Conférence sur l’interdiction des armes nucléaires: la multiplication des amendements complique la tâche des négociateurs
Au troisième jour de leur session de fond, les participants à la Conférence pour la négociation d’une convention sur l’interdiction des armes nucléaires se sentent un peu submergés par la multiplication des propositions d’amendement.
Si les négociateurs ont salué la transparence des négociations sur les 14 alinéas du préambule et 21 articles du projet de texte, ils ont avoué leur difficulté à suivre les modifications proposées. Ayant achevé la première lecture du préambule et des cinq premiers articles relatifs aux obligations générales, ils ont entendu leurs homologues de Cuba et du Brésil insister auprès de la Présidente de la Conférence pour qu’une compilation des propositions d’amendement soit remise au plus tôt.
Les États dotés de l’arme nucléaire ayant refusé de participer aux négociations, des délégations ont souligné la nécessité de parvenir à une convention qui suscitera l’adhésion de tous. Mais, a mis en garde la société civile, toute interdiction autre que « complète et catégorique » des armes nucléaires serait « contraire aux aspirations de la population mondiale ». La société civile s’est félicitée des propositions d’amendement appelant à interdire explicitement les activités militaires des États pour se préparer à utiliser des armes nucléaires, le financement de la production des armes nucléaires, les essais nucléaires, la dissuasion nucléaire et la menace de recourir aux armes nucléaires. « La menace est la sœur jumelle de la dissuasion », ont insisté ses représentants.
De nombreuses délégations ont voulu que l’on évite un doublon avec le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). « L’objectif de cet instrument n’est ni de créer un régime parallèle au TNP, ni de créer des obligations pour les États non dotés de l’arme nucléaire. » Pour vérifier le désarmement nucléaire, le représentant du Saint-Siège, estimant que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est déjà surchargée, a proposé la création d’une nouvelle « autorité complémentaire ». « Le problème des armes nucléaires est un problème mondial qui nécessite une autorité mondiale. »
La Conférence reprendra ses travaux demain, mardi 20 juin, à partir de 10 heures.
Négociations, conformément au paragraphe 8 de la résolution 71/258 de l’Assemblée générale en date du 23 décembre 2016, en vue de l’adoption d’un instrument juridiquement contraignant visant à interdire les armes nucléaires en vue de leur élimination complète
Les délégations ont commencé leurs travaux par l’article 1 sur les obligations générales qui se lit: « Les États parties entreprennent de ne pas développer, produire, fabriquer, acquérir, posséder ou stocker des armes nucléaires ou tout autre explosif nucléaire; transférer à un quelconque destinataire des armes nucléaires ou autre explosif nucléaire ou contrôler directement ou indirectement de tels armes ou explosifs; recevoir le transfert ou le contrôle de ces armes ou explosifs; utiliser des armes nucléaires; entreprendre des essais d’explosion nucléaire ou tout autre explosion; d’aider, encourager ou inciter, de quelque manière que ce soit, quiconque à s’engager dans des activités interdites par cette Convention; rechercher ou recevoir toute aide pour s’engager dans des activités interdites. »
« Les États parties entreprennent d’interdire ou de prévenir sur leur territoire ou dans tout autre endroit sous leur juridiction ou leur contrôle tout stationnement, installation ou déploiement d’armes nucléaires ou autre explosif nucléaire; tout essai d’explosion nucléaire ou tout autre explosion. »
Après les propositions et suggestions déjà faites sur le préambule et l’article 1, les représentants du Brésil et de Cuba ont demandé à la Présidente de la Conférence de bien vouloir préparer une compilation en vue de faciliter les négociations. Appuyé par beaucoup, le représentant brésilien a souligné la question du « transit » dans la chaîne d’approvisionnement nucléaire. Son homologue du Pérou a soulevé les questions des enquêtes et du financement. La question du financement est « implicitement » reprise dans les différents paragraphes, a estimé la représentante de l’Afrique du Sud, souhaitant des interdictions « simples, ciblées et vérifiables ».
Son homologue de la Suède s’est opposée à ce que la Convention traite de la question des essais nucléaires. Elle a été appuyée par les délégations du Mexique et du Nigéria. Mais, ont contré les représentants de Cuba et de l’Équateur, il est « inacceptable » d’écarter la question des essais nucléaires. En plus, dans son état actuel, a ajouté leur homologue du Chili, le fait que le projet parle d’essais d’explosion nucléaire voudrait dire que les autres types d’essais seraient acceptables. Les interdictions doivent être plus larges et couvrir toutes les formes d’essais nucléaires, a insisté le représentant, après que celle de la Suède eut lu un amendement sur la définition des armes nucléaires pour faciliter « l’interprétation » des activités interdites. Pourquoi une nouvelle définition, s’est étonné son homologue du Mexique, qui a rappelé que la question est déjà tranchée dans le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Le représentant a été soutenu par ses homologues de la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, Cuba ou encore de l’Autriche.
Celui du Nigéria a souhaité ajouter la notion de « transport », son homologue des Fidji plaidant pour une disposition qui interdirait le passage d’armes ou de matériel nucléaires dans une zone économique nationale, y compris les fonds marins. Mais le représentant de la Malaisie a voulu mettre en garde contre certaines propositions qui seraient impossibles à mettre en œuvre et/ou difficilement vérifiables. Celui de l’Autriche a lancé la même alerte.
Faisons preuve de prudence, a renchéri celle de la Nouvelle-Zélande: réfléchissons aux conséquences de nos amendements sur les autres articles de la Convention. « Ne réinventons pas la roue », a lancé celui de l’Autriche qui, résumant les débats, s’est opposé à une nouvelle définition des armes nucléaires et a appelé à la prudence s’agissant des questions « très complexes » du financement et des essais nucléaires. Les États parties ne pourront plus produire d’armes nucléaires, ce qui couvre aussi automatiquement les essais, a-t-il argué. Ce qui manque, a insisté le représentant de l’Argentine, c’est une référence « directe » au système de vérification des essais nucléaires et le terme « élimination des armes nucléaires ».
Toute interdiction autre que « complète et catégorique » des armes nucléaires serait « contraire aux aspirations de la population mondiale », ont mis en garde les représentants de la société civile. Ils se sont notamment félicités des propositions d’amendement appelant à interdire explicitement, dans l’article 1, les activités militaires des États pour se préparer à utiliser des armes nucléaires, le financement de la production des armes nucléaires, les essais nucléaires, la dissuasion nucléaire et la menace de recourir aux armes nucléaires. « La menace est la sœur jumelle de la dissuasion », a insisté l’un des représentants.
Les délégations sont ensuite passées à l’article 3 sur les garanties qui se lit: « Les États parties entreprennent d’accepter les garanties en vue de prévenir toute diversion de l’énergie nucléaire, des utilisations pacifiques aux armes nucléaires. » Cet article, a précisé la Présidente de la Conférence, introduit les mêmes obligations pour les États parties à la convention que celles s’appliquant aux États non dotés de l’arme nucléaire et parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Le représentant du Chili a voulu que le paragraphe 2 de l’annexe portant sur les garanties applicables à l’article 3 mentionne le Protocole additionnel au TNP, qui fait partie des normes de garanties appliquées aux États par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Son homologue de la Nouvelle-Zélande a appuyé cette proposition, estimant qu’il convenait de consolider l’article 3 pour veiller à ce que les exigences de la future convention ne soient pas inférieures à celles du TNP.
Pour rendre cet article plus robuste sans pour autant rentrer dans des discussions sans fin, la représentante de l’Irlande a proposé d’ajouter un nouveau paragraphe avec le libellé suivant: « Tous les États parties à cette convention ont le devoir de préserver les obligations de suivi et de vérification déjà en vigueur au titre d’autres accords existants ». Il est en effet essentiel que nous ne créions pas un système séparé. Il faut donc nous appuyer sur le système de garanties établi par l’AIEA, a ajouté le délégué de l’Autriche. « Cela nous éviterait un débat sur le fait de savoir si tel ou tel État dispose de garanties supplémentaires ou non », a-t-il dit. « La simplicité nous convient », a déclaré le délégué malaisien, appuyant également la proposition de l’Irlande, au même titre que le représentant du Liechtenstein.
Nous devons éviter tout doublon avec le TNP, a, quant à lui, estimé le représentant de l’Égypte, proposant: « Chaque État partie, à l’exception des États qui ont déjà un accord global de garanties avec l’AIEA, s’engage à parvenir à un tel accord avec l’AIEA ». Le représentant s’est cependant opposé à la proposition chilienne de mentionner le Protocole additionnel au TNP, car ce dernier est un mécanisme volontaire. Effectivement, il faut tenir compte de tous les États qui ne sont pas parties au Protocole additionnel, a estimé le délégué de Cuba, car imposer des obligations supplémentaires aux États en mentionnant un accord auquel ils ne sont pas parties compliquerait les négociations.
Tout en appuyant la proposition égyptienne d’obliger chaque État partie à négocier un accord de garanties avec l’AIEA, la représentante de la Suède a toutefois estimé qu’une mention explicite au Protocole additionnel permettrait d’établir un lien entre les États parties et l’AIEA. Cela apporterait une assurance supplémentaire que les États parties à la future convention ne se livrent pas à des activités contraires au traité. « Nous ne devons pas réinventer la roue », a acquiescé la représentante de la Suisse, ajoutant que 129 pays avaient déjà signé un Protocole additionnel aux accords de garanties généralisées avec l’AIEA. Dans ce contexte, elle s’est dite favorable à une mention explicite ou à une solution comme celle proposée par la délégation de l’Irlande.
Il faudrait également mentionner dans l’article 3 l’obligation des États parties d’établir un rapport sur les garanties et de nommer un point focal pour échanger des informations sur ce point avec le Secrétariat de l’ONU, a, quant à lui, estimé le représentant de l’Indonésie, au nom de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN).
L’article 3 ne devrait pas créer des obligations supplémentaires pour les États non dotés de l’arme nucléaire parties au TNP, a cependant estimé le représentant du Brésil. « Ce n’est pas eux que l’on souhaite désarmer », a-t-il ironisé. L’imposition de nouvelles normes de vérification et de garanties ne devrait pas s’appliquer aux États non dotés de l’arme nucléaire, a insisté, à son tour, son homologue de l’Argentine. Tout en se disant d’accord avec la nécessité de renforcer l’article 3, le représentant du Ghana s’est fait l’écho de la préoccupation de ses deux homologues, appelant à faire en sorte qu’un article 3 plus robuste ne se traduise pas pour autant par des obligations additionnelles.
« L’objectif de cet instrument n’est ni de créer un régime parallèle au TNP, ni de créer des obligations pour les États non dotés de l’arme nucléaire », a acquiescé la représentante de l’Afrique du Sud. Elle a préconisé la suppression pure et simple de l’article 3 et de l’annexe à laquelle il se réfère. « En dire trop sur la question des garanties ne fera que compliquer les choses », a-t-elle estimé. Sans aller aussi loin, son homologue du Brésil a proposé d’inclure les paragraphes de l’annexe au sein de l’article 3. « Nous pensons comme le Brésil que cette annexe devrait figurer dans l’article 3 », a déclaré le représentant du Mozambique, estimant en outre qu’il faudrait rajouter une disposition sur le lien institutionnel entre la convention et l’AIEA.
« Pour le moment, la délégation cubaine n’y voit pas clair », a avoué le représentant de Cuba. « Si on décide de garder l’annexe, il faut ajouter un article supplémentaire à la convention pour préciser que l’annexe fait partie de la convention », s’est-il expliqué. « Les garanties doivent être couvertes, oui, mais par qui? » s’est demandé le représentant du Nigéria, notant que l’article 3 n’aborde pas cette question.
Pour que ce « traité » soit un outil efficace, a estimé la représentante de l’Afrique du Sud, il faudrait se limiter à introduire des dispositions de vérification pour les États dotés de l’arme nucléaire parce que des dispositions sur les processus d’élimination risquent de compliquer les choses. Appuyant la suppression pure et simple de l’article 3, elle a insisté qu’il pourrait être utilement intégré dans les articles 4 et 5 relatifs aux mesures pour les États qui ont éliminé leurs armes nucléaires et pour les situations non couvertes par ces mesures. On éviterait ainsi, s’est expliquée la représentante, de créer un système de garanties parallèle à celui de l’AIEA. Elle a été soutenue par son homologue du Mozambique. L’article 3 va en effet au-delà du champ d’application de la convention, a estimé, à son tour, le représentant de l’Iran.
Revenant à l’article 2 qui demande à chaque État partie de dire s’il a fabriqué, possédé ou acquis des armes nucléaires après la date du 5 décembre 2001, le représentant de l’Égypte a estimé que cette date risque d’imprimer un caractère « discriminatoire ». « Nous voulons un texte qui interdise les armes nucléaires indépendamment de la date à laquelle elles ont été fabriquées, possédées ou acquises », a-t-il argué. Son homologue argentin a acquiescé. En supprimant cette date et en améliorant les dispositions de l’article 3, des pays comme le Kazakhstan dans lesquels des armes nucléaires ont été installées tout en échappant à leur juridiction pourraient adhérer au « traité », a dit son représentant, soutenu par son homologue de l’Autriche. L’objectif est en effet de parvenir à un document « clair et inclusif » qui permette à tous les États d’en devenir partie, a souligné la délégation mexicaine. Par conséquent les articles 2 à 5 doivent être simplifiés et examinés conjointement, tout en évitant des distinctions entre États comme l’implique la date du 5 décembre 2001 dans l’article 2.
L’approche de cet article, a relevé la représentante de la Nouvelle-Zélande, a été reprise de la Convention sur les armes chimiques. Dans le contexte des armes nucléaires, cette approche n’est pas optimale puisque la majorité des États ne disposent pas ces armes. « Pourquoi ne pas supprimer cet article? » s’est-elle demandé, avant d’opposer les articles 4, prévoyant des arrangements avec l’AIEA, et 5, prévoyant des protocoles additionnels à la Convention. La représentante a dit préférer l’approche de l’article 5. Chaque État partie doit veiller à la destruction de ses armes nucléaires de façon « transparente et vérifiable ». Il n’y a donc pas lieu de prévoir plusieurs scénarios de désarmement, a tranché son homologue de l’Autriche.
Il faut trouver un équilibre entre obligations et garanties, a prévenu la représentante de la Suède. « Si on ajoute beaucoup d’obligations, il faudra ajouter beaucoup de vérifications », a-t-elle mis en garde. Or, en termes de vérifications, l’AIEA est déjà surchargée, a souligné le représentant du Saint-Siège, appelant à créer une nouvelle « autorité complémentaire et non réductrice ». Cette nouvelle autorité, a-t-il précisé, serait chargée de superviser le démantèlement nucléaire des États parties à la convention; « le problème des armes nucléaires étant un problème mondial qui nécessite une autorité mondiale ». Les États dotés de l’arme nucléaire ont décidé de ne pas participer à cette Conférence, pourquoi travailler en leur nom? s’est impatienté le représentant du Nigéria. Contentons-nous de nous entendre sur des dispositions qui ne les empêcheront pas de devenir parties à la convention, a ajouté son homologue de l’Irlande. Il faut simplifier les conditions d’adhésion à la convention, a acquiescé le représentant du Brésil.
La manière la plus efficace de procéder, a estimé le délégué de Cuba, serait de faire en sorte que les déclarations des États « contiennent ni plus ni moins que l’assurance du respect des interdictions » et si un État ne les respecte pas, alors le Secrétariat doit pouvoir lui adresser des questions supplémentaires, susceptibles de donner lieu à un protocole spécifique. La convention doit prévoir explicitement ces protocoles spécifiques.
Interventions de la société civile
« Ce projet de convention est pour nous un immense espoir », a déclaré Mme Masako Wada, Sous-Secrétaire générale de la Confédération japonaise de l’organisation des victimes des bombes A et H (Hidankyo) et survivante de Nagasaki, qui a été l’une des deux « Hibakusha » à remettre une pétition à la Présidente de la Conférence, signée par près de trois millions de Japonais, au deuxième jour de la Conférence. « Les armes nucléaires ont été créées par l’être humain et doivent donc être abolies par l’être humain », a-t-elle déclaré, dans un tonnerre d’applaudissements.
« L’interdiction est un acte catalyseur pour l’élimination », a ajouté la représentante de la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires, estimant que le traité devait appeler tous les parties, dans le cadre de l’article 2, à faire des déclarations sur le plus grand nombre d’interdictions possibles au titre de l’article 1. Plusieurs représentants de la société civile ont déploré l’absence du Japon aux négociations, alors même que ce pays a été victime de l’arme nucléaire. « En tant que citoyen du Japon, nous souhaitons que notre Gouvernement soit du bon côté de l’Histoire », a déclaré l’un d’entre eux, appelant à inscrire des dispositions particulières dans le texte pour encourager les États dotés de l’arme nucléaire à adhérer à la convention.