Appels à l’unité du Conseil de sécurité pour créer un nouveau mécanisme d’établissement des responsabilités dans l’emploi d’armes chimiques en Syrie
Un an, jour pour jour, après l’attaque au gaz sarin perpétrée à Khan Cheikhoun, dont la responsabilité a été imputée au Gouvernement syrien par le Mécanisme d’enquête conjoint de l’ONU et de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), l’Adjoint de la Haute Représentante aux affaires de désarmement, M. Thomas Markram, a exhorté, ce matin, le Conseil de sécurité à s’unir pour créer une nouvelle structure d’établissement des responsabilités. Le 16 novembre dernier, le Conseil n’était pas parvenu à renouveler le mandat du Mécanisme.
Comme un projet de résolution des États-Unis est sur la table, le délégué de la Fédération de Russie a accusé les pays occidentaux de vouloir créer une nouvelle structure présentant les mêmes défauts que le Mécanisme d’enquête conjoint, dont le travail, selon lui, ne pouvait pas être pris « au sérieux ».
Le représentant russe a parlé après que l’Adjoint de la Haute Représentante aux affaires de désarmement a fait le point sur la mise en œuvre de la résolution 2118 (2013) relative à l’élimination du programme d’armes chimiques de la Syrie*. M. Thomas Markram a tout d’abord mentionné les efforts syriens pour détruire les deux usines restantes d’armes chimiques. Leur destruction, que l’OIAC vérifiera, doit s’achever dans un délai de deux ou trois mois, a-t-il annoncé.
M. Markram a néanmoins déclaré que la déclaration initiale que la Syrie a faite ne peut être considérée comme « exacte et complète ». L’Adjoint de la Haute Représentante a indiqué que la Mission d’établissement des faits de l’OIAC, dont une équipe séjourne actuellement à Damas, remettra son prochain rapport dès qu’elle aura recueilli suffisamment d’informations sur les allégations d’emploi d’armes chimiques. Cette Mission n’est néanmoins pas en mesure d’identifier les responsables, puisque cette tâche incombait au Mécanisme d’enquête conjoint, a-t-il rappelé.
M. Markram a en effet déploré le « ralentissement apparent » des efforts –voire leur arrêt complet– pour établir les responsabilités, alors que les allégations d’emploi d’armes chimiques en Syrie n’ont pas cessé. Il a exhorté le Conseil à s’unir, comme il avait su le faire en adoptant la résolution 2118 (2013), pour créer un mécanisme adéquat. « Il ne saurait y avoir d’impunité », a conclu l’Adjoint.
Cet appel a été relayé par la plupart des délégations, le représentant de l’Éthiopie exhortant le Conseil à remédier au « vide institutionnel » actuel. Accusant le Conseil de perdre de vue l’aspect humain des attaques chimiques, la déléguée des États-Unis a rendu un hommage appuyé à l’action d’un médecin syrien, le docteur Mourad qui s’est levé à l’énonciation de son nom. Du fait de l’inaction du Conseil, le régime syrien, « avec l’appui d’un membre permanent du Conseil de sécurité », utilise ces armes « pratiquement une fois toutes les deux semaines », a dénoncé la représentante américaine.
Son homologue des Pays-Bas, qui a vanté le « travail méticuleux » du Mécanisme d’enquête conjoint, a demandé un nouveau mécanisme qui déciderait, de manière indépendante, de la façon dont il veut mener ses enquêtes et opérerait « indépendamment » du Conseil, y compris pour l’établissement des responsabilités. « Le Conseil devrait s’unir autour du projet de résolution des États-Unis », a-t-il déclaré, appuyé par le représentant du Koweït.
Rappelant que son pays n’avait pas pu soutenir le renouvellement du mandat du Mécanisme d’enquête conjoint, en raison du caractère « fallacieux » de ses enquêtes, le délégué de la Fédération de Russie a affirmé qu’il n’était pas opposé à la création d’une structure indépendante. Il a attiré l’attention sur son propre projet de résolution et précisé que toute nouvelle structure devrait rassembler des experts compétents, issus de toutes les régions du monde et que sa direction serait assumée par les cinq membres permanents du Conseil, qui prendraient leur décision par consensus. Sur la base d’une enquête rigoureuse, le Conseil déciderait alors de l’établissement des responsabilités. Malheureusement, a déploré le représentant, « mes collègues occidentaux veulent un mécanisme à leur convenance ».
Le délégué de la Syrie, qui a assuré que son pays s’est dûment acquitté de ses engagements en vertu de la résolution 2118 (2013), a dénoncé « l’art de la désinformation et de la tromperie » des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France qui ont mis en scène, la « pièce de Khan Cheikhoun » pour ternir la réputation du Gouvernement syrien.
Les délégations des trois pays incriminés sont revenues sur l’attaque commise à Salisbury, au Royaume-Uni, le 4 mars 2018, avec un « gaz russe », a confirmé la représentante britannique. Son homologue de la Fédération de Russie a demandé la convocation demain à 15 heures d’une séance publique du Conseil de sécurité sur ce sujet.
*S/2018/823
LA SITUATION AU MOYEN-ORIENT
Lettre du 28 mars 2018, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général (S/2018/283)
Déclarations
M. THOMAS MARKRAM, Directeur et Adjoint de la Haute Représentante aux affaires de désarmement, a fait le point sur la mise en œuvre de la résolution 2118 (2013) relative à l’élimination du programme d’armes chimiques de la Syrie, alors qu’il y a un an, jour pour jour, de telles armes, en l’occurrence du gaz sarin, étaient utilisées à Khan Cheikhoun. Le Secrétaire général avait alors parlé d’atrocités, a rappelé M. Markram. Le Directeur a mentionné les efforts de la Syrie pour détruire les deux installations restantes de fabrication d’armes chimiques. Leur destruction que l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) vérifiera, doit s’achever dans un délai de deux ou trois mois à compter de son début. Le Directeur a ajouté que la destruction effective de ces deux installations est un pas essentiel dans la pleine mise en œuvre de la résolution 2118.
M. Markram a souligné que les discussions entre l’OIAC et la Syrie n’ont pas permis de régler toutes les questions en suspens. « L’OIAC n’est toujours pas en mesure d’affirmer que la Syrie a fait une déclaration qui peut être considérée comme exacte et complète », a-t-il dit, en rappelant que le Secrétaire général a demandé une coopération accrue de la part de la Syrie. Il a ensuite précisé que la Mission d’établissement des faits de l’OIAC continue son travail, une équipe séjournant actuellement à Damas pour faire la lumière sur les allégations d’emploi d’armes chimiques portées à l’attention du Directeur général de l’OIAC par le Gouvernement syrien. Le prochain rapport de la Mission sera soumis dès lors que suffisamment d’informations auront été collectées pour aboutir à une conclusion tangible.
Le Directeur a rappelé que les conclusions de la Mission ne détermineront pas les responsables car c’est une tâche qui incombait au Mécanisme d’enquête conjoint ONU-OIAC dont le mandat n’a malheureusement pas été renouvelé. M. Markram a ainsi déploré le ralentissement apparent des efforts –voire leur arrêt complet– pour établir les responsabilités, alors que les allégations d’emploi d’armes chimiques n’ont pas cessé.
La persistance des allégations souligne la nécessité de parvenir à un accord sur un mécanisme adéquat d’établissement des responsabilités, a-t-il insisté, ajoutant que les responsables doivent être traduits en justice. Il ne saurait y avoir d’impunité, a martelé M. Markram, pour qui, l’unité du Conseil, telle qu’on l’a vue lors de l’adoption de la résolution 2118 (2013), est un gage de succès.
Mme NIKKI R. HALEY (États-Unis) a constaté que parfois le Conseil de sécurité perd de vue l’aspect humain des attaques chimiques. Elle a donc raconté deux histoires, celle d’un militaire américains gazé en France en 1917, et celle d’un médecin syrien, le docteur Mourad, un siècle plus tard à Khan Cheikhoun, lors d’une attaque chimique qui a fait près de 100 morts et 500 blessés. Après la toute première utilisation d’armes chimiques, pendant la Première Guerre mondiale, les États ont décidé de bannir ces armes, de manière absolue. On pouvait donc espérer, s’est désolée la représentante, que ces armes ne seraient plus mentionnées que dans les livres d’histoire et les musées.
Mais, le « régime d’Assad » est arrivé et le monde a découvert avec horreur, en 2013, l’emploi d’armes chimiques contre une population, la propre population du « régime d’Assad ». La représentante a fait l’historique des réactions de la communauté internationale et des mesures prises depuis lors, pour constater que, malgré les espoirs, le régime syrien poursuit ses agissements « avec l’appui d’un membre permanent du Conseil de sécurité », qui a fait voler en éclat le consensus et, avec lui, le Mécanisme d'enquête conjoint OIAC-ONU.
Il y a quelques années encore, une seule attaque aux armes chimiques nous aurait fait réagir, a souligné Mme Haley. Mais aujourd’hui, du fait de l’inaction du Conseil de sécurité et de la communauté internationale, « un régime utilise ces armes pratiquement une fois toutes les deux semaines » et il fait des émules. Mme Haley a cité l’attaque de Salisbury, au Royaume-Uni, mais aussi l’utilisation d’armes chimiques en Malaisie. Elle a dit voir le spectre d’un retour en arrière « vers un monde que nous pensions avoir quitté, un monde dans lequel un gaz sans odeur, sans couleur, peut s’insinuer jusque dans nos maisons et nous étouffer. Si nous n’agissons pas et si nous ne changeons pas de cap, « voici le monde qui sera bientôt le nôtre », a averti Mme Haley.
Elle a rappelé que l’Assemblée générale avait elle aussi adopté une résolution sur la création du Mécanisme international, impartial et indépendant chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international commises en République arabe syrienne depuis mars 2011 et d’aider à juger les personnes qui en sont responsables. Les États-Unis, a-t-elle poursuivi, appuient en outre l’initiative de la France de créer le Partenariat international contre l’impunité d’utilisation d’armes chimiques. Mme Haley a rendu un hommage appuyé à l’action du docteur Mourad, présent dans la salle, affirmant qu’il doit être « une source d’inspiration » pour le Conseil. Le docteur Mourad ne renonce jamais, ne s’arrête jamais, a affirmé Mme Haley, qui a exhorté le Conseil à ne pas s’arrêter lui non plus de lutter pour l’éradication des armes chimiques.
M. KAREL JAN GUSTAAF VAN OOSTEROM (Pays-Bas) a rappelé que l’OIAC n’est toujours pas en mesure d’affirmer que la Syrie a fait une déclaration qui peut être considérée comme exacte et complète. Il a en conséquence exhorté la Syrie à coopérer avec l’OIAC, avant de rappeler l’attaque atroce commise à Khan Cheikhoun le 4 avril 2017 par le « régime d’Assad ». Il a aussi rappelé que le rapport du Mécanisme d’enquête conjoint avait déjà pointé le doigt sur la responsabilité de Daech dans les attaques au gaz moutarde commises à Oum Housh, les 15 et 16 septembre 2016. « L’emploi d’armes chimiques ne doit pas rester impuni », a tonné le représentant qui a déploré, une nouvelle fois, que le mandat du Mécanisme d’enquête conjoint n’ait pas été renouvelé à cause « des calculs politiques ». Comme « ça ne peut être la fin de l’histoire », le représentant a appelé à l’action sur la base des conclusions du Mécanisme d’enquête conjoint et de la Mission d’établissement des faits de l’OIAC. Le renvoi de la situation en Syrie à la Cour pénale internationale (CPI) est le moyen le plus adéquat pour rendre justice, a-t-il martelé.
Le représentant a demandé la création d’un mécanisme qui pourrait poursuivre le « travail méticuleux » du Mécanisme d’enquête conjoint, un mécanisme qui déciderait, de manière indépendante, de la façon dont il veut mener ses enquêtes, identifierait les responsables parmi toutes les parties au conflit et opérerait indépendamment du Conseil, y compris pour l’établissement des responsabilités. Le représentant a donc a exhorté le Conseil à s’unir autour du projet de résolution des États-Unis.
Nous devons envisager tous les instruments en dehors de ce Conseil pour promouvoir l’établissement des responsabilités dans l’emploi des armes chimiques, a ajouté le représentant dont le pays est prêt à jouer un rôle de chef de file. Il a apporté son soutien au « Partenariat international contre l’impunité en cas d'utilisation d’armes chimiques » car s’agissant de ces armes, le Conseil ne peut s’arrêter au milieu du gué. « L’impunité ne saurait gagner. »
Mme Karen PIERCE (Royaume-Uni) a salué la présence du docteur Mourad aujourd’hui, avant de rappeler que l’on a déjà conclu à la responsabilité du « régime d’Assad » dans l’attaque de Khan Cheikoun. Malgré les promesses que la Syrie et la Russie ont faites en 2013, de nombreux autres emplois d’armes chimiques ont eu lieu. La représentante a donc douté de la destruction effective des armes chimiques par la Syrie, estimant que ce pays n’avait pas déclaré toutes ses armes. Elle a relevé des lacunes et des incohérences dans les déclarations syriennes, prévenant qu’on ne saurait tolérer l’impunité. La représentant a rappelé que c’est la Russie qui, en novembre dernier, avait empêché le renouvèlement du mandat du Mécanisme d’enquête conjoint OIAC-ONU. Ce n’est pas seulement en Syrie que la Russie fait preuve d’un tel dédain, a accusé Mme Pierce, qui est revenue sur l’attaque de Salisbury commise avec un « gaz russe ». Nous ne pouvons nous permettre d’échouer dans la lutte contre les armes chimiques, que ce soit en Syrie, au Royaume-Uni ou dans n’importe quel endroit dans le monde, a-t-elle conclu.
M. KAIRAT UMAROV (Kazakhstan) s’est réjoui que durant la période considérée, des progrès aient été enregistrés dans la destruction des deux usines de production d’armes chimiques restantes. Le représentant a appelé l’OIAC, le Gouvernement syrien et le Bureau des Nations Unies pour les services d’appui aux projets (UNOPS) à intensifier leurs efforts aussi longtemps que les circonstances resteront favorables. Le représentant s’est dit préoccupé par le fait que les questions en suspens n’aient pu être clarifiées, s’agissant de la déclaration initiale de la République arabe syrienne. Il a exhorté le Gouvernement syrien et l’OIAC à coopérer plus étroitement et à multiplier les interactions afin de corriger les lacunes et les incohérences et les contradictions. Ils pourraient demander au Conseil, a suggéré le représentant, des propositions pratiques sur la manière d’intensifier leur coopération. Ils devraient montrer les obstacles concrets qui les empêchent d’obtenir des résultats.
Le représentant a souligné que le Conseil n’a pas encore rétabli son « potentiel d’investigation ». Il a espéré que les deux porte-plumes n’épargneront aucun effort pour trouver un terrain commun et avancer. Le facteur le plus perturbant, a poursuivi le représentant, est la poursuite des allégations sur l’emploi d’armes chimiques. Il faut des mesures proactives qui établissent clairement que l’emploi de ces armes compromet tous les efforts internationaux visant à trouver une solution globale à la crise politique et militaire en Syrie, a-t-il dit. En l’occurrence, les actions militaires unilatérales, qui iraient au-delà des décisions légitimes du Conseil, « ne sont pas une option », a martelé le représentant. Il est « extrêmement » important et nécessaire de surmonter les divergences au sein du Conseil et tout aussi vital de lever tous les obstacles à la conduite d’une enquête impartiale et indépendante pour identifier ceux qui utilisent des armes chimiques en Syrie.
M. FRANÇOIS DELATTRE (France) a rappelé, à son tour, que la réunion d’aujourd’hui coïncide, jour pour jour, avec l’attaque survenue à Khan Cheikhoun, au cours de laquelle au moins 80 personnes ont perdu la vie. Un an plus tard, le déchaînement de violence se poursuit en Syrie et le régime syrien n’a pas cessé de recourir à des armes chimiques, a accusé le représentant. La responsabilité du régime syrien a été établie publiquement et sans ambiguïté. Aucune tentative pour discréditer et faire oublier les conclusions des mécanismes créés pour établir les responsabilités, ne pourra changer cette réalité: le travail du Mécanisme d'enquête conjoint OIAC-ONU ne sera pas oublié.
À ceux qui s’emploient à réfuter la responsabilité du régime syrien, je rappelle, a poursuivi M. Delattre, qu’il n’est pas possible à ce jour de confirmer que la Syrie a déclaré l’intégralité de ses stocks et capacités en 2013. L’utilisation continue d’armes chimiques en Syrie est une indication incontestable que des stocks de sarin, de chlore existent. Devant ces éléments, soit la Syrie a menti au moment de souscrire à ses obligations, soit elle a poursuivi un programme clandestin, en violation de ses obligations. On ne peut donc ici que renouveler notre appel au régime syrien à répondre à toutes les interrogations restées sans explications et qui sont nombreuses.
Le représentant a ajouté que l’impunité de ceux qui ont contribué à la réémergence de ces armes brise le tabou de leur utilisation et contribue à leur prolifération. L’emploi sur le territoire britannique d’un agent neurotoxique de qualité militaire, il y a tout juste un mois, confirme toute la justesse de nos inquiétudes. Dans ce contexte, l’impunité ne peut devenir la règle, en Syrie comme ailleurs. Il ne peut y avoir d’impunité pour les responsables de l’utilisation d’armes chimiques contre les civils. Ils auront à répondre de leurs actes.
La question de l’établissement des responsabilités ne peut donc être éludée. D’ores et déjà des preuves sont collectées en particulier par le Mécanisme international, impartial et indépendant chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international commises en Syrie, créé par l'Assemblée générale. Ces preuves sont conservées et utilisées pour servir dans le cadre de procédures judiciaires nationales voire internationales car il n’y aura pas de paix durable en Syrie sans justice pour les victimes syriennes. La justice devra être une dimension à part entière de toute solution politique, conformément à la résolution 2254 (2015) et au Communiqué de Genève. « Je le redis aujourd’hui: alors que les pays du processus d’Astana se réunissent en Turquie, Genève est la seule enceinte permettant d’obtenir une solution durable au conflit », a martelé le représentant français.
Les risques d’érosion du régime de non-prolifération sont majeurs si nous laissons prévaloir l’impunité. C’est pour cela que la France a lancé en janvier dernier un partenariat ouvert et pragmatique en ce sens: non pas pour rentrer dans des enjeux tactiques que l’on pourrait vouloir nous imputer mais parce que la conviction de la France, c’est que l’immensité des enjeux nous oblige à surmonter les blocages et à agir, et non à abdiquer nos responsabilités.
Au-delà des différences politiques contingentes, il est des règles fondamentales qui ne peuvent être transgressées. Il n’y a donc de place ni pour le constat d’impuissance, ni pour le fatalisme, ni pour l’instrumentalisation politique. Il en va de notre crédibilité future et de notre capacité à préserver les futures générations face aux risques d’érosion du régime de prolifération et de notre système de sécurité.
M. MANSOUR AYYAD SH. A. ALOTAIBI (Koweït) a rappelé que depuis l’incident de Kahn Cheikhoun, son pays demande qu’une enquête internationale soit immédiatement menée, de manière indépendante et neutre. Le Mécanisme d’enquête conjoint OIAC-ONU a pu arriver à des conclusions sur l’identité des responsables de cet incident douloureux et d'autres incidents. Toutefois, le Conseil de sécurité a été incapable de faire rendre des comptes à quiconque, de sorte que la justice que nous espérions a disparu, du fait de la division du Conseil qui a conduit à l’arrêt du mandat du Mécanisme d’enquête conjoint. Le Koweït appuie pleinement les travaux des Nations Unies, de l’OIAC et de sa Mission d’établissement des faits. Le représentant a appelé la Syrie à coopérer avec l’OIAC pour corriger les contradictions sur son programme d’armes chimiques. Nous ne pouvons, a-t-il prévenu, accepter la situation actuelle, à savoir l’utilisation continue des armes chimiques, plus de quatre ans après l’adoption de la résolution 2118 (2013).
Plus d’une fois, a rappelé le représentant, le Koweït a exprimé son plein appui à des mécanismes d’établissement des responsabilités qui remporteraient l’adhésion de tous les membres du Conseil, de manière à assurer l’indépendance, la neutralité et le professionnalisme et dont le mandat serait exclusivement de dire qui est responsable de l’utilisation des armes chimiques en Syrie. Le Conseil pourrait alors faire rendre des comptes aux responsables, conformément au principe zéro impunité consacré dans la résolution 2118. Je crois, a estimé le représentant, que ces éléments sont présents dans le projet de résolution des États-Unis. Il a donc appelé tous les membres du Conseil à considérer ce texte comme une bonne base de négociations sur un mécanisme futur. Il n’a pas manqué de saluer les efforts de l’Assemblée et le Mécanisme international qu’elle a créé.
M. TEKEDA ALEMU (Éthiopie) a déploré la poursuite de l’emploi d’armes chimiques en Syrie un an après l’attaque odieuse de Khan Cheikhoun. Les responsables doivent être traduits en justice sur la foi d’éléments de preuve solides, a-t-il déclaré, avant de plaider pour une « réponse unifiée » du Conseil. Sans cette unité, les dommages infligés au régime de non-prolifération pourraient être irréversibles, a prévenu M. Alemu. Il a salué les préparatifs en vue de la destruction des deux usines restantes d’armes chimiques en Syrie et espéré qu’elles seront bel et bien détruites. Le délégué a jugé crucial que la Mission d’établissement des faits de l’OIAC puisse continuer son travail mais le Conseil doit répondre au vide institutionnel actuel en créant un mécanisme d’enquête « indépendant, impartial et professionnel » qui identifierait les responsables publics comme non étatiques, a conclu M. Alemu, en appelant à la « restauration de l’unité du Conseil ».
M. WU HAITAO (Chine) a dit avoir toujours condamné les attaques contre les civils et rappelé l’opposition de son pays à l’utilisation d’armes chimiques quelles que soient les circonstances. La Chine appuie toute enquête impartiale pour que les responsables rendent des comptes à la justice. Elle juge indispensable la mise en place d’un nouveau mécanisme d’enquête indépendant et voyant que tous les membres du Conseil sont d’accord sur ce point, elle rappelle les propositions faites par la Fédération de Russie. La Chine, a poursuivi le représentant, se félicite des progrès réalisés pour détruire les deux usines restantes de produits chimiques en Syrie et souhaité que le Gouvernement syrien continue de coopérer avec l’OIAC pour régler toutes les questions en suspens. Seul un règlement politique pourra mettre fin au conflit syrien, a conclu le représentant, qui a souhaité la reprise le plus vite possible des pourparlers de Genève, tout en saluant la tenue d’un sommet dans le cadre du processus d’Astana.
M. JUAN MARCELO ZAMBRANA TORRELIO (Bolivie) a salué les efforts du Gouvernement syrien pour détruire les deux usines restantes d’armes chimiques, tout en l’exhortant à renforcer sa coopération avec l’OIAC. Le délégué s’est dit vivement préoccupé par les allégations d’emploi d’armes chimiques, un tel emploi étant « injustifiable et criminel » en toutes circonstances. Il a apporté son appui à la Mission d’établissement des faits de l’OIAC, avant de demander la création d’un nouveau mécanisme permettant d’identifier les responsables de l’emploi d’armes chimiques. Si nous prétendons créer un nouveau mécanisme, il est crucial de ne pas politiser ce Conseil, a déclaré le délégué. Le Conseil doit montrer son unité à la communauté internationale. Le représentant de la Bolivie a rejeté, une nouvelle fois, toutes les sanctions unilatérales.
M. CARL ORRENIUS SKAU (Suède) a condamné l’utilisation continue d’armes chimiques en Syrie dont les auteurs doivent être tenus pour responsables. Nous ne pouvons pas accepter l’impunité. Concernant la mise en œuvre de la résolution 2118 (2013), le représentant s’est dit profondément préoccupé que l’OIAC soit toujours incapable de confirmer le caractère exact et complet de la déclaration initiale de la Syrie sur son programme d’armes chimiques. Il y a encore un certain nombre de questions graves en suspens, a relevé le représentant, affirmant que le Directeur général de l’OIAC a dit, le mois dernier, que le nombre de ces questions est passé de 5 à 22 dont plusieurs concernent le Centre d’études et de recherches scientifiques syrien. Le représentant a de nouveau appelé les autorités syriennes à coopérer pleinement et proactivement avec l’OIAC. Tous les documents requis doivent être soumis sans délai.
M. Orrenius Skau a regretté que le Conseil n’ait pas réussi à se mettre d'accord sur la prorogation du mandat du Mécanisme d’enquête conjoint OIAC-ONU, en novembre dernier. Un mécanisme de contrôle est essentiel pour protéger le régime international de désarmement et de non-prolifération et garantir la redevabilité en Syrie. La Suède, a dit le représentant, appuie tous les efforts internationaux visant à combattre l’utilisation et la prolifération des armes chimiques par des États ou des acteurs non étatiques, partout dans le monde. Nous assumerons nos responsabilités de mettre fin à l’impunité, a promis le représentant, expliquant que c’est la raison pour laquelle son pays a adhéré au Partenariat international contre l’impunité d’utilisation d’armes chimiques, une initiative de la France visant à compléter et soutenir le travail des forums et mécanismes multilatéraux existants. La Suède continuera aussi de soutenir la Commission d’enquête internationale du Conseil des droits de l’homme et de travailler à la création d’un nouveau mécanisme indépendant et impartial sur l’utilisation d’armes chimiques en Syrie.
M. BERNARD TANOH-BOUTCHOUÉ (Côte d’Ivoire) a pris note de la destruction de toutes les armes chimiques syriennes envoyées en dehors du territoire syrien par les États parties à l’OIAC, ainsi que de 25 des 27 unités de production d’armes chimiques déclarées par la République arabe syrienne. Il a également salué les efforts des parties concernées qui ont conduit à l’amendement apporté à Beyrouth à l’Accord tripartite en vue de la destruction des unités de production restantes et s’est félicité de la soumission régulière par la Syrie de ses rapports mensuels au Comité exécutif de l’OIAC.
Toutefois, le représentant a noté la persistance de défis majeurs et donc demandé à la Syrie d’apporter « une réponse adéquate aux questions en souffrance » sur la destruction des unités de production restantes, sa déclaration initiale sur son arsenal chimique et les activités du Centre d’études et de recherches scientifiques. Pour la Côte d’Ivoire, toute utilisation d’armes chimiques constitue une violation de la Convention sur les armes chimiques et de la « norme internationale durement gagnée qui interdit ces armes ». Le représentant a en outre rappelé que son pays avait signé, le 23 janvier dernier à Paris, la Déclaration de principe sur le Partenariat international contre l’impunité d’utilisation d’armes chimiques. Il a, en conclusion, a appelé le Conseil de sécurité à retrouver son unité d’action pour mettre en place un mécanisme consensuel chargé de situer les responsabilités dans l’utilisation des armes chimiques en Syrie et à mettre définitivement fin à leur usage dans ce conflit.
M. PAWEL RADOMSKI (Pologne) s’est félicité des efforts de la Mission d’établissement des faits et a exprimé sa très vive préoccupation face à l’incapacité de l’OIAC de confirmer que la déclaration initiale présentée par la Syrie, il a y quatre ans, est exacte et complète. Il a invité la Syrie à coopérer pour expliquer ces « lacunes et incohérences ». Le représentant a rappelé que le Mécanisme d'enquête conjoint avait jugé suffisantes les preuves de la responsabilité des autorités syriennes dans l’attaque de Khan Cheikhoun. Or, il n’y a eu aucune poursuite judiciaire et l’utilisation d’armes chimique est devenue « presque quotidienne » dans ce conflit. Le représentant a donc engagé les parties concernées à négocier un mécanisme d’enquête impartial et professionnel pour remplacer le défunt Mécanisme d'enquête conjoint OIAC-ONU. Il a estimé, à cet égard, que le projet de résolution des États-Unis est un bon point de départ. Il s’est à son tour indigné de l’utilisation inédite, il y a un mois à Salisbury, au Royaume-Uni, d’un agent chimique. « Les responsables doivent être identifiés et punis », a martelé le représentant.
M. ANATOLIO NDONG MBA (Guinée équatoriale) a invité le Conseil à briser un « tabou ». L’emploi d’armes chimiques en Syrie est bel et bien une atteinte à la paix et à la sécurité internationales. Il a indiqué qu’un accord politique inclusif en Syrie est la seule manière de mettre un terme au recours aux armes chimiques. Le délégué a exhorté le Conseil à se mettre d’accord sur un nouveau mécanisme d’établissement des responsabilités « impartial et professionnel ». Il a invité les membres du Conseil à réfléchir à l’Article 26 de la Charte des Nations Unies qui stipule « afin de favoriser l’établissement et le maintien de la paix et de la sécurité internationales en ne détournant vers les armements que le minimum des ressources humaines et économiques du monde, le Conseil de sécurité est chargé d'élaborer des plans qui seront soumis aux Membres de l’Organisation en vue d'établir un système de réglementation des armements ». Le délégué a condamné, une nouvelle fois, l’attaque de Khan Cheikhoun, perpétrée il y a un an.
M. VASSILY A. NEBENZIA (Fédération de Russie) a condamné, une nouvelle fois, l’attaque de Khan Cheikhoun. Un an s’est écoulé mais les circonstances de cet incident n’ont toujours pas été tirées au clair, a-t-il estimé. Il a répété que le travail du Mécanisme d’enquête conjoint ne pouvait pas être pris au sérieux d’un point de vue professionnel, ce Mécanisme s’étant ingénié, s’est-il expliqué, à prouver une conclusion qui avait été arrêtée en amont, à savoir la culpabilité de Damas. Dénonçant la mauvaise foi du Président du Mécanisme, le représentant a affirmé que les experts ne s’étaient même pas rendus sur les lieux de l’incident, basant leurs résultats « fallacieux » sur les informations transmises par des « groupes douteux tels que les Casques blancs ». La Fédération de Russie n’a donc pas pu soutenir le renouvellement du mandat du Mécanisme. Mais, a assuré le représentant, mon pays n’est pas opposé à la création d’une structure indépendante sur laquelle il a même fait circuler un projet de résolution. Toute nouvelle structure, a précisé le représentant, doit regrouper des experts compétents, toutes les régions du monde. C’est sur la base d’une enquête rigoureuse de la nouvelle structure que le Conseil pourrait alors décider de l’établissement des responsabilités, en coopération avec les comités des sanctions pertinents. La direction de cette nouvelle structure, a encore précisé le représentant, serait assumée par les représentants des cinq membres permanents du Conseil qui prendraient leur décision par consensus.
Malheureusement, « mes collègues occidentaux » veulent un mécanisme à leur convenance, avec les mêmes défauts que l’ancien Mécanisme, a déploré M. Nebenzia. Il a accusé la France et ses alliés de saper, avec leur récente initiative, la crédibilité de l’OIAC et du régime de non-prolifération. Il a dénoncé l’attaque perpétrée par les États-Unis le 7 avril 2017, soit trois jours après l’incident de Khan Cheikhoun, contre une base aérienne syrienne. Ce ne sont pas des enquêtes impartiales que ces capitales souhaitent mais la destruction pure et simple du Gouvernement syrien, a asséné le représentant en révélant des « soupçons en vérité bien établis ». Il a demandé la convocation demain d’une réunion publique du Conseil sur l’attaque de Salisbury.
M. GUSTAVO MEZA-CUADRA (Pérou) s’est dit alarmé par la récurrence de l’utilisation d’armes chimiques contre la population civile en Syrie et l’absence d’accord sur un mécanisme d’établissement des responsabilités. Il a dénoncé ces « crimes atroces » commis en violation du régime de non-prolifération, y voyant une grave menace pour la paix et la sécurité internationales que ce Conseil de sécurité ne peut tolérer. Le représentant a salué l’accord conclu à Beyrouth entre l’OIAC, les Nations Unies et le Gouvernement syrien sur la destruction des dernières usines d’armes chimiques. Mais il s’est dit inquiet des incohérences dans la déclaration initiale du Gouvernement syrien, faite il y a plus de quatre ans lors de son adhésion à la Convention sur l’interdiction des armes chimiques. Il a donc demandé aux autorités syriennes de fournir toutes les informations requises sans plus de délai. Il a rendu hommage au travail de la Mission d’établissement des faits de l’OACI, tout en estimant que ce travail devrait être complété par un mécanisme indépendant qui permettra d’établir les responsabilités, conformément au droit international et au droit international humanitaire.
M. MOUNZER MOUNZER (République arabe syrienne) a insisté sur le fait que son pays s’était dûment acquitté de ses engagements au titre de la Convention sur les armes chimiques et de la résolution 2118 (2013), et ce, « malgré le comportement hostile de certaines parties », nationales ou régionales. Le Gouvernement syrien a été en mesure d’éliminer ses armements chimiques en un temps record, a poursuivi le représentant, qui a regretté qu’au lieu de saluer les efforts du Gouvernement syrien, certains membres de ce Conseil tentent d’exploiter cette tribune pour continuer de « propager des informations fausses ». Il a dénoncé les États-Unis, « qui n’ont pas détruit leur propre arsenal chimique » ou encore le Royaume-Uni et la France qui, comme les États-Unis, « maîtrisent l’art de la désinformation et de la tromperie ».
On invente même, s’est amusé le représentant, de nouveaux formats de réunion dans le seul but de ternir la réputation du Gouvernement syrien et de le faire tomber, a encore accusé le représentant qui a dénoncé les « mises en scènes des Casques blancs » mais aussi la « pièce de Khan Cheikhoun, mise en scène par certains membres permanents du Conseil de sécurité ». Le représentant a ensuite accusé ces membres permanents du Conseil de sécurité de se complaire « dans le déni ». Plusieurs membres du Conseil, s’est-t-il expliqué, ont considéré comme fausses les conclusions du Mécanisme d’enquête conjoint OIAC-ONU sur l’attaque de Khan Cheikhoun. Le Mécanisme, a-t-il affirmé, avait refusé de visiter le site, préférant se fonder sur des déclarations de « témoins présentés par des terroristes ».
Pour la République arabe syrienne, l’utilisation d’armes chimiques et d’autres armes de destruction massive est « un crime contre l’humanité », a affirmé le représentant, qui a répété que l’armée syrienne n’y avait jamais recouru et n’a plus de telles armes. En revanche a-t-il poursuivi, l’armée syrienne a, comme la population civile, été victime d’attaques chimiques, notamment au chlore. Le représentant a rappelé que son pays a adressé au Conseil de sécurité « plus de 130 lettres » sur la fabrication et l’utilisation d’armes chimiques par des groupes terroristes, dont le Front el-Nosra. Mais, s’est-il étonné, ces lettres sont restées sans réponse.
Avec « leur passé colonial », le représentant s’est dit surpris que les États-Unis, le Royaume-Uni et la France prétendent se présenter aujourd’hui comme des « défenseurs de la justice ». Il a rappelé que la ville de Raqqa avait été « presque totalement détruite du fait des attaques de la coalition internationale ». Il s’en est pris à la « prétendue initiative française » de Partenariat international contre l’impunité d’utilisation d’armes chimiques, qu’il a vue comme une « tentative de créer un mécanisme parallèle et politisé » pour servir les intérêts d’États déterminés à renverser le Gouvernement syrien. Un tel mécanisme ne vise pas à poursuivre les auteurs de crime, mais à les protéger, a-t-il tranché.