L’Assemblée générale réfléchit à la manière de rendre réellement l’ONU capable d’affronter les multiples menaces à la paix dans le monde
L’Assemblée générale a lancé aujourd’hui un débat de haut niveau, qui se poursuivra demain, sur « les menaces actuelles à la paix et à la sécurité internationales dans un monde à risques» au cours duquel les États ont prouvé leur volonté d’adapter et d’outiller l’ONU pour qu’elle soit mieux à même de réagir aux risques nouveaux. L’ancien Président de l’Indonésie, plusieurs ministres, une lauréate du prix Nobel de la paix, ainsi que des représentants d’instances internationales et de la société civile, ont participé à cette première journée de réflexion qui a tracé des pistes pour rendre l’ONU capable de garantir un monde plus sûr.
Qu’il s’agisse des guerres impliquant directement ou indirectement les puissances régionales voire les plus grandes puissances mondiales au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, de l’impunité dans les cas de violations des droits de l’homme, du terrorisme qui frappe de nombreux pays et de la violence sexuelle dans les conflits armés, il est clair que l’ONU est mal équipée pour concrétiser la vision qui a sous-tendu sa création, il y a 70 ans, « préserver les générations futures du fléau de la guerre », a estimé le Président de l’Assemblée générale, M. Mogens Likketoft.
Le nombre des guerres civiles a triplé ces 10 dernières années, 125 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire et 80% des besoins humanitaires sont dus à des conflits violents, a ajouté au tableau, le Vice-Secrétaire général de l’ONU, M. Jan Eliasson, qui n’a pas oublié les fléaux de la cybercriminalité et des épidémies.
L’ONU est-elle efficace dans la prévention et la gestion des conflits dans un monde à risques? Des mesures ont été prises pour remédier aux lacunes. Le Vice-Secrétaire général a mentionné l’examen en cours de l’architecture de consolidation de la paix, des opérations de maintien de la paix et de la mise en œuvre de la résolution 1325 du Conseil de sécurité sur « les femmes, la paix et la sécurité ». Le Secrétariat, a-t-il avancé, est en train de mettre en œuvre 90% des recommandations faites par le Secrétaire général sur la base du rapport du Groupe indépendant de haut niveau sur les opérations de maintien de la paix.
M. Eliasson a aussi placé beaucoup d’espoir dans le prochain Sommet humanitaire mondial d’Istanbul qui recherchera une solution collective à une crise humanitaire d’une ampleur sans précédent. Il s’est aussi félicité des résultats de l’Initiative « les droits de l’homme d’abord ».
En outre, le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et l’Accord de Paris sur le climat doivent permettre d’avancer vers un monde plus pacifique, plus prospère, plus inclusif et plus viable.
Le défi est maintenant de rendre les Nations Unies plus pertinentes, plus crédibles, plus légitimes et plus compétentes, tout comme les puissances locales, régionales et mondiales. Le Président de l’Assemblée a donné quatre pistes pour y arriver: privilégier les solutions politiques dans l’approche de l’ONU pour une paix durable; mettre la prévention au cœur de l’architecture de paix et de sécurité; forger un consensus sur une série « essentielle » de réformes budgétaires, institutionnelles et culturelles; et travailler sur les trois piliers de l’ONU, paix et sécurité, développement, droits de l’homme, dans des partenariats stratégiques avec les organisations régionales, ont insisté plusieurs intervenants.
Dans ce contexte, une des voies à privilégier, selon les intervenants, est la participation des femmes dans la prévention, le maintien et la consolidation de la paix, comme le recommande la résolution 1325 du Conseil de sécurité. Dans un même esprit, la résolution 2250 du Conseil de sécurité sur « les jeunes, la paix et la sécurité » a été rappelée, en particulier la nécessité de la mettre en pratique.
Le Conseil a d’ailleurs essuyé les critiques du représentant de l’Éthiopie qui l’a traité d’« organe du passé, inadapté au monde actuel ». « Pourquoi le Conseil n’est-il pas meilleur dans la prévention des moments chauds? » a demandé son homologue de la France, qui a avoué que le principal obstacle est en réalité la division entre les États. Aux appels de l’ancien Président indonésien pour une façon « plus juste, plus démocratique et plus pragmatique » de gérer le droit de veto, le représentant français a répondu par l’initiative franco-mexicaine, appuyée par 93 pays, qui vise à empêcher l’exercice de ce droit en cas d’atrocités de masse. « Nous avons les instruments pour être plus efficaces. »
Cela ne suffira peut-être pas, a semblé dire l’ancien Ministre des affaires étrangères de l’Égypte et ancien Secrétaire général de la Ligue des États arabes, M. Amr Moussa, qui a réclamé une meilleure représentation des pays en développement dans les deux catégories de membres du Conseil. Les délégations ont aussi été nombreuses à demander à l’Assemblée générale de revitaliser ses travaux pour pouvoir agir en faveur de la paix en cas de paralysie du Conseil. « La paix est un processus, pas un évènement », a souligné la lauréate du prix Nobel de la Paix 2011 pour « Women of Liberia Mass action for Peace », Mme Leymah Gbowee, en mettant en garde contre la tentation « de lutter contre le feu par le feu » comme on l’a vu en Libye. « Le recours à la force à tort et à travers ne peut qu’aggraver la situation », a aussi prévenu l’ancien Président indonésien.
L’Assemblée générale achèvera son débat de haut niveau demain, mercredi 11 mai.
DÉBAT THÉMATIQUE DE HAUT NIVEAU SUR LES NATIONS UNIES, LA PAIX ET LA SÉCURITÉ
Séance d’ouverture
M. MOGENS LYKKETOFT, Président de la soixante-dixième session de l’Assemblée générale, a rappelé que l’ONU a été créée pour « préserver les générations futures du fléau de la guerre ». Soixante-dix ans plus tard, nous réfléchissons aux moments où les Nations Unies ont réussi ou échoué, et cherchons à voir comment on peut faire mieux aujourd’hui et demain. Parmi les succès, le Président a cité la mise en place du cadre qui a permis de contenir les plus grandes puissances mondiales, la mobilisation de centaines de milliers de Casques bleus et de milliards de dollars dans les opérations de maintien de la paix, la mise au point d’un cadre juridique clair régissant la conduite en temps de guerre et la protection des droits de l’homme, et les efforts pour réduire les risques des armes les plus meurtrières. Mais, a avoué le Président, à Srebrenica, en Somalie et au Rwanda, quand on en avait le plus besoin, l’ONU a échoué « de manière abyssale ».
Qu’il s’agisse des guerres impliquant directement ou indirectement les puissances régionales voire les plus grandes puissances mondiales au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, de l’impunité dans les cas de violations des droits de l’homme, du terrorisme qui frappe de nombreux pays, et de la violence sexuelle dans les conflits armés et de ses dizaines de milliers de victimes parmi les femmes et les enfants, il est clair que l’ONU est mal équipée pour concrétiser la vision qui a sous-tendu sa création, a tranché le Président.
En ce soixante-dixième anniversaire, avec l’examen de l’architecture de consolidation de la paix, des opérations de maintien de la paix et de la mise en œuvre de la résolution 1325 sur « les femmes, la paix et la sécurité », nous avons l’occasion de changer fondamentalement les choses.
Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et l’Accord de Paris sur le climat donnent, selon le Président, un cadre pour avancer vers un monde plus pacifique, plus prospère, plus inclusif et plus viable. L’accord sur le nucléaire iranien et les mesures que le Conseil de sécurité a prises, en décembre dernier, sur la Syrie, prouvent, « fort tard certes », que les Nations Unies peuvent aider les puissances régionales et mondiales à résoudre leurs différends.
Le défi est maintenant de partir de cet élan et de répondre aux recommandations ambitieuses des trois examens. Ces recommandations sont claires: pour répondre aux menaces à la paix et à la sécurité, aujourd’hui et demain, les Nations Unies doivent être plus pertinentes, plus crédibles, plus légitimes et plus compétentes, tout comme les puissances locales, régionales et mondiales.
Durant ces deux jours, nous aurons l’occasion d’identifier les étapes spécifiques qu’il faut pour ce faire, et pour certains États, il s’agit de faire du Conseil de sécurité un organe plus efficace et plus représentatif. Mais le Président a voulu insister sur quatre points et d’abord la nécessité de privilégier les solutions politiques dans tous les aspects de l’approche de l’ONU pour une paix durable. Pour mettre la prévention au cœur de l’architecture de paix et de sécurité, nous devons forger un consensus sur une série « essentielle » de réformes budgétaires, institutionnelles et culturelles. Il faut que l’ONU travaille sur ses trois piliers tout en rendant opérationnelle l’approche centrée sur la personne dont on parle tant.
Soulignant ensuite les ratés de la mise en œuvre de la résolution 1325 sur « les femmes, la paix et la sécurité », le Président a insisté pour que l’on intègre enfin la perspective « égalité entre les sexes » dans l’approche globale de la paix et de la sécurité et pour que les femmes soient impliquées à la fois dans la prévention et le règlement des conflits.
Il a aussi insisté sur les partenariats stratégiques avec les organisations régionales et sur la nécessité d’ouvrir la porte aux États Membres qui veulent jouer un plus grand rôle dans la paix et la sécurité internationales. Il faut aussi renforcer les relations avec la Banque mondiale et les autres acteurs du monde des finances et du secteur privé pour pouvoir créer des sociétés stables, prospères et créatrices d’emplois.
Enfin, le Président a parlé des nouveaux problèmes comme la cybercriminalité, les épidémies ou le terrorisme qui exigent des changements pour mieux équiper l’ONU. La lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent est un domaine où le rôle de l’ONU requière une plus grande coordination, surtout quand elle est engagée dans des situations de conflit marquées par le terrorisme ou l’insurrection. « La paix ne peut être maintenue par la force. Elle ne peut être atteinte que par la compréhension », a conclu le Président, en paraphrasant Albert Einstein.
M. JAN ELIASSON, Vice-Secrétaire général de l’ONU, a rappelé l’importance du prochain Sommet humanitaire mondial d’Istanbul qui veillera à apporter une solution collective à une crise humanitaire d’une ampleur sans précédent. « La magnitude des défis mondiaux est claire »: le nombre de guerres civiles a triplé ces 10 dernières années, 125 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire et 80% des besoins humanitaires sont dus à des conflits violents.
Les trois examens menés l’année dernière avaient un seul objectif, a souligné le Vice-Secrétaire général: comment rendre l’ONU capable de répondre aux menaces à la sécurité dans cet environnement mondial volatile? Les examens ont livré trois messages qu’on ne saurait ignorer: la prévention est notre mission centrale, la recherche de solutions politiques et inclusives à long terme doit être la priorité et le succès ne pourra être atteint sans des partenariats solides. Ces examens ont été complétés, a estimé le Vice-Secrétaire général, par l’« Initiative les droits de l’homme d’abord » qui vise à changer la manière dont l’ONU pense la prévention et la protection des responsabilités assignées par la Charte et les États Membres.
Le Secrétariat, a affirmé le Vice-Secrétaire général, est en train de mettre en œuvre 90% des recommandations qu’a faites le Secrétaire général dans sa réponse au rapport du Groupe indépendant de haut niveau sur les opérations de maintien de la paix. La révolution de l’architecture de consolidation de la paix a donné un nouvel élan, alors que les conclusions de l’étude sur « les femmes, la paix et la sécurité » ont montré que la participation des femmes et l’intégration de la perspective « égalité entre les sexes » sont essentielles aux efforts de paix et de sécurité. Le Vice-Secrétaire général a ajouté la résolution 2250 du Conseil de sécurité sur les jeunes, la paix et la sécurité.
Après avoir cité quelques exemples montrant que les choses avancent, le Vice-Secrétaire général a regretté que dans certains domaines, les engagements rhétoriques ne se soient pas traduits en actes concrets, en particulier la prévention des conflits dont l’ONU n’a toujours pas les capacités et le Fonds de consolidation de la paix qui connait toujours un déficit. « Y-a-t-il une image plus parlante de notre échec collectif à donner la priorité à la prévention que les crises et les déplacements actuels? » a conclu le Vice-Secrétaire général.
M. ESPEN BARTH EIDE, Membre du Conseil d’administration du Forum économique mondial, a énuméré les sept moteurs de changement dans la paix et la sécurité internationales, le message principal étant avant tout que le changement se produise rapidement. Le premier moteur est la démographie, non seulement le nombre d’habitants mais aussi le degré d’urbanisation et la proportion de jeunes. La gestion des ressources est un autre moteur: qui y a accès? Comment les gérer? La concurrence géopolitique est un autre moteur dont la dynamique est de plus en plus importante. La gouvernance est aussi un moteur crucial, a-t-il ajouté, en dénonçant le fait qu’elle se détériore dans de nombreuses parties du monde, entrainant une perte de confiance dans les gouvernements. Il a aussi cité les défis d’un monde très connecté et la « quatrième révolution industrielle » et ses technologies sophistiquées qui présentent des défis et des opportunités.
M. SUSILO BAMBANG YUDHOYONO, ancien Président de l’Indonésie, s’est dit convaincu que la communauté internationale peut répondre aux risques du monde actuel en consolidant le rôle de l’ONU dans la gestion des affaires internationales. Le Président a d’abord pris l’exemple du conflit syrien. La meilleure marche à suivre, a-t-il estimé, consisterait à ce que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité s’entendent sur une position commune. Compte tenu de l’évolution de la situation, « une convergence d’intérêts » sur la Syrie est « toujours une possibilité », a-t-il dit. Si le Président a reconnu que l’abolition du droit de veto est presqu’impossible, il a tout de même estimé qu’il doit y avoir une manière « plus juste, plus démocratique et plus pragmatique » de le gérer. L’unité des cinq membres permanents contribuerait à un véritable cessez-le-feu en Syrie et dans d’autres parties du monde où les conflits font rage. À ce stade, a encore estimé le Président, on ne saurait écarter l’idée de déployer une force de maintien de la paix de l’ONU pour surveiller le cessez-le-feu. La force devrait être rentable, apte à faciliter un processus politique et rester strictement dans ses limites.
Le Président a aussi abordé la question de l’extrémisme, du radicalisme et du terrorisme. Il a appelé à un changement de mentalité, d’approche et de solutions. Mes années dans l’armée m’ont appris une chose fondamentale, a confié le Président: le recours à la force à tort et à travers ne peut qu’aggraver la situation. Si la victoire totale contre le terrorisme peut s’avérer difficile, on peut toujours réduire l’intensité des conflits, prévenir la détérioration de la situation, stopper l’islamophobie et réduire les tensions entre l’Islam et l’occident. Pour contenir les menaces terroristes, il a préconisé que l’on s’attaque aux circonstances qui nourrissent le radicalisme et l’extrémisme et que l’on empêche les conflits au Moyen-Orient de propager le terrorisme.
Le Président a ensuite parlé de la sécurité en Asie, un important moteur de l’économie mondiale. Trois membres permanents du Conseil de sécurité sur cinq sont impliqués dans les différents « points chauds » que sont les mers de Chine méridionale et orientale et la péninsule coréenne, a-t-il fait observer. Les démonstrations de force et de puissance relèvent d’un mauvais calcul, a-t-il prévenu, en disant privilégier les collaborations stratégiques entre l’ONU et les architectures régionales.
Le Président a conclu sur la question de l’implication des femmes dans le règlement des conflits. Convoquant son expérience de vétéran du maintien de la paix ayant servi dans la Mission de l’Onu en ex-Yougoslavie, le Président a insisté sur la protection que l’on doit aux femmes et aux enfants, et sur la nécessité d’impliquer les femmes dans la gestion des conflits. S’étant impliqué dans la préparation des objectifs de développement durable, il a insisté sur l’objectif 16 relatif à la paix, à la justice et aux institutions fortes lequel reconnaît aussi la place « critique » des femmes.
Mme LEYMAH GBOWEE (Libéria), Lauréate du prix Nobel de la paix 2011 et Défenseur des objectifs de développement durable, a parlé de son expérience de ressortissante d’un pays en guerre dans les années 1990. Ma sœur, a-t-elle raconté, travaillait à l’hôpital et parlait des crimes de masses qu’elle voyait chaque jour, se heurtant à l’incrédulité de ma mère qui avait une confiance inébranlable dans l’humanité et dans le pays. Or, un jour, j’ai vu ma mère pleurer pour avoir tué un homme. En fait, elle avait donné du riz à un homme qui s’était fait voler puis tuer par des soldats. Elle s’en sentait responsable.
« C’est une erreur de lutter contre le feu par le feu », a dit Mme Gbowee, en prenant l’exemple récent de la Libye. Il y a quelques années, nous voulions tous le départ de Qadhafi et aujourd’hui, il y a 27 milices en Libye qui font souffrir la population. La réponse militaire est une des principales raisons de la situation actuelle, a-t-elle tranché.
« La paix est un processus, pas un évènement. » Elle ne peut être imposée. Elle doit faire le fruit d’une collaboration entre les pays et elle ne peut être atteinte sans l’implication des femmes qui ont « des qualifications uniques ». Mme Gbowee a dit avoir reçu comme « une insulte » le sous-financement de la cause des femmes dans la paix et la sécurité. Il est temps d’agir, a-t-elle lancé, en prônant des solutions politiques non violentes et en recommandant de s’appuyer sur les objectifs de développement durable. Elle a cité le Dalaï Lama qui disait « on veut tous la paix, mais on ne veut pas faire ce qui est nécessaire pour l’avoir, comme le respect mutuel et la confiance ».
M. AMRE MOUSSA, ancien Ministre des affaires étrangères de l’Égypte et ancien Secrétaire général de la Ligue des États arabes, a insisté sur l’acuité des défis qu’aucun pays ne peut relever seul. « C’est pourquoi le monde se tourne vers l’ONU », a-t-il dit, avant de mentionner l’importance des réformes visant à renforcer l’efficacité de l’action de l’ONU. Il a en particulier insisté sur le renforcement de l’architecture de paix et une plus grande implication des femmes. Reconnaissant l’aspect intrinsèquement politique des réformes de l’ONU, M. Moussa a plaidé en faveur de la réforme du Conseil de sécurité, afin de garantir dans ses deux catégories de membres, une meilleure représentation des pays en développement. Les cinq membres permanents devraient volontairement s’abstenir d’exercer leur droit de veto lorsque 14 des 15 États membres du Conseil votent en faveur d’une résolution, en particulier lorsque celle-ci a trait à des crimes de guerre, de génocide et contre l’humanité.
M. Moussa a souhaité que l’Assemblée générale prenne une plus grande part dans les efforts de paix dans les cas où le Conseil se trouve incapable d’agir, appelant, à cet effet, à une révision de sa résolution « Unis pour la paix ». La revitalisation de l’Assemblée est essentielle, a-t-il insisté, avant de saluer la transparence accrue du processus de sélection du prochain Secrétaire général. Enfin, M. Moussa a insisté sur l’importance de passer de la gestion des conflits à leur prévention et souhaité un renforcement des partenariats entre l’ONU et les organisations régionales.
Table ronde sur le maintien de la paix dans un monde à risques: l’ONU est-elle efficace dans la prévention et la gestion des conflits
L’importance de la prévention des conflits et la foi dans la faculté de l’ONU de se réformer ont été soulignées par M. BRUCE JONES, Vice-Président et Directeur de la Brookings Institution.
Le tableau du monde actuel a été brossé par Mr. ALEXANDRE MARC, de la Banque mondiale qui a rappelé que la violence s’était réduite sensiblement au cours de la moitié du siècle dernier avant que « quelque chose ne se casse en 2010 », date à laquelle l’optimisme né de la fin de la guerre froide a pris fin. Depuis lors, le nombre des morts dans les conflits a augmenté, principalement au Moyen-Orient, la région qui connaît le plus de troubles. « Aujourd’hui, la proportion des civils touchés dans les conflits est sans précédent. »
M. Marc a mis en avant les interactions de plus en plus complexes entre conflits et violence, affirmant que 1 300 personnes sont tuées chaque jour dans des conflits interpersonnels et des trafics de stupéfiants. La violence interpersonnelle et liée aux drogues est néanmoins en réduction, à l’exception de l’Amérique centrale. Les femmes sont de plus en plus ciblées dans des conflits dont une des caractéristiques est leur aspect transfrontalier. M. Marc n’a pas oublié de souligner les risques liés à la marche vers la démocratie comme en Côte d’ivoire. Les questions électorales sont à l’origine de 53% des conflits mêmes si avec 60%, les questions territoriales sont toujours une des causes principales.
Face à ces défis, le représentant de l’Éthiopie a appelé l’ONU à recourir davantage aux organisations régionales, plus à même de comprendre la nature des conflits à leurs portes. Ces organisations régionales doivent être prises au sérieux, a-t-il insisté. Il faut, a renchéri le représentant du Mali, des échanges renforcés, d’égal à égal et sur la base des responsabilités partagées, entre l’ONU et l’Union africaine (UA). Au Mali, a-t-il rappelé, on a commencé par une mission de l’UA puis celle de l’ONU, sans avoir évalué correctement la transition. Les Nations Unies doivent changer pour mieux s’outiller, a reconnu, à son tour, le représentant de la Norvège, d’autant plus qu’aujourd’hui, a fait remarquer son homologue de la Thaïlande, les acteurs non étatiques occupent de plus en plus le devant de la scène.
Il ne faut pas non plus minimiser, a mis en garde le représentant du Mali, le rôle des acteurs extérieurs, surtout lorsque des ressources minières sont en jeu. Une position appuyée par le délégué du Brésil qui a souhaité que le rôle des grandes puissances qui interviennent militairement dans un conflit soit pleinement pris en compte. Il est injuste d’ignorer le rôle joué par ces puissances dans l’aggravation de l’instabilité.
Dans un conflit, il faut prêter une attention suffisante à la réconciliation, a conseillé Mme SARAH CLIFFE, Directrice du Centre sur la coopération internationale de New York University (NYU). Elle a cité l’exemple du Liban et reconnu néanmoins que cela exige énormément de patience. Mais, a-t-elle dit, il ne faut pas avoir peur de l’échec. « Nous sommes tous dans le même bateau » - les organisations régionales, les organisations nationales et les États Membres. La réconciliation oui mais d’abord la prévention, a prôné M. YOUSSEF MAHMOUD, Conseiller à l’International Peace Institute. On se concentre trop sur les moteurs des conflits alors qu’il faudrait plutôt se pencher sur les caractéristiques des sociétés pacifiques résilientes et mieux comprendre la manière dont la paix se consolide. L’idée est de privilégier une prévention précoce au sein des gouvernements et la diplomatie préventive. Montrons nous humbles dans la conception des stratégies de prévention, a conseillé le représentant de la Norvège. Mme SABA ISMAIL, Directrice exécutive d’Aware Girls a par exemple jugé inefficace de répondre à l’extrémisme par la violence au lieu de diriger les investissements vers des activités en faveur de la paix.
En matière de lutte contre la radicalisation, a aussi conseillé le représentant de l’Éthiopie, évitons les deux poids deux mesures. Il a prôné une coordination robuste, en particulier dans le domaine du renseignement, avant que son homologue du Mali ne reconnaisse qu’avec sa boîte à outils, l’ONU est assez démunie face au terrorisme. « Cela ne veut pas dire qu’elle doit devenir une organisation antiterroriste mais il faut mettre en capacités les États qui sont en première ligne », a-t-il affirmé. Il a plaidé aussi pour la mise en place de mécanismes qui ne soient pas purement ad hoc et un changement de culture du maintien de la paix. Un point de vue que le représentant de l’Union africaine a partagé.
Y-a-t-il une discrimination entre les différentes opérations de maintien de la paix? s’est demandé le représentant de l’Égypte, en constatant que certaines ont des mandats plus larges que les autres. Il s’est aussi demandé si le maintien de la paix ne se contente pas de geler les conflits au lieu de les régler, en faisant référence en particulier au conflit israélo-arabe. N’oublions pas les conflits d’intérêt, a dit son homologue de l’Érythrée, estimant qu’il n’y a pas d’amis permanents mais seulement des intérêts permanents, et en mettant en garde contre les interventions précipitées. La solution, a suggéré le représentant de l’Ouganda, est d’adapter les capacités des missions aux nécessités locales. La Mission de l’ONU en République démocratique du Congo (MONUSCO), par exemple, s’est vue doter d’une brigade d’intervention, ce qui a permis de réduire la violence et, à terme, les effectifs de la Mission. Si cela ne doit pas créer un précédent, il faut toutefois en tirer les enseignements. En Somalie, la piraterie va bientôt être reléguée à l’histoire, s’est-il félicité, la clef étant de travailler sur tous les piliers, sécurité, politique, humanitaire et développement.
Quid de l’Assemblée générale? s’est interrogé le représentant de l’Égypte, voyant un rôle « de plus en plus périphérique » et craignant une marginalisation. Quid aussi de la mise en pratique de la résolution 2250 du Conseil de sécurité sur les jeunes, la paix, la sécurité, a demandé à son tour, Mme SABA ISMAIL, Directrice exécutive d’Aware Girls. Elle a réclamé la mise au point de plans nationaux et régionaux, en consultation avec les jeunes. La représentante de la Suède a quant à elle insisté sur les ravages des violences sexuelles, une arme de guerre. Celle de la Finlande sur le sort des réfugiés et des déplacés qu’il faut accueillir avec l’appui des populations des pays hôtes. Les autorités doivent mener à cette fin un travail considérable d’information, a-t-elle conclu.
Les trois derniers intervenants ont présenté les principales conclusions des consultations régionales. M. Ashraf Swelam, Centre de formation du Caire pour le règlement des conflits et le maintien de la paix en Afrique (CCPA), a insisté sur la primauté de la politique qui devrait guider l’ensemble des interventions de l’ONU. Le concept de pérennisation de la paix a été suggéré lors de ces consultations afin de passer de la gestion des conflits à leur règlement, a-t-il dit. De son côté, Mme Adriana Abdenur, Igarapé Institute a insisté sur les frustrations nées de la lenteur de la réforme du Conseil de sécurité. Au cours des consultations, des mesures concrètes ont également été avancées, telles qu’une interaction accrue avec les pays contributeurs de troupes et l’attribution d’un plus grand rôle aux organisations régionales. L’Assemblée générale, qui est le principal organe de l’ONU, doit jouer son rôle dans le maintien de la paix, a-t-elle dit. Pour ce faire, elle a souhaité une revitalisation du travail de l’Assemblée afin que celle-ci puisse agir quand le Conseil de sécurité est paralysé.
M. Cedric de Coning, Institut norvégien des affaires internationales (NUPI) a, lui, insisté, sur l’importance d’une participation accrue des femmes au processus de paix. Commentant le concept de pérennisation de la paix, il a indiqué qu’il s’agissait d’un nouveau principe fédérateur guidant l’action de l’ONU. Les trois États qui ont pris la parole –l’Éthiopie, la France et l’Équateur– ont centré leur intervention sur la réforme du Conseil de sécurité, la sélection du prochain Secrétaire général et l’importance de la prévention des conflits. Le représentant de l’Éthiopie a tout d’abord indiqué que le Conseil était « un organe du passé, inadapté au monde actuel ». S’il s’est félicité de la transparence accrue du processus de sélection du prochain Secrétaire général, il s’est demandé pourquoi le Conseil ne recommande qu’un seul nom, alors que de très nombreux pays en demandent trois. C’est décourageant, a-t-il dit. Il a insisté sur l’importance de la légitimité de la sélection du Secrétaire général afin que celui-ci ait le pouvoir de dire non. Il ne doit pas être sous la coupe des cinq membres permanents, a-t-il dit. Il a rappelé que rien n’empêchait que trois candidats soient recommandés. « Nous voulons que ce petit pas soit fait mais nous n’y arrivons pas. »
Le délégué de la France a distingué deux temps dans la prévention, le temps long de la prévention en temps de paix, et une prévention « chaude », de temps court. « Pourquoi le Conseil n’est pas meilleur dans la prévention des moments chauds? » s’est-il interrogé, en indiquant que cela n’était pas lié à un manque d’informations sur les signes avant-coureurs de conflit ou à une pénurie d’instruments. Le principal obstacle est en réalité la division du Conseil. Il a ensuite rappelé l’initiative franco- mexicaine, appuyée par 93 pays, qui vise à empêcher l’exercice du droit de veto dans certaines situations où des atrocités de masse ont été commises. « Nous avons les instruments pour être plus efficaces. »
De son côté, le délégué de Équateur a rappelé toute l’étendue du pouvoir conféré par l’article 11 de la Charte de l’Assemblée. Lorsque le Conseil présente son rapport à l’Assemblée générale, c’est pour examen, a-t-il dit, ajoutant que cela n’était pas une simple opération administrative. S’agissant de la prochaine élection, il a précisé que rien ne s’opposait à ce que trois noms soient suggérés. Rappelant que l’élection par acclamation du Secrétaire général avait remplacé le vote, le délégué a indiqué que l’Assemblée pourrait très bien nommer le Secrétaire général par une mise aux voix. « Soyons fermes », a-t-il lancé.