Syrie: le Coordonnateur des secours d’urgence plaide pour un accès humanitaire sans entrave et une procédure d’autorisation simplifiée
Trois ans exactement après l’adoption d’une résolution dans laquelle le Conseil de sécurité demandait à toutes les parties en Syrie de « lever immédiatement le siège des zones peuplées », le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, M. Stephen O’Brien, a dépeint une situation toujours plus difficile dans ce domaine et plaidé pour un accès sans entrave à la population assiégée.
Au cours de son exposé mensuel devant le Conseil de sécurité sur la question, il a, à nouveau, défendu un accès humanitaire sans entrave et appelé les parties à garantir la sécurité des travailleurs humanitaires, sachant que l’ONU et ses partenaires sont en mesure de fournir une assistance à 300 000 personnes dans les régions assiégées et difficiles d’accès. Il a aussi averti des risques de catastrophe humanitaire si le barrage de Tabqah, sur l’Euphrate, devait céder à cause des combats.
Le mois prochain, a-t-il rappelé, marquera un sombre anniversaire: six années de guerre qui ont détruit un pays. Les Syriens ont vu leur pays mis en ruine, a-t-il déploré, en dénombrant actuellement 13,5 millions de personnes en attente d’une aide humanitaire urgente.
Près de 85% de la population vit dans la pauvreté, dont plus des deux tiers dans la pauvreté extrême ou abjecte. En outre, 12,8 millions de Syriens ont besoin d’une aide en matière de santé et plus de 7 millions souffrent d’insécurité alimentaire. Les ménages dépensent près d’un quart de leurs revenus uniquement dans l’approvisionnement en eau.
Citant d’autres chiffres, M. O’Brien a indiqué que la production de blé avait été réduite de 45% entre 2016 et 2015 et de 63% par rapport aux niveaux antérieurs à la crise. Il a décrit d’autres problèmes qui ont coûté cher aux Syriens, comme la destruction d’infrastructures essentielles, la dévaluation de la monnaie, l’impact des sanctions, la hausse des prix des produits alimentaires, les pénuries de carburant, d’électricité et d’eau potable.
En 2016, a-t-il poursuivi, le taux de déplacement journalier de la population a atteint une moyenne de plus de 5 000 personnes. Plus de la moitié des Syriens ont été forcés de quitter leurs foyers depuis 2011, dont 6,3 millions de déplacés internes, plus de 4,9 millions de réfugiés dans les pays voisins et près de 1,2 million de Syriens qui ont demandé l’asile en Europe.
Sur le plan de la sécurité, le Secrétaire général adjoint s’est inquiété des attaques continuelles qui visent des civils et des infrastructures civiles, comme les bombardements et les attaques aériennes à Idleb et Dar’a et les sites assiégés dans la région de Ghouta, notamment à Douma, Harasta, Zamalka, Jobar et Arbin.
Il a dit surveiller la situation après l’annonce récente des Gouvernements de la Syrie et de la Fédération de Russie quant à l’ouverture de plusieurs couloirs pour les civils souhaitant quitter l’est de Ghouta. Il a exprimé ses craintes de voir la situation dans cette région devenir encore plus tendue au cours de la prochaine période si les opérations militaires s’intensifient.
« Nous sommes également gravement préoccupés par la situation dans le quartier Al-Wa’er de la ville de Homs », a-t-il ajouté, en évoquant les bombardements aériens et les tirs d’artillerie de ces derniers jours qui ont fait plus de 20 victimes civiles et touché l’hôpital Al-Bir, le centre de défense civile et le centre d’ambulances. Les dizaines de milliers de personnes vivant à Al Wa’er ont besoin d’une aide humanitaire immédiate.
En ce qui concerne le sud du pays, M. O’Brien a signalé une augmentation substantielle des conflits autour de la ville de Dar’a le 12 février 2017, ce qui a entrainé la fermeture préventive des écoles et universités.
En outre, le 19 février, le groupe Jaysh Khalid Bin al-Walid (JKBW), affilié à l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL), a lancé une attaque pour reprendre Tseel (34 000 habitants), Jlein et Masken Jlein (9 200 habitants) et Edoin (4 900 habitants). Il a aussi dénoncé des attaques aériennes commises ailleurs dans le gouvernorat de Dar’a qui ont frappé six centres médicaux et des points de santé le 15 février.
En raison de cette intensification des combats dans le Rif de Damas, l’Idleb, le Dar’a et d’autres gouvernorats, l’accès humanitaire a été limité à quelques-uns de ces domaines, a indiqué M. O’Brien. Il a expliqué que l’assistance de l’ONU par le point de passage frontalier de Bab al-Hawa et celle des acteurs humanitaires avaient été récemment suspendues ou restreintes du fait de l’insécurité. Les combats dans le sud ont également entraîné le déplacement de plus de 10 000 personnes de la ville de Dar’a.
Abordant la situation des quatre villes assiégées d’Al-Zabadani, d’Al-Fu’ah, de Kafraya et de Madaya, il a décrit une situation catastrophique, avec plus de 64 000 civils souffrant de violence et de privation. Cette situation est aggravée, a-t-il précisé, par l’entente entre les quatre villes, qui rend l’accès humanitaire enclin à des négociations minutieuses. Il a espéré que les membres du Conseil de sécurité et ceux du nouveau Groupe mixte réussiraient à débloquer cette horrible impasse.
Autre source de préoccupation, les opérations militaires contre l’EIIL. Il a donné l’exemple des frappes aériennes et les combats autour d’Ar-Raqqa et d’Al-Bab qui ont entraîné de nombreuses victimes civiles –au moins 3 000 civils tués-, la destruction d’infrastructures civiles et des déplacements.
En outre, les civils sont visés par des combattants de l’EIIL. Il a prévenu notamment des risques qui pèsent sur le barrage de Tabqah, sur l’Euphrate, alors que c’est une installation stratégique qui fournit environ 14 milliards de mètres cubes d’eau potable et d’irrigation et produit environ 2,5 milliards de kilowatts d’électricité par an.
Le Secrétaire général adjoint a ensuite dénoncé le manque d’accès sûr aux zones assiégées et difficiles à atteindre, pour les programmes humanitaires menés par les Nations Unies et ses partenaires, et ce, malgré une nette amélioration.
En étudiant les convois interagences transfrontaliers en 2016, on s’est aperçu que ce qui manquait était un accès prévisible à cause des contraintes administratives, sécuritaires et opérationnelles. Il a illustré son propos avec plusieurs exemples, indiquant notamment qu’au cours du second semestre de 2016, les convois interorganisations n’avaient été autorisés que pendant les 10 derniers jours ouvrables du mois.
L’insécurité constitue un autre obstacle pour les convois de l’ONU qui ont dû parfois être annulés. De ce fait, environ 50 000 civils à Al Wa’er n’ont pas reçu d’aide humanitaire pendant 117 jours. M. O’Brien a dénoncé, à ce sujet, une attaque et un détournement dont ont été victimes plusieurs camions remplis de fournitures humanitaires, se disant « choqué » par le mépris flagrant de la protection des travailleurs humanitaires et des biens humanitaires.
L’ONU continuera à essayer d’atteindre les 50 000 personnes dans le besoin à Al Wa’er avec une assistance multisectorielle, dès que les conditions le permettront, a-t-il cependant déclaré, avant d’appeler toutes les parties à assurer la sécurité des travailleurs et des biens humanitaires.
« J’exhorte à nouveau tous les États Membres ayant une influence à faire en sorte qu’un taux d’exécution nul ou proche de zéro ne se reproduise pas dans les semaines et les mois à venir, que ce soit en raison de contraintes administratives, sécuritaires ou opérationnelles », a demandé M. O’Brien, réclamant notamment des procédures d’approbation simplifiées et des autorisations délivrées en temps opportun.
Il a signalé avoir reçu des engagements en ce sens de la part du Gouvernement syrien et a espéré que ces changements permettraient de remédier efficacement aux goulets d’étranglement bureaucratiques qui ont causé les nombreux retards.
Quant à l’assistance transfrontalière provenant de la Turquie et de la Jordanie, il a souligné son caractère essentiel dans la réponse humanitaire, d’autant plus que les besoins augmentent au fur et à mesure que les accords locaux envoient plus de gens vers le nord ainsi que vers certains endroits du sud de la Syrie.
Enfin, il a salué la contribution majeure d’une panoplie d’organisations non gouvernementales partenaires sur le terrain dans la fourniture de l’aide humanitaire de l’ONU. Ces intervenants doivent être protégés en tout temps et en toutes circonstances, a-t-il insisté.
Le Secrétaire général adjoint n’a pas manqué, avant de conclure son exposé, de rappeler aux membres du Conseil que les yeux du monde entier sont tournés vers Genève et qu’il n’y a pas de solution humanitaire ou militaire à ce conflit. Il a souligné l’importance d’un véritable engagement politique en faveur de la paix si on veut que 2017 offre une perspective différente.
Le délégué de l’Uruguay, pour qui, selon son expression, chaque passage de l’intervention de M. O’Brien était comme un « coup de poignard » dans le cœur, a lui aussi formé l’espoir que 2017 serait la dernière année du conflit en Syrie. Il a appelé les parties à surmonter la défiance lors des pourparlers qui doivent s’ouvrir à Genève. Le cessez-le-feu récemment conclu a permis une diminution de la violence, même si les affrontements se poursuivent, a-t-il remarqué.
Cela ne l’a pas empêché d’exprimer ses préoccupations au sujet de la situation des civils en Syrie à cause de la détérioration de l’accès humanitaire, et de demander la consolidation du cessez-le-feu sur l’ensemble du territoire, la protection des civils par toutes les parties, la levée de tous les sièges, un accès humanitaire immédiat, durable et sans entrave, la poursuite de la lutte antiterroriste et l’avancement d’une solution politique.
Le Conseil de sécurité était également saisi du rapport du Secrétaire général sur l’application des résolutions 2139 (2014), 2165 (2014), 2191 (2014), 2258 (2015) et 2332 (2016) du Conseil de sécurité*.