Sixième Commission: les délégations ne sont pas prêtes à examiner un projet de convention sur l’expulsion des étrangers
Invités ce matin à se prononcer sur la question de l’expulsion des étrangers, les membres de la Sixième Commission sont revenus sur le projet d’articles élaboré par la Commission du droit international en 2014, en vue d’une éventuelle convention internationale sur l’expulsion des étrangers.
Préoccupés à divers titres par ce sujet d’actualité, plusieurs intervenants ont continué d’exprimer des réserves sur le projet de la Commission du droit international (CDI).
Depuis les dernières recommandations de la CDI sur l’expulsion des étrangers, la question des migrants et des réfugiés a pris une grande ampleur, a témoigné le Mexique, qui a appelé au renforcement de l’ordre juridique international afin d’assurer la protection des droits de l’homme des migrants face à la discrimination.
Face à des déplacements de population et à des flux migratoires sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, et compte tenu des mesures prises en vue de l’adoption d’un pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières en 2018, le Danemark, s’exprimant au nom des pays nordiques, a émis des doutes sur la pertinence d’une convention sur l’expulsion des étrangers. La meilleure approche consiste selon lui à « prendre note et remettre cette question à plus tard ».
Les États-Unis se sont interrogés sur l’utilité de chercher à étendre les règles de droit bien implantées qui existent dans les conventions sur les droits des réfugiés et les droits de l’homme, et servent déjà de base juridique. L’expulsion des étrangers et le projet d’articles tel qu’il est présenté ne peut faire l’objet d’une convention internationale à ce stade, a tranché à son tour le Royaume-Uni.
Résumant la complexité de la question, Singapour a noté que l’expulsion des étrangers concerne non seulement le droit de tout État souverain d’expulser des étrangers, mais aussi ses obligations internationales à cet égard. Le Royaume-Uni, rejoint par l’Arabie saoudite, a considéré qu’il revient à chaque État de décider de sa politique en la matière.
Reprochant à la CDI d’être allée au-delà du droit coutumier et des traités pertinents, les représentants de l’Iran et du Soudan ont regretté que les pratiques des États en la matière n’aient pas été prises en compte.
Moins critique, la République tchèque a souhaité que le projet d’articles élaboré par la CDI soit adopté en tant que directives non contraignantes, un exercice utile selon Cuba, pour autant que le principe de la souveraineté des États soit préservé.
En début de séance, la Sixième Commission a poursuivi ses travaux sur la portée et l’application du principe de compétence universelle, qui ont à nouveau achoppé sur l’absence d’un consensus international. Les délégations se sont prononcées en faveur de l’adoption d’une définition claire du principe de compétence universelle, fondée sur un consensus entre les États, afin de prévenir les abus dans sa mise en œuvre au sein des juridictions nationales et internationales.
Notant que seule la piraterie a fait l’objet d’une codification formelle au regard du droit international quant au principe de compétence universelle, l’Inde a estimé que ce principe ne peut être invoqué que pour un nombre limité de crimes, en vertu des traités et conventions acceptés par les États. Pour sa part le représentant du Royaume-Uni a estimé que le terme « compétence universelle » se référait plutôt à une compétence juridique nationale, indépendamment de la nationalité de la victime ou du lieu où le crime a été commis.
Face à l’absence d’une compréhension commune du principe de compétence universelle, l’Iran a averti que toute interprétation de ce principe, même lorsqu’il est intégré au système juridique national, peut mener à des interprétations différentes et fragmentées selon les États, mettant en péril l’état de droit et le droit international.
De nombreux États, dont le Venezuela, ont donc réclamé l’élaboration de définitions claires et transparentes du principe de compétence universelle afin d’éviter les abus et les manipulations politiques. Le Lesotho a rappelé que l’Union africaine a condamné la mauvaise utilisation de ce principe, qui peut mener à la violation du principe de non-ingérence dans les affaires des États et de l’immunité de dirigeants.
Si le Rwanda a déploré que plusieurs pays, dont des membres permanents du Conseil de sécurité, aient donné refuge à des génocidaires, le Liechtenstein a salué les progrès significatifs réalisés dans la lutte contre l’impunité, notamment par la ratification, par 124 États, du Statut de Rome établissant la Cour pénale internationale (CPI).
Enfin, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a recensé plus de 110 États qui ont à présent institué dans leur cadre juridique national une forme ou une autre de compétence universelle pour les violations graves du droit international humanitaire. Ceci démontre que les États utilisent la compétence universelle pour combler les lacunes des législations, s’est réjoui le délégué.
La Sixième Commission poursuivra son examen de l’expulsion des étrangers demain, vendredi 13 octobre, à 10 heures, avant de se pencher sur la responsabilité des organisations internationales.
PORTÉE ET APPLICATION DU PRINCIPE DE COMPÉTENCE UNIVERSELLE (A/72/112)
Déclarations
M. STEPHEN H. SMITH (Royaume-Uni) a estimé que le terme « compétence universelle » se référait à une compétence juridique nationale concernant un crime, indépendamment de la nationalité de la victime, du lieu où a été commis ce crime et de tout lien avec l’État à l’origine des poursuites. Selon lui, la compétence universelle se distingue donc de la compétence des mécanismes judiciaires internationaux établis par un traité, comme par exemple celle de la Cour pénale internationale (CPI).
La compétence universelle, a-t-il poursuivi, se distingue également d’une compétence établie dans le cadre d’un traité en vertu duquel les États parties établissent une procédure liée à « l’obligation d’extrader ou de poursuivre ». Certains États, a ajouté le délégué, peuvent créer une compétence universelle en matière de droit interne, en vue de mettre en œuvre de telles obligations, comme l’a fait le Royaume-Uni pour les crimes de torture, afin de respecter ses obligations en vertu de la Convention des Nations Unies contre la torture.
Enfin, a souligné le représentant, la compétence universelle se distingue de la compétence extraterritoriale dont jouissent les tribunaux de nombreux États en matière de droit interne, concernant les agissements extraterritoriaux de leurs propres citoyens ou résidents. Au Royaume-Uni, a précisé le délégué, le principe de base est qu’un tribunal pénal bénéficie d’une compétence pour les crimes commis, dans une large mesure, à l’intérieur de la juridiction du pays. Il y a cependant des exceptions, a-t-il souligné, dans les cas de crimes de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, ainsi qu’en cas de meurtre ou d’infractions sexuelles graves, commis à l’étranger par des citoyens ou résidents du Royaume-Uni.
À la lumière de ces éléments, le représentant a déclaré que son pays considérait le cadre d’application de la compétence universelle comme relativement restreint, en lien avec un faible nombre de crimes bien spécifiques. Il a également appelé à mettre en place des mesures de garanties pour s’assurer de l’utilisation responsable de la compétence universelle.
Reconnaissant l’importance du sujet et sa longue histoire dans le droit international relatif à la piraterie, Mme EMILY PIERCE (États-Unis) a toutefois réitéré sa position, à savoir que des questions fondamentales demeurent sur la manière dont la compétence doit s’exercer face à des crimes universels et sur les vues et pratiques des États à cet égard. Les États-Unis, a-t-elle ajouté, continuent d’analyser les contributions des autres États et organisations, et saluent le travail de la Commission qui continue d’examiner les informations et observations qu’elle reçoit.
Devant le nombre croissant de crises humanitaires et d’atrocités commises dans le monde, M. ACHSANUL HABIB (Indonésie) a jugé que la question du principe de compétence universelle est devenue vitale afin de combler les lacunes juridiques et de combattre l’impunité. L’absence actuelle de clarté et de consensus sur l’application et la portée de ce principe pourrait mener à une mise en œuvre abusive des lois internes envers les ressortissants étrangers, a-t-il cependant averti. Selon lui, la compétence universelle ne peut être invoquée que sur une base exceptionnelle, en tant que complément aux lois nationales.
En outre, le représentant a fait remarquer que la lutte contre l’impunité doit se faire dans le respect de l’égalité souveraine des États et de l’intégrité territoriale, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies. Il s’est inquiété que l’absence de consensus international puisse mener à des applications différentes du principe de compétence universelle selon les États. Enfin, il a estimé que l’atteinte d’un consensus fondé sur le consentement des États favorisera la coopération judiciaire internationale.
Mme VALENTINE RUGWABIZA (Rwanda) a estimé que la justice pénale internationale est en crise et que sa crédibilité est en jeu, citant en exemple l’ampleur de la corruption qui ronge la Cour pénale internationale (CPI). Si elle a reconnu, comme plusieurs délégations, que le principe de la compétence universelle est important pour le droit international, elle a jugé que son impact est nul s’il fait l’objet d’abus pour des raisons politiques.
S’agissant de la lutte contre l’impunité, elle a déploré que plusieurs pays, dont des membres permanents du Conseil de sécurité, ont donné refuge à des génocidaires, appelant à la cohérence. Quant à l’application du principe de compétence universelle, elle a à nouveau rejeté les motifs politiques et la pratique du deux poids deux mesures, qui mènent à une application abusive de ce principe. Il faut mettre en place des garanties, a ajouté la représentante, pour qui les mandats d’arrêt internationaux devraient recevoir la bénédiction d’INTERPOL afin d’éviter les manipulations politiques. Aucun État ne devrait être tenu de respecter les mandats d’arrêt internationaux sans l’aval d’INTERPOL, a-t-elle estimé. Afin d’éviter que des États soient « rançonnés » sous le couvert du principe de compétence universelle, elle a préconisé la mise en place d’un système d’examen afin de réviser les décisions des juges qui émettent des mandats internationaux.
M. JORN EIERMAN (Liechtenstein) a salué les progrès « significatifs » réalisés dans la lutte contre l’impunité en vertu du droit international, notamment par la ratification, par 124 États, du Statut de Rome établissant la Cour pénale internationale. Soulignant toutefois que de nombreux coupables demeurent hors de portée de la CPI, il a plaidé pour l’universalité du Statut. En outre, devant l’incapacité du Conseil de sécurité d’agir dans les cas d’atrocités de masse, en raison du recours au droit de veto, il a rappelé que la responsabilité d’intenter des poursuites contre les criminels incombe en premier lieu aux États.
Le représentant a ensuite fait remarquer que la question de la compétence universelle est devenue encore plus importante dans le contexte des crimes commis en Syrie. Comme l’a fait remarquer la Commission d’enquête du Conseil des droits de l’homme, les institutions juridiques de ce pays ne sont pas disposées ou sont incapables d’ouvrir des enquêtes sur ces infractions, a-t-il noté, soulignant le rôle que peut jouer à cet égard le Mécanisme international, impartial et indépendant chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international commises en Syrie.
Mme KRISTINA HORNACKOVA (République tchèque) a considéré que la compétence universelle est un instrument important dans la lutte contre l’impunité pour les crimes les plus graves, afin d’éliminer l’existence de sanctuaires pour leurs auteurs. La portée et l’application du principe de compétence universelle sont une question principalement juridique, qui doit être traitée comme telle, a-t-elle estimé. C’est pourquoi la Commission du droit international (CDI), composée d’experts, est l’instance la plus appropriée pour cela. En lui référant l’examen de cette question, la Sixième Commission renforcerait son interaction avec la CDI, tout en gardant la main sur les décisions finales, a-t-elle fait valoir.
M. YEDLA UMASANKAR (Inde) a déclaré que les criminels en fuite ne devraient en aucun cas demeurer impunis pour des questions techniques de procédure. Notant que seule la piraterie, par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, a fait l’objet d’une codification formelle au regard du droit international relatif au principe de compétence universelle, il a ajouté que les crimes tels que le génocide et les crimes de guerre sont plutôt définis dans des traités internationaux. Il faut donc se demander si la compétence décrite dans les traités internationaux peut être transférée à une compétence universelle que les États n’ont pas formellement ratifiée.
Le représentant a noté que le principe aut dedere, aut judicare, reconnu par la Cour internationale de Justice (CIJ), ne doit pas être confondu avec le principe de compétence universelle. En conséquence, a-t-il souligné, le principe de compétence universelle ne peut être invoqué que pour un nombre limité de crimes, en vertu de traités et de conventions acceptés par les États.
Pour Mme ANNELI LEEGA PIISKOP (Estonie), un débat ouvert, transparent et constructif est au centre de tout processus de prise de décisions. Le nombre considérable d’États Membres participant à ces discussions montre l’importance de la question de la portée et de l’application du principe de compétence universelle, a-t-elle reconnu. Même si l’immunité des représentants de l’État et la souveraineté des États posent questions, le principe de compétence universelle reste un outil essentiel de la communauté internationale pour lutter contre l’impunité. « La compétence universelle devrait en conséquence et en dernier ressort être appliquée en cas de crimes internationaux haineux », a-t-elle fait valoir.
La représentante a souligné que vouloir développer une liste exhaustive de crimes tombant sous le coup de la compétence universelle est prématuré. En revanche, l’échange des expériences nationales est d’une importance primordiale, a-t-elle déclaré. Comme d’autres délégations, elle a estimé qu’il peut être sage de renvoyer la question de la compétence universelle à la Commission du droit international (CDI).
Mme INTAN DAYANA AHAMAD (Malaisie) a rappelé que son pays avait présenté une série d’informations et d’observations sur la question de la portée et de l’application du principe de compétence universelle depuis son inscription à l’ordre du jour de la Commission. Compte tenu des opinions divergentes des États, elle a jugé essentiel de parvenir à un consensus international sur le principe, dans le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des États.
La représentante s’est inquiétée de l’absence de débat constructif spécifique à la Sixième Commission sur les listes d’infractions auxquelles s’applique la compétence universelle selon les États. Elle a donc proposé que la Commission entame un examen approfondi des commentaires fournis par les États Membres et les observateurs intéressés ou bien qu’elle mandate la Commission du droit international (CDI) pour clarifier le concept de compétence universelle.
M. ZENON MUKONGO NGAY (République démocratique du Congo) a déclaré que le principe de compétence universelle permet à certains États d’exercer leur compétence judiciaire du fait de la présence d’un étranger sur leur territoire national, et qu’il reste au centre de la lutte contre l’impunité. Néanmoins, le système juridique international a beaucoup souffert du principe désordonné et trop partial du principe de compétence universelle.
Des lois taillées sur mesure ont donné lieu à des abus et à une série de carences dans l’application de la compétence universelle qui méritent d’être corrigés. Cela traduit un certain malaise, a poursuivi le représentant. Ceux qui suivent la question de près ont pu constater qu’une trentaine de représentants d’État, curieusement issus de l’hémisphère Sud, ont pu faire l’objet de poursuites de la part d’un juge exerçant la compétence universelle. « Il est à présent nécessaire d’obtenir un certain ordre », a-t-il souligné.
M. Ngay s’est félicité que la Sixième Commission continue à se saisir de la question. « Il serait cependant important de trouver des solutions pour éviter l’enlisement d’une notion aux contours déjà imprécis mais dont l’application devient de plus en plus hypothétique », a-t-il dit. Il a exhorté le Groupe de travail de la Sixième à mettre sur place un instrument juridique international non contraignant, respectant la non-sélectivité, afin de mettre un terme aux deux poids deux mesures.
M. NGUYEN NAM DUONG (Viet Nam) a estimé que le principe de compétence universelle doit être défini et appliqué pour les crimes internationaux les plus graves, à titre de dernier recours, selon les dispositions de la Charte des Nations Unies et du droit international. Son application doit se faire dans le respect de la souveraineté territoriale et de l’immunité des représentants des États, seulement si les personnes visées se trouvent sur son territoire, après consultations avec l’État de nationalité et l’État où le crime a été commis.
Selon lui, la portée et l’application de la compétence universelle pourraient bénéficier des décisions et des jugements de la Cour internationale de Justice (CIJ) et de la Commission du droit international (CDI). Il a appelé à la définition de directives communes sur la portée de la compétence universelle de façon à ce qu’elle puisse être appliquée de façon claire et de bonne foi.
Face aux atrocités et aux violations du droit international dont le monde est témoin, il est impératif de respecter la justice internationale, de rendre des comptes, et de combattre l’impunité, a déclaré M. YOUSSEF HITTI (Liban). « C’est là que les principes de la compétence universelle trouvent leur essence », a-t-il dit. Cependant, il existe de nombreuses failles et des progrès restent à faire. Étant donné que l’application de ces principes réside dans la nature des crimes internationaux commis, il est essentiel de tomber d’accord sur une liste commune de ces crimes, ainsi que sur leur définition. Une telle harmonisation permettrait d’éviter les ambiguïtés, a-t-il souligné.
Le représentant a mis en garde contre le risque de sélectivité et d’abus dans l’application de la compétence universelle, ce qui pourrait la réduire à un simple instrument politique. En outre, le principe de compétence universelle devrait aller de concert avec le principe de complémentarité, car c’est une prérogative des États d’exercer la compétence universelle sur les principes de nationalité et de territorialité. Ce n’est que lorsque l’on ne peut ou l’on ne veut poursuivre les auteurs présumés de ces crimes, que la compétence universelle devrait s’appliquer, a-t-il conclu.
M. ABBAS BAGHERPOUR ARDEKANI (République islamique d’Iran) a estimé que l’application du principe de compétence universelle doit être circonscrite aux crimes les plus graves. Selon lui, les législations nationales, la souveraineté des États et l’immunité accordée à ses représentants doivent être respectées. Notant que les États Membres n’ont pas, à l’heure actuelle, une compréhension commune du principe de compétence universelle, il a fait valoir que toute interprétation de ce principe, même lorsqu’il est intégré au système juridique national, peut mener à des interprétations différentes et fragmentées selon les États.
Le représentant a rappelé que la Cour internationale de Justice (CIJ) a fait part de ses inquiétudes sur cette question, considérant que l’interprétation de ce principe au niveau national peut mener au « chaos juridique », ajoutant que la compétence universelle in absentia est un concept inconnu en droit international. En vertu du droit iranien, a-t-il expliqué, ce principe ne peut être invoqué que si la personne visée se trouve sur le territoire, en vertu des traités pertinents, a-t-il noté. La compétence universelle est une exception à la juridiction nationale, et ne doit pas se substituer à sa compétence. En outre, toute tentative d’inclure des infractions moins graves dans la portée de la compétence universelle ne pourrait que mettre en doute la crédibilité du principe.
M. MOHAMMED ATLASSI (Maroc) a rappelé que l’objectif du principe de compétence universelle est de lutter contre l’impunité pour les crimes graves internationaux. C’est pourquoi la compétence universelle doit être exercée dans le respect de l’égalité des États et de la non-ingérence dans les affaires internes. Le projet de révision du Code pénal marocain prévoit une série de crimes relevant de la compétence universelle, a-t-il déclaré. Le législateur marocain s’est employé à recenser les actes relevant de la compétence universelle.
Le délégué a rappelé que la compétence universelle est un principe facultatif et non pas une règle contraignante. La compétence universelle est un principe préventif, les tribunaux peuvent y avoir recours pour pallier certaines carences en cas de crimes graves. Le Maroc s’est aligné sur la tendance généralement admise qui découle de l’application de cet instrument, notamment l’obligation d’extrader ou de juger toute personne inculpée de torture ou traitement cruel inhumain. D’ailleurs, les actes de torture ou traitements cruels tels que prohibés par la Convention des Nations Unies de 1984, ou encore les disparitions forcées, sont ciblés par la constitution du Maroc.
D’après M. KELEBONE A. MAOPE (Lesotho), le principe de compétence universelle reflète la volonté de la communauté internationale de s’attaquer aux crimes qui choquent sa conscience. Il faut que la portée et l’application de la compétence universelle soient définies de façon claire, afin de ne pas mettre en danger le droit international, l’ordre et la sécurité.
Le représentant a rejeté la mauvaise utilisation et l’abus de ce principe, qui représentent une négation de la souveraineté des États et ouvrent la voie à des manipulations arbitraires fondées sur des motifs politiques, particulièrement à l’égard des pays africains. Enfin, il a rappelé que l’Union africaine a adopté de nombreuses résolutions exprimant son inquiétude face à la mauvaise utilisation du principe de compétence universelle, qui peut mener à la violation de l’immunité des chefs d’État.
Il incombe aux États d’engager des poursuites contre ceux qui ont commis des infractions internationales en fonction du territoire où elles ont été commises, a rappelé M. JOSE LUIS FERNANDEZ VALONI (Argentine). La compétence universelle est donc, selon lui, un outil à caractère exceptionnel et qui doit être utilisé conformément au droit international, faute de quoi cela pourrait soumettre certaines personnes à des abus, a-t-il averti.
C’est pourquoi il est nécessaire de mettre en place des règles, a poursuivi le représentant. Il a appuyé les travaux du groupe de travail qui œuvre à clarifier les différents aspects pertinents de la question pour aboutir à une meilleure compréhension de la compétence universelle et s’est dit favorable à l’idée de demander à la Commission du droit international (CDI) son avis.
Selon Mme FÁTIMA YESENIA FERNÁNDEZ JÚAREZ (Venezuela), la compétence universelle ne peut être invoquée que de façon exceptionnelle pour les crimes les plus graves qui affectent l’ensemble de la communauté internationale, en complément des juridictions nationales. Selon elle, il faut étudier les catégories d’infractions qui pourraient être traitées en vertu de la compétence universelle. Elle a dénoncé le manque de clarté quant à son application et sa portée, ajoutant qu’il faut élaborer des définitions et des motifs clairs et transparents afin d’éviter les abus et des « actes interventionnistes », en violation du principe de non-ingérence dans les affaires d’États.
L’application sans limite de la compétence universelle par des procureurs ayant des visées politiques est préoccupante, a ajouté la représentante, car elle a pour effet de miner des principes comme le respect de la souveraineté des États. Il faut donc éviter la politisation de ce principe, selon la représentante, pour qui l’application de la compétence universelle ne peut se faire que par l’entremise d’un traité et avec l’accord des États. Enfin, elle a jugé prématuré de demander à la Commission du droit international (CDI) de se prononcer sur cette question.
M. CHARLES SABGA, délégué du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), a rappelé que les Conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels obligent les États parties à rechercher les auteurs de crimes graves, quels que soient leur nationalité ou le lieu où ils ont commis leur crime, pour les faire comparaître devant leurs tribunaux ou de les remettre à d’autres États parties.
Le CICR a recensé plus de 110 États qui ont à présent institué dans leur cadre juridique national une forme ou une autre de compétence universelle pour les violations graves du droit international humanitaire. Ceci démontre que les États utilisent la compétence universelle pour combler les lacunes des législations, s’est réjoui le délégué. Dans ses commentaires mis à jour, le CICR a noté que les enquêtes ouvertes et poursuites engagées en application de la compétence universelle se multiplient, notamment les poursuites concernant les violations graves du droit international humanitaire commises en temps de conflit armé international ou interne, « sans qu’il y ait le moindre lien entre le crime et l’État exerçant l’action pénale ».
Mgr BERNARDITO CLEOPAS AUZA, Observateur permanent du Saint-Siège, a estimé que la création de normes juridiques pour s’assurer que les pires violations des droits fondamentaux ne restent pas impunies est en soit un but louable. La communauté internationale doit s’attacher à résoudre les tensions complexes entre les États, qui défendent leur souveraineté tout en tenant pour responsables les autorités civiles et militaires en cas d’abus. « Nous pensons que ces normes doivent être en accord à la fois avec les principes fondamentaux de la justice pénale et le droit international coutumier, et qu’elles doivent être fermement ancrées dans la subsidiarité », a-t-il dit. Une attention particulière doit être portée aux immunités des fonctionnaires publics.
La compétence universelle doit être une méthode efficace pour punir les crimes de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, en cas d’incapacité des États, et des mécanismes de prévention des abus doivent être créés, a poursuivi Mgr Auza. Par ailleurs, il a estimé nécessaire d’étendre l’application de la compétence universelle dans le contexte des crises migratoires, car l’utilisation de menaces de crimes graves contre les populations doit être condamnée.
Droit de réponse
Le représentant de la République arabe syrienne a reproché au Liechtenstein de se consacrer à une mission unique, qui consiste à promouvoir le mécanisme d’enquête en Syrie, « cette propagande de bas étage ». « Nous ne nous résignerons pas et nous continuerons à mettre en lumière les intérêts financiers qui font que le Liechtenstein s’est lancé dans cette propagande mensongère suspecte », a-t-il déclaré. Il a assuré que le système juridique syrien continue d’œuvrer en toute transparence, contrairement au système du Liechtenstein, qui, à travers le blanchiment d’argent, permet aux groupes terroristes d’acheter des armes qui serviront en Syrie. « Il ne s’agit pas là d’une accusation creuse », a-t-il affirmé.
EXPULSION DES ÉTRANGERS
M. RASMUS J. N. JENSEN (Danemark), s’exprimant au nom des pays nordiques, a déclaré que leur position concernant la question de l’expulsion des étrangers reste la même qu’en 2014 quand ils ont fourni des commentaires après la première lecture du projet de résolution. Il s’est dit peu convaincu que cette question mériterait d’être incorporée dans une convention. C’est un domaine du droit avec des règles régionales importantes et détaillées.
Compte tenu des processus migratoires à l’heure actuelle et des mesures prises en vue de l’adoption d’un pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières en 2018, le représentant a pensé que la meilleure approche consiste à « prendre note et remettre cette question à plus tard ». En tout état de cause, une éventuelle convention devrait insister sur l’obligation internationale des États de réadmettre leurs propres nationaux qui n’auraient pas de résidence légale dans un autre pays. Cette obligation s’appliquerait aux retours à la fois volontaires et forcés.
M. PABLO ADRIAN ARROCHA OLABUENAGA (Mexique) a rappelé qu’il y a trois ans que la Commission du droit international (CDI) a terminé le projet d’articles relatif à l’expulsion des étrangers et recommandé à l’Assemblée générale d’élaborer une convention sur cette question. Depuis ce temps, la question des migrants et des réfugiés a pris une grande ampleur, a-t-il noté, ajoutant que les politiques nationales adoptées par plusieurs pays face à ce problème sont contraires au droit international humanitaire. Il a appelé à un renforcement de l’ordre juridique international à cet égard afin d’assurer la protection des droits de l’homme des migrants face à la discrimination.
Sur cette question, le représentant a expliqué que le Mexique a fait siennes les propositions suivantes: l’expulsion des étrangers ne peut se faire qu’en conformité avec les lois nationales existantes, le droit international et les droits de l’homme; les États ne devraient pas expulser les réfugiés présents sur leur territoire; l’expulsion collective devrait être interdite; l’État qui désire procéder à une expulsion doit respecter la cellule familiale; les étrangers en attente de traitement ne peuvent être détenus de façon arbitraire. Enfin, les droits à la représentation des étrangers doivent être respectés. Le représentant a rappelé que ces propositions font partie du projet d’articles et sont conformes à la jurisprudence de la Cour internationale de Justice (CIJ).
M. ELSADIG ALI SAYED AHMED (Soudan) a estimé que le sujet de l’expulsion des étrangers est toujours d’actualité. L’expulsion des étrangers affecte toutes les régions du monde, a-t-il déclaré. Pour ce qui est de l’état de droit et des droits de l’homme des étrangers, le représentant a estimé que certains articles, notamment les articles 11 et 13, ont largement dépassé les pratiques internationales et le droit international. L’expulsion des étrangers est un droit qui relève de la souveraineté nationale, a-t-il rappelé, qui doit être appliqué en accord avec les législations des États. À cet égard, il faut trouver un équilibre.
Le paragraphe 2 b de l’article 19 qui veille à ce que la durée de la prolongation de la détention soit décidée uniquement par le tribunal ne peut être imposé à un État. C’est à l’État seul de pouvoir décider ceci, a insisté le représentant. De plus, l’article 2 est problématique eu égard au fait qu’il n’existe pas de consensus général sur la peine de mort. En conclusion, il a réaffirmé que l’expulsion d’un étranger ne peut être une sanction mais une mesure de sécurité.
Pour M. LUKE TANG (Singapour), la question de l’expulsion des étrangers représente un défi en ce qu’elle porte sur le droit de tout État souverain d’expulser des étrangers, mais aussi sur ses obligations internationales à cet égard. Devant la complexité du sujet, il a appelé à la prudence dans l’élaboration de projets d’articles par la Commission du droit international (CDI).
Selon le représentant, le projet d’article 23, portant sur le non-refoulement, n’est pas visé par le droit coutumier. En outre, il a considéré qu’il n’existe pas d’obligation pour les États qui n’appliquent pas la peine de mort de ne pas expulser des étrangers vers les pays où la peine de mort est en vigueur. Il a également critiqué le manque de distinction entre la codification et le développement progressif que prône son pays.
M. HECTOR ENRIQUE CELARIE LANDAVERDE (El Salvador) a rappelé que le sujet de l’expulsion des étrangers est un sujet d’actualité. La question de l’expulsion des étrangers est intimement liée aux normes du droit international, des droits de l’homme et des obligations qui en découlent de respecter les personnes. Or, le projet d’articles ne prend pas en compte ces normes fondamentales. Les États doivent mettre en place des règles migratoires en fonction du principe de présomption de liberté, a-t-il souligné. Le projet d’article 19 maintient cependant une présomption de détention, a-t-il déploré, observant que les articles sur l’expulsion des étrangers ne prennent pas en considération les recours juridiques.
L’article 26 est particulièrement problématique à nos yeux, a poursuivi le représentant, car les garanties en matière d’expulsion des étrangers découlent de la dignité humaine et non pas de la situation dans laquelle se trouve la personne. « Nous considérons que certains articles constituent un pas en arrière », a-t-il dit, et qu’ils pourraient même aller à l’encontre des objectifs de développement durable.
Mme KRISTINA HORŇÁČKOVÁ (République tchèque) a dit souhaiter que le projet d’articles élaboré par la Commission du droit international (CDI) en vue d’une éventuelle convention sur l’expulsion des étrangers soient adoptés en tant que directives non contraignantes. Se disant convaincue que ce domaine du droit est suffisamment traité par les sources existantes du droit international, elle a jugé qu’il n’était pas nécessaire d’élaborer une convention sur cette question sur la base de ces projets d’articles.
Toutefois, Mme Horňáčková a estimé que les projets d’articles représentent une importante contribution en tant que directives pour les États Membres, présentant un résumé des pratiques en vigueur ainsi que des explications cohérentes.
M. MARK SIMONOFF (États-Unis) a continué de s’interroger sur l’utilité de chercher à étendre les règles de droit bien implantées qui existent dans les conventions ratifiées sur les droits des réfugiés et les droits de l’homme, et servent déjà de base juridique. Selon lui, « rajouter un texte risque de créer la confusion ». Il n’a donc pas jugé nécessaire d’élaborer une convention sur la base du projet d’articles.
M. ABDULLAH NASSER ALSHARIF (Arabie saoudite) a expliqué que la question de l’expulsion des étrangers relève de la souveraineté nationale et doit être régie par les lois nationales en vigueur. Il a rappelé que l’Arabie saoudite a adopté des lois protégeant les étrangers, dans le respect des droits de l’homme et de la charia. Le représentant a ajouté que l’Arabie saoudite respecte le droit international mais se réserve la possibilité d’expulser les étrangers qui présentent un risque pour le Royaume. « Nous devons prendre en considération les législations nationales et les principes fondamentaux en la matière », a-t-il conclu.
M. STEPHEN SMITH (Royaume-Uni) a reconnu que l’expulsion des étrangers est une question complexe qui touche directement à la dimension nationale. L’expulsion des étrangers et le projet d’articles tel qu’il est présenté ne peut faire l’objet d’une convention internationale à ce stade, a-t-il tranché. Ce sujet n’est pas suffisamment développé. Plus que jamais, le monde est confronté à des déplacements de populations, et il revient à chaque État de décider de sa politique en la matière, a-t-il déclaré.
L’expulsion des étrangers est une question complexe car elle touche la souveraineté nationale et le droit international, a estimé M. ABBAS BAGHERPOUR ARDEKANI (République islamique d’Iran). Il a considéré que la tenue d’une conférence internationale sur l’élaboration d’une convention n’est pas nécessaire car ce concept ne repose pas sur des bases du droit international coutumier, et que la Commission du droit international (CDI) est allée au-delà du droit coutumier et des traités relatifs à cette question. Selon lui, les pratiques des États en la matière, cristallisées dans le droit international coutumier, n’ont pas été en prises en compte. Il a de plus considéré que la pratique du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) ne reflète pas la pratique des États Membres. En outre, il a estimé que les États ont le droit d’expulser des étrangers de leur territoire.
Le représentant a appelé la CDI à la prudence lorsqu’elle évoque des accords régionaux ou sous-régionaux dans le cadre de l’expulsion des étrangers. Il a également estimé qu’il est inutile d’établir une liste exhaustive des motifs pour l’expulsion des étrangers. Le projet d’articles ne semble pas établir un équilibre entre les droits des étrangers et les droits des États, a-t-il relevé. Il a fustigé la méthodologie adoptée par la Commission, l’invitant à fonder sa codification sur les pratiques des États. Par conséquent, il a jugé prématuré pour la CDI de se lancer dans la codification de l’expulsion des étrangers.
Mme INDIRA GUARDIA GONZALEZ (Cuba) a estimé qu’il est utile de codifier le droit relatif à l’expulsion des étrangers si cela ne mine pas le principe de la souveraineté des États et les droits de l'homme. À cet égard, il a jugé opportun de protéger le droit de communication de la personne qui peut se faire expulser avec le droit consulaire. Pour ce qui est de la réadmission de l’étranger, l’État compétent doit être celle de l’État expulseur.
M. AHMAD SALEH BAWAZAR (Indonésie) a déclaré que, devant les déplacements massifs de populations à travers le monde et l’attitude changeante des États, il y a un besoin de codifier l’expulsion des étrangers. Il a parlé des vagues migratoires récentes par voie maritime, qui soulèvent des questions sur le devoir d’intervention des États dans les eaux internationales.
S’il est d’accord pour étudier plus avant le projet d’articles sur l’expulsion des étrangers par la Commission du droit international (CDI), il a cependant émis des réserves sur de nombreux projets d’articles, s’interrogeant notamment sur l’effet des actions entreprises par des acteurs privés sur l’intervention des États nationaux. En particulier, il a estimé que l’article relatif à la peine de mort a pour effet de limiter la souveraineté des États.