Nouvelle passe d’armes au Conseil de sécurité entre la Fédération de Russie et les pays occidentaux à propos de la situation humanitaire en Syrie
Une nouvelle séance du Conseil de sécurité consacrée à la situation humanitaire en Syrie a été l’occasion, cet après-midi, de nouveaux échanges vigoureux entre la Fédération de Russie, les États-Unis et le Royaume-Uni, tandis que le représentant de la France présentait un nouveau projet de résolution proposant « une approche globale et intégrée » destinée à « recréer un espace diplomatique sur le dossier syrien ».
Convoquée à la demande de la Fédération de Russie qui souhaitait notamment parler de la situation à Raqqa, ville libérée par les forces de la coalition occidentale, et dans le camp de Roukban, proche d’une base militaire implantée en Syrie par les Américains, la séance a aussi été l’occasion pour le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, M. Mark Lowcock, de décrire un accès toujours limité à Afrin et dans la Ghouta orientale, en violation de la résolution 2401 (2018), qui demande une cessation des hostilités d’au moins 30 jours consécutifs pour acheminer une aide humanitaire dans le pays.
« Plutôt que de les voir appliquer la résolution 2401 (2018), nous avons vu les parties s’engager dans une intense activité militaire avec un coût humain considérable », a déploré M. Lowcock, qui a ensuite rappelé que la population de Raqqa et de Roukban représentait « seulement 1% » de la population syrienne ayant besoin d’une aide, tout en soulignant qu’il est crucial de pourvoir à leurs besoins.
Depuis que Daech a été chassé de Raqqa, près de 100 000 personnes sont revenues dans la ville, a déclaré le Coordonnateur des secours d’urgence, qui a ensuite expliqué que la présence de restes explosifs de guerre entravait les retours et provoquait une cinquantaine de morts chaque semaine. Il a précisé qu’après une évaluation conduite sur place le 1er avril, les agences onusiennes planifiaient l’acheminement d’aide dans la ville.
Quant à Roukban, environ 50 000 personnes y ont besoin d’une aide humanitaire, a poursuivi le Secrétaire général adjoint. Il a ajouté que, si des ressources en eau et en soins de santé sont apportées par la Jordanie, l’aide doit encore être améliorée. « Les agences humanitaires coopèrent avec la Russie, les États-Unis et le Croissant-Rouge arabe syrien pour l’acheminer », a-t-il dit.
M. Lowcock a ensuite abordé la situation à Douma et dans les autres zones de la Ghouta orientale. Rappelant qu’elles étaient sous le contrôle du Gouvernement syrien, il a affirmé qu’aucune aide n’avait pu être livrée, alors que « l’accès dans la Ghouta orientale est crucial ». Il a, par ailleurs, fait état de livraisons de nourriture et articles de santé, facilitées par la Turquie, dans la région d’Afrin, occupée par ce pays. Malgré ces points positifs, les agences humanitaires éprouvent des difficultés à accéder à Afrin, a-t-il fait observer.
Indiquant que les autorités syriennes avaient autorisé, le 11 avril, le déploiement de 12 membres supplémentaires du personnel de l’ONU, sur les 17 demandés, le Coordonnateur des secours d’urgence a de nouveau insisté sur l’importance d’un renforcement de la réponse humanitaire internationale.
Le représentant de la Fédération de Russie a, lui aussi, dressé un large tableau de la situation, en mettant l’accent sur les « efforts sans précédent » déployés par son pays en coordination avec le Gouvernement syrien pour améliorer la situation dans la Gouta orientale, d’où, « après des négociations longues et tendues », les groupes armés « ont été évacués », ce qui a « évité un bain de sang ». Il s’est en outre félicité que « près de 60 000 personnes » aient pu regagner la région.
Il a en revanche dénoncé une « situation catastrophique » à Raqqa, où, a-t-il affirmé, la reconstruction n’a pas commencé et que les populations ont regagnée « dans la peur », avant d’ajouter que la ville n’avait reçu d’aide que très récemment, à la suite de pressions notamment de son pays. Il a aussi parlé de « protestations contre l’occupation américaine qui n’est pas vue d’un bon œil par la population locale ». Le représentant a par ailleurs décrit le camp de déplacés de Roukban comme « une zone grise qui viole la souveraineté syrienne ». « Veuillez nous dire comment vous mettez en œuvre la résolution 2401 (2018) », a ensuite demandé le représentant en s’adressant aux représentants des pays occidentaux, dont il a dénoncé « l’hypocrisie ».
La Russie ne fait que chercher « à nous détourner des atrocités commises par le régime d’Assad », a répliqué la représentante des États-Unis, qui lui a reproché « d’attirer notre attention sur une zone où le régime ne bombarde pas les civils », alors que les combats et les frappes aériennes se poursuivent ailleurs dans le pays. Affirmant que « les interventions de la coalition » s’étaient faites « dans le respect des règles de la guerre visant à minimiser les victimes civiles, notamment à Raqqa », elle a ajouté que les convois humanitaires des Nations Unies étaient les bienvenus dans cette ville, de même qu’à Roukban ». De même, la représentante du Royaume-Uni a accusé « certains intervenants » d’« utiliser la situation humanitaire pour soulever des questions politiques ».
C’est un autre aspect de la situation humanitaire que les Pays-Bas ont dénoncé, faisant état de violences sexuelles envers les femmes, d’un manque de services dans les camps recevant les évacués de la Ghouta orientale, ainsi que de mauvaises conditions d’évacuation médicales vers Edleb, « pas du tout le genre d’évacuations médicales préconisé dans la résolution 2401 ».
Alors que la totalité des membres du Conseil soulignaient la nécessité d’une solution politique, la France a présenté les grandes lignes du nouveau projet de résolution qu’elle porte avec le soutien du Royaume-Uni et des États-Unis.
« À rebours des silos » dans lesquels les précédents textes s’enfermaient, le représentant français a défendu « une approche globale et intégrée » visant, par une « approche constructive » et un « dialogue serein », à « recréer un espace diplomatique sur le dossier syrien ». Le projet, a-t-il expliqué, vise à obtenir des progrès essentiels en matière humanitaire, à recréer un mécanisme d’attribution des responsabilités dans l’emploi d’armes chimiques « pour mettre un terme définitif au programme d’arme chimique syrien » et « la tenue de négociations politiques concluantes, sous l’égide de l’ONU » et conformément à la résolution 2254 (2016).
LA SITUATION AU MOYEN-ORIENT
Déclarations
M. MARK LOWCOCK, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, a déploré que, « plutôt que de les voir appliquer la résolution 2401 (2018), nous avons vu les parties s’engager dans une intense activité militaire avec un coût humain considérable ».
S’agissant de Raqqa et de Roukban, la population de ces endroits représente seulement 1% de la population syrienne ayant besoin d’une aide, a affirmé M. Lowcock, tout en soulignant qu’il était crucial de pourvoir à leurs besoins. Le Secrétaire général adjoint a indiqué que, depuis que Daech a été chassé de Raqqa, près de 100 000 personnes sont revenues dans la ville. Mais la présence d’engins non explosés et de restes explosifs de guerre entrave les retours, a-t-il expliqué, en indiquant que 50 personnes meurent chaque semaine en raison de ces vestiges de guerre et « qu’entre 70% et 80% des immeubles de la ville sont détruits ou endommagés ». Il a mentionné qu’au moins 37 boulangeries étaient ouvertes et que les services de santé étaient très limités. Près de 95% des familles revenues à Raqqa sont en insécurité alimentaire, a poursuivi M. Lowcock. Il a ajouté qu’après une évaluation conduite sur place le 1er avril, les agences onusiennes planifient l’acheminement de l’aide dans la ville.
À Roukban, environ 50 000 personnes ont besoin d’une aide humanitaire, a précisé le Coordonnateur des secours d’urgence. Des ressources en eau et en soins de santé sont apportées par la Jordanie mais l’aide doit encore être améliorée, a-t-il ajouté. Il a pris note de l’approbation, par le Gouvernement syrien, d’un convoi onusien prévu pour se rendre à Roukban depuis Damas. Les agences humanitaires coopèrent avec la Russie, les États-Unis et le Croissant-Rouge arabe syrien pour acheminer l’aide, dans la mesure où les conditions actuelles de sécurité ne permettent des mouvements que dans une zone située à 10 kilomètres de Roukban.
Douma et les autres zones de la Ghouta orientale sont sous le contrôle du Gouvernement, a déclaré M. Lowcock, ajoutant qu’aucune aide n’avait pu être livrée. L’accès à la Ghouta orientale est crucial, a affirmé le Secrétaire général adjoint, qui a indiqué que l’ONU et ses partenaires répondaient aux besoins des 155 000 personnes déplacées de cette zone. Environ 63 000 d’entre elles se sont rendues dans le nord, à Alep et Edleb, rejoignant ainsi près de 400 000 personnes déplacées du sud d’Edleb depuis le 15 décembre. Le Secrétaire général adjoint a mentionné une augmentation de 25% de la population d’Edleb, cette situation extrême et la poursuite des combats rendant difficile l’acheminement de l’aide.
Les personnes qui demeurent à Afrin ont besoin d’une aide et devraient pouvoir circuler librement, a poursuivi M. Lowcock. Il a noté qu’entre le 2 et le 4 avril, de la nourriture et des articles de santé avaient pu être livrés dans le district d’Afrin, facilités par la Turquie. Près de 50 000 personnes ont reçu une aide à Tell Rifaat. Malgré ces développements positifs, les agences humanitaires éprouvent des difficultés à accéder à Afrin, a néanmoins déploré le Secrétaire général adjoint. Il a mentionné la requête soumise aux autorités syriennes pour intensifier la capacité opérationnelle de l’Organisation en Syrie. Le déploiement, pour quatre semaines, de 12 membres du personnel de l’ONU, sur les 17 demandés, a été autorisé le 11 avril, a-t-il précisé.
Évoquant la conférence de Bruxelles qui aura lieu les 24 et 25 avril, le Secrétaire général adjoint a indiqué que l’appel humanitaire pour la Syrie n’était à ce jour financé qu’à hauteur de 15%. « Je ne saurais souligner davantage encore l’importance de soutenir et de renforcer la réponse internationale en Syrie », a conclu M. Lowcock.
M. VASSILY A. NEBENZIA (Fédération de Russie) a fait savoir que, dans le cadre de la résolution 2401 (2018) du Conseil de sécurité, la Russie, en coordination avec le Gouvernement syrien, avait déployé des efforts sans précédent pour améliorer la situation dans la Gouta orientale, d’où, « après des négociations longues et tendues » les groupes armés « ont été évacués », ce qui a « évité un bain de sang », s’est-il félicité, avant de préciser que « près de 60 000 personnes ont pu regagner la région. « Nous discutons du relèvement des infrastructures, rétablissons l’approvisionnement en eau et en électricité, fournissons du pain et une assistance ciblée », a-t-il ensuite assuré.
M. Nebenzia a fait état d’une « situation catastrophique » à Raqqa. Depuis qu’elle en a chassé l’État islamique, la coalition a presque occupé ce territoire, a-t-il affirmé. Or, a-t-il poursuivi, la reconstruction n’a pas commencé et les populations ont regagné cette région « dans la peur » et avec de nombreux risques. « Personne ne sait ce qu’il se passe véritablement à Raqqa », a affirmé le représentant: la ville est en ruines et ces ruines recouvrent des « montagnes de cadavres », alors que « chaque jour, des personnes sont victimes des mines » laissées par les combattants de Daech. Affirmant que personne n’avait pris de mesures pour apporter une aide aux populations, il a affirmé que ce n’était que récemment, « suite à des pressions » de son pays notamment, que l’ONU avait pu venir constater la situation. Il a dénoncé une « véritable incompétence » du conseil local mis en place, qu’il a accusé de n’avoir commencé à agir qu’il y a un mois environ. Il a aussi noté qu’il y avait eu « des protestations contre l’occupation américaine qui n’est pas vue d’un bon œil par la population locale ».
Le camp de déplacés de Roukban, qui se trouve à proximité de la base militaire américaine de Tanf, « laquelle est en soi une violation de la souveraineté territoriale de la Syrie » et « une autre zone grise qui viole la souveraineté syrienne », a poursuivi M. Nebenzia. Ces questions, a-t-il insisté doivent être au cœur de l’attention des acteurs humanitaires de l’ONU.
« Veuillez nous dire comment vous mettez en œuvre la résolution 2401 (2018) », a ensuite demandé le représentant en s’adressant aux représentants des pays occidentaux. « Il faut avoir l’audace de répondre à nos questions », a-t-il ajouté, se disant frappé par l’hypocrisie des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France. « Cette troïka doit s’acquitter de ses responsabilités », a-t-il martelé. Il a réitéré la position de principe de la Russie, à savoir qu’il faut mettre en œuvre la résolution 2254 (2016) du Conseil et revenir aux négociations de Genève sans conditions préalables. « S’il s’agit d’utiliser les bombes pour contraindre le Président syrien à participer aux négociations, cette tâche ne peut pas être réalisée; nous ne pouvons pas nous faire d’illusions », a lancé M. Nebenzia.
« Vous devez reconstruire la situation que vous avez vous-mêmes détruite », a continué le représentant. De plus, l’opposition doit se lancer sur la voie de la mise en œuvre de la résolution 2254 (2016), et ses appuis doivent mettre fin à la rhétorique belliqueuse à l’encontre d’un président élu. « On a l’impression que c’est la Russie qui doit changer de position suite aux frappes du 14 avril et à la menace de Washington d’imposer de nouvelles sanctions », s’est étonné M. Nebenzia.
Or, « nous avons également des plans pour la Syrie », a rappelé le représentant, qui a répété qu’il n’y avait « pas de solution militaire au conflit syrien ». Il a appelé à mettre fin à toutes les tentatives pour créer de nouvelles réalités en Syrie et saper sa souveraineté et son intégrité territoriale, et à renoncer à toute tentative de changement de pouvoir par la force. Il a également demandé que les États qui ont une véritable influence se lancent sur la voie de la coopération internationale pour lutter contre le terrorisme. Enfin, il a exigé que la communauté internationale renonce à manipuler la question humanitaire à des fins politiques et que l’opposition mette fin à ses provocations à l’arme chimique.
M. BADER ABDULLAH N. M. ALMUNAYEKH (Koweït) a déploré la non-application de la résolution 2401 (2018) et souligné la nécessité d’un accès humanitaire en Syrie. « Les attaques contre les civils doivent cesser », a-t-il affirmé. « Frustré » de cette non-application, le représentant a exhorté les acteurs ayant de l’influence en Syrie à agir pour y remédier. Il a dénoncé les obstacles entravant l’acheminement de l’aide et encouragé les autorités syriennes à y remédier. Il a demandé la finalisation des plans humanitaires pour Raqqa, avant de demander un accès humanitaire pérenne au camp de réfugiés à Roukban. Enfin, le représentant du Koweït a exhorté les donateurs à se montrer généreux lors de la prochaine conférence de Bruxelles.
M. CARL ORRENIUS SKAU (Suède) a déploré que la résolution 2401 (2018) n’ait pas été mise en œuvre à ce jour, appelant à accroître les efforts pour sa pleine application partout en Syrie. Il a demandé aux acteurs du processus d’Astana de respecter leurs engagements en ce sens. Il a aussi rappelé à toutes les parties leurs obligations en vertu du droit international humanitaire et des droits de l’homme.
Se disant gravement préoccupé par le sort des civils qui restent à Douma, le représentant a lancé un appel aux autorités syriennes pour qu’elles envoient les lettres d’autorisation nécessaires pour laisser entrer les convois humanitaires sans plus tarder. M. Orrenius Skau s’est aussi désolé des obstacles de plus en plus nombreux qui empêchent l’ONU d’accéder aux civils fuyant la Ghouta orientale. « Nous appelons les autorités syriennes à faciliter immédiatement l’accès du personnel de l’ONU aux camps de déplacés et à accorder des visas au personnel du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), a-t-il dit, exigeant en outre que les évacuations, de la Ghouta orientale notamment, se fassent de manière volontaire et plaidant aussi pour une présence renforcée de l’ONU pour assurer la protection de la population.
En ce qui concerne la situation à Raqqa, M. Orrenius Skau s’est félicité de l’organisation de l’assistance humanitaire mais s’est inquiété du danger que représentent les engins explosifs improvisés, qui font de nombreuses victimes. S’agissant de la situation des civils à Roukban, il a plaidé pour un accès humanitaire et pour que soit trouvée une solution à long terme. De même, le représentant s’est inquiété de la situation humanitaire à Edleb, vu le nombre de déplacés qui s’accroît à un rythme rapide. Enfin, il a exprimé ses préoccupations au sujet des 140 000 déplacés d’Afrin et a appelé les autorités syriennes à garantir la liberté de mouvement aux personnes ayant besoin de soins médicaux, avant de demander à la Turquie de permettre le retour dans la dignité des personnes qui ont été obligées de fuir. Enfin, le représentant a lancé un appel à financer de manière suffisante l’aide humanitaire en Syrie et à trouver une solution politique au conflit.
Mme KELLEY A. ECKELS-CURRIE (États-Unis) a assuré qu’en dépit des difficultés, les opérations de la coalition pour faire reculer l’État islamique avaient été couronnées de succès. Les interventions de la coalition se sont faites dans le respect des règles de la guerre visant à minimiser les victimes civiles, notamment à Raqqa, où les convois humanitaires des Nations Unies sont les bienvenus, de même qu’à Roukban, a ajouté la représentante. Les forces de la coalition agissent pour appuyer les efforts humanitaires et évaluer la situation sur le terrain, a-t-elle poursuivi.
Le retrait des engins explosifs improvisés et restes explosifs de guerre à Raqqa est une priorité, a reconnu Mme Eckels-Currie. Quelque 3 000 engins ont ainsi été retirés et des infrastructures critiques ont été déminées. « Cette tâche n’est pas simple mais fondamentale pour garantir le retour des personnes », a-t-elle ajouté. De plus, « nous aidons les écoles, les cliniques et l’approvisionnement en eau et électricité ».
« Mais nous ne sommes pas ici pour parler des efforts de la coalition », a lancé Mme Eckels-Currie, qui a accusé la Russie de chercher « à nous détourner des atrocités commises par le régime d’Assad ». La Russie « attire notre attention sur une zone où le régime ne bombarde pas les civils », alors que les combats et les frappes aériennes se poursuivent au nord-est, a affirmé la représentante, qui a déploré que, malgré les appels du Conseil de sécurité pour que soit assuré un accès humanitaire sans entrave, les autorités syriennes n’aient autorisé que six convois transfrontières.
« Nous avons besoin plus que jamais de nous concentrer sur le cessez-le-feu demandé par le Conseil », a souligné Mme Eckels-Currie, qui a averti: « Le représentant de la Russie peut demander autant de réunions qu’il le souhaite, nous ne baisserons pas les bras. »
Pour M. FRANÇOIS DELATTRE (France), « depuis des mois, la situation sur le terrain en Syrie relève du cauchemar ». Depuis le 18 février, au moins 1 800 personnes ont été tuées, a-t-il indiqué, ajoutant que 151 000 personnes avaient fui la Ghouta orientale depuis le 9 mars et que l’accès aux populations restées dans cette zone demeurait entravé. La situation à Raqqa représente un défi considérable, a-t-il ensuite reconnu, tout en soulignant quelques signaux positifs comme la réouverture des écoles. Il a mentionné le déblocage par la France de 10 millions d’euros fin 2017 pour financer les efforts de déminage dans la ville et a réitéré son appel à garantir un accès humanitaire rapide, sûr et sans entrave dans l’ensemble du territoire syrien.
Le représentant a ensuite plaidé pour le projet de résolution transmis par son pays, le Royaume-Uni et les États-Unis et en cours de discussion. « À rebours des silos » dans lesquels les précédents textes s’enfermaient, le représentant a défendu « une approche globale et intégrée » qui permette aux membres du Conseil de « se réunir autour d’objectifs partagés » dans le cadre d’une « approche constructive » et d’un « dialogue serein », afin de « recréer un espace diplomatique sur le dossier syrien ».
Le projet de la France vise à obtenir des progrès essentiels en matière humanitaire, à recréer un mécanisme d’attribution des responsabilités dans l’emploi d’armes chimiques « pour mettre un terme définitif au programme d’arme chimique syrien » et « la tenue de négociations politiques concluantes, sous l’égide de l’ONU » et conformément à la résolution 2254 (2016).
En conclusion, M. Delattre a exhorté les membres du Conseil à répondre concrètement à cet appel. « Nous devons dépasser nos divergences pour enfin converger vers des solutions utiles aux Syriens, qui désespèrent », a-t-il conclu.
Mme KAREN PIERCE (Royaume-Uni) a commencé par demander au Secrétariat des informations sur les retards enregistrés par la Mission d’établissement des faits de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) à Douma. Elle a aussi regretté que « certains intervenants utilisent la situation humanitaire pour soulever des questions politiques ».
En vertu de la résolution 2401 (2018), a-t-elle ensuite précisé, le Royaume-Uni a alloué en 160 millions de dollars en 2017 à l’appel humanitaire pour la Syrie, et 138 millions en 2018. Le Royaume-Uni figure ainsi parmi les trois principaux donateurs du plan humanitaire. Avec 3,5 milliards de dollars déboursés à ce jour pour faire face à la crise en Syrie, c’est sa réponse la plus importante jamais accordée à une crise humanitaire, a ajouté la représentante, qui a comparé les sommes offertes par son pays aux quelques millions accordés l’an passé par la Russie, faisant en outre observer que cette dernière n’avait « rien » donné cette année.
De plus, a résumé la représentante, le Royaume-Uni a accru son appui à Raqqa et dans les zones avoisinantes à travers la fourniture de soins médicaux, la distribution de trousses de secours et d’ustensiles de cuisine, et en contribuant au déminage. S’agissant du camp de Roukban, elle a mis l’accent sur le droit des civils déplacés à la protection et à des services humanitaires adéquats et durables.
Mme Pierce a exhorté le régime syrien et ses soutiens à faciliter l’accès aux convois humanitaires des Nations Unies à Douma et dans la Gouta orientale. En particulier, elle s’est dite préoccupée par les « piètres conditions qui règnent dans les camps où la population de cette région a fui ». Cette population, a-t-elle insisté, doit être protégée de toutes représailles du régime. En conclusion, la représentante a demandé à tous les membres du Conseil de sécurité de relancer le processus politique et a dit espérer une discussion de fond sur la manière de procéder lors de la prochaine retraite du Conseil en Suède, avec le Secrétaire général.
M. KANAT TUMYSH (Kazakhstan) a déclaré soutenir la proposition russe d’établir un couloir humanitaire pour l’évacuation des réfugiés de la zone de Tanf et du camp de réfugiés de Roukban. Il a cité en exemple d’autres corridors déjà créés par la Russie et l’armée syrienne durant l’attaque sur Alep, « quand des milliers de civils avaient quitté la ville ». Le représentant a ensuite appelé à un « arrêt immédiat des activités guerrières » en Syrie, afin que l’aide humanitaire puisse entrer en contact avec tous ceux qui en ont besoin, et à l’évacuation de tous les patients nécessitant des traitements urgents.
Enfin, le Kazakhstan soutient les résultats de la rencontre trilatérale entre la Russie, la Turquie et l’Iran qui s’est déroulée à Ankara, le 4 avril. Le représentant l’a qualifiée de « pas important » vers la résolution du conflit en Syrie.
M. PAWEL RADOMSKI (Pologne) a demandé la pleine mise en œuvre de la résolution 2401 (2018), avant de souligner la gravité de la situation humanitaire à Edleb. Il a exhorté l’Iran et la Russie à œuvrer pour une cessation totale des hostilités. Toutes les parties doivent s’acquitter de leurs obligations en vertu du droit international, a-t-il dit. Le représentant a en outre souligné l’importance de la prochaine conférence des donateurs à Bruxelles fin avril, avant de rappeler qu’il n’y avait pas de solution militaire en Syrie. En conclusion, il a demandé l’application des différents résolutions pertinentes du Conseil.
M. ANATOLIO NDONG MBA (Guinée équatoriale) a évoqué le nombre élevé de déplacés et réfugiés ayant fui la Syrie vers des pays voisins. Les affrontements dans la ville de Raqqa ont notamment conduit de nombreuses familles syriennes au camp de Roukban, à la frontière jordanienne. « Raqqa était le principal bastion syrien de l’État islamique », a-t-il rappelé, ajoutant que cette ville se trouvait actuellement dans une situation très difficile.
M. Ndong Mba a salué l’action de l’Organisation mondiale de la Santé, qui assiste des milliers de personnes à Raqqa, dont les résidents demeurent privés d’aide humanitaire. Il a déploré la situation des civils qui y reviennent et se heurtent à un danger constant du fait des mines terrestres. Le représentant a encouragé les pays ayant une influence sur les parties au conflit à agir pour assurer la mise en œuvre de la résolution 2401 (2018). « Le peuple syrien n’a que trop souffert », a-t-il conclu en demandant que l’on intensifie les efforts internationaux pour trouver une solution politique durable, basée sur les intérêts du peuple syrien et respectant l’intégrité territoriale et la souveraineté de la Syrie.
M. THÉODORE DAH (Côte d’Ivoire) s’est déclaré « préoccupé par la précarité de la situation humanitaire sur le terrain » et a constaté avec regret que la résolution 2401 (2018) n’avait pas été mise en œuvre. Concernant Raqqa, le représentant a pointé le problème du retour des populations dans leur région d’origine et a appelé à « la mobilisation de la communauté internationale » afin d’apporter l’aide nécessaire au rétablissement des blessés et soutenir les activités de déminage.
Concernant la ville de Roukban, M. Dah s’est déclaré préoccupé par les conditions de vie extrêmement précaires des populations. Il a invité les acteurs du conflit à autoriser les agences humanitaires à conduire des missions, conformément à la résolution 2401. Enfin, le représentant a réitéré son souhait d’un règlement négocié du conflit syrien par « un dialogue politique inclusif des différents acteurs sur la base du processus de Genève ».
Mme LISE GREGOIRE VAN HAAREN (Pays-Bas) a d’abord réclamé la mise en place immédiate de la résolution 2401 (2018), avant d’interpeller le Conseil sur le sort des habitants de la Ghouta orientale déplacés par le conflit dans les régions d’Edleb et de Damas. Elle a pointé leur besoin urgent « d’abri, de nourriture et de traitements ». Elle a dénoncé des rapports faisant état de violences sexuelles envers les femmes dans cette zone. Le sort des évacués médicaux vers Edleb, convoyés en bus alors que leur état de santé ne le permettait pas, est un autre sujet d’inquiétude: « ce n’est pas du tout le genre d’évacuations médicales préconisé dans la résolution 2401 », a déclaré la représentante.
Mme Gregoire Van Haaren s’est aussi inquiétée du sort des habitants de la ville de Douma, dénonçant l’attentisme du régime quant à l’octroi de laissez-passer pour les convois humanitaires, et des communautés de la région d’Afrin, dépassées par l’arrivée de 180 000 civils déplacés dans la région. Concernant Raqqa, la représentante a salué la libération de la ville de Daech. Appelant à la stabilisation de la situation et au déminage du secteur, elle a aussi rappelé que la protection des civils et des organisations non gouvernementales « devait être respectée en toutes circonstances ». Enfin, concernant le camp de Roukban, elle a rappelé la nécessité d’une aide médicale pour les habitants coincés dans la zone.
M. MA ZHAOXU (Chine) a nourri l’espoir d’une solution politique en Syrie. Mon pays continuera d’appuyer le relèvement humanitaire du pays, a déclaré le représentant, qui a demandé la pleine application de la résolution 2401 (2018). Il s’est opposé à l’emploi de la force dans les relations internationales. Toutes les actions engagées doivent respecter le droit international, a-t-il rappelé, en soulignant la nécessité d’éviter de contourner le Conseil: « il faut revenir au cadre du droit international ». Enfin, M. Ma a assuré le Conseil de l’engagement de son pays à faire avancer les négociations de paix, en particulier à Genève.
M. PEDRO LUIS INCHAUSTE JORDÁN (Bolivie) a salué les efforts déployés par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) et les institutions humanitaires de l’ONU. Il a appelé à prendre toutes les mesures pour permettre la reconstruction de Raqqa et des autres villes en Syrie, et garantir le retour sûr et digne de toutes les familles. Il a jugé urgent de « lancer un travail de déminage », notamment pour les engins explosifs improvisés artisanaux.
Le représentant a regretté que la violence se poursuive dans les principales villes de la Syrie, où « ce sont les infrastructures civiles qui trinquent ». Il a lancé un appel à toutes les parties concernées pour garantir la fourniture d’une assistance humanitaire et permettre les évacuations médicales d’urgence, dans les zones assiégées et difficiles. Enfin, il a rejeté « toute fragmentation de ce conflit », la seule solution se trouvant selon lui dans un processus politique n’excluant personne.
M. DAWIT YIRGA WOLDEGERIMA (Éthiopie) s’est félicité de l’évaluation conduite par l’ONU le 1er avril à Raqqa, avant de souligner la nécessité de déminer la ville. Un accès humanitaire sans entrave doit être garanti en Syrie, a-t-il dit avant de demander la pleine application de la résolution 2401 (2018). Enfin, le représentant a souligné la nécessité d’un « dialogue constructif » en Syrie.
M. GUSTAVO MEZA-CUADRA (Pérou) s’est dit vivement préoccupé par la situation humanitaire à Raqqa et à Roukban, avant de saluer les efforts de déminage conduits à Raqqa. Il a rappelé le droit légitime des États de protéger leurs frontières, tout en soulignant la nécessité de garantir le respect du droit humanitaire. La politisation de l’aide humanitaire est inacceptable, a-t-il déclaré en conclusion.
M. BASHAR JA’AFARI (République arabe syrienne) a déclaré avoir « l’impression que certains membres du Conseil du sécurité ont un microscope à la main, cherchant tout grain de poussière, alors qu’ils ignorent l’éléphant qui est à côté d’eux, à savoir l’agression lancée par des membres du Conseil de sécurité contre la Syrie et l’occupation par ces mêmes membres d’un tiers de son territoire ». Les forces des États-Unis, dont la représentante dit avoir détruit 3 000 mines à Raqqa, ville qu’elles occupent, auraient dû, selon lui, « demander à Daech de les aider à localiser les mines ».
M. Ja’afari s’en est pris ensuite à plusieurs des membres du Conseil de sécurité. Il a reproché au représentant de la Suède d’avoir mentionné 16 fois le Gouvernement syrien sans demander qu’il soit mis un terme à l’occupation de son pays ni condamner l’attaque contre son pays et le terrorisme. Au représentant de la France, il a lancé que Médecins sans frontières (MSF) est « entré en Syrie, comme Daech, sans l’approbation du Gouvernement syrien ». Il a vilipendé les « trafiquants, criminels, opposants, agresseurs et terroristes sans frontières ». « L’ingérence aussi se fait sans frontières », a-t-il ironisé.
Le représentant a poursuivi en répondant à la demande d’information formulée par la représentante du Royaume-Uni concernant la Mission d’établissement des faits de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) en assurant que le Gouvernement syrien avait pris toutes les mesures nécessaires pour faciliter son arrivée. La Mission, a-t-il précisé, est « entrée à Douma à 15 heures, heure de Damas, afin d’évaluer la situation sécuritaire sur le terrain ». Elle a commencé ses travaux et les rumeurs ne cherchent qu’à dénaturer son travail, a-t-il déploré.
« Il est malheureux que la France et les pays qui ont lancé une agression lâche contre la Syrie n’aient pas compris que le souhait d’indépendance de la Syrie est une réalité », a insisté M. Ja’afari. « Toute tentative de revenir à l’époque de l’hégémonie échouera », a-t-il prévenu. Il a ensuite remercié la Russie d’avoir demandé l’organisation de cette réunion, car « la ville de Raqqa a été complètement détruite par la coalition sous prétexte de la lutte contre le terrorisme ».
La coalition, a fait valoir M. Ja’afari, « n’a jamais cherché à combattre le terrorisme, mais à saper la souveraineté de la Syrie et affaiblir l’armée syrienne ». Elle a, a-t-il dénoncé, « tué des milliers de civils innocents en utilisant les pires armes, dont des armes incendiaires », pour détruire des infrastructures. La coalition a en outre « assuré la sécurité du passage de l’État islamique vers Raqqa ». Les États-Unis ont, selon le représentant, épargné les terroristes qui restaient, et la France et le Royaume-Uni ont accordé un soutien aux combattants terroristes armés par le biais d’une action tripartite armée le 14 avril dernier ».
Les États-Unis, a continué M. Ja’afari, sont responsables de la catastrophique situation humanitaire dans le camp de Roukban. Il a ensuite accusé les États-Unis de former des terroristes de l’État islamique d’Iraq et du Levant pour les utiliser dans d’autres batailles dans la région.
« Ce qui est nécessaire maintenant, c’est que le Conseil de sécurité exécute son mandat au titre des dispositions de la Charte en refusant l’occupation, par les États-Unis et Israël, de la Syrie », a encore déclaré M. Ja’afari, qui a conclu en affirmant: « Le Conseil de sécurité ne doit pas plier l’échine sous la volonté des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France. »