Conseil de sécurité: le Représentant spécial exhorte les Libyens à s’unir autour d’un « récit national commun »
Le Représentant spécial pour la Libye, M. Ghassan Salamé, a, ce matin, devant le Conseil de sécurité, exhorté les Libyens à s’unir autour d’un « récit national commun » afin de surmonter les clivages idéologiques et identitaires du pays et jugé cruciale, à cette fin, la tenue « d’élections libres, crédibles et justes » avant la fin de l’année. Le Président du Comité établi par la résolution 1970 (2011) et les délégations de la Bolivie, de la Guinée équatoriale, du Pérou, du Kazakhstan et de la Libye ont également pris la parole.
Venu présenter le dernier rapport* du Secrétaire général sur la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL), dont il est le Chef, M. Salamé, qui s’exprimait par visioconférence de Tripoli, a tout d’abord déclaré « avec fierté » que l’ONU venait de retourner en Libye. « Si l’ONU doit appuyer la Libye, elle doit être présente dans le pays », a-t-il dit. Il a précisé que l’Organisation devrait bientôt rouvrir son bureau à Benghazi.
En Libye, les discours de haine ont remplacé les interactions pacifiques, alors que ce pays était loué pour son harmonie intercommunautaire, a déploré le Représentant spécial. Pour y remédier, M. Salamé a exhorté les Libyens « à se parler » et à « s’unir autour d’un récit national commun », en les assurant du soutien de l’ONU. « Ma mission ne consiste pas à répartir le gâteau libyen entre plusieurs appétits concurrents. »
M. Salamé a salué les diverses initiatives visant à cette réécriture du récit national libyen. Des manifestations populaires ont eu lieu partout dans le pays pour demander le changement, a-t-il constaté. Des membres de la Chambre des députés et du Haut Conseil d’État ont œuvré pour atténuer leurs divergences tandis que les groupes armés, qui se combattaient il y a encore quelques mois, ont accepté de s’asseoir autour d’une même table, s’est-il félicité.
Le Chef de la MANUL a insisté sur la volonté des Libyens qu’une nouvelle ère de stabilité s’ouvre, avec la mise en place notamment « d’institutions responsables, démocratiques et unifiées ». Les institutions actuelles ne jouissent en effet que d’une légitimité « vide de sens » et sont divisées, a-t-il affirmé. Le Représentant spécial a surtout souligné la nécessité que le peuple libyen décide de la manière dont il entend être gouverné, « ce qui veut dire, des élections ».
À l’instar des délégations de la Bolivie, de la Guinée équatoriale ou bien encore du Pérou, M. Salamé a salué la bonne conduite du processus d’enregistrement des électeurs qui s’est achevé le 12 mars, avec 2,5 millions de Libyens désormais en mesure de voter. « Le peuple libyen veut que sa voix soit entendue et souhaite le faire par le biais d’élections », a déclaré le Représentant spécial.
À ce propos, le représentant de la Libye, qui a souhaité que la date des élections soit bientôt fixée, a espéré « que tous les partis politiques accepteront le résultat de ces élections ». « Les citoyens doivent s’emparer du processus politique, ce qui facilitera la formation d’un gouvernement d’unité nationale et d’une nouvelle constitution », a, de son côté, déclaré le délégué du Pérou.
Sur ce plan constitutionnel, le Représentant spécial a précisé qu’un projet de constitution avait été approuvé le 29 juillet 2017 par l’Assemblée constituante, tandis que la Cour suprême a reconnu, le 14 février 2018, la validité du vote de l’Assemblée constituante. Des obstacles entravent encore la tenue d’un référendum constitutionnel, a-t-il concédé, en précisant que des factions n’étaient « pas du tout » satisfaites par ce projet.
Cependant, le processus politique doit continuer car le statu quo est intenable, a-t-il poursuivi, en appelant le Conseil à relayer ce message auprès de tous les responsables libyens. Évoquant le contexte sécuritaire libyen, le Représentant spécial a mentionné la violence qui se poursuit en faisant état de « conflits localisés persistants ». « Daech et Al-Qaida sont toujours présents dans le pays et continuent de mener des attaques », a-t-il dit.
Le Chef de la MANUL a aussi déploré les arrestations arbitraires de citoyens libyens et le fait que les groupes armés, dont certains appartiennent aux structures de l’État, continuent de se placer au-dessus de la loi. Il s’est dit également vivement préoccupé par la situation à Sebha, marquée par de fortes inimitiés locales et la présence de mercenaires étrangers. « La sécurité publique est une tâche qui incombe aux institutions nationales, non pas aux différents groupes armés. »
De son côté, le représentant de la Libye a insisté sur l’amélioration de la sécurité dans la capitale et ses environs, tout en reconnaissant la poursuite de certains affrontements, qu’il a attribués à des groupes militaires indépendants. Parlant d’une situation « brûlante et pressante », le représentant a insisté sur la nécessité de poursuivre la lutte contre le terrorisme.
M. Salamé a vigoureusement dénoncé « le système de prédation économique » en Libye, qui est le principal obstacle au processus politique. Ce système, qui humilie les Libyens ordinaires et sert les intérêts des puissants, doit être démantelé, a-t-il déclaré, ajoutant que la traite humaine n’était que l’un des éléments de cette économie dévoyée. Le délégué du Kazakhstan a également évoqué « la terrible situation » des migrants et des réfugiés en Libye.
Le Représentant spécial a ainsi déploré l’appauvrissement de la population libyenne, la précarité des finances publiques et la dégradation constante des services publics. « Une crise budgétaire est en vue », a-t-il mis en garde, en déplorant le détournement des revenus du pétrole. Pour lui, « l’incapacité de l’État à fournir les services de base à sa population donne du poids aux arguments de ceux qui se targuent d’intervenir pour combler le vide laissé par l’État ».
Le délégué libyen a expliqué que les richesses pétrolières du pays continuent d’être pillées sur les plans « interne et externe », avant de se féliciter de l’embargo sur les armes et du travail du Comité 1970, dans un pays où, comme l’a noté M. Salamé, un très grand nombre d’armes à feu circulent.
Dans son intervention, le Président du Comité 1970, M. Carl Skau (Suède), a notamment détaillé les activités qu’il mène concernant l’approbation d’exemption à l’embargo sur les armes. Le Comité a approuvé l’extension d’une exemption pour raisons humanitaires à une interdiction de voyage concernant M. Sayyid Mohammed Qadhaf Al-Dam, a noté le Président. « En revanche, il a rejeté une demande de Mme Safia Farkash Al-Bassari visant à être retirée de la liste des personnes sanctionnées. » Le Président a aussi évoqué la saisie d’un navire battant pavillon tanzanien, à bord duquel des conteneurs d’explosifs et autres matériels ont été découverts.
Enfin, le représentant de la Fédération de Russie a pris la parole pour annoncer que sa délégation a fait distribuer aux membres du Conseil un documentaire sur la situation dans la Ghouta orientale, en Syrie. Il a indiqué qu’un groupe rebelle venait de déposer les armes dans la Ghouta orientale à la suite d’un accord négocié avec des responsables russes. Une roquette lancée contre un marché de Damas a fait au moins 15 victimes, a aussi indiqué le délégué russe.
* S/2018/140