Syrie: le Conseil de sécurité proroge d’un an le mandat du Mécanisme d’enquête conjoint sur les armes chimiques
En adoptant, ce soir, à l’unanimité de ses 15 membres, la résolution 2319 (2016), présentée par les États-Unis, le Conseil de sécurité a décidé de renouveler pour une période d’un an le mandat du Mécanisme d’enquête conjoint de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) et de l’Organisation des Nations Unies. Le Conseil pourra décider d’une nouvelle prolongation de ce mandat et d’une mise à jour de celui-ci « s’il le juge nécessaire ». Le Mécanisme devra achever dans les 90 jours un premier rapport et le présenter au Conseil de sécurité.
La représentante des États-Unis, Mme Samantha Power, qui a rappelé que le Mécanisme était la seule institution mandatée pour faire la lumière sur les attaques chimiques en Syrie, a estimé que, « sans prorogation, nous aurions renoncé à notre seul outil pour faire la lumière sur ces crimes odieux ». « Le Mécanisme a un pouvoir de dissuasion qui peut sauver des vies », a-t-elle également souligné, en notant que tant que les parties au conflit syrien utilisent des armes chimiques en Syrie, « le Conseil de sécurité a la responsabilité d’enquêter ».
Par la résolution 2319, le Conseil encourage le Mécanisme d’enquête conjoint à consulter le Comité 1540 sur les armes de destruction massive et le Comité des sanctions contre l’EIIL (Daech) et Al-Qaida, « afin d’échanger des informations sur l’emploi perpétré (…) par des acteurs non étatiques » d’armes chimiques en Syrie. Le Conseil invite en outre le Mécanisme d’enquête conjoint à mobiliser les États de la région dans le cadre de son mandat, cela en fournissant des informations sur l’accès des acteurs non étatiques à des armes chimiques et à leurs composantes.
Le représentant russe, s’il a précisé que son pays restait sceptique à l’égard des conclusions des rapports du Mécanisme d’enquête conjoint, a salué « l’élargissement » de son mandat. « Les risques de terrorisme chimique en Syrie pourraient déborder les seules frontières de ce pays pour toucher d’autres régions du Proche-Orient », a-t-il prévenu, invitant Le Mécanisme à cibler les activités chimiques des acteurs non étatiques mentionnés dans la résolution. Ces acteurs, a-t-il affirmé, sont « ceux dont parle Damas dans les informations transmises aux services de renseignement internationaux, y compris américains ».
De leurs côtés, le Royaume-Uni et la France, qui se sont réjouis de l’unité du Conseil de sécurité sur le dossier syrien, ont considéré que son action ne pouvait s’arrêter là, et qu’il faudrait s’assurer que ces crimes feront l’objet de poursuites judiciaires et de sanctions. Le représentant de l’Espagne a vu dans l’adoption de la résolution un signal d’optimisme en ce sens.
LA SITUATION AU MOYEN-ORIENT
Déclarations
Mme SAMANTHA POWER (États-Unis) a évoqué la situation humanitaire en Syrie, marquée par un grand nombre de victimes civiles des attaques chimiques. Elle a salué la décision du Conseil de sécurité de prolonger par cette résolution, adoptée à l’unanimité, le mandat du Mécanisme d’enquête conjoint, dont les conclusions sont claires. Elles établissent que « trois attaques ont été perpétrées par un État Membre des Nations Unies » et un par Daech. Mme Power a condamné ces attaques contre des civils innocents et souligné que « la résolution permet au Mécanisme de poursuivre son travail ». Le Mécanisme est la seule institution mandatée pour faire la lumière sur les attaques chimiques en Syrie, a-t-elle rappelé, avant d’estimer que, « sans prorogation, nous aurions renoncé à notre seul outil pour faire la lumière sur ces crimes les plus odieux ». Le Mécanisme a un pouvoir de dissuasion qui peut sauver des vies, a encore ajouté Mme Power, qui a fait observer que le nombre d’attaques chimiques présumées avait diminué depuis son établissement. Tant que les parties utilisent des armes chimiques en Syrie, le Conseil de sécurité a la responsabilité d’enquêter, a-t-elle insisté, avant de conclure en affirmant que les auteurs de ces actes devront en répondre.
M. VLADIMIR K. SAFRONKOV (Fédération de Russie) a regretté les actes de certains États qui contribuent à transférer une responsabilité politique à une plateforme auxiliaire strictement technique. Il a estimé que cela aurait des incidences sur l’autorité de la Convention sur les armes chimiques et nuirait à sa ratification universelle. M. Safronkov a insisté sur le fait que la résolution adoptée était le fruit d’un « travail complexe » avec les États-Unis. Il a salué « l’élargissement du mandat que prévoit le texte », notant que son pays restait néanmoins sceptique à l’égard des conclusions des rapports établis par le Mécanisme d’enquête conjoint et plus encore sur ses méthodes. Il a ensuite demandé aux équipes du Mécanisme de faire preuve d’impartialité dans leurs travaux et de ne pas « succomber à la pression massive d’États mus exclusivement par leurs intérêts géopolitiques au Moyen-Orient ». « Les risques de terrorisme chimique en Syrie sont aigus et pourraient déborder du jour au lendemain les seules frontières de ce pays pour toucher d’autres régions du Proche-Orient », a-t-il prévenu. Il a demandé que le Mécanisme mette l’accent sur les activités chimiques des acteurs non étatiques cités dans la résolution, expliquant que ces acteurs sont « ceux dont parle sans cesse Damas dans les informations transmises aux services de renseignement internationaux, y compris américains ».
M. SHEN BO (Chine) s’est dit fermement opposé à l’utilisation d’armes chimiques par qui que ce soit et où que ce soit, soulignant que la Chine avait toujours demandé au Mécanisme d’enquête conjoint de s’acquitter de ses fonctions de façon équitable, objective et professionnelle. Le représentant a dit espérer que le Mécanisme renforcerait sa coordination avec le Gouvernement syrien afin d’enquêter sur ces armes et de faire apparaître la vérité.
Mme ANNE GUEGUEN MOHSEN (France) a salué l’adoption à l’unanimité de la résolution, qualifiant ce vote de moment d’unité sur le dossier syrien. La représentante a ajouté que les dernières conclusions du Mécanisme d’enquête conjoint étaient accablantes, confirmant l’usage d’armes chimiques par le régime syrien et par Daech. Pour la France, cette résolution est un signal fort envoyé aux responsables de l’emploi d’armes chimiques en Syrie ainsi qu’une reconnaissance du « travail remarquable » effectué par le Mécanisme conjoint. Toutefois, « l’action du Conseil de sécurité ne peut s’arrêter là et, face au « risque insupportable » de banalisation de l’utilisation d’armes chimiques, il faut s’assurer que les crimes feront l’objet de poursuites judiciaires et de sanctions. La France souhaite que l’adoption unanime de la résolution aille dans ce sens.
M. PETER WILSON (Royaume-Uni) s’est félicité de l’adoption de la résolution et a remercié Samantha Power, son homologue des États-Unis, pour ses efforts afin que cette résolution soit soumise au Conseil. Il a qualifié de « tristement nécessaire » le renouvellement du mandat du Mécanisme, ajoutant que, grâce à ce dernier, nous savons que le régime Assad et Daech utilisent des armes chimiques. Toutefois, a-t-il ajouté, les coupables de crimes de guerre restent impunis, a souligné le représentant, regrettant que malgré l’engagement du régime de détruire ces stocks, les attaques continuent. Il ne suffit pas de savoir qu’il y a eu des attaques chimiques et qui les a commises, il faut que justice soit faite, donc que l’impunité cesse: il est temps que le Conseil joue son rôle.
M. VOLODYMYR YELCHENKO (Ukraine) a notamment indiqué qu’éradiquer la menace de toute utilisation d’armes chimiques en Syrie était essentiel pour créer les conditions nécessaires en vue d’atténuer les tensions sur le terrain, lutter contre le terrorisme et avancer sur la voie d’une solution politique à la crise. Il a déclaré que la communauté internationale devait s’assurer que le régime syrien renonce de manière irréversible à son programme d’armes chimiques et que les auteurs de crimes chimiques en Syrie seront traduits en justice.
M. FRANCISCO JAVIER GASSO MATOSES (Espagne) a estimé crucial que le Mécanisme d’enquête conjoint puisse continuer à travailler « compte tenu des nouvelles allégations d’utilisation d’armes chimiques en Syrie et de son caractère dissuasif ». Il a mis l’accent sur le caractère dissuasif du Mécanisme conjoint, a remercié la Russie et les États-Unis pour leurs efforts et s’est félicité de l’unité dont a fait preuve le Conseil de sécurité sur ce dossier, y voyant un motif d’optimisme.
M. TAKESHI AKAHORI (Japon), après avoir regretté les nouvelles allégations d’attaques chimiques en Syrie, a déclaré que le Conseil de sécurité envoyait un message très fort et très clair en renouvelant le mandat du Mécanisme d’enquête conjoint, avec lequel le Japon est prêt à travailler de manière constructive.
M. IHAB MOUSTAFA AWAD MOUSTAFA (Égypte) s’est félicité du grand degré de professionnalisme de ceux qui travaillent pour le Mécanisme d’enquête conjoint, soulignant que leur impartialité est nécessaire. Il a espéré voir renforcé le rôle du Conseil de sécurité et du Mécanisme dans la lutte contre les agents non étatiques participant à des attaques chimiques. L’application de la résolution peut être considérée comme un développement essentiel du Mécanisme, a estimé le représentant, espérant qu’elle constituera une nouvelle étape dans la résolution de la crise syrienne.
Texte du projet de résolution S/2016/974
Le Conseil de sécurité,
Rappelant ses résolutions 2314 (2016), 2235 (2015), 2209 (2015) et 2118 (2013),
Notant que de nouvelles allégations concernant l’emploi d’armes chimiques en Syrie font l’objet d’une enquête par la Mission d’établissement des faits de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC),
Condamnant de nouveau avec la plus grande fermeté toute utilisation comme arme, en République arabe syrienne, de quelque produit chimique toxique que ce soit et se déclarant alarmé par le fait que des civils continuent d’être tués ou blessés par des produits chimiques toxiques utilisés comme armes dans le pays,
Réaffirmant que l’emploi d’armes chimiques constitue une violation grave du droit international et rappelant que les personnes, entités, groupes ou gouvernements qui y ont recouru de quelque manière que ce soit doivent répondre de leurs actes,
Se déclarant de nouveau profondément préoccupé que l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL, également connu sous le nom de Daech) et d’autres personnes, groupes, entreprises et entités associés à l’EIIL (Daech) ou à Al-Qaida, y compris, mais pas uniquement, les combattants terroristes étrangers qui ont rejoint les rangs de l’EIIL (Daech) en Syrie, les groupes qui ont prêté allégeance à l’EIIL (Daech) et le Front el-Nosra, continuent à opérer en République arabe syrienne,
Soulignant la nécessité pour tous les États Membres de s’acquitter pleinement des obligations que leur impose la résolution 2178 (2014),
Rappelant que, dans sa résolution 2118, il a souligné que toutes les parties en Syrie devaient s’abstenir d’employer, de mettre au point, de fabriquer, d’acquérir, de stocker et de détenir des armes chimiques ou d’en transférer et décidé que les États Membres l’informeraient immédiatement de toute violation de sa résolution 1540, y compris de l’acquisition par des acteurs non étatiques d’armes chimiques, de leurs vecteurs et d’éléments connexes, afin qu’il puisse prendre les mesures nécessaires à cet égard,
1. Décide de renouveler, pour une nouvelle période d’un an à compter de la date d’adoption de la présente résolution, le mandat du Mécanisme d’enquête conjoint, tel qu’énoncé dans la résolution 2235, avec la possibilité d’une nouvelle prolongation et d’une mise à jour par le Conseil de sécurité s’il le juge nécessaire;
2. Rappelle qu’il a décidé que la République arabe syrienne devait s’abstenir d’employer, de mettre au point, de fabriquer, d’acquérir d’aucune manière, de stocker et de détenir des armes chimiques ou d’en transférer, directement ou indirectement, à d’autres États ou à des acteurs non étatiques;
3. Réaffirme les dispositions des paragraphes 1, 3 et 4, 6, 8, 9, 12 et 15 de la résolution 2235;
4. Encourage le Mécanisme d’enquête conjoint, le cas échéant, à consulter les organes appropriés des Nations Unies chargés de la lutte contre le terrorisme et de la non-prolifération, en particulier le Comité créé par la résolution 1540 et le Comité des sanctions contre l’EIIL (Daech) et Al-Qaida faisant suite aux résolutions 1267, 1989 et 2253, afin d’échanger des informations sur l’emploi perpétré, organisé, commandité par des acteurs non étatiques, de produits chimiques comme arme en République arabe syrienne ou auquel ils ont participé dans les cas où la Mission d’établissement des faits de l’OIAC détermine ou a déterminé que des produits chimiques ont été probablement utilisés comme armes en République arabe syrienne,
5. Invite le Mécanisme d’enquête conjoint à mobiliser les États de la région dans le cadre de son mandat, y compris pour identifier dans toute la mesure possible les personnes, entités ou groupes associés à l’EIIL (Daech) ou au Front el-Nosra qui ont perpétré, organisé ou commandité l’emploi de produits chimiques comme armes ou y ont participé d’une manière ou d’une autre en République arabe syrienne, dans les cas où la Mission d’établissement des faits de l’OIAC détermine ou a déterminé que des produits chimiques ont été utilisés ou probablement utilisés comme armes en République arabe syrienne, encourage les États de la région à fournir, selon que de besoin, au Mécanisme d’enquête conjoint des informations sur l’accès des acteurs non étatiques à des armes chimiques et à leurs composantes ou sur les efforts qu’ils déploient pour mettre au point, acquérir, fabriquer, posséder, transporter, transférer ou utiliser des armes chimiques et leurs vecteurs sur le territoire qu’ils contrôlent, y compris des informations pertinentes issues des enquêtes menées au niveau national, et souligne l’importance pour les États Parties des obligations qui leur incombent en vertu de l’article VII de la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction (Convention sur les armes chimiques) et de la pleine application du paragraphe 8 de la résolution 2235, notamment pour ce qui est des informations relatives aux acteurs non étatiques;
6. Rappelle les articles X.8 et X.9 de la Convention sur les armes chimiques qui reconnaissent à tout État partie le droit de demander et de recevoir une assistance et une protection contre l’emploi ou la menace d’armes chimiques s’il estime que des armes chimiques ont été utilisées contre lui, rappelle également que de telles demandes, étayées par des informations pertinentes, sont transmises par le Directeur général de l’OIAC au Conseil exécutif et à tous les États parties à la Convention, et invite le Mécanisme d’enquête conjoint à offrir ses services à l’OIAC en pareilles circonstances, s’ils entrent dans le cadre de l’exercice effectif de son mandat;
7. Réaffirme les dispositions du paragraphe 7 de la résolution 2235, notamment l’aptitude du Mécanisme d’enquête conjoint d’examiner des informations et éléments de preuve supplémentaires qui n’ont pas été recueillis ou établis par la Mission d’établissement des faits mais qui ont un lien avec le mandat du Mécanisme d’enquête conjoint, et insiste sur la nécessité de les mettre pleinement en œuvre, notamment pour ce qui est de fournir les informations demandées par le Mécanisme d’enquête conjoint et la mise à disposition de témoins;
8. Prie le Secrétaire général, en coordination avec le Directeur général de l’OIAC, de lui présenter un rapport sur les progrès réalisés et d’en informer le Conseil exécutif de l’OIAC tous les 60 jours;
9. Prie le Mécanisme d’enquête conjoint d’achever un rapport dans les 90 jours suivant l’adoption de la présente résolution, et d’établir d’autres rapports par la suite s’il y a lieu, et prie le Mécanisme d’enquête conjoint de lui présenter le ou les rapports et d’en informer le Conseil exécutif de l’OIAC, et invite le Mécanisme d’enquête conjoint à informer, le cas échéant, le Comité créé par la résolution 1540, le Comité faisant suite aux résolutions 1267, 1989 et 2253 ou d’autres organes compétents des Nations Unies chargés de la lutte contre le terrorisme ou de la non-prolifération des résultats de leurs travaux;
10. Décide de rester activement saisi de la question.