La session 2015 du Comité spécial de la Charte marquée par des divergences de vue sur la pertinence de son ordre du jour et l’efficacité de ses travaux
Le Comité spécial de la Charte des Nations Unies et du raffermissement du rôle de l’Organisation a ouvert, ce matin, les travaux de sa session annuelle, qui se tient jusqu’au 25 février, entamant un débat général qui a mis en évidence des divergences de vue sur la pertinence de l’examen de certaines questions par le Comité et sur ses méthodes de travail.
Après l’élection d’un nouveau Président, M. Odo Tevi, du Vanuatu, qui remplace à ce poste M. Marcel Van den Bogaard, des Pays-Bas, le Comité spécial a adopté son ordre du jour* ainsi que son projet de programme de travail provisoire.
Au titre des nouveaux sujets à discuter par le Comité spécial, le Président a attiré l’attention des délégations sur les deux documents de réflexion qui portent respectivement sur le renforcement des relations et de la coopération entre l’ONU et les organisations ou mécanismes à vocation régionale en matière de règlement pacifique des différends**, présenté par le Ghana, et sur la proposition du Mouvement des non-alignés sur le règlement pacifique des différends et l’impact sur le maintien de la paix***, présenté par la République islamique d’Iran, au nom du Mouvement.
Lors du débat, auquel ont pris part une quinzaine de pays, les délégations ont réitéré leur attachement au Comité spécial et à son mandat de promotion de la Charte des Nations Unies. Elles estiment que le processus de réforme des Nations Unies est en premier lieu du ressort du Comité spécial et que cela inclus, selon la plupart d’entre elles, la démocratisation de ses principaux organes, en particulier du Conseil de sécurité, et le renforcement du rôle de l’Assemblée générale en tant qu’unique organe représentatif de tous les États Membres.
Les pays du Mouvement des non-alignés sont particulièrement préoccupés par l’empiètement de la part du Conseil de sécurité sur les prérogatives de l’Assemblée générale et du Conseil économique et social (ECOSOC), et considèrent qu’il revient au Comité spécial de la Charte de remédier à ce type de situation.
Pour Cuba, le Comité spécial reste l’espace idoine pour faire des recommandations visant le respect de la Charte. Ce pays a dénoncé l’attitude de certaines délégations qui visent à entraver les travaux du Comité spécial, empêchant notamment la réforme du Conseil de sécurité à ce jour et l’adoption d’une convention globale sur le terrorisme.
Rejoignant ce propos, le Groupe des États d’Afrique, par la voix du représentant de l’Afrique du Sud, a rappelé que l’action du Comité devrait viser essentiellement à permettre à l’Organisation d’être à la hauteur de son mandat. Son travail doit contribuer à éviter que l’Organisation ne soit traitée « d’hypocrite », a-t-il averti, expliquant que cela passait en particulier par un Conseil de sécurité plus représentatif de la réalité actuelle.
Dans cet ordre d’idée, le représentant de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) a dénoncé le fait que certains membres du Conseil de sécurité se sont arrogé le droit de devenir « les gendarmes du monde » au fil des ans. Il est essentiel, selon lui, que les principes de la Charte soient scrupuleusement respectés et que l’autorité du Conseil de sécurité ne soit plus « utilisée à mauvais escient » par certains de ses membres.
Le représentant de la République arabe syrienne a également reproché au Conseil de sécurité d’aller au-delà des dispositions de la Charte sans pour autant que cela fasse l’objet d’un consensus de la part des États Membres de l’ONU. Pour sa délégation, l’Organisation ne peut s’acquitter de son rôle et préserver son intégrité que si elle se soumet à une réforme, en particulier de son Conseil de sécurité. Il a notamment dénoncé la politique du deux poids, deux mesures et de la sélectivité qui met en péril la crédibilité de l’ONU, prenant pour exemple le cas de l’occupation israélienne du Golan syrien occupé où les violations flagrantes du droit international restent sans conséquence.
Le représentant de la République de Corée a préféré revenir sur les interrogations relatives à l’efficacité des travaux du Comité spécial et a proposé de recenser les défis auxquels le Comité est confronté en vue de pouvoir y remédier et de galvaniser et optimiser l’utilisation des ressources disponibles en adoptant un nouveau calendrier.
D’autres, comme les membres de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), ont attribué l’inefficacité du Comité spécial au manque de volonté politique de certains États Membres et ont demandé au Comité d’envisager des mesures pour sortir de l’impasse actuelle en vue de lui permettre d’optimiser ses travaux et de réviser ses méthodes de travail actuelles.
La déléguée de l’Union européenne, qui encourage la révision des méthodes de travail du Comité spécial, a suggéré de revoir la pertinence de certains points inscrits à son ordre du jour. Partageant cet avis, le représentant des États-Unis a fait valoir que bon nombre de ces points sont actuellement examinés par d’autres organes des Nations Unies, et qu’il fallait éviter les doublons dans un souci d’efficacité. Il a également proposé d’envisager des réunions biennales du Comité spécial de la Charte et des sessions plus courtes.
L’un des points de discorde de cet ordre du jour est celui relatif à la mise en œuvre des dispositions de la Charte relatives à l’assistance aux États tiers touchés par l’application de sanctions au sein du Comité, puisque les délégations sont divisées quant à l’intérêt de continuer à le débattre au sein du Comité spécial.
S’il s’agit en effet d’une question préventive, et même si aucun État n’a demandé au Comité une telle assistance depuis 2003, comme l’indique le Secrétaire général dans le rapport**** qu’il a transmis sur ce sujet, son examen par le Comité reste « une priorité » pour la CELAC, a souligné, en son nom, le représentant de l’Équateur. Ce point de vue a été vivement soutenu par la Malaisie et le Venezuela.
Pour le représentant de la Fédération de Russie, le fait qu’aucun État tiers affecté par des sanctions n’ait demandé d’assistance depuis 2003, ne signifie pas que ces États ne risquent pas de faire face à des problèmes. Il s’agit d’une approche préventive, selon la délégation russe.
Pour les membres du Mouvement des non-alignés, appuyé par le Maroc et la Tunisie, l’imposition de sanctions par le Conseil de sécurité reste un problème. Ainsi le représentant de la République islamique d’Iran, qui s’exprimait au nom du Mouvement, a affirmé qu’elles devaient être un instrument de dernier recours et uniquement lorsque la paix et la sécurité internationales sont menacées. Il ne faut pas qu’elles deviennent des mesures préventives à chaque fois qu’il y a violation du droit et des normes internationales. Par conséquent, il estime que les régimes de sanctions doivent avoir des objectifs clairement définis et que leur imposition doit avoir une durée limitée dans le temps.
La Tunisie a observé que les délibérations sur cette question étaient loin d’être épuisées et qu’il faudrait se pencher sur les éventuelles indemnisations de l’État visé ou des États tiers pour les dommages causés par les sanctions. De son côté, le représentant de la Chine a proposé de réfléchir à un mécanisme d’évaluation de l’impact des sanctions sur les États tiers.
S’opposant à cet avis, les délégations des États-Unis et de l’Union européenne ont jugé que les sanctions restaient des instruments utiles au maintien de la paix et de la sécurité internationales. Elles ont fait valoir que l’impact des régimes de sanctions sur les populations civiles et les pays tiers était désormais limité puisqu’on a évolué de sanctions globales vers des sanctions ciblées.
Ainsi, ces délégations penchent en faveur de l’idée de retirer ce point de l’ordre du jour du Comité spécial, et, en attendant de parvenir à un consensus, proposent qu’il soit examiné tous les trois ans, un avis partagé par la délégation ukrainienne, laquelle constate qu’il ne s’agit plus d’une question prioritaire.
En fin de séance, les représentants de la RPDC, d’Israël, de la Syrie et de la République de Corée ont exercé leur droit de réponse.
Le Comité a également élu, ce matin, deux Vice-Présidents: M. Alejandro Sousa, du Mexique, au nom du Groupe d’Amérique latine et des Caraïbes; et M. Idrees Mohammed Ali Mohammed Saeed, du Soudan, au nom du Groupe des États d’Afrique. Le Groupe d’Europe occidentale et autres États a indiqué qu’il n’était pas en mesure de présenter une candidature à la vice-présidence aujourd’hui. M. Sebastian Rogac, de la Croatie, a, pour sa part, été Élu au poste de Rapporteur.
La prochaine séance publique du Comité spécial de la Charte aura lieu demain.
* A/AC.182/L.136; ** A/AC.182/L.137; *** A/AC.182/L.138; **** A/69/119; ***** A/69/33