« Acte d’agression flagrant » ou « réponse proportionnée », le bombardement par les États-Unis d’une base aérienne en Syrie divise le Conseil de sécurité
Réuni en urgence à la demande de la Bolivie au lendemain du bombardement par les États-Unis d’installations militaires en Syrie, le Conseil de sécurité s’est montré plus que jamais divisé quant à l’action à mener pour mettre fin au conflit qui fait rage dans ce pays depuis six ans.
Brandissant la Charte des Nations Unies, le représentant bolivien, M. Sacha Sergio Llorentty Solíz, a rappelé que le texte fondateur de l’Organisation interdit les actions « unilatérales » et que toute intervention doit être préalablement autorisée par le Conseil. Accusant les États-Unis d’être tout à la fois « enquêteur, juge et procureur », il a rappelé qu’aucune investigation n’avait été encore menée pour déterminer les responsabilités dans l’attaque d’Edleb.
Le délégué faisait allusion à l’attaque présumée à l’arme chimique perpétrée à Khan Cheikhoun le 4 avril dernier, à l’origine de la réaction de Washington deux jours plus tard. Ces événements ont été présentés aujourd’hui par le Secrétaire général adjoint aux affaires politiques, M. Jeffrey Feltman.
La représentante des États-Unis, Mme Nikki R. Haley, a estimé que son pays avait pris hier une mesure « prudente », assurant de sa disposition à en faire davantage, « si nécessaire ». « Nous avons dit “assez”, pour que Bashar Al-Assad n’utilise plus jamais des armes chimiques, “plus jamais” », a lancé Mme Haley.
« N’oublions pas ce qui s’est passé en Iraq en 2003 », a tonné le représentant bolivien, lorsque les États-Unis, au sein de ce même Conseil, ont également avancé des « preuves sans appel » de la présence d’armes chimiques en Iraq.
Le souvenir des réunions de février 2003 a été agité par plusieurs membres, notamment la Syrie et la Fédération de Russie, cette dernière ayant aussi attribué aux Américains les situations actuelles en Libye et au Yémen.
À l’inverse, l’Australie, l’Allemagne, la Turquie, l’Arabie saoudite, l’Italie, le Japon, les Pays-Bas et la Nouvelle-Zélande, entre autres, ont exprimé leur soutien aux frappes américaines, a précisé M. Feltman. Ils ont été rejoints aujourd’hui par le Japon, l’Ukraine, la France et le Royaume-Uni, qui ont jugé « proportionnés » les tirs de missiles de croisière Tomahawk ayant pris pour cible la base aérienne depuis laquelle l’attaque de Khan Cheikhoun aurait été lancée.
« L’armée syrienne n’a pas d’armes chimiques en sa possession », a tranché le représentant syrien, pour qui l’« acte d’agression flagrant » d’hier ne fait que confirmer la stratégie poursuivie par les États-Unis depuis six ans, à savoir soutenir des groupes « dits de l’opposition syrienne ». D’après lui, il est notoire que ces armes chimiques ont été accumulées par des groupes armés « avec la bienveillance d’un certain nombre d’États Membres ».
Les représentants russe et britannique se sont mutuellement accusés de l’échec à adopter un projet de résolution qui aurait, en cas d’adoption, confié au Mécanisme d’enquête conjoint de l’Organisation internationale pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) et de l’ONU le soin d’établir les responsabilités dans cette attaque dont le dernier bilan, selon M. Feltman, serait de 86 victimes et plus de 300 blessés.
« J’ai demandé à mes collègues russes quel problème leur posait ce texte », a déclaré le délégué britannique, M. Matthew Rycroft, qui a expliqué que la réponse était à chercher du côté de l’accès sans entraves des experts au site de l’attaque.
Son homologue russe, M. Vladimir K. Safronkov, a rétorqué que la demande de Moscou de faire appel à des experts choisis « sur la base d’une représentation géographique équitable » avait été rejetée par les pays occidentaux.
En outre, le Mécanisme d’enquête n’est pas « objectif » car, selon lui, son investigation se fonderait sur des informations glanées « sur Internet et les réseaux sociaux », au lieu de « solliciter l’aide des témoins sur place ».
« Si les efforts d’hier ont été infructueux, nous pensons néanmoins qu’il existe un terrain d’entente suffisant pour l’adoption d’une résolution forte par ce Conseil » « pour une enquête robuste et immédiate », a tempéré de son côté le représentant de la Suède, M. Olof Skoog.
Par la voix de son représentant, M. François Delattre, la France a pour sa part attribué à la Fédération de Russie la responsabilité de la crise actuelle, en estimant que l’exercice « injustifié et abusif » du droit de veto par Moscou, le 28 février dernier, avait été perçu par le régime syrien comme un « signal d’impunité ».
Convaincu que les membres du Conseil s’accordent « au moins » sur un point, à savoir que la crise syrienne ne sera jamais réglée par la seule voie militaire, il a affirmé que la « tragédie » de Khan Cheikhoun crée la possibilité d’une « phase finale de négociations » et d’une « transition politique » en Syrie.
Son collègue de l’Éthiopie a rappelé que le groupe des membres non permanents du Conseil de sécurité avait mis hier sur la table un troisième projet de résolution, après celui qu’avait préparé la Russie en réponse au texte franco-américano-britannique.
Pour le représentant russe, cependant, Washington n’a fait « que compromettre le processus d’Astana et de Genève, en invoquant, une fois de plus, l’argument d’une attaque à l’arme chimique ».
De nombreux appels à l’unité ont été lancés de part et d’autre de la table, notamment par la Suède, le Sénégal et l’Éthiopie, et M. Feltman, qui a repris à son compte l’appel à la retenue lancé, ce matin, par le Secrétaire général de l’ONU.
LA SITUATION AU MOYEN-ORIENT
Déclarations
M. JEFFREY FELTMAN, Secrétaire général adjoint aux affaires politiques, a constaté l’échec du cessez-le-feu en date du 30 décembre 2016, sur fond d’escalade militaire. Mi-février, les forces gouvernementales ont intensifié leurs opérations militaires dans plusieurs régions de Damas et de Homs. Les avancées militaires ont été accompagnées de l’évacuation des combattants et de leurs familles.
Le Gouvernement syrien a cité la présence du Front el-Nosra dans ces régions, ce qu’a contesté l’opposition. Par la suite, en février et en mars, des groupes d’opposition armés, parfois coordonnés avec le Front el-Nosra, ont lancé des offensives à Daraa, Damas et Hama.
Le 4 avril, a rappelé le haut fonctionnaire, des informations inquiétantes ont fait état d’une attaque chimique présumée, à proximité de Khan Cheikhoun, lancée, selon certaines sources, par voie aérienne. L’attaque a apparemment causé la mort de 86 personnes et fait plus de 300 blessés. L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) a annoncé que sa Mission d’établissement des faits avait commencé à enquêter à ce sujet.
Ce matin, à environ 4 h 35, heure locale à Damas, deux navires de guerre américains déployés en mer de la Méditerranée orientale ont lancé un total de 59 missiles de croisière contre la base aérienne militaire d’Al-Shayrat, située dans la province de Homs. Les États-Unis ont déclaré que c’était en réaction à l’attaque chimique, dans la mesure où le Gouvernement syrien aurait utilisé des armes chimiques à partir de cette base aérienne.
Les États-Unis, a poursuivi le Secrétaire général adjoint, ont affirmé que les missiles avaient gravement endommagé ou détruit des avions syriens et des infrastructures et des équipements de soutien. Les États-Unis ont déclaré avoir informé la Fédération de Russie à l’avance, en prenant des précautions pour minimiser les risques pour les personnels russes ou syriens stationnés sur place.
La Syrie a qualifié l’attaque d’« acte d’agression flagrant » qui aurait causé six morts et d’« énormes dégâts matériels ». La République islamique d’Iran et la Fédération de Russie ont condamné l’attaque, tandis que le Royaume-Uni, l’Australie, l’Allemagne, la Turquie, l’Arabie saoudite, l’Italie, le Japon, les Pays-Bas et la Nouvelle-Zélande ont exprimé leur soutien à ces frappes.
Pour M. Feltman, le Conseil de sécurité, qui porte la responsabilité principale de la paix et de la sécurité internationales, doit maintenant adresser un message collectif vigoureux selon lequel toute utilisation d’armes chimiques ne sera pas tolérée et aura des conséquences.
La protection du peuple syrien exige une action immédiate, enracinée dans les principes de l’ONU et du droit international, a-t-il insisté. Compte tenu du risque d’escalade, le Secrétaire général a lancé un appel public à la retenue pour éviter tout acte susceptible d’aggraver les souffrances du peuple syrien. « Nous exhortons toutes les parties impliquées dans les opérations militaires à se conformer au droit international humanitaire et à prendre toutes les précautions nécessaires pour éviter et minimiser les pertes civiles », a déclaré le haut fonctionnaire.
Ces événements soulignent notre conviction qu’il n’existe pas d’autre moyen de résoudre le conflit qu’une solution politique. Aussi, M. Feltman a-t-il appelé les parties à renouveler d’urgence leur engagement en faveur des pourparlers de Genève. « La résolution 2254 (2015) du Conseil de sécurité et le Communiqué de Genève demeurent les bases et les principes fondamentaux des efforts de médiation des Nations Unies à cet égard », a-t-il ajouté en conclusion.
M. SACHA SERGIO LLORENTTY SOLÍZ (Bolivie), dont le pays avait demandé cette réunion d’urgence du Conseil de sécurité, a jugé indispensable que le monde sache la position de chaque État Membre sur les derniers événements en Syrie. « Nous sommes préoccupés par les signaux émis ces derniers jours en Syrie », a-t-il dit. Il a déploré que les États-Unis aient exécuté une attaque unilatérale, alors que des projets de résolution étaient en discussion. Cet acte unilatéral représente une menace à la sécurité internationale, a-t-il dit, rappelant que l’humanité s’était précisément dotée d’instruments de droit international pour empêcher que les pays puissants s’en prennent aux pays les plus faibles.
Brandissant la Charte des Nations Unies, le délégué bolivien a rappelé que celle-ci, qui interdisait toute action unilatérale, devait être respectée, et que toute initiative devait être autorisée par le Conseil. Il a lu l’Article 24 de la Charte, avant de rappeler que le Conseil de sécurité agissait au nom des peuples du monde entier.
Les États-Unis ont décidé d’être enquêteur, juge et procureur, a-t-il poursuivi, rappelant qu’aucune enquête n’avait été menée pour déterminer les auteurs de l’attaque d’Edleb.
Le délégué a rappelé qu’en septembre 2013, les États-Unis avaient également brandi la menace d’attaques contre la Syrie. L’attaque d’hier dessert le processus d’Astana et de Genève, a-t-il dit. En 2003, les États-Unis, au sein de ce même Conseil, avaient également avancé des « preuves sans appel » de la présence d’armes chimiques en Iraq, a-t-il poursuivi. « N’oublions pas ce qui s’est passé. »
Il a souligné que cette intervention avait justifié une invasion de l’Iraq à la suite de laquelle un million de personnes avaient perdu la vie. « Serions-nous en train de parler des actes de Daech si cette invasion illégale n’avait pas eu lieu? »
Le représentant a rappelé la longue histoire de coups d’État financés par la CIA en Amérique latine. Ce Conseil ne peut pas être un pion sur l’échiquier de la guerre, a-t-il dit, en déplorant qu’il y ait au sein de ce Conseil des « membres de première et de seconde classe ».
Enfin, il a affirmé que l’attaque d’hier représentait un coup fatal porté au multilatéralisme.
M. MATTHEW RYCROFT (Royaume-Uni) a déploré de constater que l’orateur précédent semblait davantage enclin à condamner les États-Unis pour leur frappe que la Syrie pour avoir perpétré une attaque à l’arme chimique contre son propre peuple. Il a rappelé que les stocks syriens d’armes chimiques étaient censés, en vertu des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, être détruits, « mais Assad nous a montré cette semaine qu’il en existait toujours ».
Après avoir estimé que les auteurs de cette attaque devaient être traduits en justice, le représentant a affirmé que la réponse américaine, « proportionnée », avait pour objectif de veiller à ce que ce type d’attaque ne se reproduise plus. La Fédération de Russie, a-t-il assuré, ne jouit d’aucun appui au sein du monde arabe, « car elle soutient un régime qui n’hésite pas à s’en prendre à son propre peuple ».
Selon lui, le message est clair: « Mettez fin aux bombardements, aux armes chimiques! » Le délégué britannique s’en est pris à la Russie, qu’il a accusée de protéger Bashar Al-Assad grâce à l’exercice de son droit de veto. « Puisque l’heure est à la transparence », a dit M. Rycroft, « il y a quelques jours, alors que nous nous efforcions de négocier un projet de résolution, j’ai demandé à mes collègues russes quel problème leur posait ce texte ». Ils ont répondu, a—t-il dit, que c’était lié à la question de l’accès sûr et sans entraves de la Mission d’établissement des faits au site de l’attaque. « Quelles peuvent être les raisons de ce refus? » a-t-il demandé.
Le représentant a prévenu des risques de voir la solution politique continuer de nous échapper si nous continuons de travailler « comme d’habitude ».
M. AMR ABDELLATIF ABOULATTA (Égypte) a fait état de l’escalade dangereuse qui a eu lieu, hier, en Syrie. Il a estimé que le peuple syrien était victime d’une guerre menée par procuration, les différentes parties privilégiant leurs intérêts. Les désaccords au sein de ce Conseil ont entraîné la mort de nombreux civils, a-t-il déclaré, avant de dire sa lassitude devant les déclarations creuses des uns et des autres faites après chaque malheur s’abattant sur le peuple syrien.
Plaidant pour une action véritable, il a appelé toutes les parties à mettre de côté leurs divergences et les altercations afin d’aider le peuple syrien à sortir de son labyrinthe et à aboutir à un cessez-le-feu immédiat. Le peuple syrien est en mesure de décider de son propre destin, a assuré M. Aboulatta, en insistant sur l’importance d’un appui international robuste, notamment dans la lutte contre le terrorisme. « L’heure est venue d’être francs. »
Il a appelé les États-Unis et la Fédération de Russie à agir de manière décidée et à s’appuyer sur les résolutions du Conseil afin de coopérer et de trouver un terrain d’entente en Syrie.
M. ELBIO ROSSELLI (Uruguay) a déclaré que, plus que jamais, il faut garder la tête froide et réinscrire ce conflit dans un cadre multilatéral. « Nous devons, avec fermeté, consolider la volonté politique. » Les principes cardinaux de son pays découlent de la non-utilisation de la force, sauf lorsqu’elle est exercée dans un cadre multilatéral et qu’elle constitue le seul recours possible.
Le représentant a donc espéré que les événements de ces derniers jours ne se traduiront pas par une escalade, sous peine d’aggraver le conflit syrien, voire la situation des pays voisins. « Ne perdons pas de vue la responsabilité de ce Conseil », qui est d’identifier les auteurs de cette attaque et d’exiger d’eux la reddition des comptes, a déclaré M. Rosselli.
Il a fustigé, en conclusion, le droit de veto, avant de lancer un appel aux membres permanents du Conseil pour qu’ils y renoncent dans des situations comme celles dont il est saisi aujourd’hui. Pour l’Uruguay, il est maintenant nécessaire de relancer les négociations.
M. SEBASTIANO CARDI (Italie) a déclaré que l’attaque chimique perpétrée à Edleb constituait une nouvelle violation du cessez-le-feu commise par le régime de Bashar Al-Assad. Il a souligné l’importance pour son pays de la situation au Moyen-Orient. « Nous comprenons les raisons de l’attaque américaine en Syrie hier », a-t-il dit, en y voyant un outil de dissuasion susceptible de décourager l’emploi d’armes chimiques en Syrie.
Le délégué italien a exhorté le Conseil à œuvrer pour une reddition des comptes en Syrie et un règlement de la situation. Il a indiqué que ce règlement devait être recherché dans le cadre des résolutions pertinentes du Conseil et du Communiqué de Genève.
Toutes les parties doivent utiliser leur influence pour garantir un accès humanitaire sans entraves en Syrie, a-t-il conclu, en redisant une nouvelle fois l’importance de l’unité du Conseil sur ce dossier.
M. FRANÇOIS DELATTRE (France) a considéré que les frappes américaines de la nuit dernière constituaient une réponse adaptée et proportionnée à la gravité de la menace posée par le régime syrien, estimant que le Président Bashar Al-Assad portait l’entière responsabilité de cette situation. « Le recours par quiconque aux armes chimiques et les crimes de guerre ne sauraient rester impunis et la Syrie faire exception à cette règle », a déclaré le délégué.
Le 23 février dernier, l’action du Conseil de sécurité a une nouvelle fois été empêchée par l’usage « injustifié et abusif », par la Fédération de Russie, de son droit de veto, a-t-il jugé, estimant que ce veto avait été perçu par le régime syrien comme un « signal d’impunité ».
Plus que jamais, l’attaque du 4 avril aura prouvé la nécessité urgente d’une solution politique au conflit en Syrie. « Le maintien au pouvoir d’un dictateur qui largue des bonbonnes de gaz létal sur des populations civiles n’est pas seulement une abomination morale: c’est une menace insoutenable pour la région et le monde », a déclaré M. Delattre.
Tous les membres de ce Conseil sont d’accord sur un point: la crise syrienne ne sera jamais réglée par la seule voie militaire, a-t-il poursuivi, en affirmant que la tragédie de Khan Cheikhoun avait créé la possibilité d’une « phase finale de négociations » et de permettre une transition politique en Syrie.
M. Delattre a donc engagé les autres membres du Conseil, et en particulier la Fédération de Russie, à assumer leurs responsabilités.
M. LIU JIEYI (Chine) a dit que son pays compatissait au drame du peuple syrien. Les parties doivent tout faire pour éviter une dégradation supplémentaire de la situation et la seule manière est la voie politique, a-t-il affirmé.
Il a déclaré que la voie militaire ne ferait qu’aggraver la situation et n’était pas dans l’intérêt de la Syrie, des pays de la région et de la communauté internationale. Il a exhorté les parties à poursuivre dans la voie diplomatique, l’ONU étant le principal canal de médiation.
Enfin, le délégué de la Chine a demandé que des critères impartiaux guident l’évaluation des incidents en Syrie.
M. KORO BESSHO (Japon) a indiqué qu’aucune circonstance ne justifiait l’emploi d’armes chimiques. L’attaque d’il y a trois jours est inhumaine et viole les résolutions du Conseil de sécurité. Le Gouvernement du Japon appuie la détermination du Gouvernement des États-Unis afin de ne jamais permettre une dissémination et une utilisation des armes chimiques, a-t-il dit. « Nous entendons que les États-Unis ont agi afin d’empêcher une aggravation supplémentaire de la situation. »
M. Bessho a appelé le Conseil à réaffirmer sa détermination à répondre à l’emploi présumé d’armes chimiques à Edleb. Il a exhorté la Mission d’établissement des faits de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) à mener une enquête rapide et à livrer ses conclusions le plus rapidement possible, afin que le Mécanisme puisse conduire sa propre enquête en vue d’identifier les responsables.
M. VLADIMIR K. SAFRONKOV (Fédération de Russie) a accusé les États-Unis d’avoir commis, dans la nuit du 6 avril, un acte d’agression contre un État souverain, le qualifiant d’illégitime. Selon lui, « dans les faits », les États-Unis ne font que renforcer le terrorisme. Cette frappe a visé des installations de l’aviation militaire syrienne, qui est en première ligne de la guerre engagée depuis des années contre Daech et le Front el-Nosra.
« Voyez les répercussions de vos actes en Iraq, en Libye, au Yémen », a lancé le représentant, en rappelant que Moscou avait, à plusieurs reprises ici même, défendu le principe d’une coalition mondiale de lutte contre le terrorisme « sur la base du droit international ». Mais Washington a préféré emprunter une autre voie, a déploré le délégué russe. « Vous n’avez fait que compromettre le processus d’Astana et de Genève, en invoquant, une fois de plus, l’argument d’une attaque à l’arme chimique », a martelé M. Safronkov.
La logique sous-tendant le projet de texte présenté hier par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni est « tronquée », car elle s’appuie sur « une présomption de culpabilité » de la Syrie. Pourquoi ne pas utiliser cette logique pour d’autres situations, a-t-il demandé. Il est vrai, a ajouté le représentant, qu’à Londres, à Paris et à Washington, on n’a qu’une obsession, « c’est le changement de régime ».
Il s’en est ensuite pris à son homologue britannique, dont il a fustigé l’« intervention haineuse ». « N’essayez pas de nous monter contre les pays arabes, vous n’y arriverez pas », a assuré M. Safronkov. « Ils se souviennent fort bien de votre hypocrisie coloniale. » « Votre projet de résolution n’est mû que par l’idée d’empêcher une enquête vraiment indépendante », car « vous avez peur qu’une telle enquête soit menée », de crainte que ses conclusions battent en brèche « votre rhétorique et vos accusations mensongères », a-t-il ajouté.
La Russie a proposé des alternatives à ses partenaires, mais selon la délégation, ils auraient refusé d’accepter que des experts du Mécanisme et de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) choisis « sur la base d’une représentation géographique équitable » soient déployés sur place, tout en précisant au passage que les forces syriennes n’ont « pas le contrôle » de la région d’Edleb.
Le Mécanisme d’enquête n’est pas « objectif » car son enquête se fonde, selon Moscou, sur des informations glanées sur Internet et les réseaux sociaux, « au lieu de solliciter l’aide des témoins sur place ».
Revenant sur le critère de la représentativité, le représentant a affirmé qu’une nationalité dominait parmi les experts chargés de l’enquête, et qu’il s’agissait de celle d’un État engagé dans une campagne militaire contre Damas.
« Prenons la situation à Mossoul: ceux qui demandent que l’on s’indigne pour ce qui s’est passé à Khan Cheikhoun n’ont pas l’air de le faire pour les civils piégés à Mossoul », a-t-il dit. Après avoir évoqué le sort d’une petite fille tuée dans les bombardements de la coalition, M. Safronkov a assuré ses collègues que ne seraient pas montrées de photos d’elle, « nous ne sommes pas cyniques ».
« Nous ne cherchons pas aujourd’hui à détourner l’attention de la situation à l’ordre du jour. Ce que nous disons, c’est que si on se lance dans la lutte antiterroriste, il faut le faire sur la base de critères communs. »
Le représentant a donc appelé les États-Unis à mettre un terme à son agression, à se lancer dans des négociations de bonne foi. « Nous sommes prêts à une telle coopération », a-t-il offert, avant de noter que beaucoup de déclarations insultantes avaient été faites aujourd’hui, « notamment concernant l’usage du droit de veto ». Le Conseil doit maintenant prendre des décisions concertées, a-t-il ajouté.
M. FODÉ SECK (Sénégal) a déploré la profonde division du Conseil au sujet, une nouvelle fois, de la crise syrienne. « Quelle image renvoyons-nous à la communauté internationale et quel message envoyons-nous au peuple syrien déboussolé? » a-t-il demandé. « Quel message envoyons-nous aux terroristes? »
Il a affirmé que rien ne pouvait justifier l’emploi d’armes chimiques, y compris en temps de conflit. Le délégué a appuyé les efforts de la Mission d’établissement des faits de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), avant de réaffirmer sa conviction dans l’importance d’une solution négociée en Syrie, sur la base du Communiqué de Genève et des résolutions pertinentes du Conseil.
Enfin, M. Seck a souhaité le succès du « cinquième round de négociations » à Genève.
M. KAIRAT UMAROV (Kazakhstan) a appelé les parties concernées à éviter toute escalade militaire en Syrie, sous peine de saper le processus de Genève et d’Astana. « Nous avons une dernière chance de faire triompher la paix en Syrie », a-t-il dit.
Le délégué a jugé cruciale la conduite d’une enquête impartiale à Khan Cheikhoun afin que la communauté internationale puisse rendre son verdict à l’endroit des responsables de cette attaque. Le conflit syrien doit être réglé exclusivement par la voie pacifique et dans le respect de la souveraineté des États Membres, a-t-il dit, en appelant de ses vœux une solution politique négociée.
Enfin, le représentant a apporté son appui au processus de Genève et d’Astana.
M. OLOF SKOOG (Suède), qui a remercié ses collègues pour leurs témoignages de sympathie après l’attaque aujourd’hui à Stockholm, a condamné dans les termes les plus forts le bombardement à l’arme chimique près d’Edleb et a souligné l’importance qu’elle fasse l’objet d’une enquête impartiale et approfondie. C’est pourquoi la Suède n’a épargné aucun effort afin d’aboutir à l’adoption d’une résolution forte du Conseil pour une enquête robuste et immédiate, a-t-il dit.
« Si ces efforts ont été infructueux hier, nous pensons néanmoins qu’il existe un terrain d’entente suffisant pour l’adoption d’une résolution forte par ce Conseil. »
S’agissant des frappes américaines d’hier, il a affirmé « qu’il n’était pas clair en quoi cela représentait une nouvelle politique ». « Il est important qu’une telle action soit appuyée par le droit international, mais l’attaque d’hier soulève des questions sur sa compatibilité avec le droit international. »
Déplorant les « insultes » échangées ce matin autour de cette table, M. Skoog a estimé que le temps était venu pour une unité du Conseil en appui d’un processus politique en Syrie.
Enfin, le délégué de la Suède a réitéré son plein appui aux pourparlers intrasyriens conduits à Genève sous les auspices de l’ONU.
M. TEKEDA ALEMU (Éthiopie) a déploré le fait que la communauté internationale ne soit pas en mesure de présenter un front uni, avant de dire que l’attaque à l’arme chimique commise le 4 avril ne saurait être justifiée. La priorité est donc de sortir de l’impasse avant que la situation ne devienne incontrôlable, a estimé le représentant, avant de reprendre à son compte l’appel lancé aujourd’hui par le Secrétaire général au Conseil de sécurité pour qu’il assume ses responsabilités, sous peine de perdre sa crédibilité.
C’est la raison pour laquelle il a estimé que le projet de résolution défendu hier par le groupe des membres non permanents du Conseil de sécurité était sage, encourageant à l’adoption de ce texte et à accélérer les enquêtes. « Seul un processus politique pourra mettre fin au conflit », a déclaré le représentant, avant de lancer un appel au calme, à la retenue et à la désescalade.
M. VOLODYMYR YELCHENKO (Ukraine) a considéré comme « proportionnée » et « bienvenue » la frappe perpétrée par les États-Unis contre la base aérienne depuis laquelle une attaque à l’arme chimique a été perpétrée à Khan Cheikhoun, « un signal clair que l’utilisation d’armes de destruction massive » ne sera plus tolérée.
Il a catégoriquement rejeté les arguments de la Fédération de Russie selon laquelle l’action américaine constituerait un acte d’agression, rappelant que Moscou avait renoncé à toute crédibilité en la matière « après son annexion de la Crimée et son agression contre l’est de l’Ukraine ».
Le représentant a rappelé en conclusion qu’il était du ressort du Conseil de sécurité de maintenir la paix et la sécurité internationales, prévenant des risques posés par l’inaction.
Mme NIKKI R. HALEY (États-Unis) a dénoncé la nouvelle attaque chimique conduite par le régime de Bashar Al-Assad il y a trois jours. Le Président Bashar Al-Assad a lancé cette attaque car il pensait qu’il n’aurait pas à en assumer la responsabilité, avec l’aide de la Fédération de Russie, a-t-elle déclaré. « Mais cela a changé hier. »
Parfois les États doivent agir seuls, a-t-elle dit, ajoutant que l’utilisation d’armes chimiques justifiait pleinement l’action de son pays. « Les États-Unis ne peuvent pas fermer les yeux », a-t-elle affirmé, ajoutant qu’il en allait de la sécurité de son pays.
Elle a indiqué que son pays avait détruit la base militaire depuis laquelle l’attaque chimique avait été lancée. « Nous avons dit “assez” pour qu’Assad n’utilise plus jamais des armes chimiques, “plus jamais” », a-t-elle déclaré. Elle a insisté sur la responsabilité de la République islamique d’Iran dans le bain de sang syrien en protégeant Damas, ainsi que sur celle de la Fédération de Russie, alors que Damas franchissait les lignes de la décence la plus élémentaire.
Elle a rappelé que la Russie était censée agir pour détruire l’arsenal chimique syrien. « Or cela n’a pas été le cas. » Elle a avancé trois explications à cet état de fait. Soit la Russie a délibérément laissé des armes chimiques sur le territoire syrien, soit elle n’a pas pu procéder à la destruction de l’entier stock syrien, soit Damas manipule la Russie, a-t-elle avancé.
« Le monde attend de la Russie qu’elle agisse de manière responsable en Syrie; le monde attend que la Russie revoie son alliance avec le régime de Bashar Al-Assad. » Elle a déclaré que les jours de l’utilisation d’armes chimiques par Damas en toute impunité étaient révolus. « Les États-Unis ont pris une mesure prudente hier et nous sommes prêts à en faire davantage si nécessaire », a poursuivi la déléguée.
En conclusion, Mme Haley a exhorté les « nations civilisées » à s’unir pour une solution politique en Syrie.
M. MOUNZER MOUNZER (République arabe syrienne) s’est élevé contre la présentation des faits par le Secrétaire général adjoint, faisant état pour sa part d’une « agression » qui constitue une violation grave du droit international. Les États-Unis tentent de justifier cette attaque par des allégations selon lesquelles le régime syrien aurait commis des attaques à l’arme chimique, a souligné le représentant.
Selon lui, l’armée syrienne n’a pas d’armes chimiques en sa possession. En revanche, a-t-il dit, il est notoire que ces armes ont été accumulées par les groupes terroristes et armés avec la bienveillance d’un certain nombre d’États Membres. « Aujourd’hui, ces groupes se sentent encouragés par cette agression, qui ne fait que confirmer la stratégie des États-Unis depuis six ans, qui consiste à apporter son soutien à des groupes dits de l’opposition syrienne », s’est élevée la délégation.
Pour la Syrie, les États-Unis ont formé une prétendue coalition dont le seul objectif serait de s’en prendre au Gouvernement syrien, allant jusqu’à « protéger » tout récemment des éléments de Daech pour leur permettre d’ouvrir un front.
Le représentant a assuré que des systèmes portatifs de défense aérienne (MANPADS) avaient été remis à des groupes terroristes syriens, « nous l’avons dit au Conseil ». Aujourd’hui, on cherche à justifier une propagande pour détruire la Syrie comme on l’a fait pour l’Iraq avec les armes de destruction massive inexistantes en 2003, a martelé le représentant syrien.
Le Royaume-Uni, les États-Unis et la France n’accordent pas d’importance à la démocratie, à la stabilité et aux droits de l’homme, ce ne sont pour eux que des prétextes pour s’approprier des ressources naturelles, a affirmé le représentant.
La République arabe syrienne s’en est également prise à l’appui apporté par les régimes wahhabites. S’adressant aux membres du Conseil qui participent à la coalition, la délégation a dit qu’ils devraient être reconnus responsables des attaques menées contre des victimes innocentes.
M. Mounzer a, en conclusion, demandé que le Conseil de sécurité assume les responsabilités qui sont les siennes et que cessent les agressions contre son pays.
Le délégué de la Fédération de Russie a repris la parole et a demandé à certaines délégations, y compris celle des États-Unis, de ne pas insulter son pays. « Nous ne nous permettons pas de le faire. » Il a estimé que la représentante des États-Unis, Mme Nikki Haley, qui vient de prendre ses fonctions, avait l’occasion d’assainir les relations au sein de ce Conseil et de travailler avec tous ses membres. Cela ne sera néanmoins pas possible si l’on prétend que sa position nationale a valeur de vérité absolue, a-t-il dit.
Enfin, le délégué a confié que son pays avait « vraiment l’espoir » de travailler dans un esprit d’unité au sein de ce Conseil.