La Sixième Commission est en majorité opposée à l’élaboration d’une convention sur les effets des conflits armés sur les traités
La Sixième Commission (chargée des affaires juridiques) a examiné ce matin la question des effets des conflits armés sur les traités. Le projet d’articles sur les effets des conflits armés sur les traités, tel qu’adopté en 2011 par la Commission du droit international (CDI), offre des orientations pratiques pour les États, mais il serait « prématuré » de s’en servir pour élaborer une convention sur la question. C’est en résumé ce qui est ressorti du débat auquel ont participé une vingtaine de délégations.
Appelés à examiner la forme qui pourrait être donnée à ces articles, divers États, dont l’Algérie, au nom du Groupe des États d’Afrique, l’Australie et le Bangladesh, ont indiqué que la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969), entrée en vigueur en 1980, doit demeurer la principale source de droit en la matière. « Le projet d’articles risque de fragmenter le droit international car il porte à la fois sur le droit des traités et sur le droit international humanitaire », a fait remarquer le délégué algérien. L’Iran a estimé que le mandat de la CDI consiste à compléter et non pas à modifier le droit international des traités.
Les pays nordiques ont plaidé pour un développement progressif du droit en la matière plutôt que pour une codification. Plusieurs délégations ont rappelé le principe général selon lequel l’existence d’un conflit armé n’entraîne pas ipso facto l’extinction des traités ni la suspension de leur application.
La Fédération de Russie et les États-Unis ont exprimé des réserves sur la définition de « conflit armé ». Selon la Russie, les conflits armés non internationaux ne devraient pas être inclus dans le cadre de l’effet des conflits armés sur les traités. Pour sa part, l’Estonie a estimé que l’occupation est « une forme de conflit armé » qui devait être inclue dans ce projet.
D’autres intervenants sont revenus sur la liste indicative de traités qui figure en annexe au projet, traités dont la matière implique qu’ils continuent de s’appliquer, en tout ou en partie, au cours d’un conflit armé. Par exemple, pour Israël, il faudrait plutôt compiler la liste des critères généraux que nécessite un traité pour continuer de s’appliquer en cas de conflit armé.
Seuls le Portugal et la Grèce se sont dits prêts à envisager d’élaborer une convention sur la base du projet d’articles. El Salvador, qui ne s’est pas non plus opposé à l’adoption d’un instrument contraignant à une date ultérieure, a convenu que ces articles contribueront à combler certaines des lacunes qui existent au niveau international.
En début de séance la représentante de l’Autriche a introduit deux projets de résolution*, portant l’un sur la Loi type sur les documents transférables électroniques de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, et l’autre sur le rapport de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international sur les travaux de sa cinquantième session.
La Sixième Commission entamera son examen du rapport annuel de la Commission du droit international (CDI) lundi 23 octobre, à partir de 10 heures.
*A/C.6/72/L.11 et A/C.6/72/L.10
EFFETS DES CONFLITS ARMÉS SUR LES TRAITÉS (A/72/96)
Déclarations
M. SABRI BOUKADOUM (Algérie), au nom du Groupe des États d’Afrique, a rappelé qu’un projet de convention devait être envisagé sur la question des effets des conflits armés sur les traités, et que la question a été examinée en 2014. Saluant les travaux de la Commission du droit international (CDI), il s’est prononcé pour que la Convention de Vienne sur le droit des traités reste le principal instrument pour régler les questions en la matière. Par ailleurs, il a estimé que la définition de « conflit armé » dans le projet d’articles est différente de la définition que donne le droit international humanitaire. Or une nouvelle définition ne devrait pas s’écarter des règles préexistantes, a-t-il souligné.
Ainsi, « Nous n’appuyons pas la conversion de ce projet d’articles en un instrument juridiquement contraignant. Le projet d’articles risque de fragmenter le droit international car il porte à la fois sur le droit des traités et sur le droit international humanitaire », a déclaré le représentant. Selon lui, il faut éviter que la liste des situations telles que définies puissent changer au fil du temps. Le principe fondamental selon lequel un conflit armé ne mène pas à la suspension d’un traité se trouve déjà dans le droit international coutumier et devrait être contraignant sur les États. En résumé, il a considéré que le projet d’articles devrait se contenter de compléter ce qui se trouve déjà dans le droit international existant.
Mme NIINA NYRHINEN (Finlande), s’exprimant au nom du Groupe des pays nordiques, a rappelé que la Commission du droit international (CDI) a adopté, en 2011, un projet de 18 articles et un commentaire concernant l’effet des conflits armés sur les traités. Elle a précisé que les rapporteurs spéciaux de la CDI ont estimé que la portée et les définitions des dispositions du projet relatives aux traités en cas de conflits internes devraient faire l’objet d’un développement progressif du droit plutôt que d’une codification. Le Groupe des pays nordiques considère que la tenue d’une conférence diplomatique sur l’élaboration d’une convention à ce sujet n’est pas pertinente pour le moment.
Mme CARRIE MCDOUGALL (Australie) a exprimé son appui à la poursuite du travail de la Commission du droit international sur l’effet des conflits armés sur les traités. Elle a toutefois réitéré la position de son pays voulant qu’en raison de la diversité des effets des conflits armés sur les traités, il n’est pas possible d’adopter un mécanisme international contraignant sur cette question. Elle a estimé que l’impact de ces principes sur le droit des conflits armés et sur le droit international en général, notamment le droits de l’homme, doit être étudié davantage.
Toutefois, a poursuivi la représentante, le projet d’articles demeure un guide utile, en complément de la Convention de Vienne sur le droit des traités, qui devrait demeurer la principale source de droit sur l’effet des conflits armés sur les traités. Enfin, elle a encouragé les gouvernements à exprimer leur avis sur cette question.
M. ELSADIG ALI SAYED AHMED (Soudan) a mis l’accent sur l’importance du droit international humanitaire. Il a estimé que le champ d’application du projet d’articles ne devrait pas incorporer les conflits armés non internationaux. La Convention de Vienne doit être la référence sur ces questions, car la question des effets des troubles et conflits internes est déjà prise en compte par la Convention de Vienne. En conséquence, nous ne l’approuvons pas, a-t-il déclaré.
Le représentant a trouvé que les projets d’articles 4 et 5 sont en contradiction. En particulier, il n’a pas appuyé le deuxième paragraphe de l’article 5 concernant l’application des règles sur l’interprétation des traités qui propose de spécifier le nom des différents traités. Cette liste ne devrait pas être définitive, selon lui. Il a préféré des principes généraux plutôt qu’une liste trop précise qui devrait évoluer. Par contre, il a estimé qu’il faut préserver tel quel le projet d’article 13 sur l’application des règles sur l’interprétation des traités.
En résumé, il a jugé prématuré de discuter de la forme finale de ces articles. « Nous n’appuyons pas la proposition que ces débats puissent mener à une convention mais nous en acceptons les principes directeurs », a-t-il conclu.
Mme SERAPHINA FONG (Singapour) a été d’avis que le projet d’articles et leurs commentaires sont un abrégé précieux sur cette question complexe du droit des traités et devrait conserver leur forme actuelle. Elle s’est toutefois dite peu convaincue de la nécessité, à ce stade, d’approuver officiellement ou de codifier les projets d’articles en convention. Sa délégation a considéré les projets d’articles 2, 5, 6 et 7, ainsi que l’Annexe, comme un développement positif du droit international.
Mme ELENA A. MELIKBEKYAN (Fédération de Russie) a reconnu l’aspect pratique de l’examen de l’effet des conflits armés sur les traités. Elle a relevé que le projet d’articles de la Commission du droit international (CDI) mentionne que les conflits armés ne conduisent pas systématiquement à l’annulation d’un traité international. Selon elle, les conflits armés non internationaux ne devraient pas être inclus dans le cadre de l’effet des conflits armés sur les traités.
La représentante a également mis en doute la définition de ce qui constitue un conflit armé. Elle a estimé que ce projet d’articles peut servir aux États mais qu’il serait prématuré de s’en servir comme base pour l’élaboration d’un document international contraignant.
D’après M. HECTOR ENRIQUE CELARIE LANDAVERDE (El Salvador), le projet d’articles contribuera à combler certaines des lacunes juridiques qui existent au niveau international. Il a relevé le principe général énoncé à l’article 3, selon lequel l’existence d’un conflit armé n’entraîne pas ipso facto l’extinction des traités ni la suspension de leur application. Il a aussi estimé qu’il est essentiel d’interpréter l’article 7 en liaison avec la liste indicative de traités figurant en annexe, dans la mesure où seule leur mise en œuvre conjointe permettra d’établir des règles claires en ce qui concerne la continuité des traités. En conclusion, le représentant s’est dit ouvert à un débat sur la forme que pourraient prendre ces articles.
Mme MARK A. SIMONOFF (États Unis) a déclaré que le projet d’articles reflète la continuation des obligations des États lorsqu’il s’agit de déterminer si un traité doit demeurer en vigueur lors d’un conflit. Comme l’a noté l’Assemblée générale, elle a estimé que le projet d’articles devrait être utilisé en tant que ressource et guide par les États lorsqu’ils examinent l’effet des conflits armés sur les traités.
La représentante s’est déclarée contre l’élaboration d’une convention en la matière, s’interrogeant notamment sur la pertinence des définitions contenues dans le projet d’articles. Elle a réitéré son appui aux résolutions de l’Assemblée générale de 2011 et 2014 préconisant l’utilisation non contraignante des dispositions du projet d’articles.
Se félicitant de l’examen des effets des conflits armés sur les traités, M. MOHAMMED HUMAYUN KABIR (Bangladesh) a considéré la Convention de Vienne comme étant l’instrument principal sur le droit des traités. Il a souscrit à la proposition contenue dans l’article 3 du projet qui pose le principe général de la stabilité et la continuité juridiques. En ce qui concerne la portée d’un traité, il a pris note des vues divergentes sur la question et a estimé utile de poursuivre les discussions. La référence aux conflits armés internationaux n’est pas uniforme, a-t-il dit.
Le délégué a rappelé que la liste de traités visée à l’article 7 est indicative et non exhaustive. Étant donné les différences de vue sur ces questions, il a conclu que le moment n’est pas venu pour envisager d’élaborer une codification sous la forme d’un traité contraignant.
Devant la multiplication des conflits dans le monde, notamment les conflits internes, M. THEMBILE ELPHUS JOYINI (Afrique du Sud) a estimé que la question de l’effet des conflits armés sur les traités demeure pertinente. Il a salué les efforts de la Commission du droit international (CDI) visant à clarifier ce domaine du droit, ajoutant cependant que la Convention de Vienne sur le droit des traités demeure le cadre de référence pour l’interprétation des traités.
Le représentant a cependant rejeté la « définition divergente » d’un conflit armé contenue dans le projet d’articles. Notant les contradictions avec la Convention de Vienne et le droit international humanitaire, M. Joyni a jugé que, bien que les articles puissent servir d’orientation à l’intention des États, il n’est pas souhaitable d’en faire un instrument international contraignant tel qu’une convention internationale. Cela pourrait avoir pour effet de « fragmenter » le droit international, a-t-il averti, insistant sur le principe voulant qu’un conflit armé ne mène pas nécessairement à l’annulation ou à la suspension d’un traité, comme le stipule le droit international coutumier.
M. DAVID GOLDFARB (Israël) a estimé que la question de la forme que doivent prendre les articles est prématurée, dans la mesure où les questions les plus importantes soulèvent des préoccupations majeures et posent des difficultés fondamentales qui doivent être résolues. Pour sa délégation, l’inclusion d’une liste de traités indicatifs n’est pas l’approche la plus souhaitable. Selon Israël, il faudrait lui privilégier une approche consistant à compiler une liste de critères généraux que nécessite un traité pour continuer de s’appliquer en cas de conflit armé. De plus, les difficultés émanant du projet d’article 15 sur l’interdiction pour l’État qui commet une agression d’en tirer avantage demeurent, a souligné le représentant, avant de préciser que même la définition d’« agression » posait problème.
M. ABBAS BAGHERPOUR ARDEKANI (République islamique d’Iran) a déclaré approuver certains articles du projet, comme l’article 3 qui établit un principe général, à savoir que l’existence d’un conflit armé n’entraîne pas ipso facto l’extinction des traités ni la suspension de leur application. Mais tenter de définir ce qu’est un conflit armé irait au-delà de l’objectif que nous nous fixons, a-t-il déclaré. La définition est trop floue, a-t-il souligné. Ainsi le projet d’articles n’inclut-il pas de référence explicite au conflit armé international ou au conflit armé non international. Les divergences qui existent entrainent des difficultés, a-t-il souligné.
D’après le représentant, la manière dont a été rédigé l’article 9 sur la notification de l’intention de mettre fin à un traité, de s’en retirer ou d’en suspendre « crée des lacunes ». En revanche, il s’est félicité de l’article 14 sur les effets de l’exercice du droit de légitime défense sur un traité et de l’article 15 sur l’interdiction pour l’État qui commet une agression d’en tirer avantage.
Le mandat de la Commission du droit international consiste à compléter et non pas à modifier le droit international des traités, a conclu M. Ardekani. « Nous pensons donc que le projet d’article doit être indicatif pour les États et non pas un instrument juridique contraignant. »
Mme Xxxxx (Uruguay) a déclaré que l’existence d’un conflit armé n’implique pas nécessairement la suspension ou l’annulation d’un traité, comme le stipule la Convention de Vienne sur le droit des traités. Selon elle, les États ne peuvent pas non plus ignorer les règles et principes du droit international sous le prétexte d’un conflit armé.
L’annulation ou la suspension des traités doit demeurer l’exception et non la règle, a fait valoir la représentante, sauf en cas de commun accord des parties sans préjudice à un État tiers. Elle a souligné l’importance d’appliquer les traités relatifs au droit international humanitaire ainsi que ceux conclus précisément aux fins d’un conflit armé. De plus, les traités relatifs aux frontières, terrestres et maritimes, ainsi qu’au commerce, ne devraient pas être affectés par l’émergence d’un conflit armé, a-t-elle relevé.
Mme ANNELI LEEGA PIISKOP (Estonie) a estimé que le projet d’articles sur les effets des conflits armés sur les traités est une base utile pour une discussion théorique mais qui a aussi des implications réelles. Ainsi, toute orientation ou accord sur les règles à suivre en situation de conflit armé trouvera sa propre utilité. Elle a argué que « l’occupation est une forme de conflit armé » qui devait être inclue dans ce projet.
Pour ce qui est de la forme, la représentante a reconnu que peu d’États appuient un projet de convention et que le projet d’articles ainsi que les débats en cours devraient en conséquence être considérés comme une contribution importante au droit positif.
Mme DIYANA AHAMAD (Malaisie) a partagé le point de vue des autres États Membres pour qui les projets d’articles offrent des orientations pratiques, avant d’affirmer qu’il serait prématuré de codifier ces derniers en une convention, dans la mesure où certaines questions doivent être encore discutées. Selon elle, également, l’annexe de l’article 7 sur le maintien en vigueur de traités en raison de leur matière n’est pas claire. La délégation a jugé que, de manière générale, la Sixième Commission devrait discuter davantage des articles en question pour mieux comprendre leur contexte.
M. HASSAN SAEED H. ALJOMAE (Arabie saoudite) a souligné que la Convention de Vienne sur le droit des traités doit demeurer la source principale pour l’interprétation des conflits armés. Nous ne devons pas négliger les règles du droit international humanitaire dans l’examen de l’effet des conflits armés sur les traités, a-t-il averti. Soulignant la nécessité de déterminer le type de traités qui ne doivent pas être suspendus pendant un conflit armé, il a noté qu’il est difficile pour les États Membres de parvenir à un accord sur ce sujet. Selon lui, le projet d’articles sur l’effet des conflits armés sur les traités devrait être considéré à titre de lignes directrices à l’intention des États.
Mme ZINOVIA STAVRIDI (Grèce) a été d’avis que l’Assemblée générale devrait adopter à ce stade une résolution prenant note des projets d’articles et les fasse figurer en annexe de ce texte, de manière à encourager les États Membres à y recourir dans des situations spécifiques. « Nous estimons qu’il s’agit de la manière la plus adéquate de progresser sur cette question », a-t-elle dit. L’Assemblée devrait en outre envisager, ultérieurement, l’élaboration d’une convention sur la base des projets d’articles, qui constituerait un instrument complémentaire aux effets normatifs, comparable à la Convention de vienne sur le droit des traités.
Il faut trouver des mesures par lesquelles les États peuvent remplir leurs obligations telles que prévues par un traité en cas de survenance d’un conflit armé sur la base de la confiance mutuelle, a fait valoir Mme CRISTINA MARIA CERQUEIRA PUCARINHO (Portugal). Or le caractère de la question à l’examen appelle à une certaine prudence, a-t-elle déclaré. « Nous sommes d’accord sur le projet d’articles en général et avec leur compatibilité avec une convention internationale. Nous comprenons aussi qu’il suscite des préoccupations et des doutes », a-t-elle indiqué.
La représentante a recommandé de trouver un équilibre entre la préservation du travail de la Commission du droit international (CDI) et la nécessité d’assurer la stabilité du droit international en adoptant une convention, a-t-elle déclaré. Elle a suggéré la création d’un groupe de travail afin de trouver une solution sur l’élaboration éventuelle d’un projet de convention sur les effets des conflits armés sur les traités.