La Conférence sur l’interdiction des armes nucléaires ne négocie plus une « convention » mais un « traité »
« Nous sommes désormais tout près du but », s’est exclamé le délégué du Liechtenstein alors que la Conférence sur l’interdiction des armes nucléaires entamait, cet après-midi, une nouvelle phase de négociations sur ce qui n’est plus un « projet de convention » mais bien « un projet de traité »*.
Le changement de nom, a expliqué la Présidente de la Conférence, Mme Elayne Whyte Gómez (Costa Rica), à propos d’un texte qui garde le même nombre d’articles, soit 21, n’affecte en rien le statut juridique. Il a tout simplement pour but de placer le texte au même niveau que les autres instruments internationaux sur le nucléaire.
Parmi les autres modifications, le préambule passe à 24 alinéas contre 14 auparavant, mettant l’accent sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires, les principes essentiels des Nations Unies, le droit inaliénable à l’énergie nucléaire, l’importance de la pleine participation des femmes au désarmement nucléaire et celle de l’éducation au désarmement. Parce qu’il ne fait pas suffisamment le lien avec le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), le préambule contribue aussi à l’affaiblissement du TNP, ont mis en garde certaines délégations. D’autres ont d’ailleurs voulu que l’on imprime un caractère obligatoire à l’adhésion au TNP, s’agissant, en particulier de l’article 19 sur les relations avec les autres accords.
Il faut à présent se concentrer sur les articles 2 à 5 car c’est la partie la plus technique et la plus sensible au plan politique, a argué le représentant du Liechtenstein, en jugeant les délégations « tout près du but ». Les articles en question portent sur les déclarations, les garanties, l’élimination totale des armes nucléaires et les mesures additionnelles. L’article 4 sur l’élimination des armes nucléaires est celui qui a subi le plus de modifications. Il offre désormais l’option à un État nucléaire d’adhérer au traité, avant de procéder à l’élimination de ses armes et de s’engager dans un processus crédible avec d’autres États parties à cette fin. Le libellé de cet article est volontairement « flexible » et tient compte de la nature des différents programmes nucléaires et du fait qu’il n’est pas possible, à l’heure actuelle, de désigner une autorité internationale compétente vérifier leur démantèlement.
L’article reconnaît le rôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) dans la vérification du matériel nucléaire à utilisation pacifique. Des États comme l’Iran ont relevé que les aspects liés à la vérification sont « insuffisamment décrits » et s’agissant de l’article 3 relatif aux garanties, certains ont regretté que les États ne soient pas appelés à négocier des accords avec l’AIEA.
« On a encore du pain sur la planche », a diagnostiqué le représentant de la Suisse parlant d’une Conférence qui, ayant ouvert ses portes le 15 juin dernier, s’est fixé pour objectif de terminer les négociations le 7 juillet prochain. Elle poursuivra ses travaux à huis clos demain, mercredi 28 juin 2017, à partir de 10 heures.
* A/CONF.229/2017/CRP.1/Rev.1
NÉGOCIATIONS, CONFORMÉMENT AU PARAGRAPHE 8 DE LA RÉSOLUTION 71/258 DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE EN DATE DU 23 DÉCEMBRE 2016, EN VUE DE L’ADOPTION D’UN INSTRUMENT JURIDIQUEMENT CONTRAIGNANT VISANT À INTERDIRE LES ARMES NUCLÉAIRES EN VUE DE LEUR ÉLIMINATION COMPLÈTE
La Présidente de la Conférence pour la négociation d’une convention sur l’interdiction des armes nucléaires, Mme Elayne Whyte Gómez (Costa Rica), a présenté les changements majeurs apportés au texte qui a servi de base à la première phase des négociations. Les « éléments de convergence » qui ont émergé des discussions ont été ajoutés, a dit la Présidente, rappelant les recommandations de la Haut-Représentante pour les affaires de désarmement visant un texte final à la fois « solide sur le plan juridique, exact sur le plan technique et sage sur le plan politique ».
La version révisée change donc de dénomination: il ne s’agit plus d’un projet de convention mais bien d’un projet de « traité », conformément à la préférence claire de nombreuses délégations. Mais, ce changement de titre, a prévenu la Présidente, n’affecte pas le statut juridique de l’instrument ou de ses dispositions. Il a tout simplement pour but de placer ce texte au même niveau que les autres instruments internationaux sur le nucléaire.
Le préambule de la version révisée met l’accent sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires et précise les bases juridiques qui sous-tendent le futur traité. De nouveaux paragraphes ont été ajoutés afin de rappeler les principes essentiels des Nations Unies, réaffirmer le droit inaliénable à l’énergie nucléaire, reconnaître l’importance de la pleine participation des femmes au désarmement nucléaire, et souligner celle de l’éducation au désarmement. Le préambule apparait relativement long, par rapport aux préambules des autres traités.
Les articles 1 et 2 relatifs aux obligations générales et aux déclarations restent les mêmes, tandis que l’article 3 sur les garanties fait toujours l’objet de négociations, notamment sur l’intégration d’éléments tirés des annexes. L’article 4 sur l’élimination totale des armes nucléaires est celui qui a subi le plus de modifications. L’article comprend désormais un « processus d’adhésion et de destruction » et offre désormais l’option à un État nucléaire d’adhérer au traité, avant de procéder à l’élimination de ses armes nucléaires et de s’engager dans un processus crédible avec d’autres États parties à cette fin. Le libellé de cet article est volontairement « flexible » et tient compte de la nature des différents programmes nucléaires et du fait qu’il n’est pas possible, à l’heure actuelle, de désigner une autorité internationale compétente de vérifier leur démantèlement. Ainsi, le rôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a été limité à la vérification du matériel nucléaire dans des activités pacifiques, en accord avec son système d’information relatif aux garanties.
La possibilité de créer des protocoles additionnels, y compris par le biais de négociations avec les États non parties au traité, a été soulignée dans l’article 5 sur les mesures additionnelles, conformément à la suggestion de certaines délégations qui ont jugé « sage » de garder cette option.
La Présidente a sauté à l’article 9 sur les réunions des États parties, en décrivant la nouvelle version comme plus élaborée et plus précise, comme en témoignent les modalités des réunions extraordinaires, le calendrier et le mandat des conférences d’examen.
Dans l’article concernant les amendements, le 11, le principal changement est qu’il prévoit que des amendements pourront être faits au cours d’une conférence extraordinaire. En outre, le traité devrait désormais, à la lumière des articles 4, 14 sur les signatures et 15 sur la ratification, rester indéfiniment ouvert à de nouvelles adhésions. Enfin, l’article 19 sur les relations avec d’autres instruments a suivi le même modèle que ceux des autres traités, notamment le Traité sur le commerce des armes.
Les délégations ont ensuite réagi aux propos de la Présidente. « Depuis le début de la Conférence, il existe une ambigüité sur l’objectif de l’instrument », a estimé le représentant de l’Iran. « S’agit-il d’un instrument pour interdire les armes nucléaires ou d’un instrument pour les interdire et les détruire? », s’est-il interrogé. Le mandat de la Conférence, a-t-il argué, va plutôt dans le sens d’un traité visant seulement à interdire les armes nucléaires. Négocier une convention globale sur l’interdiction et la destruction « n’est ni pratique, ni possible dans le temps qui nous est imparti ». Or, a relevé le délégué, « dans sa nouvelle version, l’instrument va au-delà de la simple interdiction ». Si telle est la portée du futur instrument, le texte comporte selon lui de « nombreuses lacunes », notamment concernant les aspects liés à la vérification, qui sont « insuffisamment décrits ».
Le délégué iranien a aussi relevé que les questions liées à la menace d’utiliser l’arme nucléaire et au non-respect des dispositions du futur traité n’aient pas été reprises dans la nouvelle version du préambule. « Ce texte est loin d’être un texte de consensus », a-t-il tranché. Le « passage sous silence » des conséquences négatives de la menace d’utiliser l’arme nucléaire ne fait qu’affaiblir la portée du préambule, a estimé le représentant de Cuba. Parce qu’il ne fait pas suffisamment le lien avec le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), le préambule contribue aussi à l’affaiblissement du TNP, a ajouté le représentant de Pays-Bas, appelant à réaffirmer dans le texte l’engagement des États en faveur du TNP.
Certes, le préambule n’est pas du goût de tout le monde, a reconnu le représentant de l’Équateur, « mais je pense qu’il reflète bien l’avis de la majorité des délégations ». Le nouveau préambule est en effet « équilibré et reprend bien les propositions » formulées jusqu’ici, a déclaré la représentante de l’Irlande, estimant qu’un préambule « encore un peu plus long » était même nécessaire.
Puisque l’objectif du traité est d’interdire les armes nucléaires, il faut que cet objectif soit reflété de manière plus précise dans l’article 1, a par ailleurs demandé le représentant du Nigéria. Il faut aussi intégrer dans cet article 1 le concept d’élimination et de vérification, a ajouté son homologue de l’Argentine. Or, aucune de nos propositions n’a été reprise pour modifier cet article, s’est plaint le représentant de l’Équateur, regrettant que l’article 1 n’ait pas du tout été modifié. Cet article doit être en effet notre première priorité, a acquiescé le représentant de Cuba, regrettant que sa version actuelle interdise uniquement l’emploi des armes nucléaires et pas la menace de cet emploi. Le délégué cubain s’est aussi dit préoccupé par le fait que l’article 1 n’interdise que les essais nucléaires utilisant des explosifs. « Autrement dit, on légitime les essais utilisant des dispositifs non explosifs », a-t-il conclu, appelant à l’interdiction de « tous les types d’essais d’armes nucléaires ». Le représentant a enfin regretté que l’article 1 n’interdise pas expressément le transit des armes nucléaires.
Les articles 2 à 5 sur les déclarations, les garanties, l’élimination totale des armes nucléaires et les mesures additionnelles, sont ceux qui suscitent le plus de désaccords, a poursuivi le représentant de l’Équateur, précisant qu’il existe deux voies possible: l’une consistant à trouver un consensus sur des dispositions précises; l’autre consistant à formuler des dispositions plus générales, notamment sur l’adhésion des États dotés de l’arme nucléaire, tout en laissant à la Conférence des États parties le soin de préciser. « Les garanties et les sauvegardes doivent être précisées plus avant dans ce texte », a insisté quant à elle la représentante de l’Argentine.
Reconnaissant la difficulté d’obtenir un consensus pour ces articles 2 à 5, le représentant de Cuba a douté de la nécessité de créer une nouvelle autorité internationale chargée de vérifier la destruction des armes nucléaires. Un tel mécanisme est pourtant primordial, lui a opposé son homologue des Pays-Bas.
Le texte de ces articles devrait aller plus loin s’agissant de l’assistance aux victimes et la restauration de l’environnement, a déclaré de son côté le représentant de l’Équateur, notamment pour mieux reconnaître la responsabilité des auteurs des dégâts nucléaires. Certains États ont en effet plus de responsabilité que d’autres du point de vue du droit international, a estimé l’observateur de la Palestine, ajoutant que, pour cette même raison, le traité devrait être interdit tout retrait.
S’agissant spécifiquement de l’article 2 sur les déclarations, le représentant de l’Autriche a appelé à modifier le libellé concernant les lieux de stockage des armes nucléaires, les armes nucléaires qui sont stationnées dans certains États et la référence aux États dotés de l’arme nucléaire. Cette dernière doit selon lui être plus précise, une proposition reprise par le représentant du Nigéria.
Quant à l’article 3 sur les garanties, « nous sommes tous d’accord pour dire que nous ne voulons pas interférer » avec les accords de garanties relevant de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), a déclaré le représentant de l’Autriche. Cependant, a-t-il regretté, la version actuelle de cet article, qui ne comporte qu’un seul paragraphe, n’appelle pas les États à négocier des accords de garanties avec l’AIEA. Il faut en effet résoudre cette question et mentionner dans le texte le cas des pays non dotés de l’arme nucléaire qui n’auraient pas d’accords de garanties avec l’AIEA, a estimé la représentante de l’Irlande. Nous sommes déçus que nos propositions sur cette question n’aient pas été prises en compte, a déclaré le représentant des Pays-Bas, estimant que l’absence d’incitations à prendre des mesures fondamentales, telles que les mesures de garanties, n’encourage pas les États à avancer vers un monde exempt d’armes nucléaires. De ce point de vue, le représentant a estimé que la nouvelle version du texte a aggravé les préoccupations de son pays.
« L’article 11 est quelque peu novateur », a par ailleurs estimé le représentant de l’Équateur, mettant en doute l’utilité de convoquer immédiatement une conférence pour adopter des amendements. Des doutes similaires ont été exprimés par son homologue de la Malaisie.
« Il nous semble qu’à l’article 14, il faudrait préciser où et quand le traité est ouvert à la ratification », a par ailleurs déclaré la représentante de la Malaisie, proposant le 20 septembre à New York pour faire coïncider le lieu et la date avec le débat général de l’Assemblée. « Nous pourrions organiser à cette occasion une cérémonie de signature », a approuvé le représentant de l’Équateur.
S’agissant de l’article 19, le représentant des Pays-Bas a appelé à le modifier pour qu’il ne rentre pas en conflit avec certaines dispositions du TNP. Il a également voulu l’ajout d’un paragraphe présentant l’adhésion au TNP comme obligatoire.
« Nous sommes désormais tout près du but », a estimé le délégué du Liechtenstein. Il faut à présent se concentrer sur les articles 2 à 5 car c’est la partie la plus technique et la plus sensible au plan politique, a-t-il argué. La nouvelle version est une vraie amélioration, a renchéri le délégué du Brésil, alors que sa collègue de la Suisse prévenait: « on a encore du pain sur la planche ». Dans le préambule, a justement proposé le représentant de l’Afrique du Sud, il faut bien expliquer l’objectif principal du traité et établir un lien avec l’article 1, lequel doit être renforcé, a ajouté son homologue de la Thaïlande. Le délégué du Mozambique a d’ailleurs déploré que le libellé avait proposé n’ait pas été pris en compte. S’agissant de l’article 2, le représentant du Brésil a voulu qu’il parle des pays qui hébergent des armes nucléaires, même s’ils ne leur appartiennent pas.
Il faut aussi améliorer certains aspects de l’article 3, a proposé la déléguée de la Suisse, avant d’appeler à la suppression pure et simple de l’article 5 relatif aux mesures supplémentaires. Non, s’est opposé son homologue du Mozambique. Divisons le plutôt en plusieurs phrases pour le rendre plus clair et compréhensible et transférer le deuxième paragraphe de l’article 6 sur la mise en œuvre nationale dans l’article 1.
Les délégations du Costa Rica, d’Antigua-et-Barbuda, du Brésil, de la Thaïlande et de la Suisse ont suggéré que l’article 7 sur l’assistance aux victimes et la restauration de l’environnement soit plus contraignant et plus explicite s’agissant de la responsabilité des États impliqués dans les essais nucléaires ou dans l’usage des armes nucléaires.
Au sujet de l’article 9 relatif aux réunions entre États parties, le représentant du Brésil a jugé peu opportun d’organiser des réunions extraordinaires rien que pour tabler sur des amendements au traité. Celui de la Thaïlande a rappelé que l’article 16 sur l’entrée en vigueur devrait tenir compte de la possibilité pour chaque État d’adhérer au traité au moment qui lui convient. Son homologue du Brésil a indiqué que contrairement au libellé de l’article 17, le traité doit interdire les réserves. Au sujet de l’article 18 relatif au retrait, il a aussi jugé que le délai de trois mois, après notification, était beaucoup trop court. Au nom de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), la représentante d’Antigua-et-Barbuda a plaidé pour plus de réunions publiques pour pouvoir bénéficier de l’avis technique de la société civile.
Cela n’a pas empêché le représentant de l’Égypte de proposer d’ores et déjà la suppression de la référence au Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), avant de revenir à l’article 1 et de plaider, à son tour, pour l’inclusion de la menace d’utiliser l’arme nucléaire, une proposition reprise par son homologue du Pérou, selon lequel la mention dans le préambule à la « menace d’usage » et à la « menace de l’emploi » est trop générique. Le délégué péruvien a aussi appelé à interdire dans l’article 1 le transit des armes nucléaires.
L’article 2 doit exiger les mêmes obligations pour les États dotés de l’arme nucléaire que pour les États non dotés de l’arme nucléaire n’ayant pas signé d’accords de garanties avec l’AIEA, a par ailleurs estimé la représentante de la Nouvelle-Zélande. Par ailleurs, l’article 4 présente une contradiction avec l’article 1, a-t-elle estimé, soulignant que l’article 1 établit l’obligation de ne pas posséder d’armes nucléaires, alors que l’article 4 permet à un État de devenir partie au traité s’il possède des armes nucléaires. « Il faut changer le libellé pour corriger cette incohérence », a –t-elle insisté, tout en ajoutant que le délai de 60 jours mentionné dans cet article n’était pas réalisable. « Ce n’est pas une contradiction », a quant à lui estimé le représentant du Mexique, ajoutant qu’il existait des précédents. Par exemple, a-t-il dit, la Convention sur les armes chimiques interdit ces dernières tout en prévoyant leur élimination par les États parties qui les possèdent déjà
S’agissant de l’article 7, le délégué de l’Égypte a voulu qu’on le reformule pour mentionner expressément la responsabilité des États qui procèdent à des essais nucléaires.
Il faudrait préciser où et quand le traité est ouvert à la ratification dans l’article 14, a poursuivi la représentante de la Nouvelle-Zélande, estimant que 40 signatures pour l’entrée en vigueur seraient plus équilibrées que les 50 signatures prévues actuellement. « Ce n’est pas n’importe quel traité que nous négocions ici », a tranché la représentante de la Suède, appelant à maintenir un niveau élevé de ratifications obligatoires pour l’entrée vigueur, soit 50.
S’agissant de l’article 18, le délégué du Pérou a estimé qu’il ne devrait pas permettre le retrait des États parties. Sans nécessairement l’interdire, a estimé son homologue du Mexique, il faut rendre le retrait « très difficile ».