ECOSOC: le vingtième anniversaire de la Déclaration et du Programme d’action de Copenhague sur le développement social révèle que beaucoup reste à faire
La Commission du développement social tient un dialogue interactif au cours duquel les intervenants notent la lassitude de la société civile face à l’inertie des politiques
« Les faits et les réalités auxquels nous sommes confrontés sur le terrain tendent à démontrer que la croissance économique en elle-même ne suffit pas pour améliorer le sort des populations et des personnes », a déclaré, ce matin, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, M. Ban Ki-moon, au cours de la cérémonie de commémoration du vingtième anniversaire de la tenue du Sommet mondial pour le développement social, qui a été organisée ce matin par la Commission du développement social dans le cadre de sa session de 2015.
Au second jour de cette session annuelle de la Commission, M. Ban a relevé que la croissance économique doit être appréciée à l’aune du bien-être humain, et non être considérée comme une fin en soi. Il a, par ailleurs, souligné que réaliser le développement social est une donnée essentielle pour rendre la planète plus juste, plus sûre et plus saine pour tous ses habitants.
Le Secrétaire général a indiqué que le Sommet de Copenhague avait permis de souligner le caractère multidimensionnel du développement social, et il a indiqué que le mot qui devrait tous nous guider vers l’éradication de la pauvreté, la transformation des vies et la protection de la planète est celui de la « dignité ». Les étapes parcourues au cours des 20 années qui viennent de s’écouler doivent nous rappeler que le développement en lui-même doit être mené et construit sur une fondation de politiques inclusives centrées sur la satisfaction des aspirations et des besoins des gens, a souligné le Secrétaire général. En ce vingtième anniversaire du Sommet mondial de Copenhague, réaffirmons donc notre engagement envers la promotion du développement social et de la justice, afin de pouvoir construire un monde meilleur et plus durable pour chaque être humain, a préconisé le Secrétaire général.
Pour le Président par intérim de l’Assemblée générale, M. Denis G. Antoine (Grenade), la Déclaration et le Programme d’action de Copenhague sont importants en ce moment crucial, marqué par l’élaboration du programme de développement pour l’après-2015. Il a déploré le fait que malgré tous les efforts engagés par la communauté internationale dans la lutte contre la pauvreté, plus d’un milliard de personnes vivent toujours dans le dénuement à travers la planète.
M. Antoine a par ailleurs estimé que cette commémoration devrait servir aussi à nous rappeler qu’il faut renforcer la place du social, et il a plaidé pour que les principes de Copenhague servent de base de réflexion à la communauté internationale et aux États Membres au moment où leurs représentants sont en train de procéder à l’élaboration du programme de développement pour l’après-2015.
Après M. Denis Antoine, le Vice-Président du Conseil économique et social (ECOSOC), M. Oh Joon (République de Corée), a pris la parole dans le cadre de la commémoration du vingtième anniversaire du Sommet mondial de Copenhague. M. Oh Joon a noté que, depuis Copenhague, le monde a connu des succès et des échecs en matière de développement social. Il a relevé qu’alors que les efforts de réduction de la pauvreté ont été couronnés d’un succès relatif, la création d’emplois, quant à elle, n’a pas été assez forte et s’est révélée d’un niveau insuffisant pour pouvoir absorber la population active, dont les nombres sont chaque jour plus élevés. Il a souligné que repenser et renforcer le développement social dans le monde contemporain appelle la communauté internationale à faire preuve de plus de flexibilité et de créativité, ceci afin d’adopter de nouvelles approches d’examen et de mise en œuvre des « vieux modèles » d’inclusion sociale.
La Présidente de la Commission du développement social, Mme Simona-Mirela Miculescu (Roumanie), a rappelé qu’il y a 20 ans, à Copenhague, 117 chefs d’État et de gouvernement avaient adopté un programme de promotion sociale visant à améliorer la vie des hommes, des femmes et des enfants du monde. Elle a ajouté que le Sommet de Copenhague a eu un impact sur les conférences et autres sommets mondiaux qui l’ont suivi, comme le Sommet du Millénaire, la Déclaration finale a été inspirée par les idées exprimées à Copenhague.
Dans son discours liminaire, le Conseiller spécial du Secrétaire général pour la coopération interrégionale sur les politiques, M. Juan Somavia, qui participait aux travaux par voie de vidéoconférence, a rappelé que le Sommet de Copenhague, auquel il avait pris part, avait souligné que « la confiance du peuple ne se gagne et ne se mérite que si les dirigeants font du peuple leur priorité ».
M. Somavia a souligné que l’adoption des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) avait été rendue possible à travers les organisations internationales, et que cela s’était fait sans qu’il n’y ait un processus participatif comme celui qui prévaut en ce moment pour définir le programme de développement pour l’après-2015. Il a prévenu que ce programme doit véritablement tenir compte des priorités et des spécificités de toutes les régions du monde, car « il n’y a pas de solution unique applicable à tous », a-t-il expliqué. Il a conclu son intervention en faisant le constat que 20 ans après son adoption, les promesses du Programme d’action de Copenhague n’ont toujours pas été tenues.
Le Représentant permanent du Danemark auprès de l’Organisation des Nations Unies, M. Ib Petersen, a, quant à lui, plaidé pour un monde plus inclusif, qui serait un monde où les groupes marginalisés sont davantage valorisés. Pour ce faire, il a invité les gouvernements et le secteur privé à renforcer leur partenariat afin de promouvoir la création d’emplois décents en nombres suffisants.
La Commission du développement social a en outre aujourd’hui tenu un dialogue interactif sur le thème: « Le développement social: de Copenhague au programme de développement pour l’après-2015 ».
Dans l’après-midi, elle a poursuivi son débat général entamé hier, et qui portait sur le thème prioritaire « repenser et renforcer le développement social dans le monde contemporain ».
Demain, vendredi, le 6 février, les travaux de la Commission seront marqués par la tenue d’une table ronde au cours de la matinée. Elle sera suivie, dans l’après-midi, par une reprise du débat général de la Commission.
SUITE DONNÉE AU SOMMET MONDIAL POUR LE DÉVELOPPEMENT SOCIAL ET À LA VINGT-QUATRIÈME SESSION EXTRAORDINAIRE DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE (E/CN.5/2015/2)
Dialogue interactif sur le thème « Le développement social: de Copenhague au programme de développement pour l’après-2015 »
En ouverture de ce dialogue interactif, son animatrice, Mme ELISABETH THOMPSON, Sous-Secrétaire générale et Conseillère principale du Secrétaire général à l’énergie durable pour tous, a posé une série de questions aux panélistes afin de savoir si la promotion du développement social, 20 ans après Copenhague, avait été un succès.
M. ACHARIA KAMAU (Kenya), Cofacilitateur des négociations intergouvernementales pour l’élaboration du programme de développement pour l’après-2015, a estimé qu’il fallait placer les populations et les gens au centre du développement, car tous les programmes de développement sont censés d’abord promouvoir l’amélioration de la vie des populations. Il a relevé que le monde a les outils et les ressources nécessaires pour satisfaire ses habitants, mais que la question est de savoir « si la volonté de le faire va suivre ».
M. LENNI MONTIEL, Sous-Secrétaire général chargé du développement économique, a indiqué que pour parvenir à un accord international qui permettrait de financer le développement social, il faut que les gouvernements fassent preuve d’une réelle volonté politique. Il a rappelé qu’en 1990, le Sommet mondial pour les enfants, tenu au Siège des Nations Unies à New York, avait établi que pour mobiliser les ressources nécessaires en vue d’atteindre les objectifs fixés pour l’amélioration du sort des enfants du monde, les pays donateurs et les pays en développement devaient accorder, lors de l’élaboration de leur budget, un rang de priorité plus élevé à la question du bien-être de l’enfance. Cette orientation a abouti à ce qu’on a appelé l’« Initiative 20/20 », qui est une stratégie de financement qui propose que les pays en développement consacrent au moins 20% de leurs budgets nationaux aux services sociaux de base et que, de leur côté, les pays industrialisés affectent 20% de leur aide au développement afin de permettre l’atteinte du même objectif. Il a regretté qu’aujourd’hui personne n’en fasse plus référence.
M. DANILO TÜRK, ancien Président de la Slovénie et membre du Club de Madrid, a pour sa part estimé que le Sommet de Copenhague avait provoqué des avancées révolutionnaires, notamment par le biais de la Déclaration et du Programme d’action qui en avaient découlé. Il a également souligné, comme d’autres orateurs, que la volonté politique n’a pas suivi, alors qu’elle était nécessaire afin de mettre en œuvre les mesures adoptées à Copenhague en 1995.
M. AHMED ALHENDAWI, l’Envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU pour la jeunesse, a rappelé que dans le Programme d’action pour la jeunesse, adopté en 1995 par l’Assemblée générale, l’emploi était une préoccupation majeure. Il a, de ce fait, déploré qu’à travers le monde, 73 millions de jeunes n’ont pas d’emplois, ceci dans un contexte où l’Organisation internationale du Travail (OIT) estime qu’il faut créer pas moins de 600 millions d’emplois au cours des prochaines années. Il a déclaré qu’en ce qui concerne les jeunes, il faudrait davantage parler « d’invention d’emplois », car à défaut de passer leur temps à soigner et peaufiner leur curriculum vitae, il apparaît qu’il serait plus judicieux que ces jeunes utilisent leur imagination pour créer leurs propres emplois. M. Alhendawi a tout de même noté que cette perspective ne semble pas être destinée à avoir le moindre succès, étant donné que la pression fiscale étouffe les jeunes entrepreneurs à travers le monde. Il a en outre plaidé pour qu’un soutien soit accordé aux 600 millions de jeunes qui vivent dans des zones de conflit à travers le monde.
« Comment est-il possible que le monde soit toujours aussi inégalitaire, 70 ans après la Seconde Guerre mondiale? » Cette question, posée par Mme MARGARET MAYCE, Présidente du Comité du développement social des organisations non gouvernementales, a suscité des applaudissements nourris de la salle. Mme Mayce a en outre fait part du « ras le bol » et de la lassitude que ressent la société civile, qui présente aux dirigeants, inlassablement, les mêmes préoccupations des populations dont elle est mandataire. Elle a notamment relevé que les discours politiques sont les mêmes: la communauté internationale reconnaît ce qui ne marche pas et indique la voie à suivre. Mais ensuite, peu d’actions concrètes sont entreprises.
Débat interactif
Prenant la parole au cours des échanges, M. JUAN SOMAVIA, Conseiller spécial du Secrétaire général pour la coopération interrégionale sur les politiques, intervenant par vidéoconférence, a affirmé que malgré l’engouement suscité par le Sommet de Copenhague, la communauté internationale a plutôt ramé à contre-courant en favorisant des politiques économiques valorisant le capital et détruisant les emplois. Il a été établi que cette approche ne favorise pas l’inclusion sociale et aggrave la marginalisation, a-t-il relevé. Il a ajouté qu’il est impossible de parler de développement social sans la promotion d’emplois décents.
Dans cette perspective de la création d’emplois, le représentant du Nigéria a fait part de sa surprise de constater que l’on parle chaque fois de création « d’emplois décents », sans pour autant préciser comment cela se ferait, et quels seraient les secteurs concernés en tenant compte des spécificités des différentes régions. Il a demandé si le développement social ne pourrait pas d’abord nécessiter un développement économique, au lieu du contraire, comme semblent le promouvoir la plupart des intervenants.
Le représentant de la Chine a fait savoir que l’élimination de la pauvreté passe, obligatoirement, par la création des richesses. C’est une tâche qui incombe en premier lieu aux gouvernements, à travers des politiques et des stratégies appropriées.
M. DANILO TÜRK, du Club de Madrid, a appelé à relativiser les succès de la lutte contre la pauvreté tant ressassés, soulignant ensuite qu’une étude, menée par l’université Johns Hopkins des États-Unis, a relevé que 80% des habitants de la planète vivent avec moins de 10 dollars par jour.
Le représentant d’une organisation non gouvernementale (ONG) basée à New York a regretté que l’on parle chaque fois de la participation des jeunes, alors que rien n’est fait de manière concrète pour la promouvoir.
Le Ministre de la jeunesse, de l’emploi et de la formation professionnelle du Burkina Faso a abondé dans la même veine en affirmant que les jeunes n’ont plus tellement envie d’entendre des discours, mais qu’ils attendent plutôt des réalisations concrètes.
Le représentant du Chili a ensuite demandé comment développer une solidarité structurelle entre pays pour avoir un niveau d’inclusion sociale similaire à travers le monde.
M. MONTIEL, Sous-Secrétaire général chargé du développement économique, a réagi en notant que la solidarité internationale et la coopération peuvent effectivement jouer un rôle important pour la promotion du développement social. Il a ajouté que la bonne gouvernance est également un atout majeur du développement social, car les biens publics, quand ils sont bien gérés, servent davantage à la résolution des problèmes sociaux. Il a déploré, dans ce contexte, que 16 milliards de dollars quittent chaque année le continent africain par des voies illicites, mais cependant bien connues.
M. KAMAU, Cofacilitateur des négociations intergouvernementales pour l’élaboration du programme de développement pour l’après-2015, a interpellé l’assistance en demandant à qui profite la croissance mondiale. Il a expliqué que « les jeunes semblent ne pas en être les bénéficiaires, les femmes se disent exclues, les personnes âgées sont marginalisées, et la classe moyenne se plaint de sa déchéance économique ». « À qui profite donc la croissance? » a-t-il de nouveau demandé, avant de préciser que la solution pour un développement durable viendrait de la prise en compte des « 3P », à savoir la planète, les populations et la prospérité. Il a indiqué que le développement durable passe par le respect de la planète et la prospérité des populations, ajoutant aussi que la solidarité est de mise, car nous n’avons qu’une seule planète.
Débat général
Thème prioritaire: « Repenser et renforcer le développement social dans le monde contemporain »
La Commission a poursuivi, cet après-midi, son débat général entamé hier, en écoutant d’entrée le représentant du Mozambique, qui s’exprimait au nom du Groupe des États africains. Le représentant a relevé que l’éradication de la pauvreté est le principal défi posé au monde. Il a plaidé pour que les priorités des pays africains soient prises en compte dans le programme de développement pour l’après-2015. Il a par ailleurs relevé que les inégalités ne cessent d’augmenter en Afrique, notamment celle relative aux revenus qui se justifie, en partie, par la place prépondérante du secteur informel dans le tissu économique des pays africains. Il a en outre indiqué que le continent a mis en place le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), qui se présente comme la plateforme de développement du continent, appelant de ce fait la communauté internationale à apporter le soutien nécessaire pour sa mise en œuvre.
Après cette intervention, un certain nombre d’États Membres se sont exprimés en leur capacité nationale pour expliquer l’approche qu’ils ont respectivement adoptée en matière de développement social. Il ressort de leurs interventions que la lutte contre la pauvreté doit rester au centre des débats et des programmes internationaux relatifs au développement. De nombreux délégués ont relevé que la pauvreté n’est pas une fatalité, et que son éradication nécessite une œuvre collective, conduite en synergie et dans une approche de solidarité entre tous les États.
Parlant de leur expérience nationale, certains participants au débat ont souligné que les riches doivent, à l’intérieur de chaque pays, œuvrer en faveur de l’autonomisation économique des pauvres, afin d’éviter que les tensions sociales et les conflits causés par les inégalités ne mettent en péril la stabilité sociale, ainsi que leur statut et leurs avoirs.
De nombreuses délégations d’États Membres ont, au cours de ce débat général, présenté des programmes nationaux qui permettent de renforcer l’inclusion sociale. Il a été fait mention, par exemple, de programmes établissant des versements d’allocations financières en faveur des plus démunis. Le versement de ces allocations est établi en fonction de critères clairement établis afin de soutenir prioritairement les populations les plus nécessiteuses, notamment les enfants et les femmes vivant en milieu rural, les personnes handicapées, les personnes âgées démunies, les minorités ethniques et les populations autochtones.
Dans la perspective de renforcer l’inclusion sociale et de promouvoir le développement social, de nombreux intervenants ont aussi mis l’accent sur l’importance de dispenser aux populations, notamment aux jeunes, une éducation et une formation qui soient de bonne qualité. Ceci apparaît, ont noté des délégués, comme le préalable à la promotion d’une politique de plein emploi. Dans ce contexte, des intervenants ont déploré le chômage ambiant, qui plombe le développement économique mondial, et ils ont rappelé que l’OIT a souligné le besoin urgent de créer 600 millions d’emplois décents.
D’autres participants ont en outre noté que la bonne gouvernance est un atout majeur dans le cadre de l’utilisation rationnelle des ressources publiques, notamment afin que les fonds nécessaires au financement des politiques sociales ne soient pas dilapidés. La bonne gouvernance, ont convenu des délégués, passe aussi par la reddition de comptes à laquelle devraient être astreints les dirigeants, et par la promotion de la participation citoyenne à la gestion des affaires publiques. Cette question a suscité de nombreux appels pour une plus grande participation des jeunes et des femmes à la vie publique et à la gestion des affaires nationales et locales.