Le Myanmar et la République populaire démocratique de Corée inaugurent les examens de situation de pays devant la Troisième Commission
La Troisième Commission, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles, a commencé aujourd’hui à entendre les exposés d’experts chargés de situations de pays, en l’occurrence du Myanmar et de la République populaire démocratique de Corée (RPDC), au grand dam des États concernés et du Mouvement des pays non alignés, opposés` par principe à cette « exploitation des droits de l’homme à des fins politiques ».
La Commission a également dialogué avec les Rapporteurs spéciaux sur les questions relatives aux minorités, sur la situation des défenseurs des droits de l’homme et sur les droits culturels, tous faisant état d’une détérioration dans leur thématique respective.
S’agissant du Myanmar, Mme Yanghee Lee, Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans ce pays, a déploré que le Gouvernement continue de lui interdire tout accès, malgré les engagements pris en faveur d’une transition démocratique. Le Gouvernement n’agit pas pour établir véritablement la paix et la réconciliation, et ne semble pas vouloir enquêter sur les violations des droits de l’homme, a ajouté la Rapporteuse spéciale, invitant la Conseillère d’État –Aung Sang Suu Kyi, qu’elle n’a pas nommée- à « se souvenir de son long combat pour la démocratie » et à utiliser son influence morale et politique pour mettre un terme aux exactions.
Plus d’un million de réfugiés de différentes ethnies et religions vivent dans des conditions précaires au Bangladesh, en Inde et en Thaïlande après avoir fui les persécutions de l’armée du Myanmar, a précisé Mme Lee, qui a dénoncé une situation « semblable à l’apartheid » dans les camps de réfugiés de l’État rakhine, où tout semble fait pour renforcer la ségrégation des communautés musulmanes.
Président de la Mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le Myanmar, mandatée par le Conseil des droits de l’homme pour établir les circonstances des récentes allégations de violations des droits de l’homme dans le pays, M. Marzuki Darusman a confirmé cet état des lieux. Interdit lui aussi d’entrée au Myanmar, il n’en a pas moins dénoncé l’institutionnalisation d’un système d’oppression affectant la vie des Rohingya de leur naissance à leur mort, ajoutant que leur imposer aujourd’hui un retour serait les « contraindre à revivre les mêmes souffrances ».
Dans la matinée, le Rapporteur spécial sur les questions relatives aux minorités, M. Fernand de Varennes, avait lui aussi évoqué la situation des Rohingya dans son exposé sur le thème de l’apatridie, jugeant « choquant » de voir cette minorité sans citoyenneté, avec peu ou pas d’accès aux services publics, confrontée à un avenir sombre. Cela ne peut que « conduire au désespoir et créer un terrain fertile pour la radicalisation », avec des menaces potentielles pour la paix et la sécurité, a-t-il soutenu.
Le Myanmar s’est élevé contre cet « examen à la loupe », estimant être traité de manière discriminatoire, depuis 1995, malgré sa « coopération continue ». Dénonçant dans ces rapports des « intentions politiques cachées », il a notamment jugé contreproductive la demande de la Rapporteuse spéciale de renvoyer à la Cour pénale internationale les cas de violations des droits de l’homme. De telles attitudes ne vont pas entraîner un dialogue constructif avec les Nations Unies, a-t-il mis en garde.
Le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée (RPDC), M. Tomas Ojea Quintana, a pour sa part amèrement regretté qu’alors qu’un processus de rapprochement est amorcé entre les deux Corées et avec les États-Unis, la question des droits de l’homme soit restée en dehors de l’ordre du jour du dialogue de haut niveau en cours. Pourtant, a-t-il fait valoir, nul n’est besoin de rappeler les résultats de la Commission d’enquête sur les droits de l’homme en RPDC établie par l’ONU en 2014, qui avait mis en évidence de multiples violations des droits de l’homme. À ces accusations, la RPDC, fidèle à sa position de principe, n’a pas répondu.
Tout aussi traditionnellement, le Mouvement des pays non alignés a, par la voix du Venezuela, rappelé à l’occasion du premier débat interactif sur une situation de pays, son opposition de principe à ce type de mandat, qu’il juge sélectif et politisé. Afin de respecter « la non-ingérence, l’impartialité, la non-sélectivité et la transparence » et pour assurer une meilleure complémentarité entre le Conseil des droits de l’homme et la Troisième Commission en évitant les doubles emplois, le Mouvement rappelle que le mécanisme approprié pour traiter des situations de droits de l’homme dans chaque État est l’Examen périodique universel.
Autre expert entendu par la Commission, M. Michel Forst, Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, a rappelé que, depuis l’adoption voilà 20 ans de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme, plus de 3 500 défenseurs ont été assassinés. Ces dernières années, la situation des défenseurs s’est même dégradée partout dans le monde, s’est-il alarmé, dénonçant en particulier les « initiatives sournoises » visant à critiquer la légitimité des défenseurs et à multiplier les législations pour entraver l’action de la société civile.
Mme Karima Bennoune, Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels, a, quant à elle, présenté son dernier rapport thématique en regrettant que le respect de la diversité culturelle soit menacé par « ceux-là mêmes qui défendent diverses formes de suprématie et de discrimination ».
Enfin, en réponse aux différents Rapporteurs spéciaux qui ont regretté que certains de leurs collègues ne puissent présenter leurs rapports en personne devant la Troisième Commission cette année, le Secrétariat de la Commission a assuré qu’un seul titulaire de mandat de procédure spéciale risquait de ne pouvoir apparaître devant les délégations, pour 65 invités.
La Troisième Commission poursuivra demain, mercredi 24 octobre à partir de 10 heures, son dialogue avec des titulaires de mandats de procédures spéciales concernant la situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, en République islamique d’Iran, en Érythrée, au Bélarus, en Somalie et au Burundi.
PROMOTION ET PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME
Déclaration liminaire
M. FERNAND DE VARENNES, Rapporteur spécial sur les questions relatives aux minorités, a présenté son rapport consacré cette année à « L’apatridie: une question qui concerne les minorités », en expliquant que plus des trois quarts des quelque 10 millions d’apatrides reconnus dans le monde sont des personnes appartenant à des minorités, se basant sur un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) publié en novembre 2017 et intitulé « Nous sommes chez nous, ici: apatrides en quête de citoyenneté ».
L’apatridie dans le monde est un problème de minorités puisqu’une grande partie des apatrides du monde appartiennent à des minorités spécifiques, a justifié M. de Varennes. Pour le Rapporteur spécial, celles-ci semblent être la cible de politiques, pratiques ou législations potentiellement discriminatoires, marginalisant ainsi davantage les minorités déjà exposées aux violations des droits de l’homme.
Dans son exposé, axé sur les principales recommandations et conclusions portant sur le thème de l’apatridie ainsi que sur sa mission en Slovénie, M. de Varennes a estimé « choquant » de voir des minorités, comme par exemple les Rohingya de Myanmar, sans citoyenneté, avec peu ou pas d’accès aux services publics, à l’éducation, à l’emploi et un avenir sombre pour eux et pour les générations futures. Cela ne peut que « conduire au désespoir et créer un terrain fertile pour la radicalisation - et des menaces potentielles pour la paix et la sécurité », a-t-il averti.
Les minorités spécifiques sont les groupes les plus touchés par le manque de protection de la citoyenneté. Une poignée de minorités représente une proportion étonnamment élevée de la population apatride du monde, a encore expliqué le Rapporteur spécial. Selon le HCR, ce schéma est récurrent, se reproduisant même dans de nouveaux contextes. C’est le cas par exemple de millions de personnes appartenant aux minorités religieuses en Inde qui ne sont pas en mesure de formaliser leur statut de citoyenneté, et qui risquent de grossir les rangs des apatrides dans un avenir proche.
Le Rapporteur spécial a insisté sur le fait que l’essence de la conclusion sous-jacente du rapport est que l’apatridie ne se produit pas simplement: elle implique trop souvent des pratiques discriminatoires et un mépris des droits de l’homme des minorités considérées indignes ou indésirables. Ce n’est ni accidentel ni neutre: à l’instar de la minorité juive allemande avant la Seconde Guerre mondiale, les minorités continuent trop souvent à être jugées « indignes » de la citoyenneté, ce qui les empêche d’accéder aux services publics de base, y compris dans certains cas, l’éducation et l’exercice d’autres droits de l’homme fondamentaux.
M. de Varennes a, par ailleurs, félicité l’Union africaine et ses États membres pour leurs progrès dans l’élaboration d’un protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples sur les aspects spécifiques du droit à la nationalité et de l’élimination de l’apatridie en Afrique. Cela pourrait servir d’inspiration pour rédiger une résolution éventuelle reconnaissant formellement, dans le droit coutumier, l’obligation d’octroyer la citoyenneté aux enfants nés dans un État et qui, autrement, seraient apatrides, a suggéré le Rapporteur spécial.
Enfin, le Rapporteur spécial a salué le travail du HCR et des États qui font partie du Groupe des Amis de la Campagne pour l’élimination de l’apatridie d’ici 2024.
Abordant par ailleurs sa visite en Slovénie, où il a dit avoir été frappé par le ferme attachement et la tradition du pays à la reconnaissance et à la protection des droits de l’homme, M. de Varennes a pu mesurer les actions positives entreprises de longue date à l’égard de minorités telles que les communautés hongroise et italienne. Il existe néanmoins des domaines dans lesquels des mesures plus concrètes doivent être prises pour garantir dans la pratique les droits fondamentaux des minorités, a ajouté le Rapporteur spécial, qui a invité le Gouvernement à mettre en œuvre une législation complète pour la protection de toutes les minorités, tout en respectant le statut constitutionnel actuellement établi des Hongrois, des Italiens et des Roms.
M. de Varennes, qui a également visité le Botswana, a dit avoir prévu de se rendre au Cameroun, en Lettonie, en Estonie et en Malaisie « si sa requête trouve un écho favorable » auprès des autorités de ces pays.
Pour finir, M. de VARENNES a regretté que certains de ses collègues ne puissent pas présenter leurs rapports en personne devant la Troisième Commission, cette année, du fait que des propositions présentées en juillet « pour accommoder les Rapporteurs spéciaux tout en respectant les limites de temps et la cohérence des regroupements » aient été écartées.
Dialogue interactif
Lors du dialogue avec M. Fernand de Varennes, l’Union européenne a assuré qu’elle reste engagée en faveur des droits des minorités dans le cadre de la lutte contre les discriminations. L’Union européenne, qui reconnaît l’importance de l’échange entre États Membres de bonnes pratiques relatives aux apatrides, aimerait savoir quelles sont les exigences qui conditionnent l’octroi de la nationalité et qui constituent des discriminations.
L’Espagne a exprimé son inquiétude face à la situation des minorités qui sont apatrides. Les États ne peuvent nier ou priver de manière arbitraire certaines personnes de leur nationalité, a-t-elle fait valoir, ajoutant que la protection de ces personnes passe par la consolidation de l’état de droit. Sur ce plan, elle a souhaité savoir quels étaient les mécanismes qui pourraient garantir que le déni de nationalité ne soit pas une discrimination. L’Autriche a rappelé qu’elle est le principal parrain de la résolution sur les minorités ethniques, linguistiques et autres. Elle a demandé quels sont les principaux objectifs du forum de cette année sur les minorités et quelles mesures légales permettraient de réduire l’apatridie.
Le Mexique a souhaité connaître l’avis du Rapporteur spécial sur les mesures supplémentaires que son gouvernement pourrait prendre pour collecter des données à la naissance parmi les communautés isolées et nomades, ce qui permettrait à ces personnes de ne pas avoir à prouver leur nationalité.
L’Iraq a affirmé être l’un des pays les plus divers en termes d’ethnies et de langues. Il a rappelé que sa Constitution garantit le droit des minorités et que le Parlement iraquien avait adopté, en 2012, une loi garantissant l’enregistrement de ces groupes à la naissance. De plus, la langue kurde est devenue une langue officielle au même titre que l’arabe car « chacun fait partie de la société iraquienne ». La République arabe syrienne a rappelé les conséquences destructrices de l’utilisation de terminologies comme « majorité » et « minorité ». Le rapport ne parle pas des raisons réelles de la perte de citoyenneté imposée à des Syriens, a-t-elle regretté, alors que ces raisons sont connues et sont liées à l’occupation israélienne et aux pays pratiquant le terrorisme.
La Fédération de Russie a mis l’accent sur l’acuité de la question de l’apatridie, du fait que les apatrides sont soumis à plus de discriminations que les autres par le simple fait qu’ils souffrent de la privation de leur citoyenneté. Elle a dénoncé la création, dans deux États baltes, d’un statut de non-citoyen réservé notamment aux anciens citoyens de l’Union soviétique et à leurs enfants, parlant de « non-sens juridique » et demandant une correction de la situation. Elle a en outre évoqué la discrimination religieuse à laquelle se livrent les autorités ukrainiennes.
La Lettonie a répondu à la Fédération de Russie que les « non-citoyens » du pays originaires de l’ex-URSS n’étaient pas considérés comme apatrides. C’est le seul groupe de non-citoyens qui a une résidence permanente en Lettonie et bénéficie des autres privilèges liés à la citoyenneté, si ce n’est qu’il n’a pas le droit de voter et de travailler dans les structures de sécurité du pays. L’Ukraine a rappelé que, du fait de sa situation historique, beaucoup de minorités vivent dans le pays. Or les minorités nationales sont touchées par l’agression russe. En outre, l’Ukraine fait de l’éducation une priorité de développement, comme en atteste la réforme de 2017, laquelle vise à la transformation du système éducatif de façon novatrice et inclusive, notamment à l’égard des minorités. En travaillant dans la langue officielle –l’ukrainien-, on permettra aux Ukrainiens d’origine hongroise de participer aux structures de l’État, a fait valoir la délégation.
La Hongrie a déclaré partager les préoccupations du Rapporteur spécial sur l’apatridie. Elle juge essentiel de fournir aux minorités des droits collectifs et de protéger leurs droits communautaires. Elle s’est par ailleurs déclarée inquiète par la discrimination à l’encontre des minorités religieuses et par le déni du droit à l’éducation des minorités dans leur langue. C’est pourquoi la Hongrie est préoccupée par la loi ukrainienne limitant les droits des minorités en la matière et aimerait savoir quel aspect du mandat du Rapporteur spécial vise à réagir à ce problème.
La Slovénie -pays visité par M. de Varennes- a déclaré distinguer les minorités historiques et les communautés migrantes, dispersées sur le territoire. À ce sujet, elle a voulu savoir comment le Gouvernement devrait prendre en considération les différences qui existent entre ces groupes de communautés. Elle a aussi demandé à M. de Varennes d’indiquer les bonnes pratiques rencontrées à cet égard. Le Cameroun s’est présenté comme une « mosaïque de peuples et de cultures ». Maintenir la cohésion entre toutes ces composantes est un défi que relève le Gouvernement. Le Cameroun, qui a remercié le Rapporteur spécial de la demande de visite, a lui aussi souhaité obtenir des exemples de bonnes pratiques dans la gestion des minorités linguistiques quand elles se mêlent aux minorités ethniques.
Le Myanmar a dit compter sur son territoire 135 groupes ethniques minoritaires, assurant faire de leur protection une priorité. Exprimant son opposition à la terminologie de « minorité rohingya », il a dit partager la préoccupation du Rapporteur spécial sur la situation dans l’État rakhine. Compte tenu de la complexité de cette situation, le Gouvernement a mis le développement au centre des solutions, notamment en émettant des cartes de citoyenneté. Si le Myanmar reconnaît que l’apatridie peut être la cause de migrations, il rappelle que l’octroi de la nationalité relève de la décision souveraine des États.
L’Inde a réagi aux références faites au pays par le Rapporteur spécial, en affirmant que les minorités jouissaient en Inde d’une série de sauvegardes prévues par la Constitution. Actuellement en préparation, le projet de registre est régi par la loi sur la citoyenneté, a ajouté la délégation, décrivant ce processus comme « transparent, avec des possibilités égales pour tous ».
Réponses
Dans ses réponses, M. FERNAND DE VARENNES a d’abord rappelé que l’absence de discriminations était un droit fondamental des membres des minorités. Dès lors, la question de la nationalité ne peut être simplement une prérogative des États: elle doit aussi être conforme au droit international des droits de l’homme. L’apatridie est la situation dans laquelle se trouve une personne qui n’a pas de citoyenneté, a-t-il rappelé, elle ne doit pas être une question d’appartenance à une minorité.
Sur l’éducation et les langues des minorités, le Rapporteur spécial a rappelé que, dans son rapport précédent publié en 2017, il avait identifié ces deux points comme étant des priorités de son mandat. Il a précisé que, jusqu’à l’an dernier, il ne s’était pas occupé des minorités linguistiques mais que, depuis lors, il avait élaboré les premières directives pratiques sur le droit des minorités à l’éducation et à leurs langues.
Concernant les bonnes pratiques, le Rapporteur spécial a noté que certains pays avaient de très bonnes pratiques sur les minorités linguistiques notamment le Canada, où le français est la langue d’une minorité linguistique mais aussi une des deux langues officielles, avec l’anglais.
Enfin, M. de Varennes a rappelé que les questions relatives aux minorités religieuses et à la propagande haineuse via les médias sociaux étaient d’autres thèmes prioritaires de son mandat, de même que la prévention des conflits ethniques.
Concluant sur l’importance de la protection des droits humains des minorités, le Rapporteur spécial a estimé que la prévention des conflits concernait en particulier les minorités religieuses, ces mêmes minorités qui étaient visées par la propagande haineuse sur les médias sociaux.
Déclaration liminaire
M. MICHEL FORST, Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, a rappelé que 20 ans ont passé depuis l’adoption par l’Assemblée générale de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme, et malgré son rôle positif, il n’en demeure pas moins que ce sont plus de 3 500 défenseurs qui ont été assassinés et autant de familles ravagées. Encore ce bilan ne tient-il pas compte des centaines de milliers d’autres personnes bafouées dans leur dignité, attaquées, calomniées ou encore emprisonnées injustement, a ajouté le Rapporteur spécial. Si des avancées ont été réelles, elles n’ont pourtant pas été suffisantes pour enrayer un panorama aujourd’hui « alarmant » pour les militants des droits humains, a poursuivi M. Forst, expliquant ainsi le thème choisi pour son rapport, cette année, qui tente d’évaluer la mise en œuvre de la Déclaration sur la base d’une enquête mondiale couvrant 140 États.
Ces dernières années, la situation des défenseurs des droits de l’homme s’est dégradée, partout dans le monde, s’est alarmé M. Forst, qui s’est dit « plus que jamais préoccupé ». En effet, a-t-il poursuivi, depuis plus de quatre ans, et en poursuivant le travail amorcé par ses deux prédécesseurs, il n’a eu de cesse d’alerter sur les attaques grandissantes perpétrées contre les défenseurs des droits de l’homme. Il s’est notamment élevé contre les « initiatives sournoises visant à critiquer la légitimité des défenseurs, à multiplier les législations pour entraver l’action de la société civile et à remettre en question l’existence même de ce mandat ». Pire! Même des États qui semblaient jusque-là épargnés « sombrent progressivement dans les abîmes de l’autoritarisme », a-t-il dénoncé.
Ce rapport doit être l’occasion de « nous interroger, vous interroger, vous les États Membres » des Nations Unies sur ce que « nous n’avons pas réussi à faire ou à mieux faire » depuis 20 ans et à répondre à des questions dont on ne peut faire l’économie, a poursuivi le Rapporteur spécial. Les questions sont les suivantes: « Comment déconstruire les discours portés par des autoritarismes décomplexés? Comment s’attaquer aux causes profondes, systémiques qui sont le terreau des attaques perpétrées contre les défenseurs? » Et enfin, « Comment s’assurer que les engagements forts pris par les États à New York, il y a 20 ans, ne soient pas une coquille vide? »
En attendant, M. Forst a attiré l’attention des États sur les deux annexes qui accompagnent son rapport. L’une est une « tentative pour imaginer l’avenir » dans les 20 années à venir et l’autre préfigure un prochain rapport qui sera rendu public en fin d’année, a-t-il expliqué. Ce dernier couvrira la situation des défenseurs des droits de l’homme, avec une rentrée par pays. Quelque 140 pays sont concernés.
Pour finir, M. Forst a salué les Gouvernements du Honduras et de la République de Moldova pour leur coopération lors de sa visite officielle et la Colombie pour son invitation à se rendre dans ce pays. Il a dit espérer que le début de dialogue avec la République démocratique du Congo et la requête envoyée au Gouvernement de l’Afrique du Sud puissent se matérialiser par des visites en 2019.
Dialogue interactif
Lors du dialogue avec M. Michel Forst, l’Espagne a souligné que la protection des défenseurs des droits de l’homme figurait parmi ses engagements en tant que membre du Conseil des droits de l’homme. Elle a souhaité savoir quelles sont les mesures jugées efficaces pour lutter contre les conséquences négatives pour les défenseurs qui collaborent avec le mandat du Rapporteur spécial. Plus largement, l’Union européenne, qui a rappelé son engagement en faveur des droits des défenseurs des droits de l’homme, a demandé des exemples de bonnes pratiques des États pour protéger les défenseurs de droits et s’en prendre aux activités visant à limiter leur action. La Slovénie a rappelé que toutes les parties prenantes avaient élaboré des lois de protection pour les défenseurs et que, pourtant, ces derniers courent encore de grands risques dans de nombreuses régions du monde. Dès lors, comment faire en sorte que les défenseurs puissent mener leurs activités sans crainte et que l’on lutte mieux contre l’impunité, si l’État refuse de coopérer? La Belgique, elle aussi, a noté que beaucoup restait à faire pour créer un environnement sûr pour les défenseurs des droits de l’homme avec un débat libre.
Pour la France, il faut tout faire pour que les principes de la Déclaration de 1998 permettent aux défenseurs des droits de mener librement leurs activités. Il faut aussi lutter contre les discriminations dont les défenseurs sont victimes, notamment les femmes, ainsi que contre toutes les pratiques du musèlement, qui peuvent aller jusqu’à l’assassinat. La France rappelle qu’une réunion consacrée aux défenseurs se tiendra, à Paris, du 29 au 31 octobre. Qu’attend le Rapporteur spécial du Sommet de Paris, a demandé la Suisse, qui a noté que M. Forst s’était prononcé en faveur de la production de récits positifs et valorisants de la défense des droits de l’homme et a demandé quel serait le meilleur moyen d’y parvenir.
La République tchèque a rappelé que chaque jour, une personne est tuée en défendant les droits des autres. Réaffirmant son soutien à ces défenseurs, elle a estimé que l’introduction de lignes directrices pourrait servir d’outil au renforcement de la coopération. Elle a demandé au Rapporteur spécial comment ces outils pourraient dépasser les limites d’une région. Le Liechtenstein, qui est préoccupé la diminution constante de l’espace réservé aux défenseurs des droits de l’homme, a voulu connaître les recommandations du Rapporteur spécial. Ce sont des recommandations portant sur la défense des défenseurs des droits de l’homme en ligne que l’Estonie a, pour sa part, demandée au Rapporteur, tout en appelant une vigilance continue pour que les défenseurs puissent participer aux échanges internationaux sans crainte de représailles.
Le Canada a noté les progrès accomplis en 20 ans. Mais, a-t-il demandé, alors que les représentants des États critiquent de plus en plus les défenseurs des droits de l’homme et, en dépit des efforts de la société civile pour faire reconnaître leurs droits, comment la communauté internationale peut-elle offrir un recours aux défenseurs victimes de violation commise par des États censés les protéger?
La Pologne, qui a rappelé avoir connu un régime communiste oppressif, a affirmé accorder une grande importance au travail des défenseurs des droits de l’homme. Elle a demandé quelles mesures pratiques pourraient être prises par la communauté internationale pour encourager les États Membres à consolider leur législation en la matière. Consciente du rôle central des défenseurs des droits dans la protection des droits de l’homme, l’Irlande a rappelé que plus de 1 000 de ces défenseurs avaient payé leur action de leur vie et que de nombreux autres faisaient l’objet de représailles. Elle a demandé au Rapporteur spécial s’il y a eu des évolutions dans ce domaine cette dernière année. À cet égard, la Norvège a dit attendre le rapport mondial sur les défenseurs des droits de l’homme, qui sera présenté en décembre.
Pour l’Islande, les politiques des gouvernements ne doivent pas entraver l’action des défenseurs des droits de l’homme. Or ces derniers font l’objet d’attaques et de menaces, notamment dans le domaine de l’environnement. Est-ce qu’une nouvelle approche est nécessaire pour améliorer la protection de ces défenseurs, a-t-elle demandé.
L’Australie a souligné qu’en vertu de la Déclaration, tous les défenseurs de droits devaient être protégés, et a mis l’accent sur les droits des défenseurs des droits de l’homme des autochtones et des femmes, qui figurent parmi les groupes les plus vulnérables. Elle a encouragé le Rapporteur spécial à poursuivre son travail avec les organes conventionnels et les organes des Nations Unies.
Pour le Mexique, la Déclaration a constitué un changement de paradigme fondamental pour les défenseurs des droits de l’homme. Renouvelant son engagement en faveur de la protection de ces personnes, il a estimé que tous les États devaient créer un environnement sûr et propice au travail des défenseurs. La Colombie a rappelé le rôle des défenseurs des droits de l’homme, indispensable selon elle à la réalisation pleine et entière des droits visés par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Elle a rappelé qu’elle avait instauré un nouveau système de prévention et d’alerte précoce pour protéger ces personnes et s’est dite impatiente d’accueillir le Rapporteur spécial.
Les Émirats arabes unis ont réaffirmé leur engagement en faveur de la protection des défenseurs, notamment pour répondre aux exigences du bien-être de la société. Ils se sont déclarés prêts à travailler avec les parties prenantes sur la question fondamentale des défenseurs des droits.
Les États-Unis se sont dits préoccupés par les violations des droits des défenseurs, notamment par la détention de plusieurs d’entre eux au Bahreïn, au Cameroun, en Chine, en Égypte, à Cuba, au Nicaragua, en Fédération de Russie, au Soudan du Sud, en Syrie, au Tadjikistan et au Venezuela. Ils ont exhorté ces Gouvernements à mener des enquêtes crédibles sur ces cas.
La Fédération de Russie a noté que le rapport du Rapporteur spécial fait état d’obligations liées à la Déclaration, un texte qui n’est pas juridiquement contraignant. Elle a reproché au Rapporteur spécial de vouloir soustraire les défenseurs des droits à la juridiction nationale applicable sur le territoire où ils agissent. Elle a cependant estimé, comme M. Forst, que toute poursuite de personne coopérant avec l’ONU devait être condamnée.
La Chine, qui croit à l’égalité de tous devant la loi, estime que les défenseurs des droits ne devraient pas se voir accorder de droits spéciaux. Ceux qui commettent des actions criminelles en affirmant défendre les droits doivent être traduits en justice. La Chine a en outre dénoncé comme sans fondement les affirmations de M. Forst sur la façon dont elle s’en prend aux criminels, et a invité les États-Unis à s’occuper des violations des droits commises sur leur propre territoire. Cuba aussi s’en est prise aux États-Unis, se disant frappée par la façon dont ce pays prétend défendre les défenseurs des droits alors qu’il est impliqué dans les pires scandales des droits de l’homme dans le monde entier. Elle a notamment cité le « blocus criminel » imposé à Cuba par les États-Unis. En outre, Cuba rejette toute tentative de politisation de cette question, de même que les tentatives visant à présenter des prisonniers comme des défenseurs des droits de l’homme.
Enfin, la République islamique d’Iran s’est déclarée convaincue que la diversité des défenseurs des droits reflète la diversité d’une société, mais estime que ces défenseurs ne doivent pas devenir une plateforme pour certains groupes ou intérêts ayant des visées politiques.
Réponses
Dans ses réponses, M. MICHEL FORST, a averti que « beaucoup d’entre vous n’allez pas aimer le rapport que je présenterai en décembre parce que vous y trouverez des détails sur les défenseurs des droits dans vos pays… ». À propos de la réunion de Paris prévue à la fin de ce mois, il a expliqué qu’il ne s’agissait pas de réunir une centaine de défenseurs des droits mais de voir ce qui a été fait en 20 ans pour les protéger. « Beaucoup a été fait », a-t-il reconnu, ajoutant qu’il s’était rendu dans plus de 25 pays cette année. Il a en outre dit avoir pensé que l’ONU pourrait faire davantage et a appelé les États Membres à pousser les Nations Unies à adopter une stratégie globale sur la question.
Le Rapporteur spécial a dit vouloir remercier la Fédération de Russie d’avoir rappelé que la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme n’était pas un instrument contraignant. Elle reprend cependant des références claires à des instruments contraignants, a-t-il expliqué, avant de rappeler qu’il s’agissait d’un ensemble de droits auxquels tous les États avaient décidé de souscrire. La Déclaration n’était peut-être pas contraignante, mais les droits qu’elle contient, eux, le sont.
Rappelant enfin qu’il existe en effet différentes catégories de défenseurs des droits de l’homme et notamment des femmes, M. Forst a conclu en annonçant que son prochain rapport porterait sur les défenseuses des droits de l’homme.
Déclaration liminaire
Mme KARIMA BENNOUNE, Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels, qui présentait son dernier rapport thématique sur « l’universalité et la diversité culturelle », a regretté que le respect de la diversité culturelle soit menacé par notamment ceux qui cherchent à imposer des identités et des manières d’être monolithiques, ceux-là mêmes qui « défendent diverses formes de suprématie et de discrimination ».
Souvent, la diversité culturelle est encore interprétée à tort comme étant contraire à l’universalité, y compris par certains gouvernements et d’autres acteurs qui en abusent pour excuser des violations des droits de l’homme, et par d’autres qui s’opposent totalement à ce concept, a poursuivi la Rapporteuse spéciale. Pour Mme Bennoune, l’universalité fait aujourd’hui l’objet d’attaques soutenues de diverses origines, y compris de ceux qui abusent de la culture et des justifications des droits culturels.
Pour la Rapporteuse spéciale, cette situation pose de nombreux défis pour tous les droits de l’homme, y compris les droits culturels. Pour y faire face, elle a invité à réfléchir à un « renouveau fondamental de l’universalité » pour nourrir la tradition de la Déclaration universelle des droits de l’homme au cours des 70 prochaines années.
Pour Mme Bennoune, « l’universalité n’est pas une arme contre la diversité culturelle et cette dernière n’est certainement pas une arme contre l’universalité ». Au contraire, les deux principes se renforcent mutuellement. C’est pourquoi la Rapporteuse spéciale a dit s’inscrire, dans ce monde polarisé, en faveur d’une approche multidirectionnelle sophistiquée.
Mme Bennoune s’est particulièrement intéressée au sort des femmes, dont les droits culturels régulièrement menacés doivent être défendus avec rigueur, en particulier dans un monde où les femmes sont dénigrées ouvertement, notamment par des dirigeants. De même, elle a évoqué les faits d’assimilation forcée qui ont parfois été imposés, notamment aux peuples autochtones, aux minorités et aux personnes vivant sous le colonialisme, ainsi que le dédain avec lequel leurs ressources culturelles ont souvent été traitées.
L’universalité concerne la dignité humaine et non l’homogénéité, a plaidé la Rapporteuse spéciale. Cependant, a-t-elle poursuivi, il est également important de reconnaître la « diversité des diversités », non seulement entre les collectivités humaines, mais aussi au sein de celles-ci. Ce concept brise le mythe des blocs culturels homogènes et remet en cause le pouvoir de toute personne ou institution d’imposer une interprétation aux ressources culturelles, a fait observer la Rapporteuse spéciale, pour qui il devrait aussi, dans chaque pays, exister des dispositions et des mécanismes pour protéger ceux qui décident de sortir du cadre culturel et religieux.
En conclusion, la Rapporteuse spéciale a invité l’assistance à se joindre à elle pour approfondir la discussion sur ces questions, lors d’un événement parallèle organisé le jour même en présence du prix Nobel de littérature Wole Soyinka.
Dialogue interactif
Lors du dialogue avec Mme Karima Bennoune, l’Union européenne a observé que l’universalité des droits de l’homme était aujourd’hui menacée par différents acteurs. Elle a aussi jugé important de reconnaître et mettre en valeur la diversité culturelle dans le cadre des droits de l’homme. Mais elle estime aussi qu’il faut éviter d’utiliser la culture pour justifier la violation des droits de l’homme et aimerait l’avis de la Rapporteuse spéciale sur la question de l’éducation aux droits de l’homme.
La Fédération de Russie a jugé « originale » la démarche de Mme Bennoune, estimant contradictoires nombre des idées avancées dans son rapport. Elle a ainsi dénoncé le parallèle effectué entre les traditions culturelles et les normes universelles et rejeté les positions de la Rapporteuse spéciale sur la légalité des traditions et de l’héritage non matériel. La Fédération de Russie demande à la Rapporteuse spéciale de ne pas imposer de nouvelles catégories de droits et l’a invitée à travailler dans le strict périmètre du droit international.
Réponses
Dans ses réponses, Mme KARIMA BENNOUNE a expliqué être impatiente de fêter le soixante-dixième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, y voyant un moment important pour soutenir l’universalité, d’autant que son propre mandat fêtera ses 10 ans l’année prochaine.
Elle a remercié l’Union européenne pour avoir mis l’accent sur l’éducation aux droits de l’homme, qu’elle juge essentielle à la promotion de l’universalité et la diversité culturelle. « J’ai été troublée par les discours d’atavisme culturel qui sont devenus populaires dans le monde universitaire, notamment dans le monde anglophone » a–t-elle expliqué, avant d’ajouter que les institutions académiques devraient trouver des moyens de remettre en question ce relativisme. « L’éducation aux droits de l’homme est importante et devrait être financée à tous les niveaux, que ce soit pour les étudiants et pour le grand public » a-t-elle encore déclaré. À la Fédération de Russie, la Rapporteuse spéciale a dit avoir de son mandat une vision différente qui se fonde sur des normes internationales.
Abordant la question de la famille, Mme Bennoune a expliqué que cette dernière pouvait jouer un rôle très positif dans les droits de l’homme mais qu’elle pouvait aussi être un lieu de violation des droits de l’homme. « Ce n’est pas parce qu’elle peut jouer un rôle positif qu’il faut accepter les violations des droits de l’homme qui existent en son sein » a-t-elle affirmé. Elle s’est en outre dite en accord avec le Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme quand il dit que les traditions sont souvent utilisées pour soutenir le statu quo et, donc, maintenir des relations de pouvoir, et que ce sont les plus marginalisés qui ont le plus à perdre d’une approche axée sur les traditions en matière de droits de l’homme. « La culture évolue avec le temps et, historiquement, à certains endroits et à certaines époques, l’esclavage ou encore la domination était justifiée au nom de valeurs traditionnelles », choses qui sont considérées aujourd’hui comme tout à fait répugnantes, a-t-elle fait observer. Pour la Rapporteuse spéciale, il existe aussi dans le cadre culturel le droit de faire de nouveaux choix par rapport aux valeurs actuelles et abandonner certaines pratiques.
Déclaration liminaire
Mme YANGHEE LEE, Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme au Myanmar, a entamé son exposé en faisant état d’une « lueur d’espoir » pour que justice soit rendue au peuple du Myanmar. En septembre, en effet, le Conseil des droits de l’homme, aidé par une note conceptuelle de la Rapporteuse spéciale, a adopté une résolution établissant un nouveau Mécanisme indépendant chargé de collecter, préserver et analyser les preuves des plus graves crimes et violations du droit international commis au Myanmar depuis 2011 et de préparer des procès pénaux équitables. La résolution, a ajouté Mme Lee, prévoit aussi la création d’un fonds de soutien aux victimes qui ne prouvera son utilité que s’il sert à assurer la subsistance et la quête de justice de ces personnes.
Déplorant que le Gouvernement du Myanmar continue de lui interdire l’accès à son territoire, rendant difficile son évaluation de la situation des droits de l’homme sur place, Mme Lee a émis l’espoir qu’il change de position quant à son mandat et à celui de la Mission d’établissement des faits présidée par M. Marzuki Darusman. À ses yeux, le refus d’accès est contraire aux engagements pris en faveur d’une transition démocratique, du respect de l’état de droit et de protection des droits humains. Dans ces conditions, le Gouvernement ne fait pas ce qui est nécessaire pour établir véritablement la paix et la réconciliation, et ne semble pas vouloir enquêter sur les violations des droits de l’homme, a accusé la Rapporteuse spéciale.
Observant que la défense du Gouvernement consiste à rappeler que sa composante civile n’a pas de contrôle sur sa branche militaire, Mme Lee a indiqué ce n’était qu’en partie vrai, les responsables civils ayant de réels pouvoirs mais choisissant, tacitement ou explicitement, de ne pas en user. À cet égard, a-t-elle souligné, la Conseillère d’État devrait se souvenir de son long combat pour la démocratie et recourir à toute son influence morale et politique pour mettre un terme aux atrocités, violations et abus commis au Myanmar.
Pour Mme Lee, le Gouvernement pourrait décider de réformes afin de faire cesser le rétrécissement constant de l’espace démocratique. Au lieu de cela, ses actions et inactions contribuent à une dégradation de la situation. Des informations font ainsi régulièrement état de poursuites engagées contre des avocats, des journalistes et des militants dans l’exercice de leurs droits et libertés légitimes. De plus, a constaté la Rapporteuse spéciale, les projets de développement que mène le Gouvernement, parfois avec des investissements étrangers, ont le plus souvent des répercussions négatives sur les communautés locales et l’environnement.
Dans les États kachin et shan, plus de 100 000 personnes restent déplacées depuis 2011, a poursuivi Mme Lee, notant que les accès à l’aide humanitaire, déjà faibles, continuent de se réduire, y compris pour les organisations humanitaires. À ce sujet, des informations font apparaître que le Gouvernement a le projet de fermer des camps, ce qui est contraire aux normes du droit international. Dans l’État kachin, les déplacés ont été relogés dans des lieux qu’ils n’ont pas choisis et avec peu de soutien. Dans l’État rakhine, des personnes qui vivaient dans des camps depuis 2012 auraient récemment été transférées dans des logements neufs à l’intérieur de ces camps alors qu’elles demandaient à rentrer chez elles. Cette situation semblable à l’apartheid contribue à renforcer la ségrégation des communautés musulmanes, la population de ces camps étant entièrement composée de Kaman et de Rohingya, a encore accusé la Rapporteuse spéciale.
S’agissant des Rohingya, Mme Lee a dit avoir été informée de cas de harcèlement et d’extorsion ainsi que de travail forcé. De surcroît, la campagne gouvernementale visant à imposer des cartes de vérification nationales aux Rohingya serait au point mort. Or, sans ce document, les populations concernées ne peuvent se déplacer, utiliser l’électricité, commercer ou encore pêcher.
Au total, a souligné la Rapporteuse spéciale, plus d’un million de réfugiés de différentes ethnies et religions vivent dans des conditions précaires au Bangladesh, en Inde et en Thaïlande en raison des persécutions que leur ont fait subir le Gouvernement et l’armée du Myanmar. Si des plans sont mis en œuvre pour les rapatrier, rien n’indique que les lieux où ils rentreraient soient sûrs, a-t-elle mis en garde. Dans l’État chin frontalier de l’Inde, par exemple, des affrontements continuent d’opposer l’Armée de l’Arakan et l’armée du Myanmar, a-t-elle précisé, faisant également état de heurts à la frontière avec la Thaïlande et dans le nord de l’État rakhine, frontalier du Bangladesh.
Mme Lee s’est par ailleurs félicitée de la décision de la chambre préliminaire de la Cour pénale internationale (CPI) selon laquelle la CPI pourrait exercer sa juridiction sur les expulsions présumées de Rohingya vers le Bangladesh. Pourtant, en dépit des accusations de crimes de génocide et de crimes contre l’humanité dans l’État rakhine, et de crimes de guerre et contre l’humanité dans les États shan et kachin, le Gouvernement du Myanmar continue de nier toute responsabilité. De fait, a concédé la Rapporteuse spéciale, les efforts menés au travers de la CPI et du Conseil des droits de l’homme afin d’obtenir une forme de redevabilité pourraient se révéler insuffisants pour combattre l’impunité au Myanmar.
Notant que la mise en place du futur Mécanisme indépendant constitue une étape intérimaire, Mme Lee a estimé que la communauté internationale doit continuer de s’employer à faire traduire devant la CPI les personnes reconnues coupables de crimes graves. Le Conseil de sécurité doit faire montre d’unité et en référer sans délai à la CPI, a-t-elle plaidé, appelant d’autre part l’Assemblée générale à soutenir la mise en œuvre des résolutions du Conseil des droits de l’homme sur le Myanmar.
Pour finir, Mme Lee a jugé intolérable le non-respect par le Myanmar de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, à laquelle il est partie, et des obligations liées aux traités internationaux en matière d’enquêtes et de procès sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
Déclarations
M. POVEDO BRITO (Venezuela), au nom du Mouvement des pays non alignés, a rappelé la position de principe du Mouvement, encore réaffirmée en avril 2018 lors de sa dix-huitième Conférence, tenue à Bakou, à savoir que les droits de l’homme sont universels et interdépendants et que cette question doit être traitée par le biais d’une approche constructive et non sous le prisme politique. Il s’agit de respecter la non-ingérence, l’impartialité, la non-sélectivité et la transparence, a insisté le représentant. À cet égard, le Mouvement des pays non alignés s’élève contre la sélectivité et l’exploitation des droits de l’homme à des fins politiques. Il appelle à une plus grand cohérence et complémentarité entre le Conseil des droits de l’homme et la Troisième Commission, afin d’éviter les doubles emplois et les chevauchements. Dans ce cadre, l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme constitue le mécanisme le plus approprié, dans ce contexte, pour examiner la situation des droits de l’homme dans tous les pays, a conclu le représentant.
M. HAU DO SUAN (Myanmar), au titre de pays concerné, a affirmé que, depuis 1995 et malgré une coopération continue, le Myanmar continuait d’être traité de manière discriminatoire. Cet examen à la loupe dure depuis 26 ans. Certes, le rapport fait mention des efforts du Gouvernement dans quelques domaines mais il persiste dans sa critique sur la base d’éléments non vérifiés, sans tenir compte des développements dans le pays, a-t-il accusé. Pour le représentant, le rapport relève d’une volonté non exprimée et d’intentions politiques cachées. Il a notamment jugé décourageant et contreproductif la demande de la Rapporteuse spéciale de renvoyer à la Cour pénale internationale (CPI) les cas de violations des droits de l’homme.
De telles attitudes ne vont pas entraîner un dialogue constructif entre le Myanmar et les Nations Unies, a poursuivi le représentant, qui a estimé que la Rapporteuse spéciale était allée bien au-delà de son mandat. Il a toutefois fait part de la détermination de son pays à continuer à coopérer pour montrer notre bonne foi.
Il n’y a pas de solutions miracles, il faut de la patience, a insisté M. Suan, qui s’est élevé contre l’imposition de programmes de l’étranger, affirmant que cela ne faciliterait pas le processus. Il a cité la coopération de son pays avec divers représentants du Secrétaire général et avec l’ONU en général, affirmant que ce genre de relations constituait la pierre angulaire de la politique étrangère de son pays. Il a aussi évoqué des « efforts concrets » pour faire face à la question de l’État rakhine, rendant responsable de l’actuelle situation l’héritage colonial.
Le représentant a également abordé la mise en place d’une Commission d’enquête indépendante nationale qui, a-t-il assuré, va s’acquitter de son mandat en toute transparence. Il a parlé des efforts menés sur le plan national pour encourager la paix et la réconciliation nationale, indiquant pour finir que l’établissement d’une Union fédérale et le parachèvement des normes démocratiques était le but ultime du Gouvernement de son pays. En dépit des défis, le Gouvernement du Myanmar œuvre à établir cette union basée sur la démocratie et le fédéralisme pour le bénéfice de tous ses citoyens, a conclu M. Suan.
Dialogue interactif
Lors du dialogue avec Mme Yanghee Lee, plusieurs délégations, telles que le Burundi, Cuba, ou encore la République populaire démocratique de Corée (RPDC), ont réitéré leur opposition permanente au rapport de pays qui « ne sont pas objectifs » et ont dénoncé la sélectivité des procédures des Rapporteurs spéciaux. La République démocratique populaire lao a ainsi insisté sur le fait que l’Examen périodique universel était la seule voie à suivre en matière de droits de l’homme. La Chine a, quant à elle, appelé à respecter la souveraineté du pays et a lui fournir une assistance constructive.
Le Bangladesh a déploré que la Rapporteuse spéciale n’ait pas eu accès au Myanmar et que, malgré la volonté du Bangladesh, il soit très difficile de commencer le processus de rapatriement des Rohingya, à moins que des efforts significatifs soient fournis pour traiter des racines de leurs mauvais traitements. Autre pays d’accueil des Rohingya, la Malaisie a déploré les conséquences à long terme de cette crise, qui « affecte toute la région » et a jugé nécessaire de mobiliser des mécanismes internationaux pour mettre les auteurs de crimes devant les tribunaux. Le Japon a déclaré partager les préoccupations de la communauté internationale, alors que la République de Corée se disait préoccupée par la lenteur des progrès sur le terrain et rappelait la nécessité de créer des conditions pour le retour digne des personnes déplacées chez elle.
Un grand nombre de délégations occidentales, telles que la Suisse, les États-Unis, l’Union européenne ou la Norvège, se sont inquiétées de la situation sur place et ont déploré qu’après les progrès de ces dernières années le Myanmar connaisse un rétrécissement de son espace démocratique.
D’autres délégations ont particulièrement insisté sur la liberté de la presse et l’emprisonnement des journalistes sur le terrain, telles que les États-Unis, l’Allemagne, la République tchèque et l’Australie.
Le Royaume-Uni a, pour sa part, demandé comment encourager la participation au niveau national. L’Irlande a demandé à la Rapporteuse spéciale ce qui pouvait être fait pour faire face aux risques sur le long terme. Enfin, le Canada a demandé à Mme Lee dans quels domaines avaient été réalisés les plus grands progrès et enregistrés les revers les plus significatifs.
Réponses
Dans ses réponses, Mme YANGHEE LEE a évoqué tout d’abord les progrès réalisés dans les domaines du développement économique, au niveau des infrastructures, avec beaucoup d’amélioration au niveau de la santé et de l’éducation avec la possibilité d’accès aux élèves vivant dans les régions éloignées. S’agissant des points négatifs, la Rapporteuse spéciale a cité l’espace démocratique, la liberté d’expression, des médias, et de réunion. Ce sont là des domaines qui nécessitent beaucoup d’amélioration.
Face aux discours de haine, Mme Lee a préconisé un cadre législatif très ferme: il faut respecter le Plan d’action de Rabat, a-t-elle insisté à cet égard. S’agissant de la Commission nationale d’enquête mise en place au Myanmar, elle a appelé à travailler sur le plan national en faveur de solutions sur le plus long terme.
Quant à savoir ce qui peut être fait de plus, la Rapporteuse spéciale a cité, en premier lieu, un soutien au Bangladesh, qui a été « extrêmement généreux » avec les réfugiés. Il faut que les promesses entendues ici soient suivies d’effet, a insisté Mme Lee, qui a appelé les donateurs à honorer leurs promesses. Pour appuyer les réformes et réagir à l’injustice, elle a considéré la création du Mécanisme indépendant décidé par le Conseil des droits de l’homme comme un premier pas. Les auteurs de crimes graves doivent être poursuivis et la Rapporteuse spéciale a appelé le Conseil de sécurité à référer ces questions à la Cour pénale internationale (CPI). Si le Conseil de sécurité ne parvient pas à s’entendre sur une telle mesure, la communauté internationale doit envisager la création d’un tribunal ad hoc, a-t-elle conclu.
Déclaration liminaire
M. MARZUKI DARUSMAN, Président de la Mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le Myanmar, a rappelé que son organe avait été mandaté par le Conseil des droits de l’homme pour établir les faits et les circonstances des récentes allégations de violations et abus des droits de l’homme au Myanmar, et ce, afin d’assurer la redevabilité des auteurs et la justice pour les victimes.
Le rapport de la Mission, qui compte 444 pages, montre le mépris flagrant de l’armée du Myanmar, connue sous le nom de « Tatmadaw », pour la vie et la dignité humaine et pour le droit international en général, a accusé M. Darusman. Il présente des tendances atroces de violations des droits de l’homme infligées non seulement aux Rohingya mais aussi à l’ethnie rakhine, aux musulmans Kaman, aux minorités ethniques et religieuses dans les États kachin et shan et, entre autres, aux défendeurs des droits bamar. Il montre que ces violations sont liées aux pratiques et tactiques du Tatmadaw, qui encouragent et permettent les attaques de civils et le viol de femmes et de filles. Il analyse comment les chefs sont en charge de ces violations et comment ils ont pu agir en toute impunité. M. Darusman a de plus expliqué que son rapport était basé sur une enquête d’une année, en accord avec les principes d’indépendance, d’impartialité et d’objectivité.
M. Darusman a ensuite expliqué que les Rohingya avaient toujours été et étaient encore sujets à des traitements particulièrement brutaux, et que c’étaient les « opérations de déminage » du Tatmadaw qui avaient provoqué l’exode de masse des Rohingya vers le Bangladesh. Des pratiques d’un tel niveau de violence ne peuvent se comprendre sans le contexte des politiques et pratiques de l’État du Myanmar depuis des décennies, qui ont mené à la constante marginalisation des Rohingya et à l’ostracisme à leur égard, a poursuivi le Président de la Mission.
Ces politiques, a expliqué M. Darusman, ont abouti à l’institutionnalisation d’un système d’oppression affectant la vie des Rohingya de leur naissance à leur mort, ce qui a entraîné une diminution de la population. Ce système existe toujours et les Rohingya encore présents dans le pays ne sont pas en sécurité, a-t-il poursuivi. De même, imposer un « retour des Rohingya dans le pays pour faire face aux mêmes conditions qu’ils ont fuies serait les contraindre à revivre les mêmes souffrances », a-t-il averti.
M. Darusman a en outre répété que les violations des droits de l’homme au Myanmar n’étaient pas limitées à l’État rakhine et que ses investigations dans les États kachin et shan avaient mis en lumière des tendances similaires.
Et maintenant que faire? s’est interrogé le Président. L’impunité a détruit le pays et fait dérailler toutes les tentatives de réformes démocratiques, a-t-il déploré. Pour M. Darusman, une responsabilisation au sens large permettrait la transformation du pays en une société basée sur l’état de droit, l’égalité, la non-discrimination et le respect des droits de l’homme.
Déclaration
Au titre de pays concerné, M. YE MINN THEIN (Myanmar) a déclaré que le rapport de la mission d’enquête reposait sur la base de discours importés qui ne pourront qu’accroître les tensions et faire obstacle sur le chemin de la paix. C’est un rapport biaisé, basé sur des groupes qui ont leur propre objectif, a accusé le représentant. Pour le Myanmar, la « crise humanitaire » a été provoquée par l’attaque préméditée du groupe terroriste Armée du salut des Rohingya de l’Arakan (ARSA) à l’encontre des postes de police en août 2017. La Mission a ignoré ces attaques terroristes, a-t-il déploré.
Le Gouvernement du Myanmar, quant à lui, est déterminé à lutter contre les violations des droits de l’homme dans l’État rakhine ou dans tout autre lieu dans le pays. « Nous prendrons les mesures adéquates contre tout auteur en cas de preuves évidentes. Il n’y aura pas d’impunité », a assuré le représentant. Cependant, la délégation rejette de façon catégorique la référence à « l’intention de génocide » appliquée aux actions légitimes de lutte contre le terrorisme menées par les forces de sécurité dans l’État rakhine. Les conclusions de la Mission sont fondées sur des preuves invérifiées et sans aucun fondement, a-t-il conclu.
Dialogue interactif
Lors du dialogue avec M. Marzuki Darusman, de nombreuses délégations, dont les États-Unis, l’Islande, la République tchèque ou encore l’Australie -qui a expliqué avoir imposé des sanctions financières à la République populaire démocratique de Corée (RPDC)- ont appelé à mettre un terme à l’impunité et à traduire en justice les auteurs des violations des droits de l’homme. L’Arabie saoudite s’est en particulier préoccupée des discriminations qui touchent les communautés musulmanes du pays.
Les pays de la région ont notamment insisté sur la nécessite de garantir un retour des réfugiés, à l’image de la Thaïlande, de l’Indonésie, de Singapour et du Bangladesh, lequel a en outre demandé la mise en place d’un fonds d’affectation spéciale pour les victimes. Les Philippines ont félicité le Bangladesh pour son hospitalité. Le Japon a, quant à lui, insisté sur l’importance pour le Myanmar de procéder aux enquêtes lui-même.
D’autres délégations, majoritairement occidentales, ont demandé à ce que le dossier soit renvoyé devant la Cour pénale internationale (CPI), qui s’est déclarée compétente pour enquêter sur les crimes commis au Myanmar et notamment ceux de déportations forcées. Sont intervenues en ce sens l’Allemagne, la France ou encore le Liechtenstein. L’Union européenne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont en outre fait référence au nouveau Mécanisme décidé, en septembre, par le Conseil des droits de l’homme et ont appelé à sa mise en œuvre.
La Fédération de Russie a en revanche dénoncé le rapport et déploré que les informations qu’il contient soient basées sur une seule catégorie de sources, ce qui l’empêche d’être objectif. Elle a regretté que les analyses du rapport ne remontent qu’à 1962 alors même que « les problèmes du Myanmar sont les conséquences du lourd héritage du colonialisme britannique ».
Réponses
Dans ses réponses, M. MARZUKI DARUSMAN a d’abord apporté quelques précisions visant à répondre au représentant du Myanmar, notamment sur le fait que la Mission n’a pas interrogé d’autres groupes ethniques en dehors des camps de Cox’s Bazaar. Cela est dû au fait, a-t-il expliqué, que la Mission d’établissement des faits s’est vu interdire l’accès au Myanmar. Cependant, a-t-il insisté, « nous confirmons le contenu du rapport ».
Rappelant que ce n’est pas la première fois qu’un mécanisme mis en place par les Nations Unies se voit interdire l’accès d’un pays, M. Darusman a répété que, sur la base de « notre méthodologie, nous maintenons nos conclusions ». Il a, en outre indiqué que tout un passage de son rapport avait été consacré à l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan (ARSA) et qu’avant la publication du rapport, un exemplaire avait été remis à la Mission du Myanmar à Genève pour qu’elle réagisse. Cela n’a entraîné aucune réaction de la part de cette délégation, a précisé M. Darusman.
Quant à la question d’être patient ou non, la patience et la confiance en toute impunité sont dangereuses, a poursuivi le Président de la Mission. Le délégué du Myanmar a déclaré que la surveillance durait depuis 20 ans, mais pourquoi cela dure-t-il depuis si longtemps? s’est interrogé M. Darusman. Il y a eu huit variétés de commissions d’enquête sur le Myanmar, seul pays à en avoir connu autant, mais aucune n’a pu se rendre sur place. Pour la Mission, la patience n’est pas la solution pour régler le problème du Myanmar.
M. Darusman a également évoqué le rôle des médias sociaux et l’incitation à la haine. Il a, en conclusion, souhaité que la communauté internationale reconnaisse l’impératif du principe de responsabilité, avec le renvoi soit à la Cour pénale internationale, soit à un tribunal international. Pour lui, il est essentiel que la communauté internationale délibère sur la meilleure ligne de conduite à adopter.
Déclaration liminaire
M. TOMAS OJEA QUINTANA, Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée (RPDC), s’est dit bien conscient, au moment de présenter son rapport, de la complexité et des vicissitudes du processus de dénucléarisation en cours, mais n’en a pas moins regretté que la question des droits de l’homme soit restée en dehors de l’ordre du jour du dialogue de haut niveau en cours. Il s’est dit amer face à l’absence complète de toute référence à cette question lors des 10 mois de discussions.
Alors que la Déclaration de Panmunjom et la déclaration conjointe RPDC-États-Unis disent vouloir promouvoir la paix et la prospérité des peuples de Corée du Sud et du Nord, il n’a été fait mention dans aucune d’entre elles de la situation des droits de l’homme au Nord, a poursuivi le Rapporteur spécial. À ce jour, a-t-il regretté, il n’y a eu aucun engagement, ni indication ou stratégie pour traiter cette question délicate.
Nul n’est besoin de rappeler à la communauté internationale les résultats de la Commission d’enquête sur les droits de l’homme en RPDC établie par les Nations Unies en 2014, qui a fait état de graves violations des droits de l’homme, y compris la liberté d’expression, la discrimination, l’absence de liberté de mouvement, du droit à la nourriture et à la vie, a poursuivi M. Quintana, qui a également rappelé les détentions arbitraires, tortures, exécutions et disparitions forcées menées dans d’autres pays.
Aujourd’hui, a déploré M. Quintana, « nous devons faire face à l’amère réalité, qui est que les progrès en matière de situation géopolitique n’ont pas été accompagnés par un changement substantiel en matière de droits de l’homme ». Alors que le monde est témoin des rencontres entre les dirigeants des deux pays, le peuple de la RPDC continue de souffrir de sévères restrictions en matière de liberté, ainsi que d’insécurité alimentaire chronique, en plus de la pénibilité des conditions de vie, a-t-il dit.
Pour le Rapporteur spécial, parachever la paix, la dénucléarisation et la prospérité doit reposer sur de multiples actions, avec des implications sur les droits de l’homme, y compris l’aide humanitaire, le développement de projets d’infrastructures, les progrès au niveau des libertés. Tout cela doit aussi s’accompagner d’un défi historique: l’ouverture du pays à la coopération technique en matière de droits de l’homme et la mise en place d’un mécanisme crédible de surveillance.
C’est pourquoi, et sur la base du rapprochement actuel, M. Quintana a exhorté à saisir l’opportunité de la reprise des canaux de dialogue sur la paix et la dénucléarisation pour asseoir les bases d’un dialogue sur les droits de l’homme avec le Gouvernement de la RPDC.
Enfin, tout en rappelant que la RPDC lui refusait toujours l’entrée du pays, le Rapporteur spécial a expliqué que sa mission en République de Corée et au Japon lui avait permis de collecter, évaluer et faire des vérifications de la situation dans le pays. Le Rapport peut ainsi décrire les conditions de vie déplorables et les sévères restrictions à la liberté. En conclusion, M. Quintana a lancé un appel aux autorités de la RPDC pour leur dire que l’heure est venue d’ouvrir la question des droits de l’homme, pour mettre fin à l’ère de l’isolement et de permettre l’accès du pays.
Dialogue interactif
Lors du dialogue avec M. Tomas Ojea Quintana, toutes les délégations ont accueilli favorablement le rapprochement entre les deux Corées. En revanche, les réactions sur la situation des droits de l’homme en RPDC ont été mitigées.
Parmi les pays de la région, la République de Corée a insisté sur la nécessité de coopérer alors que le Japon qualifiait la situation en RPDC d’unique au monde et appelait au retour des victimes, notamment celles d’enlèvement. La Chine a, pour sa part, rejeté les propos du Rapporteur spécial concernant les rapatriements forcés de citoyens de la RPDC entrés en Chine, insistant sur le fait que « tous ceux qui sont entrés sur le territoire chinois de manière illégale ne sont pas des réfugiés mais des clandestins ».
La Chine s’est d’ailleurs associée aux délégations qui se sont une fois encore élevées contre la procédure des mandats de pays et ont défendu l’Examen périodique universel comme seul outil d’examen des droits de l’homme valable. Parmi ces délégations, la Fédération de Russie, la République arabe syrienne, Cuba, le Bélarus, le Burundi, le Myanmar, la République démocratique populaire lao et la République islamique d’Iran ont répété que la responsabilité fondamentale en matière de droits de l’homme reposait sur les États et qu’il était important de respecter la souveraineté de ces derniers.
En revanche, l’Australie, la Norvège, l’Allemagne, les États-Unis, la République tchèque, le Royaume-Uni, l’Argentine et l’Union européenne ont déploré les violations des droits de l’homme et de la liberté d’expression et se sont dits inquiets. L’Union européenne a également demandé au Rapporteur spécial si l’évolution actuelle des relations intercoréennes pouvait avoir une incidence sur les droits de l’homme et comment on pouvait utiliser l’Examen périodique universel pour améliorer la situation des droits de l’homme dans le pays.
Réponses
Dans ses réponses, M. TOMAS OJEA QUINTANA a d’abord jugé regrettable l’absence du représentant de la RPDC à l’occasion de ce dialogue, alors qu’un processus est enclenché dans le cadre de pourparlers de paix et du rapprochement entre la République de Corée et la RPDC, qui ouvre de nombreuses possibilités. Il a formé le vœu que l’année prochaine, « nous pourrions bénéficier de sa présence et engager un dialogue constructif ».
S’agissant des possibilités qu’offre le processus en cours, M. Quintana a appelé à mettre en œuvre toute l’ingéniosité nécessaire à travers la formulation de propositions concrètes, notamment à l’occasion des nombreux projets d’infrastructures qui seront lancés et qui toucheront divers secteurs, comme le développement économique, les routes ou le tourisme. Ces initiatives auront une incidence très forte sur les droits de l’homme en RPDC, notamment sur les travailleurs, en particulier les femmes. Dès lors, a suggéré M. Quintana, il faut proposer aux parties des stratégies concrètes.
Concernant les visites de titulaires de mandats de procédures spéciales en RPDC, M. Quintana a rappelé qu’à ce jour, le Gouvernement avait refusé quelque contact que ce soit avec le Rapporteur spécial aussi bien ici à New York qu’à Genève. Mais il s’est dit déterminé à créer un espace de dialogue. Quant à la responsabilisation et à la lutte contre l’impunité, ce sont des concepts qui sont au centre des travaux de la Troisième Commission et il faut les transcrire dans la réalité. Au Burundi, qui avait souligné la priorité de s’occuper d’abord des problèmes politiques et ensuite de la question des droits de l’homme, il a dit ne pas être d’accord avec cette approche, car, selon lui, le traitement doit se faire de « manière simultanée ».