Réunion de haut niveau sur l’élimination des armes nucléaires: craintes d’une nouvelle course aux armements entre les grandes puissances
Fait inhabituel, ni le dossier nucléaire de l’Iran, ni celui de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) n’étaient au centre des préoccupations des plus de 60 États qui se sont exprimés aujourd’hui, lors de la Réunion de haut niveau pour « célébrer et promouvoir la Journée internationale pour l’élimination totale des armes nucléaires ». Au cours de cette rencontre à laquelle a participé le Secrétaire général de l’ONU, les intervenants ont plutôt lancé des mises en garde contre les signes avant-coureurs d’une nouvelle course aux armements entre puissances nucléaires, en particulier les États-Unis et la Fédération de Russie. Seule puissance présente à la Réunion, la Chine s’est voulue rassurante, affirmant qu’elle défendait « depuis toujours » la vision d’un monde exempt d’armes nucléaires, à l’intérieur du cadre international actuel de non-prolifération.
Albert Einstein n’a pas vécu assez longtemps pour voir que ses appels contre la course à l’armement nucléaire « sont tombés dans l’oreille d’un sourd », a ironisé le Président de Cuba, M. Miguel Díaz-Canel Bermúdez, premier pays à monter à la tribune. Face à lui, un parterre de hauts responsables, dont de nombreux chefs d’État et de gouvernement, était venu assister à la manifestation, organisée en marge du deuxième jour du soixante-treizième débat annuel de l’Assemblée générale.
Force est en effet de constater, a déploré le Président de la République des Palaos, M. Tommy Esang Remengesau Jr., que la course à l’armement nucléaire se poursuit entre certains États, malgré les conséquences horribles de ces armes et de leurs essais, notamment dans le Pacifique. Si cette course a commencé, a estimé le Ministre des affaires étrangères de l’Iran, M. Mohammad Javad Zarif, c’est parce qu’un État a décidé unilatéralement d’acquérir davantage d’armes nucléaires. Le Ministre a dénoncé la tendance actuelle de certains pays, dont les États-Unis, à moderniser leurs arsenaux nucléaires, en violation flagrante de l’article VI du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). « Nous ne sommes qu’au début d’une nouvelle course à l’armement nucléaire », a-t-il mis en garde.
Nous avons toujours appuyé l’objectif d’un monde exempt d’armes nucléaires, a affirmé M. Sun Lei, Conseiller de la Mission permanente de la Chine auprès de l’ONU et seul représentant du « club nucléaire » à la Réunion. M. Sun s’est dit en faveur du désarmement et de la non-prolifération pour créer un « ordre sécurisé et pacifique » à l’abri des risques inhérents aux armes nucléaires. D’ici là, il a appelé à la création de zones exemptes d’armes nucléaires et au respect des cadres internationaux existants, dont la Conférence du désarmement. « Ce n’est que de cette façon que nous pourrons trouver des solutions durables », a-t-il dit.
À l’entame de la réunion, le Secrétaire général de l’ONU s’était également montré positif. Les États-Unis et la Fédération de Russie, qui détiennent la majorité des armes nucléaires dans le monde, ont fait des « progrès énormes » dans la réduction de leurs arsenaux, a salué M. António Guterres, appelant les deux Gouvernements à renouer le dialogue pour maintenir leur « tendance historique » à la réduction bilatérale de leurs arsenaux. Aux yeux du Secrétaire général, la première étape serait de prolonger de cinq ans le nouveau traité russo-américain de désarmement nucléaire START et d’entamer des discussions sur un futur accord. Les deux pays devraient également tenter de résoudre leur différend sur le Traité russo-américain relatif aux forces nucléaires à portée intermédiaire.
Ne perdons pas de vue les avancées récentes, a en effet acquiescé la Présidente de l’Assemblée générale, María Fernanda Espinosa-Garcés, en référence à l’adoption, en 2017, du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, après des négociations boycottées par les cinq puissances nucléaires. Ce texte très abouti, s’est félicitée la Présidente, comprend non seulement des interdictions concernant la mise au point, l’utilisation et le stockage des armes nucléaires, mais aussi la menace de les utiliser. Pour parvenir à l’élimination des 15 000 ogives nucléaires encore en activité, Mme Espinosa-Garcés a appelé tous les participants à la Réunion à ratifier le Traité, dont l’entrée en vigueur est prévue après 50 ratifications.
De nombreux participants ont aussi plaidé pour l’entrée en vigueur d’un second instrument: le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICEN). Entre 1946 et 1958, a rappelé le Ministre des affaires étrangères des Îles Marshall, M. John Silk, 67 armes nucléaires ont détoné dans mon pays. Les conséquences de ces essais nucléaires sur notre terre, notre culture et notre santé, a déclaré le Ministre, se font toujours ressentir et se feront ressentir pendant encore plusieurs générations. « Aucun peuple ne devrait avoir à supporter ce fardeau », a insisté M. Silk.
Or, les réparations reçues ont été « inadéquates et incomplètes », a dénoncé le Président de la République des Palaos, M. Tommy Esang Remengesau Jr. Ce sont ces insuffisances, a expliqué à sa suite le Premier Ministre des Fidji, M. Josaia V. Bainimarama, qui ont incité mon gouvernement à débloquer la somme de 2,5 millions de dollars en 2015 pour dédommager les personnes exposées aux radiations. « Je ne dis pas cela pour montrer du doigt les coupables », a affirmé le Premier Ministre. « Je le dis simplement pour souligner que, 50 ans après, les victimes souffrent encore. » Rappelant que le Pacifique Sud est une zone exempte d’armes nucléaires depuis 1986, le Premier Ministre de Samoa, M. Tuilaepa Sailele Malielegaoi, a insisté sur le fait que l’élimination totale des armes nucléaires est la seule voie acceptable.
En tant que représentant du seul pays à avoir subi un bombardement nucléaire, M. Tomoyuki Yoshida, du Japon, a salué les efforts inlassables des Hibakusha, les survivants d’Hiroshima et de Nagasaki, pour sensibiliser l’opinion publique internationale à la réalité de la bombe atomique. « Au cours des 73 dernières années, aucune arme nucléaire n’a été utilisée », s’est réjoui M. Yoshida, rappelant que les arsenaux nucléaires dans le monde ont été réduits de 85% depuis la fin de la guerre froide.
Toutefois, le représentant japonais a estimé que la non-prolifération était une question au moins aussi importante que le désarmement nucléaire. Il a appelé au démantèlement des programmes nucléaires de la République populaire démocratique de Corée (RPDC), tout en prenant note des développements positifs, dont les trois Sommets intercoréens et la rencontre entre les dirigeants des États-Unis et de la RPDC, en juin dernier, à Singapour. Le temps est venu pour la RPDC de prendre des mesures concrètes vers la dénucléarisation, a-t-il estimé.
S’agissant du nucléaire iranien, autre grand dossier de la non-prolifération, plusieurs délégations ont déploré le retrait des États-Unis du Plan d’action global commun. Ce Plan est un « modèle exemplaire de dialogue » a estimé le premier concerné, le Ministre des affaires étrangères de l’Iran, M. Mohammad Javad Zarif. Les 12 rapports publiés par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur la mise en œuvre du Plan ont confirmé le plein respect des termes de l’accord par l’Iran, a-t-il rappelé. Dans ces conditions, le Ministre a jugé le retrait américain « injustifié », tout comme les sanctions extraterritoriales « illégales » imposées par les États-Unis à son pays. « Nous continuerons à travailler à l’application du Plan avec les signataires », a-t-il déclaré.
L’Iran a beau respecter l’accord, a déclaré le M. Abdallah Yahya A. Al-Mouallimi, Représentant permanent de l’Arabie saoudite, la présence d’un réacteur nucléaire iranien sur une faille sismique pourrait mettre à mal la région tout entière et contaminer les eaux territoriales. Il a appelé l’Iran à respecter les normes de sûreté, afin d’éviter un nouveau Tchernobyl. Le représentant saoudien a en outre fustigé Israël qui continue de s’opposer à l’ambition des peuples de la région de se débarrasser de la menace nucléaire. L’entêtement d’Israël à bafouer le TNP, avec le soutien de certaines puissances, a également été dénoncé, par M. Khalifa Al Harty, Représentant permanent d’Oman auprès des Nations Unies, comme un obstacle à l’instauration d’une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient. Le représentant omanais s’exprimait au nom de la Ligue des États arabes.
Plusieurs États ont enfin appelé à la lutte contre la cybercriminalité nucléaire et à des efforts renouvelés pour barrer l’accès des groupes non étatiques aux armes nucléaires, tout en invitant les puissances nucléaires à accélérer leurs efforts de désarmement. « Si nous n’avançons pas, nous reculerons », a prévenu le Ministre des affaires étrangères du Kazakhstan, M. Kairat Abdrakhmanov. « Nous devons créer un nouvel élan mondial. »