En cours au Siège de l'ONU

Commission de consolidation de la paix - Session annuelle 2015,
1re séance - matin et après-midi
CCP/106

La Commission de consolidation de la paix dénonce des financements « imprévisibles, inadéquats et fragmentés » qui compromettent le redressement des pays postconflit

La Commission de consolidation de la paix (CCP) a tenu aujourd’hui sa session annuelle sur le thème « un financement prévisible: briser les cloisonnements ».  Les États en ont profité pour dénoncer, dans une déclaration qui a couronné les tables rondes, des financements « imprévisibles, inadéquats et fragmentés » qui compromettent le redressement du Burundi, de la Guinée, de la Guinée-Bissau, du Libéria, de la République centrafricaine et de la Sierre Leone, inscrits à l’ordre du jour de la CCP. 

Le Vice-Secrétaire général de l’ONU, M. Jan Eliasson, a dressé un diagnostic sans appel: la consolidation de la paix est sous-financée, les mécanismes de financement sont fragmentés, les activités dans les pays postconflit éparpillées et les institutions fiscales manquantes.  Il a dénoncé le fait que dans les six pays inscrits à l’ordre du jour de la CCP, seuls 7% de l’aide publique au développement (APD) vont aux secteurs du renforcement des institutions politique, judiciaires et de sécurité, « essentiels » à la consolidation de la paix.

M. Eliasson a déploré, entre les entités des Nations Unies, un manque de coordination, une course à l’argent et un sous-financement des activités stratégiques.  Il a dit avoir vu dans les pays postconflit des activités éparpillées, des fonds distincts et de multitudes de plans dessinés par les gouvernements, le système de l’ONU et autres acteurs mais aussi l’absence d’institutions fiscales, sans compter un environnement favorable à l’évasion fiscale, à la corruption et aux flux illicites d’argent.  L’important n’est pas le montant mais la manière dont ce montant est géré, a en effet commenté le Président de la Banque africaine de développement (BAD), M. Donald Kaberuka, qui intervenait par visioconférence à partir de Kigali. 

Le Président de la CCP, M. Olof Skoog de la Suède, a invité les États à identifier des voies innovantes de financement, en prévision de la troisième Conférence internationale sur le financement du développement prévue en juillet à Addis-Abeba en Éthiopie.  Sa Ministre des affaires étrangères, Mme Margot Wallström, qui a fait le résumé des tables rondes, a proposé, par souci d’efficacité, d’étaler les promesses de contributions au Fonds pour la consolidation de la paix sur plusieurs années, afin de permettre à ce dernier de tirer parti de ses avantages comparatifs, dont le soutien rapide aux pays sortant de conflit, la coordination des entités de l’ONU et la prise de risques.

La mobilisation des ressources ne consiste pas seulement à lever des fonds, a commenté le Président du Conseil de sécurité, M. Ramlam Bin Ibrahim de la Malaisie.  Pour lui, elle consiste surtout à élargir et à « fidéliser » la base des donateurs traditionnels et des nouveaux donateurs bilatéraux et multilatéraux.  Des efforts doivent aussi être faits, a-t-il ajouté, pour développer les capacités de génération de revenus dans les pays postconflit.  Ce serait, a-t-il dit, une étape importante pour renforcer leur gouvernance et leur résilience et prévenir le retour du conflit.  Ce serait aussi le moyen de responsabiliser et de légitimer leurs gouvernements.

L’examen décennal de l’architecture de la consolidation de la paix, prévue cette année, ainsi que le rapport du Groupe indépendant de haut niveau sur les opérations de paix et l’étude globale sur la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité, devraient offrir une bonne base pour examiner le rôle et la contribution des Nations Unies dans la consolidation de la paix, a estimé le Président de l’Assemblée générale, M. Sam Kutesa. 

La session annuelle de la Commission a coïncidé avec la Journée de la consolidation de la paix.

Déclarations

M. OLOF SKOOG, Président de la Commission de la consolidation de la paix (CCP), a indiqué qu’en ce moment, le monde compte un record historique de déplacés, avec pas moins de 60 millions de personnes qui ont dû fuir les conflits, dont une majorité d’enfants.  Cette crise des réfugiés vient nous rappeler que la vision, contenue dans la Charte des Nations Unies, d’un monde en paix, n’est pas encore réalisée.  Le Président a relevé que pour mener à bien son rôle qui est de prévenir la reprise des conflits dans les pays qui en sortent, la CCP a besoin de financements « prévisibles et cohérents ».  Aujourd’hui, la réunion, qui a pour thème « Un financement prévisible pour la consolidation de la paix: Briser les cloisonnements », a pour but, entre autres, d’identifier des voies innovantes de financement, en prévision de la troisième Conférence internationale sur le financement du développement prévue en juillet à Addis-Abeba en Éthiopie.

Il faut espérer, a dit en écho le Vice-Secrétaire général de l’ONU, M. JAN ELIASSON, que le Groupe consultatif d’experts sur l’examen de l’architecture de la consolidation de la paix, qui présentera, la semaine prochaine, son rapport à l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité nous guidera vers une plus grande prévisibilité en matière de financement et la manière de relever « les défis systémiques ».  La consolidation de la paix est sous-financée, a insisté M. Jan Eliasson.  Sur 31 pays postconflit, les secteurs « essentiels » du renforcement des institutions politique, judiciaires et de sécurité ont reçu moins de 10% de l’aide publique au développement (APD) entre 2002 et 2013.  Dans les six pays inscrits à l’ordre du jour de la CCP, seuls 7% de l’APD ont été consacrés à ces secteurs qui ne sont d’ailleurs pas couverts par les budgets des missions créées par le Conseil de sécurité.

Mettre en place des institutions qui sont la colonne vertébrale d’une paix durable peut prendre toute une génération, ce qui veut dire que les ressources politiques, techniques et financières doivent être maintenues sur le long terme.  C’est ici que la CCP et le Fonds pour la consolidation de la paix peuvent jouer un rôle, a dit le Vice-Secrétaire général.  Oui, a-t-il insisté, il est essentiel de dépenser plus pour prévenir les conflits violents et investir dans la consolidation de la paix.  Nous ne connaissons que trop le coût des conflits.  Cessons « les économies de bout de chandelle ».

Le Vice-Secrétaire général a aussi souligné la question de la fragmentation des mécanismes de financement.  Le développement, la sécurité, les droits de l’homme et les activités humanitaires sont généralement financés par des budgets différents aux procédures distinctes, ce qui est « un problème fondamental » contribuant à l’imprévisibilité des engagements financiers et tout simplement à un sous-financement dangereux et persistant.  Cette fragmentation est aussi « évidente », a-t-il reconnu, au sein des Nations Unies où les diverses entités ne se coordonnent pas suffisamment, se livrent à une course à l’argent et en manquent pour des activités stratégiques.  En la matière, a estimé le Vice-Secrétaire général, le Fonds pour la consolidation de la paix a joué un rôle positif.

M. Eliasson a ensuite souligné que la fragmentation chez les donateurs se reflète chez les récipiendaires.  Les activités éparpillées, les fonds distincts et la multitude des plans dessinés par les gouvernements, le système de l’ONU et autres acteurs ne contribuent ni à la cohérence ni à des objectifs clairs, a-t-il martelé.  Il a cité le travail exemplaire du mécanisme pour la reconstruction et le développement de la Somalie pour dire que ce lien direct à une stratégie menée par un gouvernement est « fondamental ».  La consolidation de la paix est par nature politique, elle doit donc s’ancrer dans des accords, stratégies et processus nationaux et inclusifs.

Enfin, M. Eliasson a rappeler que les pays postconflit n’ont pas généralement les institutions fiscales et d’état de droit nécessaires pour mobiliser des ressources nationales, sans compter l’environnement favorable à l’évasion fiscale, à la corruption et aux flux illicites d’argent.  Les investissements de la communauté internationale dans le renforcement des capacités sont encore plus « cruciaux ».

Les solutions à la fragmentation des fonds et des interventions doivent tenir compte de la situation propre de chaque pays postconflit, a estimé M. DONALD KABERUKA, Président de la Banque africaine de développement (BAD), qui est intervenu par visioconférence de Kigali.  La première chose à faire après la guerre est d’aider le pays à régler sa dette extérieure, la renégociation des termes de la dette étant un processus « long et pénible » qui peut prendre trois ans comme au Libéria.

Il faut aussi, a-t-il poursuivi, aider le pays à reconstruire ses infrastructures et, là, la lenteur des procédures administratives de versement des fonds chez les donateurs peut apparaître comme une éternité pour des populations qui souffrent et qui ont un besoin urgent d’infrastructures.  La BAD, a affirmé son Président, s’évertue à apporter une aide urgente aux pays postconflit, tout en insistant sur la bonne gouvernance dans le processus de redressement.  La BAD a débloqué d’urgence pour les pays affectés par le virus Ebola une somme de 60 millions de dollars qui est parvenue aux destinataires en seulement trois semaines de procédure.  Mais, a souligné le Président, l’important est moins le montant que la manière dont il est géré. 

Les financements extérieurs ne sont qu’un élément de départ.  Toute la responsabilité repose sur les épaules des pays.  C’est le secteur privé qui doit être au cœur des efforts de reconstruction, car ce sont les investisseurs privés qui sont le plus susceptibles de prendre des « risques » et de créer finalement des emplois qui conduisent à la stabilisation du système économique et ouvrent la voie vers une paix durable.  Le Président de la BAD a reconnu que le plus grand obstacle à la reconstruction est la peur du risque chez les investisseurs.

Le Vice-Secrétaire général de l’ONU a souhaité que la troisième Conférence sur le financement du développement trouve des réponses à la question du financement des pays postconflit et de la consolidation de la paix.  En septembre, les États pourront ainsi adopter le programme de développement pour l’après-2015 avec les moyens de le mettre en œuvre. 

Le Vice-Secrétaire général a aussi espéré que les discussions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité sur les opérations de maintien de la paix et l’architecture de la consolidation de la paix s’attarderont sur la question du financement.  Il faut faire reposer le Fonds pour la consolidation de la paix sur un socle solide.  Ce Fonds a un rôle « précieux » à jouer comme fonds commun réunissant les aspects politiques, sécuritaires et de développement de la consolidation de la paix.  Sa petite taille est un grave obstacle, a insisté le Vice-Secrétaire général.

Les défis des pays postconflit seront dûment pris en compte dans le programme de développement pour l’après-2015, a assuré M. SAM KAHAMBA KUTESA, Président de l’Assemblée générale.  L’examen décennal de l’architecture de la consolidation de la paix est l’occasion, a-t-il estimé, de tirer les enseignements de l’expérience et de voir ce qu’il faut pour renforcer notre approche collective, y compris un financement prévisible.  Le rapport du Groupe indépendant de haut niveau sur les opérations de paix, tout comme l’étude globale sur la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité, devraient, a-t-il poursuivi, permettre aux États et autres parties prenantes de nourrir leurs débats.  Ces trois rapports vont offrir une base importante pour examiner le rôle et la contribution des Nations Unies dans la consolidation de la paix, a-t-il insisté.   

En attendant cet examen, M. RAMLAM BIN IBRAHIM (Malaisie), Président du Conseil de sécurité, a d’emblée estimé que la mobilisation des ressources ne consiste pas seulement à lever des fonds mais aussi à élargir et à « fidéliser » les donateurs traditionnels et les nouveaux donateurs bilatéraux et multilatéraux.  Des efforts doivent aussi être faits pour développer les capacités nationales de génération de revenus dans les pays postconflit.  Ce serait une étape importante pour renforcer leur gouvernance et leur résilience et prévenir le retour du conflit.  Ce serait aussi le moyen de responsabiliser et de légitimer les gouvernements.

Le financement du renforcement des capacités sécuritaires et judiciaires, a aussi estimé le Président, doit aussi être étroitement lié aux accords politiques et cela n’est possible que si les mécanismes de financement peuvent être politiquement guidés et étroitement alignés avec les stratégies politiques nationales et internationales.  L’argent manque souvent quand une mission de maintien de la paix se retire, et c’est là que la CCP peut permettre de catalyser et de pérenniser les engagements financiers internationaux.  Les énormes investissements dans les opérations de maintien de la paix seraient mieux protégés s’ils pouvaient s’appuyer sur l’engagement de financer et de consolider les institutions essentielles et les processus politiques, au-delà du temps de vie desdites opérations.

Le Président a aussi souligné l’importance de stratégies cohérentes et intégrées pour promouvoir la cohésion sociale et le développement durable dans les pays postconflit.  Il a plaidé pour davantage de contributions au Fonds pour la consolidation de la paix, avant de plaider aussi pour une plus grande efficacité de l’aide, y compris par une meilleure utilisation des systèmes nationaux et par des formes de financement inclusives, minimisant les risques de conflit et les impacts social et environnemental négatifs, contribuant aux revenus domestiques et ciblant les capacités de lutte contre la corruption et les flux financiers illicites. 

Il faut, a conclu le Président du Conseil de sécurité, explorer de nouveaux mécanismes adaptés aux besoins des pays postconflit.  Ces mécanismes doivent supporter les risques, contribuer à établir des partenariats entre les secteurs public et le privé et canaliser l’aide vers le renforcements des capacités humaines et institutionnelles pour booster les finances publiques et l’investissement privé. 

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