Le siège de plus d’un demi-million de civils en Syrie doit cesser immédiatement, dit le Chef des affaires humanitaires au Conseil de sécurité
Le Conseil de sécurité a entendu, cet après-midi, un exposé du Secrétaire général adjoint chargé des affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence de l’ONU, M. Stephen O’Brien, sur la situation humanitaire et le sort de la population civile assiégée en Syrie.
« Je n’ai plus de mots pour expliquer comment les agissements des parties au conflit ont ravagé un pays et son peuple », s’est ému M. O’Brien, dans son intervention par vidéoconférence depuis Genève.
Il a précisé être rentré hier de Reyhanli, une ville turque à la frontière syrienne, où il a vu « des choses épouvantables ». Après avoir rencontré des orphelins syriens, des blessés graves et des familles de réfugiés traumatisés, il a promis de se faire l’écho de leurs histoires devant le Conseil.
M. O’Brien s’est dit particulièrement préoccupé par l’aggravation de la violence dans plusieurs régions du pays et son impact sur les civils. « Le droit international humanitaire est violé sans scrupules », a-t-il souligné.
Au début du mois de mai, des frappes ont été menées contre des camps de déplacés internes à Sarmada et à Idlib. Cette semaine, plusieurs attaques terroristes ont fait plus d’une centaine de victimes dans les villes côtières de Jableh et Tartous. L’hôpital de Zakia a également été attaqué avec des barils d’explosifs.
Le Secrétaire général adjoint a jugé « tout à fait répréhensibles » l’état de siège et l’utilisation de la famine comme arme de guerre. D’après les dernières informations, a-t-il précisé, environ 592 000 personnes vivent dans des zones assiégées par le Gouvernement syrien, l’État islamique d’Iraq et du Levant (EILL), le Front el-Nosra ou des groupes armés non étatiques.
Il a cité des chiffres pour illustrer « la brusque détérioration de la situation pour les civils, alors même que la cessation des hostilités est en place ».
« La punition collective des civils à travers des tactiques qui consistent à les assiéger doit prendre fin immédiatement », a souligné avec vigueur M. O’Brien. À son avis, la responsabilité principale de cet état de fait revient à la partie qui maintient le siège et qui refuse systématiquement à la population d’avoir accès à des biens essentiels et sa liberté de mouvement. Toutefois, les autres parties qui mènent des opérations militaires dans ou à partir de zones peuplées ont aussi leur part de responsabilité face aux énormes souffrances endurées dans les zones assiégées.
Le Secrétaire général adjoint s’est également déclaré très inquiet face aux conditions dans lesquelles vivent des centaines de milliers de civils au nord de Homs. La situation dans le Gouvernorat et la ville d’Alep même reste alarmante. Le Centre des Nations Unies y a été bombardé à plusieurs reprises. Les combats risquent de provoquer de nouveaux déplacements de populations, a-t-il prévenu.
« La réalité actuelle en Syrie est inacceptable », a insisté M. O’Brien. « Il ne peut y avoir d’impunité face aux comportements contraires au droit international et aux résolutions du Conseil de sécurité. »
En dépit des problèmes, l’ONU et ses partenaires poursuivent leurs efforts d’acheminement d’une aide alimentaire transfrontalière, a-t-il assuré. Depuis le 10 avril, le Programme alimentaire mondial (PAM) a réussi à larguer des biens alimentaires. Malheureusement, a-t-il précisé, l’aide fournie ne correspond qu’à un convoi.
En effet, a-t-il indiqué, « il ne faut pas oublier que l’ONU doit demander l’approbation du Gouvernement syrien » pour l’accès humanitaire. Les ingérences et les restrictions imposées par les parties, notamment le Gouvernement syrien, continuent d’entraver l’acheminement de l’aide. C’est ainsi que 40% de la population ciblée ne peut pas avoir accès aux denrées alimentaires et aux biens essentiels qui lui sont nécessaires.
Affirmant que des kits médicaux et d’urgence continuaient d’être retirés des convois d’aide humanitaire, M. O’Brien a dénoncé des « actes cyniques honteux qui visent uniquement à faire davantage souffrir les civils assiégés », y compris des nouveaux-nés.
Dans son intervention lors du premier Sommet humanitaire mondial, qui s’est tenu en début de semaine à Istanbul, en Turquie, le Secrétaire général adjoint a rappelé qu’il avait souligné que « nous devons tous être à la hauteur de nos responsabilités ». « La Syrie nous rappelle, hélas, pourquoi ce Sommet a été convoqué », a-t-il déploré.
« Sur le plan politique, nous continuons d’échouer de façon catastrophique vis-à-vis du peuple syrien », a-t-il constaté. Enfin, il a demandé que soit levé sans tarder le siège sur la population civile. « Il faut pouvoir avoir accès à 100% des personnes dans le besoin », a-t-il affirmé.
Invité à prendre la parole, le représentant de la Syrie, M. Bashar Ja’afari, a estimé que le Secrétaire général adjoint aurait pu commencer par présenter ses condoléances au Gouvernement et au peuple syriens pour les victimes innocentes des actes terroristes commis à Jableh et Tartous. « L’identité des exécutants est parfaitement connue », a-t-il précisé.
À son avis, certains États du Conseil de sécurité prétendent être soucieux de la situation humanitaire et des droits de l’homme en Syrie, « mais la réalité est tout autre, car ils jouent un rôle essentiel dans les souffrances du peuple syrien ». Ces États, estime-t-il, continuent de soutenir des organisations terroristes en Syrie et de cacher au Conseil de sécurité leurs méfaits, alors qu’elles criblent de missiles les civils à Damas, Alep et dans d’autres villes.
« Comme il transparaît dans les déclarations des représentants de ces États, dont l’Arabie saoudite et la Turquie, les organisations terroristes sont utilisées comme armes de chantage politique », a accusé le représentant syrien. « Comment parler de mettre fin à la tragédie du peuple syrien alors que la situation humanitaire est politisée par certains pour réaliser leurs objectifs? » s’est-il demandé.
D’après M. Ja’afari, le régime turc utilise son territoire « comme tremplin pour des dizaines de milliers de combattants terroristes étrangers et leur fournit des armes ». De plus, « il met en prison les douaniers, les juges et les journalistes qui dénoncent cette situation ». « Pourquoi l’ONU récompense-t-elle le régime du Président Erdogan en tenant le premier Sommet humanitaire à Istanbul? » s’est-il indigné.
M. Ja’afari a par ailleurs estimé que le rapport du Secrétaire général traitait de façon erronée de la situation humanitaire en Syrie. Niant que son gouvernement empêche l’entrée de l’assistance humanitaire, il a assuré, au contraire, qu’il acceptait d’acheminer l’assistance médicale à toutes les régions, « sauf les outils utilisés par les terroristes ». Le Gouvernement syrien, a-t-il noté, a accepté 19 des 26 demandes relatives au passage de convois, « or l’ONU n’a fait acheminer que trois convois ».
Le représentant a tenu à rappeler que son gouvernement était « prêt à mettre en œuvre toutes les mesures nationales qui s’imposent pour réduire la souffrance du peuple ». Mais, a-t-il averti, l’ONU en contrepartie doit coopérer avec le Gouvernement syrien et le consulter au lieu de le critiquer.
En conclusion, il a enjoint les membres du Conseil à résoudre le problème humanitaire « en traitant du terrorisme appuyé de l’extérieur, et non pas par des contributions financières présentées pour la forme dans des conférences ».
La représentante des États-Unis, « frappée par le nombre de prétendus faits cités par le représentant de la Syrie qui mettent en péril la réputation des Nations Unies et des travailleurs humanitaires », a demandé au Secrétaire général adjoint de répondre à certaines allégations.
« La seule autorité que j’ai est de veiller à ce que nous réunissions les faits à partir des sources les plus dignes de foi possibles », a répondu M. O’Brien, garantissant la fiabilité des faits rapportés.
Le Conseil de sécurité était saisi d’un rapport du Secrétaire général*, en date du 19 mai dernier, sur la situation humanitaire en Syrie et l’application des résolutions 2139 (2014), 2165 (2014), 2191 (2014) et 2258 (2015) par toutes les parties au conflit.