elle a mentionné le nombre très limité de pays de la région qui considèrent la gériatrie comme une spécialité médicale. Dans la région, a-t-elle poursuivi, la famille demeure le principal pilier des politiques de vieillissement, ainsi que le principal filet de sécurité. D’un autre côté, outre les modifications apportées à la configuration familiale multigénérationnelle, la maltraitance des personnes âgées est souvent gardée par le secret familial.
Enfin la panéliste a déploré l’écart entre l’adoption de politiques et leur mise en œuvre, dénonçant le manque de ressources, une faible coordination au niveau ministériel et l’absence de données ventilées. À ses yeux, la question du vieillissement exige une réponse régionale.
Débat avec les délégations
De nombreuses délégations ont profité de l’échange avec les panélistes pour présenter les mesures lancées au niveau national afin de mettre en œuvre le Plan d’action de Madrid et appeler, à l’instar de la représentante de l’Afrique du Sud, à la promotion d’une image positive du vieillissement.
Les représentants de l’Argentine, de l’Indonésie, du Kenya, de l’Iran et du Brésil ont fait un large tour d’horizon des politiques qu’ils ont ainsi adoptées. La déléguée du Costa Rica a donné des précisions sur ce que fait son gouvernement face aux problèmes de l’abandon des personnes âgées et des cas de démence.
La question des ressources, en particulier des retraites, a occupé une large part des discussions, le représentant de la Russie estimant qu’on ne parviendrait pas à régler la question des personnes âgées avec le seul système de pension, car celui-ci pèse énormément sur la population active. Il a plutôt jugé utile d’inciter les personnes âgées à rester actives sur le marché du travail, ce qui implique de promouvoir leur accès à l’information et à la formation.
« Quelles incitations fournir aux entreprises pour les inciter à recruter des personnes âgées, et comment rendre la retraite moins attrayante? » a alors demandé le représentant du Japon qui a fait observer que certaines personnes sont contraintes de prendre leur retraite pour s’occuper d’un parent âgé. Ces commentaires ont conduit le Ministre du Portugal à déplorer la vision à court terme des entreprises et appeler à redoubler d’efforts pour assurer la durabilité des systèmes de retraite. La parlementaire du Bangladesh a proposé d’envisager de donner des incitations financières aux employeurs.
Également préoccupée par la promotion d’une vie indépendante pour les personnes du troisième âge, la représentante de la Finlande a jugé nécessaire d’établir des partenariats et de trouver de nouveaux instruments technologiques pour appuyer les professionnels et les personnes âgées. Comme autre élément de solution, le représentant de HelpAge International a invité à réfléchir aux moyens de verser des allocations sociales à toutes les personnes âgées du monde.
La dépendance financière de nombreuses personnes âgées a mis en évidence leur grande vulnérabilité en général. Le délégué du Guatemala s’est notamment inquiété du risque de violences commises par ceux qui les considèrent comme un fardeau. Son homologue de la Namibie a dénoncé les pratiques prédatrices de certains conseillers financiers qui incitent les personnes âgées qui n’ont plus toutes leurs facultés à investir leur épargne dans des plans à risques élevés. De tels prédateurs existent également au sein même des familles, a réagi la représentante de la République dominicaine, citant une multitude de cas où, munie d’une procuration acquise de manière douteuse, une personne aurait réussi à voler les épargnes, le logement ou un terrain appartenant à un membre âgé de sa famille.
Pour sa part, le représentant de la France a regretté l’absence de moyens pour la mise en œuvre du Plan d’action de Madrid, faisant remarquer que si les plans paraissent « parfaits sur le papier », ils sont trop peu souvent mis en pratique.
Il faut relier les plans nationaux de développement aux plans de défense des droits de l’homme, a conseillé le représentant du Paraguay. Ces droits, par exemple, ne sont pas tous respectés pour les femmes âgées vivant en zone rurale au Radjasthan, ces dernières n’ayant aucun droit à la propriété, a signalé le représentant d’une ONG. Plusieurs délégations, à l’instar du Guatemala et du Costa Rica, ont donc appelé à l’élaboration d’un instrument juridique contraignant pour garantir les droits inaliénables des personnes âgées.
« Ne devrait-on pas envisager de tenir, en 2020, une nouvelle assemblée mondiale sur le vieillissement? » a lancé pour finir la représentante de l’Autriche, fortement appuyée par le Président de l’Association internationale de gérontologie et de gériatrie. Cette assemblée devrait même être envisagée comme le débouché des travaux de cette session, a renchéri le panéliste de la Zambie, tandis que la Présidente du Département d’épidémiologie et de la santé de la population de l’Université américaine de Beyrouth a fait observer que sa tenue permettrait d’assurer la mise en conformité des objectifs de développement durable.
Table ronde de haut niveau sur le thème « En vue de l’instauration d’un développement durable, résilient et partagé: une approche fondée sur des preuves pour la prise en compte systématique de la question du handicap dans la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation du Programme 2030 » (E/C.2/2018/1)
La table ronde, qui avait pour objet de discuter des problèmes liés à la prise en compte du handicap dans le contexte du développement durable et du renforcement de la résilience de chacun, a été largement consacrée à la question de la collecte des données relatives au handicap, mettant en lumière certaines différences de vues entre les intervenants.
Comme l’a rappelé le Président de séance, M. BRUNO RIOS, Vice-Président de la Commission du développement social, malgré les efforts de la communauté internationale et de ses États Membres, les politiques et stratégies nationales de développement ne parviennent toujours pas à prendre pleinement en compte les besoins, inquiétudes et perspectives des personnes handicapées et ce, bien que la question du handicap soit abordée dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030 à la fois de manière transversale et dans le cadre de cibles spécifiques de plusieurs objectifs liés à l’éducation, la croissance économique, l’emploi ou encore les établissements humains.
Une des difficultés vient de ce que les données relatives aux personnes handicapées restent encore trop limitées dans de nombreux pays, malgré d’évidents progrès puisque quelque 120 États et régions collectent aujourd’hui des statistiques sur le handicap, alors qu’ils n’étaient que 19 dans les années 1970. Pour sa part, le Département des affaires économiques et sociales produit un rapport sur le handicap et le développement à la demande de l’Assemblée générale.
Mme ZHANG HAIDI, Présidente de la Fédération chinoise des personnes handicapées, elle-même paralysée depuis l’âge de 5 ans, a mis en avant le rôle de chef de file de la Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique pour mettre en place des sociétés intégrant pleinement le handicap. Elle a ensuite détaillé les efforts consentis par la Chine en faveur des quelque 85 millions de personnes handicapées que compte le pays. Avant toute chose, il faut savoir qui sont les personnes handicapées, où et comment elles vivent et quelles sont leurs besoins, a-t-elle remarqué avant de mentionner à cet égard les grandes enquêtes menées à partir de 2015. Celles-ci ont permis de recueillir des informations sur plus de 33 millions de personnes officiellement enregistrées en Chine comme handicapées, a-t-elle précisé en soulignant que le plus grave problème dont souffrent les citoyens chinois handicapés est la pauvreté.
Mme Zhang a proposé la création d’un système d’évaluation du développement durable des personnes handicapées, ainsi qu’une augmentation de la coopération et des échanges internationaux dans ce domaine, en suggérant que la Commission du développement social crée un forum du développement durable pour les personnes handicapées et que les Nations Unies créent une « organisation mondiale du handicap ».
Celle qui, aux Nations Unies, est spécialement chargée de ces questions, Mme CATALINA DEVANDAS AGUILAR, Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées, a surtout mis l’accent sur l’importance de la collecte de statistiques ventilées par handicap dans le cadre du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Mme Aguilar a rappelé que l’Article 31 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées – à laquelle sont parties 174 États Membres ainsi que l’Union européenne - exige que les États parties collectent de telles données afin de leur permettre de définir et mettre en œuvre des politiques de promotion des droits de ces personnes. Elle a estimé que, pendant longtemps, le manque de méthodologie valable avait servi d’excuse pour retarder les efforts à consentir en faveur des droits des personnes handicapées.
Cette situation a changé, a indiqué la Rapporteuse spéciale en citant la méthode qui a fait ses preuves au cours des 10 dernières années: celle dite du Groupe de Washington sur les statistiques relatives au handicap, élaborée en 2001 par la Commission de la statistique des Nations Unies. Cette méthode est basée sur six questions et fait l’objet d’un large consensus. Elle peut être intégrée facilement et à peu de frais dans le cadre des collectes nationales de statistiques, comme le font déjà plus de 80 pays, a précisé Mme Aguilar, qui a aussi fait observer que plusieurs commissions régionales des Nations Unies et le Comité des personnes handicapées avaient recommandé cette méthode pour assurer le suivi de la Convention.
La Rapporteuse spéciale a dénoncé les attitudes dilatoires des entités responsables, qui retardent l’adoption de cette méthode au motif qu’il en existe d’autres, même si elles n’ont pas été testées, sont beaucoup plus lourdes et plus coûteuses. Mme Aguilar a donc plaidé pour que les méthodologies en matière de statistiques ventilées par handicap aux fins du suivi de la réalisation des objectifs de développement durable soient adoptées une fois pour toute. En l’absence de recommandation de la part de la Division de la statistique de l’ONU, cette charge incombe actuellement à la Commission de la statistique du Groupe d’experts interagences sur les indicateurs, a-t-elle rappelé, en estimant que la prochaine session de la Commission de la statistique des Nations Unies offrait une occasion unique d’avancer enfin sur cette question.
La question de l’inclusion du handicap a ensuite été abordée sous le chapitre de l’action humanitaire. Mme MARY CROCK, professeur de droit public à la faculté de droit de l’Université de Sydney, s’est penchée sur ce problème, en particulier dans le cadre des déplacements de populations. Les personnes handicapées déplacées à l’intérieur de leur pays ont tendance à être oubliées, à devenir invisibles, a observé Mme Crock, qui a rappelé qu’il était très important, là encore, de collecter des données sur le handicap. En effet, dans toute société, il existe des personnes qui, pour des raisons diverses, dissimulent leur handicap ou celui de leurs proches. Or, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), toute population compte jusqu’à 15% de personnes handicapées, qui, lorsqu’elles sont contraintes au déplacement, le font souvent dans des conditions très difficiles et en souffrant.
Si Mme Crock s’est félicitée qu’on inclue de plus en plus la question du handicap dans les questions humanitaires, elle a regretté les barrières qui existent encore entre de nombreuses organisations, qu’il s’agisse des agences de l’ONU ou d’ONG nationales ou internationales, ainsi qu’entre les acteurs du développement et les intervenants humanitaires. Elle a en outre apporté son soutien aux propositions de Mmes Aguilar et Zhang, notamment pour la création d’une « organisation internationale du handicap ».
Après les différentes remarques des experts précédents sur l’importance cruciale des statistiques relatives aux questions de handicap et sur les lacunes dans ce domaine, Mme MARGARET MBOGONI, statisticienne senior à la Division de la statistique du Département des affaires économiques et sociales, est venu apporter un éclaircissement en tant que spécialiste de la question. Elle a rappelé que, d’un point de vue statistique, il existe une grande diversité de situations nationales, du fait des différences de développement de la statistique. C’est la raison principale pour laquelle, après être restée pendant plusieurs années sans programme de statistique sur le handicap, la Division de la statistique des Nations Unies s’est lancée dans un tel programme, a-t-elle expliqué. Elle a indiqué que les collectes de données s’étaient fortement accrues depuis le début du millénaire, mais a précisé qu’il restait d’importantes différences entre régions ou pays sur la manière dont sont collectées les données, ainsi que sur les sources utilisées. En outre, de nombreux pays souffrent du manque d’expertise pour analyser les données sur le handicap, a fait observer Mme Mbogoni. Enfin, il existe des différences sur la manière dont est mesuré le handicap, selon les pays et, pour un même pays, dans le temps.
M. Mbogoni a également expliqué que les lignes directrices et principes sur le développement de statistique sur le handicap, mis au point par sa division, étaient en cours de révision. Elle a expliqué que les outils du Groupe de Washington et de l’OMS –ICF International Classification of Functioning, Disability and Health- seraient tous deux inclus car ils sont complémentaires.
Cette remarque a suscité des réactions. La Vice-Présidente du Costa Rica s’est dite préoccupée de voir se rouvrir le débat sur l’opportunité des méthodes de collecte des données relatives au handicap. Elle s’est notamment interrogée sur le bien-fondé de l’utilisation de la méthode ICF de l’OMS et sa quarantaine de questions, tandis que les représentants de la République dominicaine et du Soudan souhaitaient obtenir l’avis des experts sur les différentes méthodes.
Ce à quoi Mme Mbogoni a répondu que la méthode de l’OMS était destinée plus à des études qu’à des recensements. Elle a invité à ne pas perdre de vue les nombreux objectifs pour lesquels la collecte de données sur le handicap est nécessaire, qui vont selon elle beaucoup plus loin que la simple ventilation des données. Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 reconnaît l’existence de modèles, démarches et approches différentes pour réaliser le développement durable, a encore rappelé Mme Mbogoni, qui a confirmé que la prochaine réunion de la Commission de la statistique des Nations Unies, en mars prochain, traitera de la question des statistiques relatives au handicap pour la première fois depuis l’adoption des objectifs de développement durable.
Mais si elle a jugé elle aussi important d’aller au-delà de la ventilation des données, ne serait-ce que pour avoir aussi des informations pour des politiques à long terme, Mme Aguilar a rappelé que la ventilation était essentielle pour disposer d’informations sur les personnes handicapées dans n’importe quel type d’études. Or, on ne peut inclure 41 questions d’un coup dans n’importe quelle étude, a fait observer la Rapporteuse spéciale, qui a invité les États à faire attention à ce débat lors de la prochaine réunion de la Commission de la statistique.
Parmi les différentes interventions de la salle, la représentante du Kenya a expliqué que les recensements nationaux du pays, dont le prochain aura lieu en 2018, collectent des informations sur le handicap, mais elle a aussi reconnu qu’il fallait améliorer cette collecte et a rappelé que les services statistiques des Nations Unies devaient continuer de renforcer les capacités nationales des États pour ce faire. Pour sa part, le représentant de la Namibie a expliqué que son pays disposait de statistiques sur le handicap temporaire et le handicap permanent mais s’est interrogé sur la dimension sociale du handicap. La représentante de la Roumanie a, d’ailleurs, rappelé la corrélation entre le handicap, le faible niveau de formation et la pauvreté.
La représentante de l’Argentine, pays qui a adopté en 2017 un plan national du handicap, a insisté sur le rôle clef que doit jouer la Convention relative aux droits des personnes handicapées dans la réalisation du Programme 2030. En outre, les représentants du Guatemala, de l’Indonésie, de l’Afrique du Sud, de l’Union européenne et du Nigéria, ont expliqué les mesures prises sur le plan national en faveur de l’intégration des personnes handicapées dans le cadre de l’application de ladite Convention et de la réalisation des objectifs de développement durable. Le représentant du Soudan s’est par ailleurs montré très intéressé par l’idée d’une « agence ou organisation internationale du handicap ». Les représentants de Cuba, du Mexique, du Bureau des Nations Unies pour la prévention des catastrophes et de l’ONG Panthères vertes ont également pris la parole.
En conclusion, le Vice-Président de la Commission du développement social a souhaité que les préoccupations exprimées lors de la présente table ronde soient transmises aux membres de la Commission de la statistique.