En cours au Siège de l'ONU

Soixante-treizième session,  
11e séance – matin
AG/J/3571

Sixième Commission: les délégations des pays africains fustigent « abus » et « politisation » dans l’application du principe de compétence universelle

Les délégations des pays africains, emmenées par celle du Rwanda, ont, ce matin, devant la Sixième Commission (questions juridiques) critiqué en des termes très vifs l’application du principe de compétence universelle, jugée, tour à tour, « abusive », « politisée » et « manipulable », alors que d’autres délégations, en particulier occidentales, ont souligné son utilité dans la lutte contre l’impunité.  Poursuivant son débat sur la portée et l’application de ce principe, la Commission a entendu 30 orateurs. 

Alors que, de son propre aveu, un grand nombre des « principaux cerveaux » responsables du génocide au Rwanda en 1994 sont toujours en liberté, dans « l’arrière-cour » de certains pays, le délégué rwandais a indiqué que le potentiel d’abus de ce principe est « bien réel ».

« Nous devons être vigilants sur les motifs de certains avocats et juges qui se trouvent derrière certaines affaires appliquant ce principe de manière politisée », a-t-il asséné.  Mettant en garde contre l’exploitation de tribunaux de certains pays « pour harceler d’autres pays », le délégué s’en est pris à « ces juges isolés capables de prendre des pays en otage sous le prétexte de justice internationale ».

Même son de cloche du côté du délégué du Soudan qui a mis en garde contre l’instrumentalisation de ce principe par certaines cours nationales, qui en ont fait un « objet de discorde internationale ».  Les mandats d’arrêt contre les chefs d’État africains et qui visaient en réalité les populations africaines ont été rejetés catégoriquement, a-t-il souligné.

L’application de ce principe est largement influencée par des considérations politiques et vise à influencer la volonté d’acteurs extérieurs, a renchéri le délégué de l’Eswatini, en soulignant que ce principe se heurte par ailleurs « au relativisme culturel ».  « Il est fallacieux de penser qu’il existe une série de normes morales et que les cours d’un pays voulant appliquer le principe de compétence universelle savent avec certitude quelles sont ces normes. »

Hier, par la voix du délégué de la Gambie, le Groupe des États d’Afrique avait tenu à souligner l’importance de respecter d’autres normes relatives au droit international dans l’application du principe de compétence universelle, dont la souveraineté égale des États, la juridiction territoriale et l’immunité des dignitaires en vertu du droit international coutumier.

Le délégué gambien avait également dénoncé un « usage arbitraire » de ce principe, s’appuyant sur une supposée coutume internationale, tandis que son homologue du Maroc a demandé aujourd’hui une application « judicieuse » et « rationnelle » de ce principe.  Le Burkina Faso a pareillement mis en garde contre une application « à géométrie variable ».

De nombreux délégués ont appuyé leurs homologues africains, à commencer par celui de la Fédération de Russie qui a jugé « avéré » ce danger de la politisation.  « Il existe d’autres instruments internationaux de lutte contre l’impunité comme l’entraide judiciaire », a-t-il déclaré.

De son côté, la déléguée de Cuba a tenu à rappeler que l’application de la compétence universelle doit être complémentaire de l’action et de la compétence nationale de chaque État, celle-ci devant, en tout état de cause, primer.  L’application de la compétence universelle doit être limitée à des situations exceptionnelles, a-t-elle résumé.

Un nombre restreint de délégations ont néanmoins apporté leur soutien à l’application de ce principe, dont celle du Liechtenstein qui a pris soin de préciser que ce principe permet de combler une « lacune » dans la lutte contre l’impunité, « lorsque les États de nationalité de l’auteur de l’infraction ou sur le territoire duquel l’infraction a été commise ne veulent ou ne peuvent pas les poursuivre en justice ».

« En invoquant la compétence universelle, certaines cours européennes ont pu poursuivre en justice des responsables des crimes graves commis en Syrie », a-t-il dit.  Ce principe permet de veiller à ce que les auteurs de crimes graves ne trouvent jamais de sanctuaires pour échapper à la justice, avait déclaré hier la déléguée de la Suède, au nom des pays nordiques, appuyée par son homologue de la Nouvelle-Zélande, au nom du Canada et de l’Australie.

Au vu des incertitudes entourant ce principe, qualifié de « disruptif » par le Rwanda, certains membres, dont l’Uruguay, ont pris le parti de la « prudence ».  D’autres ont, soit, comme la Chine, demandé s’il était opportun pour la Commission d’en poursuivre l’examen, soit, comme l’Égypte, jugé prématuré de se pencher sur cette question.  Enfin, la Commission ayant atteint le point « d’inertie » sur cette question, la Sierra Leone a salué la décision de la Commission du droit international (CDI) d’examiner cette année la portée et l’application de la compétence universelle. 

La Sixième Commission se réunira demain, jeudi 11 octobre, à 10 heures, pour entendre les dernières interventions sur cette question.

PORTÉE ET APPLICATION DU PRINCIPE DE COMPÉTENCE UNIVERSELLE

Déclarations

M. FAISAL AL-THANI (Qatar) a salué la création par la Sixième Commission d’un groupe de travail sur la portée et l’application du principe de compétence universelle.  Selon lui, l’impunité est à l’origine de la commission de crimes à grande échelle, un affront aux valeurs humaines.  Nous devons considérer les lacunes juridiques afin de protéger les droits de l’homme, a-t-il dit, afin d’assurer l’état de droit aux niveaux national et international et dissuader les auteurs de tels crimes.  Il faut trouver un équilibre entre la lutte contre l’impunité tout « en évitant d’abuser du principe de compétence universelle ».  Alors que la montée du terrorisme expose les civils à de graves dangers, la communauté internationale doit définir la portée de la compétence universelle et la nature des crimes visés. 

Selon M. ANGEL HORNA (Pérou), la compétence universelle peut être une réponse efficace pour garantir l’application du principe de responsabilité, en particulier pour les plus vulnérables.  La liste des crimes pour lesquels cette compétence s’applique ne doit pas être limitative, a-t-il dit, en reconnaissant les divergences qui existent entre États sur cette question.  Il a indiqué en outre qu’il n’y a pas de critère uniforme gouvernant les relations entre ce principe et le régime d’immunité des fonctionnaires de l’État et les procédures d’extradition.  Enfin, le délégué a réclamé plus clarté sur la portée de ce principe, qui ne doit pas constituer une forme d’ingérence dans les affaires internes d’un État.

M. SINA ALAVI (Liechtenstein) a salué le nombre croissant d’États reconnaissant cette compétence universelle en tant que moyen de lutter contre l’impunité.  Si les États de nationalité de l’auteur du crime ou sur le territoire duquel le crime a été commis ne veulent ou ne peuvent pas poursuivre en justice les auteurs du crime, les États sans lien avec le crime doivent combler cette lacune sur la base de la juridiction universelle, a-t-il déclaré.

M. Alavi a fait une distinction entre cette compétence qui concerne uniquement les tribunaux nationaux et la portée de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI).  Quand une situation grave l’exige et que tous les autres recours ont été épuisés, la Cour doit pouvoir agir, a-t-il estimé, rappelant que c’est souvent au Conseil de sécurité qu’il incombe de renvoyer des situations à la Cour, « ce qui arrive peu souvent ».  Nous ne pouvons escompter que la dynamique du Conseil sur ce sujet change dans un avenir proche, c’est pourquoi nous devons rechercher d’autres moyens de rendre justice, tels que l’application de la compétence universelle devant les juridictions nationales, a-t-il déclaré.  Il a souligné l’importance du Mécanisme international, impartial et indépendant chargé de faciliter les enquêtes sur les violations du droit international commises en Syrie et rappelé qu’une saisine de la CPI sur la situation en Syrie est impossible pour l’heure.  « En invoquant la compétence universelle, certains cours européennes ont pu poursuivre des responsables en justice. »  Enfin, le délégué a salué la mise en place d’un mécanisme similaire au Myanmar.

M. ENRIQUE J.M. CARRILLO GÓMEZ (Paraguay) a salué le « jalon dans l’histoire humaine » que constitue la création, au terme d’un long chemin, de la Cour pénale internationale (CPI), dont le Paraguay est partie.  De même, les principes de la Déclaration des droits de l’homme font aujourd’hui partie du jus cogens et servent de précédent à l’exercice de la juridiction par les États souverains. 

Pour le Paraguay, le crime de génocide, la torture, les séquestrations et les assassinats à des fins politiques sont imprescriptibles, a précisé le représentant, en vertu de la loi nationale de mise en œuvre du Statut de Rome.  En outre, le code pénal du pays étend la compétence juridique nationale aux affaires à portée universelle impliquant l’un de ses nationaux ou se déroulant sur son territoire. 

M. NATHANIEL KHNG (Singapour) a rappelé que le principe de compétence universelle ne s’applique que pour les crimes les plus odieux, lesquels doivent être identifiés par une analyse approfondie de la pratique des États et de l’opinio juris.  Le principe de compétence universelle ne devrait pas devenir la base pour la compétence pénale, a-t-il déclaré.  « Ces bases sont le territoire et la nationalité. » Enfin, le délégué de Singapour a estimé que la compétence universelle ne devrait pas être confondue avec le principe d’immunité ou de souveraineté des États.

M. MARTIN GARCÍA MORITÁN (Argentine) a déclaré qu’il incombe aux États Membres d’exercer leur compétence pénale pour les crimes les plus graves au regard du droit international.  Ils se doivent donc de mener des enquêtes et d’intenter des poursuites contre les responsables lorsqu’un lien est établi avec leur territoire ou leurs ressortissants, ou lorsqu’un État renonce à exercer sa juridiction.  Considérant qu’il s’agit d’un outil exceptionnel et subsidiaire à utiliser conformément au droit international, il a souligné l’importance de développer des règles et des limites claires au recours à ce principe.

M. OMER DAHAB FADL MOHAMED (Soudan) a insisté sur les divergences qui existent sur la portée et l’application du principe de compétence universelle, avant de rappeler l’importance du respect des principes de la Charte et du droit international, notamment la non-ingérence dans les affaires des États et la souveraineté des États.  Cette souveraineté doit primer, a-t-il dit.  Il a mis en garde contre « l’instrumentalisation de ce principe » devant certaines cours nationales, lesquelles en ont fait un objet de discorde internationale. 

Le délégué a réaffirmé que la compétence universelle ne saurait remplacer la territorialité et la nationalité et devrait être limitée strictement aux infractions les plus graves, aux atrocités.  « Elargir la liste de ces infractions reviendrait à saper la crédibilité de ce principe », a-t-il dit.  Il a réitéré son soutien à l’opinion de la Cour internationale de Justice (CIJ) et de l’Union africaine portant sur l’immunité des chefs d’État et de gouvernement.  Les mandats d’arrêts contre les Chefs d’État africains et qui visaient en réalité les populations africaines ont été rejetés catégoriquement.  Enfin, le délégué a mis en garde contre toute politisation de ce principe et jugé « prématuré » de renvoyer la question de la compétence universelle à la Commission du droit international (CDI).

Mme ANNETTE ANDRÉE ONANGA (Gabon) a rappelé que la Constitution de son pays a établi comme principe fondamental la responsabilité pénale des hauts représentants de l’État devant la Cour de justice pour les actes commis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés de crimes au moment où ils ont été commis.  « Dans ce contexte la compétence universelle dont la portée doit être limitée doit être complémentaire et ne saurait contredire la compétence des juridictions nationales. »  Enfin, elle a rappelé que ce principe ne doit s’appliquer que lorsqu’un État n’a pas l’intention d’exercer sa compétence et doit respecter les principes du droit international. 

M. MICHAL MLYNÁR (Slovaquie) s’est félicité de la création par la Sixième Commission d’un groupe de travail dédié à l’examen de la portée de la compétence universelle.  Il a rappelé que « la compétence universelle a fait partie du droit international depuis des siècles, notamment pour les cas de piraterie », et vu dans l’adoption de la Convention contre la torture la preuve de son acceptation internationale.  Ce principe permet de combler les lacunes juridiques des législations nationales fondées sur la territorialité ou la personnalité.  En l’absence d’un cadre universel et de la reconnaissance universelle de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI), il a estimé que le principe à l’étude constitue une garantie contre l’impunité pour les crimes les plus graves.

Pour M. AMMAR AL ARSAN (Syrie), il est indéniable que des manquements importants ont eu un impact sur l’équilibre mondial, ouvrant la voie à des pratiques irrégulières au sein des relations internationales et des Nations Unies.  Ces « manquements » font qu’il est impossible d’atteindre la justice et de lutter contre l’impunité.  Selon lui, l’ordre mondial actuel ne peut faire respecter l’état de droit de façon juste et équitable en raison de la sélectivité et des politiques de deux poids, deux mesures.  Il a dénoncé la tendance de certains gouvernements à élargir la portée de la compétence universelle afin de servir leurs propres intérêts politiques. 

L’Assemblée générale a d’ailleurs demandé la poursuite des discussions sur la portée et l’application du principe de compétence universelle à la Sixième Commission, a rappelé le délégué, estimant que les jugements et avis de la Cour internationale de justice (CIJ) peuvent clarifier cette question.  Il a rejeté les « caprices » de certains qui veulent élargir le cadre de compétence universelle sous prétexte de combattre l’impunité.  Pour sa part, la Syrie a été l’un des premiers signataires du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), a-t-il rappelé, tout en dénonçant «la tendance de cette cour « hypocrite » à ne s’intéresser qu’à des pays « faibles », confirmant ainsi que la justice pénale internationale est impossible.  S’agissant du Mécanisme international, impartial et indépendant chargé d'enquêter sur les violations commises en Syrie, il a réitéré qu’il ne repose sur aucun fondement juridique et constitue une violation grave des principes de la Charte des Nations Unies. 

Mme KRISTINA HOŘŇÁČKOVÁ (République tchèque) a déclaré que la compétence universelle est un principe accepté du droit international qui vise à dissuader les crimes les plus graves.  Elle a reconnu la responsabilité première de l’État territorial de poursuivre les responsables de tels crimes, ainsi que la possibilité pour chaque État d’intenter des poursuites pénales lorsque cette compétence n’est pas exercée.  Elle a reconnu l’existence de divergences entre les États sur la nature coutumière de la compétence universelle ainsi que la nécessite d’établir des limites à son exercice.  À son avis, cette question devrait faire l’objet d’un examen juridique approfondi de la part de la Commission du droit international (CDI).

M. YEDLA UMASANKAR (Inde) a indiqué que le principe de compétence universelle s’applique pour le crime de piraterie, les pirates étant vus comme « des ennemis de l’humanité ».  Ce crime de piraterie a été incorporé dans la Convention sur le droit de la mer.  Il a plaidé pour une analyse approfondie de la pratique des États et de l’opinio juris pour identifier l’existence d’une règle coutumière sur l’application de la compétence universelle pour une infraction particulière.  La compétence universelle ne peut découler des obligations d’extrader ou de poursuivre en justice contenues dans les traités, a-t-il noté.  Enfin, le délégué de l’Inde a souhaité une clarification de ce principe.

Mme ANET PINO (Cuba) s’est dite préoccupée devant l’application sélective et politisée du principe de compétence universelle par des pays développés à l’encontre de pays en développement.  Elle a souhaité l’adoption par l’Assemblée générale de directives sur la portée et l’application de ce principe et sur les infractions pour lesquelles il s’applique.  Ce principe ne doit pas menacer l’intégrité des systèmes juridiques nationaux et porter atteinte aux principes du droit international.  L’immunité des chefs d’État et des fonctionnaires de l’État ne doit pas être remise en question, a-t-elle ajouté.  Ce principe doit rester exceptionnel et se limiter aux crimes les plus graves, comme les crimes contre l’humanité, a conclu la déléguée.

M. MOHAMED IBRAHIM ABDELKHALEK ELSHENAWY (Égypte) a annoncé que des discussions sont en cours dans son pays afin d’ajouter les crimes les plus graves au regard du droit international dans le cadre juridique national.  L’Égypte considère qu’il convient de renforcer les capacités institutionnelles afin de permettre aux États d’assumer leurs compétences dans ce domaine et de « favoriser l’appropriation nationale ».  Il a mis en garde contre la politisation de cette question, et appelé au respect de la souveraineté nationale et de l’immunité dont jouissent les responsables de haut niveau.  Enfin, il a jugé prématuré de demander à la Commission du droit international (CDI) de se pencher sur cette question.

S’il a reconnu que le principe de compétence universelle est bien établi en droit international, M. RISHY BOUKAREE (Maurice) a toutefois jugé crucial que le principe de souveraineté des États et le régime d’immunité des chefs d’État soient respectés, en mettant en garde contre une approche de deux poids, deux mesures.  « La compétence universelle constitue un dernier recours », a—t-il tranché.  En conclusion, le délégué de Maurice a réaffirmé le principe d’égalité souveraine des États.

Mme ROMI BRAMMER (Afrique du Sud) a fait état des « complications » qui subsistent dans le caractère inégal et sélectif de l’application du principe de compétence universelle.  L’Afrique du Sud reconnait partiellement la compétence universelle, à la condition que l’auteur d’un crime soit présent sur son territoire.  Si la compétence universelle permet de lutter contre l’impunité, elle présente également le risque de surcharger des instances judiciaires nationales aux ressources limitées. 

La représentante a indiqué que l’Afrique du Sud s’efforce de mettre en place une convention internationale d’entraide judiciaire et d’extradition pour les crimes graves.  Par ailleurs, elle a considéré que la compétence universelle représente un défi à la souveraineté et à l’intégrité des États, et que l’immunité des chefs d’État et de gouvernement doit être préservée. 

Mme NIMATULAI BAH-CHANG (Sierra Leone) a rappelé que la Tanzanie a proposé l’inscription de cette question au programme de la Sixième Commission « en raison des vives préoccupations exprimées par nombre de pays africains devant l’abus du principe de compétence universelle par des tribunaux non-africains contre des responsables africains », mettant en péril le droit international.  La Sierra Leone reconnait dans sa législation nationale les contraventions aux Conventions de Genève, et a collaboré avec le Tribunal spécial pour la Sierra Leone. 

Mme Bah-Chang a retracé l’évolution des débats sur la compétence universelle, soulignant au passage l’adoption par l’Union africaine de la loi nationale modèle sur la compétence universelle pour les crimes internationaux afin de renforcer les capacités des États africains.  Toutefois, la Sixième Commission semble avoir atteint le point « d’inertie » sur cette question, a estimé la représentante, une « impasse » par l’Union africaine.  Elle a donc salué la décision de la Commission du droit international (CDI) d’examiner cette année la portée et l’application de la compétence universelle. 

M. PABLO ADRIÁN ARROCHA OLABUENAGA (Mexique) a rappelé que, par le passé, les débats ont fait apparaître les différences qui existent entre la compétence universelle et l’obligation de poursuivre ou d’extrader.  Il a indiqué que 117 États ont une législation permettant une application de ce principe.  Certaines positions restent divergentes, par exemple sur l’impunité des chefs d’État, en cas d’infractions internationales graves, a-t-il souligné.  Le délégué a invité la Commission à réfléchir sur la compatibilité de ce principe avec d’autres principes du droit, comme la souveraineté des États.  Il serait opportun que la Sixième Commission demande à la Commission du droit international (CDI) de se prononcer dans la stricte perspective du droit international, a conclu le délégué du Mexique.

M. THOMAS B. AMOLO (Kenya) a déclaré que les crimes les plus graves devraient être enchâssés dans le droit national et international.  Toutefois, l’application de la compétence universelle demeure controversée et source de vives préoccupations.  Cette question ne doit pas devenir un « feu de forêt destructeur du droit international menant au harcèlement de certains États à des fins politiques », a prévenu le représentant.  Estimant que l’application de la compétence universelle pourrait faire l’objet d’une utilisation abusive, il a précisé qu’elle peut être utilisée que de façon subsidiaire, complémentaire des législations nationales. 

Le représentant a appelé à l’uniformité et la cohérence dans le recours à ce principe, appelant à une meilleure définition du principe lui-même et de son application afin de ne pas nuire à la stabilité des États, notamment africains.  Il a appelé la Commission du droit international (CDI) à redonner un élan aux délibérations sur la compétence universelle.  Il a insisté en terminant sur le respect de l’immunité des chefs d’État et de gouvernement.

M. ROBERT KAYINAMURA (Rwanda) a rappelé qu’un grand nombre des « principaux cerveaux » responsables du génocide contre les Tutsis au Rwanda en 1994 sont toujours en liberté, dans « l’arrière-cour » de certains pays, jouissant de cette impunité que le principe de compétence universelle était censé combattre.  Il a invité l’ONU à répondre aux défis découlant de l’utilisation et du détournement de ce principe, en prônant la rigueur sur un sujet aussi « disruptif ».  « Le potentiel pour un abus et une politisation de ce principe est bien réel.  Nous devons être vigilants sur les motifs de certains avocats et juges qui se trouvent derrière certaines affaires appliquant ce principe de manière politisée. »

Pour M. Kayinamura, il est important que les tribunaux de certains pays ne soient pas exploités pour harceler d’autres pays ou pour réaliser des objectifs militaires et politiques.  « Certains juges isolés ont ainsi été capables de prendre des pays en otage sous le prétexte de justice internationale », a-t-il asséné, en regrettant qu’ils n’aient pas eu à rendre de comptes.  Pour dissiper toute confusion, le délégué a indiqué que l’Union africaine a adopté un modèle juridique sur la compétence universelle sur les crimes internationaux pour aider les États sur cette question.  Ce modèle permet d’harmoniser les législations nationales.  Enfin, il a plaidé pour un équilibre entre lutte contre l’impunité et nécessité de « garde-fous » contre les abus de ce principe.  Lorsqu’une manipulation politique est suspectée, il devrait y avoir un système d’appel permettant à la partie lésée de réexaminer les décisions prises par des juges d’un pays contre les chefs d’autres pays, a-t-il dit.  Des États grands et puissants ou des juges politiques peuvent être en mesure de soumettre et d’écraser des petits pays, a-t-il déploré, en mettant en garde contre les abus du principe précité.

Les États sont loin d’être parvenus à un consensus s’agissant de l’application du principe de compétence, hormis pour les actes de piraterie, a constaté M. LI JIUYE (Chine).  « Les divergences sont significatives. »  Il a demandé que l’application de cette compétence adhère strictement aux principes et objectifs de la Charte des Nations Unies, tels que la souveraineté des États et la non-ingérence dans les affaires d’un État.  Le délégué a plaidé pour un équilibre entre lutte contre l’impunité et sauvegarde de la souveraineté des États.  Au vu des incertitudes entourant la notion, le délégué chinois a demandé, en conclusion, s’il était opportun pour la Commission d’en poursuivre l’examen.

M. RUBÉN ARMANDO ESCALANTE HASBÚN (El Salvador) a salué l’apport de la compétence universelle à la lutte contre l’impunité pour les crimes les plus graves.  Il a toutefois constaté l’existence d’une brèche dans son application en raison de l’absence de normes reconnues par tous.  Le représentant s’est dit favorable à l’établissement de règles claires sur son application et sa portée, tenant compte de la jurisprudence des tribunaux nationaux.  La législation salvadorienne reconnait ainsi les normes internationales dont les textes tiennent compte des crimes les plus graves, notamment les Conventions et Protocoles de Genève, qui prévoient compétence universelle. 

El Salvador, a-t-il rappelé, a ratifié le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), « moment fort » de la compétence universelle pour les crimes contre l’humanité et, maintenant, d’agression.  Toutefois, nos progrès ne se réduisent pas à nos normes, a déclaré le représentant, décrivant les progrès réalisés par les tribunaux de son propre pays pour intégrer les éléments de la compétence universelle et du droit international. 

Mme MAXIM V. MUSIKHIN (Fédération de Russie) a mis en garde contre le danger de politisation « bien réel et avéré » du principe de compétence universelle et jugé « prématuré » de renvoyer la question de la compétence universelle à la Commission du droit international (CDI).  Il existe d’autres instruments internationaux de lutte contre l’impunité comme l’entraide judiciaire, a-t-elle fait valoir.

M. YOUSSEF SALEH IBRAHIM SALEH (Libye) a apprécié la justesse de l’objectif poursuivi par la mise en œuvre du principe de compétence universelle, soit la lutte contre l’impunité.  Il a toutefois estimé « prématurée » l’adoption de ce principe car les procédures judiciaires qui s’y rapportent manquent de clarté et les crimes visés sont mal définis.  Il a mis en garde contre la « politisation » du système judiciaire. 

Les lois libyennes garantissent l’indépendance des tribunaux par rapport aux considérations politiques, a poursuivi le représentant, estimant que les lois nationales sont la preuve de la souveraineté nationale.  Il a appelé les États Membres à continuer d’examiner les moyens de mettre en œuvre la compétence universelle, dans le respect de la Charte des Nations Unies.

M. HASSAN LASRI (Maroc) a estimé que la noblesse de la compétence universelle, instrument complémentaire des juridictions nationales, ne doit pas cacher le fait que la compétence extraterritoriale s’exerce à l’égard des auteurs des crimes les plus graves au regard du droit international ».  Si le droit marocain ne reconnait pas explicitement la compétence universelle, il n’en interdit pas le recours, a-t-il précisé.

Un pas déterminant est en train de s’effectuer au Parlement vers la reconnaissance des crimes les plus graves, génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, s’est par ailleurs félicité le représentant.  Il s’est dit d’avis que le recours au principe de compétence universelle devrait être rationnel et répondre à un usage judicieux, conforme au droit international, dans le respect des principes de non-ingérence dans les affaires intérieures des États. 

M. MELUSI MARTIN MASUKU (Eswatini) s’est dit préoccupé par l’application sélective du principe de compétence universelle. Instrument conçu pour rendre justice, son application est largement influencée par des considérations politiques, a-t-il dit.  Soulignant l’absence de normes morales internationales, il a déclaré que ce principe se heurte « au relativisme culturel. »  « Il est fallacieux de penser qu’il existe une série de normes morales et que les tribunaux d’un pays voulant appliquer le principe de compétence universelle savent avec certitude quelles sont ces normes. »

Les tribunaux nationaux existent parce qu’ils appliquent le droit de chaque État Membre, selon la conception commune en vigueur dans cet État, a ajouté le délégué. « Le principe de compétence universelle cherche à imposer la volonté d’acteurs extérieurs. »

M. GEORGI VELIKOV PANAYOTOV (Bulgarie) a salué les progrès réalisés par la Sixième Commission sur la portée et l’application du principe de compétence universelle, notamment par la mise en œuvre d’un groupe de travail, afin de renforcer la coopération avec les tribunaux internationaux.  La Bulgarie est consciente de l’importance de la responsabilité partagée des systèmes judiciaires nationaux avec les tribunaux internationaux, malgré leur champ d’action limité. 

La Bulgarie a continué de renforcer les liens entre l’Union européenne (UE), Eurojust et la Cour pénale internationale (CPI) lors de sa présidence de l’UE au cours du premier semestre de cette année.  M. Panayotov a noté la mise en place par l’Union européenne d’un mécanisme d’appui aux États Membres pour les crimes les plus graves.  Constatant que le recours au principe de compétence universelle est toujours considéré comme un « acte politique » qui a pour effet d’affecter les relations internationales, il s’est félicité de l’inclusion de cette question au programme de la Commission du droit international (CDI).  

Pour M. MARIUS BONGO (Burkina Faso), le devoir moral de l’humanité de lutter contre l’impunité est d’assurer la justice et la réparation aux victimes des infractions.  Ainsi, le Burkina Faso est partie à plusieurs conventions internationales qui prévoient une obligation générale de juger certains auteurs de crimes et de les extrader vers les pays qui en font la demande, notamment la Convention contre la torture, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et les conventions et protocoles relatifs au droit international humanitaire.

Le pays a aussi adopté, en 2009, la loi portant détermination des compétences et de la procédure de mise en œuvre du Statut de Rome relatif à la Cour pénale internationale (CPI) pour les juridictions nationales, qui prévoit la compétence universelle de ses juridictions pour les crimes relevant de la compétence universelle de la CPI.  En conséquence, « le territoire du Burkina Faso ne peut être le refuge de grands criminels à la recherche de gîte pour s’assurer une impunité », a affirmé M. Bongo.  

Cependant, a tenu à préciser le représentant, l’application de cette compétence ne pourrait être efficace que si elle est complétée de mécanismes de coopération judiciaire et d’entraide en matière pénale qui, dans une large mesure, restent régis par des accords bilatéraux entre les États.  Le délégué a enfin déploré la « politisation » de plus en plus observée au plan international de ce principe et « son application à géométrie variable ».

Selon M. JULIAN SIMCOCK (États-Unis), des questions demeurent sur la façon d’exercer la compétence universelle pour les crimes à caractère universel.  Il a rappelé la participation de son pays aux discussions de la Sixième Commission à ce sujet, saluant le rapport du Secrétaire général et la création d’un groupe de travail sur la portée et l’application de la compétence universelle.  Les États-Unis se disent prêts à explorer les questions relatives à l’application pratique de la compétence universelle, « de façon aussi pratique que possible ». 

Mme MARIA ALEJANDRINA SANDE (Uruguay) a retracé la genèse du principe d’application universelle prenant comme point de départ les procès de Nuremberg. Ce principe est de nature complémentaire à la compétence sur la base du territoire ou de la nationalité, a-t-elle déclaré. Ce principe n’est pas assez clair et il faudra encore un long chemin pour aboutir à une telle clarification, a-t-elle dit, en reconnaissant la difficulté de cette question. « Tout changement ne se fait pas sans résistance ». À cette aune, elle a recommandé de faire preuve de prudence dans l’application du principe de compétence universelle.

à suivre...

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