Sixième Commission: L’application de la compétence universelle doit se faire de bonne foi, sans abus ni politisation
La Sixième Commission (Commission des questions juridiques) a examiné, aujourd’hui, la question de la portée et l’application du principe de compétence universelle, principe qui, pour la plupart des délégations, demeure un outil fondamental pour combattre l’impunité et renforcer la justice internationale, mais qui doit aussi être utilisé de bonne foi et dans le respect d’autres principes du droit international.
La Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC) voit dans la compétence universelle une institution du droit international de caractère exceptionnel, dont l’application permet de lutter contre l’impunité et de renforcer la justice. Pour le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), la compétence universelle constitue un outil central pour assurer la prévention et garantir la répression de violations graves du droit international humanitaire: si des personnes ayant commis des violations graves se trouvent sur le territoire d’un État, celui-ci a l’obligation légale de les poursuivre. Le CICR a d’ailleurs identifié plus d’une centaine d’États qui ont établi ou prévu une forme de compétence universelle au niveau national pour les crimes de guerre, parfois en limitant l’exercice au niveau de leur territoire, parfois en le permettant même lorsque les crimes sont commis à l’extérieur de leurs frontières.
Plusieurs délégations ont toutefois rappelé la complexité de la question étudiée. Ainsi, pour la République islamique d’Iran, le principe de compétence universelle doit être bien distingué de l’obligation d’extrader ou de poursuivre, mais aussi des obligations de poursuivre qui découlent de l’adhésion à certains traités internationaux. Et l’un des problèmes principaux avec la compétence universelle est que son application vient parfois contrevenir à des principes fondamentaux du droit international, comme celui d’immunité de juridiction pénale étrangère des représentants de l’État, lequel émane directement du principe d’égalité souveraine des États.
À cet égard, de nombreux pays, dont la Chine et le Groupe des États d’Afrique, ont rappelé que la compétence universelle devait respecter les principes d’égalité souveraine des États, la non-ingérence dans les affaires intérieures, mais aussi les immunités de juridiction dont bénéficient les représentants des États, et notamment les chefs d’État et de gouvernement.
Singapour a rappelé que la légitimité et la crédibilité de la compétence universelle dépendaient de son application, qui doit être complémentaire à celle des juridictions nationales concernées et exercée de façon non arbitraire et non sélective. Elle doit aussi être de bonne foi, comme l’ont dit le groupe CANZ, la République islamique d’Iran, le Viet Nam, l’Algérie ou encore le Saint-Siège.
Cela signifie que l’application de la compétence universelle ne doit pas être politisée ni abusive, ont prévenu de nombreux États Membres. L’abus de la compétence universelle est un sujet de préoccupation pour les pays d’Afrique, dont le Kenya et l’Algérie, laquelle a rappelé que, depuis sa création, les activités de la Cour pénale internationale s’étaient concentrées sur l’Afrique, suscitant un sentiment d’abus à l’origine du Sommet de l’Union africaine tenu, en 2013, à Addis-Abeba. Le Groupe des États d’Afrique a rappelé que la Cour internationale de Justice avait réaffirmé le principe absolu de l’immunité des chefs d’États.
Plusieurs États, dont la Fédération de Russie, ont relevé des divergences persistantes entre États sur la question de la compétence universelle. La CELAC a suggéré que la Commission débatte désormais de lignes directrices pour l’application de la compétence universelle, sur la base des discussions qui ont déjà eu lieu, mais de nombreuses autres délégations, y compris le Mouvement des pays non alignés, ont appelé à la poursuite des discussions. La Communauté des Caraïbes (CARICOM) a demandé que soit menée une étude juridique pour donner un cadre solide aux discussions futures sur cette question importante. La compétence universelle étant une question éminemment juridique, elle devrait être traitée comme telle et il faudrait donc en saisir la Commission du droit international, ont estimé des délégations aussi variées que la République tchèque, le Guatemala, le Viet Nam, le Liban ou encore la Suisse.
Sans s’opposer à la poursuite des débats au sein de la Sixième Commission, la Fédération de Russie a estimé qu’il faudrait parvenir à savoir si elle peut mettre en place une démarche unifiée autour de la notion de compétence universelle. Quant au Bélarus, il a demandé que l’examen de la question soit suspendu pour deux ans.
La Sixième Commission reprendra ses travaux le jeudi 22 octobre, à 10 heures, par l’examen rapport du Comité spécial sur la Charte des Nations Unies et du raffermissement du rôle de l'Organisation.
PORTÉE ET APPLICATION DU PRINCIPE DE COMPÉTENCE UNIVERSELLE (A/70/125)
Déclarations
M. GHOLAMHOSSEIN DEHGHANI (République islamique d’Iran), au nom du Mouvement des pays non alignés, a relevé l’existence de questions et des controverses concernant la compétence universelle. Il s’est déclaré convaincu que les principes de la Charte devaient être respectés lors de toute procédure judiciaire. Le Mouvement des pays non alignés est préoccupé par l’élargissement des crimes couverts par la compétence universelle. Pour le représentant, dans les cas où de hauts représentants de l’État violent le droit international, l’immunité doit être pleinement respectée. Il faut veiller à ne pas aller trop loin concernant les crimes couverts par la compétence universelle, a ajouté M. Dehghani. Le Mouvement des pays non alignés encourage les États Membres à participer aux délibérations concernant la compétence universelle.
M. AGUSTÍN FORNELL (Équateur), au nom de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes - CELAC), a dressé un historique des travaux du Groupe de travail sur la compétence universelle et rappelé que des discussions avaient eu lieu en 2011, 2012 et 2013, d’où était sortie une feuille de route. Grâce à ses efforts, le dialogue a pu avancer, a estimé le représentant, qui a rappelé que le Groupe de travail avait exploré plusieurs points communs d’accord sur la portée et application de la compétence universelle, ainsi que d’autres qui pourraient nécessiter davantage de discussions. La CELAC estime que la Commission devrait désormais débattre des lignes directrices pour l’application de la compétence universelle, sur la base des discussions qui ont déjà eu lieu.
À cet égard, la CELAC rappelle que la compétence universelle est une institution du droit international au caractère exceptionnel, dont l’application permet de lutter contre l’impunité et de renforcer la justice. Le droit international définit la portée et l’application de la compétence universelle et permet aux États de l’exercer de manière complémentaire à la juridiction nationale normalement compétente. La CELAC trouve très productif que plusieurs délégations aient voulu distinguer la compétence universelle de celle des tribunaux pénaux internationaux ou encore de l’obligation d’extrader ou de poursuivre « aut dedere aut judicare ».
M. KINGSLEY MAMABOLO (Afrique du Sud), au nom du Groupe des États d’Afrique, a déclaré l’abus du principe de compétence universelle à l’encontre de représentants africains avait été la cause de la demande par le Groupe des États d’Afrique de l’inscription du point relatif à l’examen de la portée et application du principe de la compétence universelle au Programme de l’Assemblée générale. Le principe de la compétence universelle est bien établi en droit international et le Groupe des États d’Afrique le respecte, a poursuivi M. Mamabolo. Il a rappelé que c’est le représentant du Rwanda qui avait introduit, en 2009, un projet de résolution sur cette question.
Les États d’Afrique reconnaissent que la compétence universelle est un principe de droit universel qui permet de s’assurer que ceux qui ont commis des crimes seront jugés. Les auteurs de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et actes de génocide ne doivent pas bénéficier de l’immunité et doivent être jugés. Toutefois, le Groupe des États d’Afrique rappelle qu’il est important de respecter d’autres normes de droit international dans l’application de la compétence universelle, notamment l’égalité souveraine des États, la compétence territoriale et les immunités des représentants de l’État. Le représentant a rappelé que la Cour internationale de Justice (CIJ) avait réaffirmé le principe absolu de l’immunité des chefs d’États et a dénoncé l’abus du recours à la compétence universelle par des tribunaux d’États non africains à l’encontre de dirigeants africains.
Mme LIZANNE ACHING (Trinité-et-Tobago), au nom de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), a rappelé que de nombreux États avaient exprimé de l’inquiétude face à la question de la compétence universelle. La CARICOM demande que soit menée une étude juridique pour donner un cadre solide aux discussions futures sur cette question importante. La CARICOM répète que la crédibilité de l’application de la compétence universelle sera assurée lorsque son application judiciaire sera conforme au droit international. Elle estime que l’exercice de la compétence universelle offre une base supplémentaire pour assurer la reddition de compte, en abordant la question de l’impunité et le renforcement des systèmes judiciaires internationaux. La CARICOM réitère que, conformément aux principes fondamentaux de la complémentarité, la compétence universelle ne peut être évoquée que lorsque les États qui devraient assurer leur juridiction ne sont pas en mesure de le faire ou ne veulent pas enquêter sur les auteurs présumés des crimes. Les tribunaux nationaux de l’État ont ainsi la responsabilité première de mener des enquêtes et de poursuivre les crimes qui auraient été commis par les ressortissants de cet État, sur son territoire ou dans d’autres lieux relevant de sa juridiction. La CARICOM souligne l’importance de définir clairement les circonstances dans lesquelles il serait approprié d’exercer la compétence universelle. La CARICOM maintient que l’application de la compétence universelle est nécessaire et justifiable dans les cas où les crimes commis affectent la communauté internationale et que les systèmes nationaux de justice concernés permettent à leurs auteurs de continuer d’agir en toute impunité, ainsi que dans les cas de crime d’atrocité de masse.
Mme CAROLYN SCHWALGER (Nouvelle Zélande), au nom du groupe CANZ (Canada, Australie et Nouvelle-Zélande), a rappelé que le principe de compétence universelle est établi de longue date. C’est une base juridique pour les États en cas de crime grave. Peu importe le lieu, la personne et le lien qui existe entre qui a commis le crime et la raison. Conscients de cela, les pays du groupe CANZ insistent sur la nécessité d’appliquer la compétence universelle, tout en respectant le droit international et l’égalité devant la loi et l’obligation de procès équitable. La compétence universelle doit s’appliquer de bonne foi.
La responsabilité première de poursuivre incombe à l’État dans lequel le crime a été commis, a rappelé Mme Schwalger. Le principe de compétence universelle permet de mener une enquête si le ou les États concernés au premier chef ne sont pas en mesure de le faire. Ce principe ne peut s’appliquer qu’en cas de crime grave: génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, esclavage, piraterie, torture. Une critique répétée à l’encontre de la compétence universelle est qu’elle pourrait être utilisée par certains États pour saper l’immunité des représentants de l’État ou la souveraineté des États, a estimé la représentante, qui a rappelé le rôle complémentaire de la compétence universelle. Il est également important de ne pas confondre la compétence universelle avec d’autres principes du droit international, notamment l’obligation d’extrader ou de poursuivre, a encore rappelé la représentante. Ce dernier principe, a-t-elle ajouté, ne fournit pas en soi une base permettant de définir la juridiction compétente.
M. GUSTAVO MEZA-CUADRA VELASQUEZ (Pérou) a rappelé la portée et l’application actuelles du concept de la compétence universelle, ajoutant qu’elles devaient toujours être conformes aux principes de la Charte des Nations Unies. Il a déploré l’augmentation des crimes de masse ces dernières années ainsi que l’impunité de leurs auteurs et a demandé que des progrès soient réalisés dans les discussions sur la définition de la compétence universelle, sa portée et son application. Il a réitéré la nécessité d’établir des critères pour l’application de la compétence universelle, notamment la prise en compte des points de vue des victimes des crimes de masse et autres crimes.
Mme DANIELLE YEOW PING LIN (Singapour) a souligné que certains crimes sont tellement graves que la communauté internationale tout entière s’en trouve concernée, ce qui autorise les juridictions de tous les États à poursuivre leurs auteurs. Elle a constaté que, lorsque l’application du principe n’est pas contestée, l’appréciation varie en fonction des États. Par ailleurs, la légitimité et la crédibilité de la compétence universelle dépendent de son application, qui doit être complémentaire à celle des juridictions nationales concernées et exercée de façon non arbitraire et non sélective. En outre, ni la portée ni l’application de la compétence universelle ne doivent avoir de définition floue.
Mme TANIERIS DIEGUEZ LAO (Cuba) a déclaré que la portée et l’application de la compétence universelle devaient être débattues au niveau de l’Assemblée générale. La représentante s’est dite préoccupée de l’application sélective de la compétence universelle à l’encontre des ressortissants de pays en développement. L’objectif du travail de l’Assemblée générale sur cette question est d’établir des principes, notamment pour réaffirmer l’égalité souveraine et l’indépendance politique des États, ainsi que la non-ingérence dans les affaires intérieures des États, a affirmé la représentante, pour qui l’application de la compétence universelle doit rester limitée par la souveraineté et la compétence nationale des États. Il faut la limiter à certaines circonstances dans lesquelles il n’existe pas d’immunité. En revanche, l’immunité des chefs d’États et des fonctionnaires de haut niveau doit rester à l’écart de toute remise en question. Mme Dieguez Lao a réitéré l’appui de sa délégation au combat de la communauté internationale contre l’impunité, mais sans sélectivité.
M. DMITRY SPRESOV (Bélarus) a réitéré la position de principe de son pays: la compétence universelle ne peut être appliquée qu’en vertu du droit international, qu’il découle de traités ou soit issu du droit coutumier. Il a souligné que l’application de la compétence universelle ne doit pas se faire au détriment de l’intégrité territoriale ou de la souveraineté des États ni résulter en une ingérence dans les affaires intérieures d’un État souverain. En ce qui concerne la portée de la compétence universelle, le droit international doit définir les crimes qui tombent sous ce principe. Le représentant a énuméré les nombreux crimes qui sont concernés mais s’est opposé à tout ajout et toute application unilatérale ou imposée de la compétence universelle, y compris de manière indirecte par le biais de mécanismes d’assistance juridique mutuelle. Le Bélarus propose de reporter le point sur la portée et l’application de la compétence universelle de l’ordre du jour pour deux ans.
M. OMER DAHAB FADL MOHAMED (Soudan) a demandé des études plus approfondies du principe de la compétence universelle en ce qui concerne la définition des crimes qui tombent dans son champ d’application. Pour le Soudan, la compétence universelle doit tenir compte du droit international et des principes de la Charte des Nations Unies. Les efforts de l’Assemblée générale sur cette question doivent se porter sur la portée et les conditions d’application de la compétence universelle, dans le respect de la souveraineté des États et de leurs systèmes judiciaires. La compétence universelle doit être complémentaire du droit national. La question de la justice internationale est très compliquée en raison des différents systèmes judiciaires nationaux, a encore estimé le représentant, pour qui il ne faut pas se précipiter, mais au contraire poursuivre le dialogue sans précipitation pour éviter des définitions erronées de la compétence universelle.
Le représentant s’est, en outre, prononcé contre toute application abusive de la compétence universelle à des fins de visées politiques nationales. La compétence universelle ne doit pas être évoquée pour intervenir dans les affaires intérieures des autres États, a-t-il rappelé. L’immunité des chefs d’État ne doit pas être contestée, a-t-il également affirmé, ajoutant que l’on observait une politisation de cette question. Le Soudan rejette les mandats d’arrêt lancés contre des dirigeants politiques africains.
M. YASSER ALI AL MALIK (Qatar) a souligné que son pays avait participé à tous les efforts pour lutter contre l’impunité. Pour le Qatar, le principe de compétence universelle est un des mécanismes permettant d’établir la souveraineté du droit. Étant donné l’importance des divergences des points de vue sur cette question, le représentant a estimé qu’il fallait d’abord définir les domaines qui font l’objet d’un consensus et ceux qui font encore débat. L’exercice de la compétence universelle doit en outre se faire de bonne foi et conformément au droit international. La portée du principe doit être précisément définie. L’équilibre entre le développement de ce principe et les principes d’équité et de l’égalité souveraine des États doit être assuré. C’est la nature des crimes qui définit l’application éventuelle du principe de la compétence universelle, a-t-il affirmé. Le représentant a, en outre, rappelé que le Qatar s’est joint au mouvement demandant la non-utilisation du veto par les membres permanents du Conseil de sécurité en cas de crime de masse et d’atrocités. La poursuite des travaux sur cette question revêt une grande importance, a-t-il déclaré.
M. LUIS FERNANDO OROZCO BARRERA (Colombie) a rappelé que la compétence universelle était une notion propre à la compétence pénale et l’a comparée à une forme de compétence prescriptive. Le représentant a rappelé les cinq piliers de la compétence juridictionnelle des États: compétence territoriale, prescriptive, personnelle physique, personnelle morale et universelle. La nature de la compétence universelle est clairement résiduelle, a ajouté le représentant. En revanche, elle permet aux États de poursuivre des crimes graves tels que crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou actes de génocide commis hors de leurs frontières ainsi que les auteurs de ces crimes. Le représentant a rappelé que la compétence universelle était une option et non une obligation lorsqu’il n’y a pas de lien de nationalité dans l’affaire traitée. Elle doit se distinguer de l’exercice de la justice par les tribunaux internationaux comme la Cour pénale internationale (CPI). La compétence universelle est conforme à la Constitution de la Colombie et son application suppose le respect de toutes les garanties, comme dans toutes les procédures judiciaires nationales, a conclu le représentant.
M. MATEJ MARN (Slovénie) a souligné que le rôle et l’objectif de la compétence universelle étaient de protéger les victimes des crimes les plus odieux et d’appliquer le droit international. Un de ces objectifs est aussi de prévenir les crimes en indiquant qu’il n’y a pas de havre où les criminels pourraient se réfugier. Le représentant a reconnu le bien fondé des travaux nationaux et internationaux afin de cristalliser le principe de la compétence universelle. Il a souligné que les États avaient l’obligation de poursuivre les auteurs des crimes les plus graves.
En coopération avec l’Argentine, la Belgique et les Pays-Bas, la Slovénie entend continuer de travailler sur l’« initiative MLA ». Celle-ci consiste en négociations ouvertes sur les traités afin de mettre au point une assistance juridique mutuelle en matière d’extradition entre les États, ainsi que pour mettre en place des enquêtes nationales et assurer les poursuites en cas de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et génocide. L’« initiative MLA » a déjà reçu l’appui d’une cinquantaine d’États, a souligné le représentant, qui a rappelé l’importance pour les autorités nationales pertinentes de bien comprendre le principe de la compétence universelle. M. Marn a également souligné l’importance du réseau de l’Union européenne sur le génocide, qui doit permettre de faciliter les enquêtes sur ce type de crime par la mise en commun des informations.
Mme PETRA BENESOVA (République tchèque) a déclaré que la compétence universelle était une question juridique qui doit être traitée comme telle. Elle a proposé que la Sixième Commission saisisse la Commission du droit international (CDI) et la charge de donner une définition claire de la compétence universelle. La CDI est le lieu idoine pour le faire. Lui confier le dossier permettrait aussi de renforcer sa coopération avec la Sixième Commission. Cela aiderait, en outre, la Sixième Commission à mieux gérer son ordre du jour et lui permettrait de discuter d’autres questions, comme la lutte contre le terrorisme international.
M. ANDREAS MOTZFELD KRAVIK (Norvège) a fait observer que son pays avait adopté un nouveau code pénal, entré en vigueur cette année. Ce dernier ne donne pas de liste de crimes pour lesquels la compétence universelle doit s’appliquer, mais autorise plutôt le recours à la compétence universelle quand l’auteur présumé d’une infraction est présent sur le territoire norvégien, et que l’infraction remplit certains critères, notamment le fait qu’elle doit être punissable dans le pays où elle a été commise et punissable également d’une peine au moins égale à un an d’emprisonnement en Norvège.
Mme DAMARIS CARNAL (Suisse) a dit souhaité que le débat sur la compétence universelle puisse avancer, car elle constitue un outil efficace pour lutter contre l’impunité et permet aux juridictions nationales de jouer un rôle important dans la répression des crimes les plus graves. C’est notamment en application de ce principe qu’a pu s’ouvrir cette année le procès d’Hissène Habré qui verra, pour la première fois, un ancien Chef d’État être jugé par une juridiction africaine. La représentante a rappelé la proposition de sa délégation d’envisager l’intervention de la Commission du droit international dans l’examen de la question à l’ordre du jour. Une telle intervention est souhaitable du fait de la nature foncièrement juridique et du caractère technique du sujet en question, qui devrait être approfondi en premier lieu par des experts juridiques. Une étude juridique complète analysant l’application pratique du principe de compétence universelle fournirait une base solide pour des discussions futures constructives, a encore estimé la représentante.
M. BORIS HOLOVKA (Serbie) a noté que des questions concernant l’application de la compétence universelle restaient en suspens. Les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de génocide ne devraient jamais tomber sous le coup de la juridiction exclusive des États sur lesquels ces crimes ont été commis et sont un sujet de préoccupation pour la communauté internationale tout entière. Toutefois, la Serbie considère que, dans ces cas, les juridictions nationales peuvent jouer un rôle complémentaire aux juridictions internationales et servir d’outils utiles pour combattre l’impunité face à des violations graves du droit international humanitaire.
La pratique de la Serbie sur cette question pourrait intéresser les États Membres, a déclaré le représentant, qui a rappelé qu’une loi de 2003 avait donné aux juridictions de la Serbie compétence pour les crimes de guerre commis sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, indépendamment de la nationalité de la victime, du suspect et de la présence de ce dernier sur le territoire de la Serbie, même s’il est exact qu’il n’y a eu, à ce jour, aucun procès in absentia. Le représentant a justifié cette législation par le fait que, sur les quelque 300 000 personnes qui ont trouvé refuge en Serbie, certains avaient commis des crimes de guerre atroces. De fait, les poursuites en vertu de cette loi ont essentiellement concerné des personnes découvertes en Serbie et qui n’avaient pas fait l’objet de poursuite dans les pays voisins. Les procès menés dans ce cadre ont été suivis par la Mission de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe en Serbie et font désormais partie du suivi du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie dans le cadre de son processus d’achèvement.
En conclusion, le représentant a rappelé que l’Union européenne reconnaît l’existence d’une compétence universelle pour les crimes de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité et la considère comme bien établie tant en vertu de traités internationaux que du droit international coutumier. En outre, a-t-il rappelé, plusieurs États membres de l’Union européenne ont adopté des législations qui accordent la compétence universelle à leurs tribunaux pour de tels crimes.
M. PATRICK LUNA (Brésil) a déclaré que, si le Statut de Rome avait un caractère universel, le débat sur la compétence universelle perdrait sa pertinence. Mais nous ne sommes pas encore là, a regretté le représentant, qui a ajouté que la compétence universelle était un moyen de garantir la reddition de comptes et de renforcer la lutte contre l’impunité. Par ailleurs, l’exercice de la compétence universelle ne peut avoir lieu que dans le respect du droit international; elle ne peut être arbitraire ni servir des fins autres que la justice. À cette fin, la compétence universelle doit faire l’objet d’un accord afin d’éviter notamment toute utilisation sélective. Le Brésil se réjouit que les États s’efforcent de trouver une définition acceptable et avancer sur d’autres notions, notamment la nature des crimes qui devraient tomber sous la compétence universelle. Le Brésil estime, en revanche, prématuré d’adopter une norme internationale sur la question de l’immunité des chefs d’États.
Mme NGUYEN THI HONG QUYEN (Viet Nam) a déclaré que son pays considère la compétence universelle comme un outil important de lutte contre l’impunité. Dans le processus de réforme du nouveau code pénal national, le Viet Nam envisage d’appliquer le principe de compétence universelle à certains crimes, en accord avec les traités internationaux auxquels le pays est partie. Le Viet Nam estime que la compétence universelle doit s’appliquer conformément aux principes de non-ingérence et dans le plein respect des immunités des représentants de l’État. Elle doit, en outre, être appliquée de bonne foi. Il est important que l’auteur du crime soit présent sur le territoire de l’État qui entend appliquer la compétence universelle. Le Viet Nam note, en outre, l’existence de forts liens entre compétence universelle et d’autres concepts juridiques de droit international, comme le jus cogens. La représentante a suggéré que la Sixième Commission confie à la Commission du droit international la préparation des documents de travail sur le cadre juridique et la possibilité de mettre au point un instrument sur la compétence universelle.
Mme RACHEL OBERMAN (Israël) a déclaré que, pour réaliser la lutte contre l’impunité et prévenir toute application à mauvais escient de la compétence universelle, il était important de se mettre d’accord sur la définition de cette dernière et de parvenir à une compréhension commune de sa portée et de son application. Notant les divergences de vues des États Membres sur cette question, la représentante a encouragé la Sixième Commission à poursuivre son travail. Elle a estimé qu’il serait constructif d’explorer une notion pratique de la compétence universelle. Des limites devraient être établies dans les systèmes juridiques nationaux pour assurer un exercice responsable de la compétence universelle dans des cas exceptionnels, a ajouté Mme Oberman, pour qui la légitimité et la crédibilité de la compétence universelle dépendent énormément d’une application conforme aux principes du droit international.
M. MEHDI REMAOUN (Algérie) a insisté sur la nécessité d’une application de bonne foi de la compétence universelle, afin d’éviter tout abus et toute sélectivité. Les principes de souveraineté de l’État et les immunités des chefs d’États dans l’exercice de leur fonction doivent notamment s’appliquer. De même, la compétence universelle ne peut remplacer la primauté des tribunaux nationaux.
Le représentant a exprimé la préoccupation de son pays face à ce qu’il considère comme un abus de la compétence universelle parfois appliquée à l’encontre des États d’Afrique. Il a ainsi noté que, depuis sa création, les activités de la Cour pénale internationale s’étaient concentrées sur l’Afrique, alors qu’il existe ailleurs de nombreuses situations dans lesquelles sont commis des crimes qui pourraient relever de sa compétence. Il a rappelé, à cet égard, que ce sentiment d’abus et d’utilisation du principe de compétence universelle à des fins politiques était à l’origine du Sommet de l’Union africaine tenu, en 2013, à Addis-Abeba. Il a, en outre, souligné que les ministres du Mouvement des pays non alignés avaient demandé de s’abstenir de toute utilisation arbitraire du principe de compétence universelle. Enfin, M. Remaoun a pris note de la création du Groupe de travail de la Sixième Commission qui va continuer à mener un débat en profondeur pour déterminer la portée et l’application de la compétence universelle et s’est dit favorable à la poursuite des travaux sur la question au sein de la Commission.
M. PRZEMYSLAW SAGANEK (Pologne) a souligné les différences d’approches dans la définition du principe de juridiction universelle. Il a rappelé que l’arrêt de la Cour permanente de justice internationale (CPJI) sur l’affaire du Lotus, en 1927, différenciait deux types de juridictions universelles –territoriale ou personnelle-, indépendantes de la juridiction administrative, qui se limite au territoire d’un État.
Il a ensuite souligné la confusion qui peut intervenir entre des juridictions nationales auxquelles les États octroient des compétences universelles et les juridictions internationales, chargées de faire appliquer le droit international. Il a également mis en avant, comme facteur de confusion, le fait que les États n’octroient pas les mêmes compétences « universelles » à leurs juridictions.
Après avoir passé en revue les différents types de juridictions universelles existantes, M. Saganek a indiqué que son pays appartenait à « un groupe d’États qui ont une très large conception de la compétence universelle ». Le droit pénal polonais s’applique aux étrangers qui commettent des crimes contre les intérêts de la Pologne (compétence protectrice) ou contre ses ressortissants, hors de son territoire (compétence personnelle passive), a-t-il expliqué. Il a ensuite énuméré les quatre conditions indispensables pour que le principe de la compétence universelle des juridictions pénales polonaises prévale: que le délit soit puni d’au moins deux ans de prison par le Code pénal polonais, qu’il soit aussi un délit pénal dans l’État où il a été commis, que l’auteur du délit se trouve sur le territoire de la Pologne, et qu’il ne puisse pas être extradé.
En conclusion, il a cité l’arrêt de la Cour de justice du 20 août 2012 qui estime que le meilleur moyen d’appliquer le principe fondamental « aut dedere aut judiciare » (« extrader ou juger ») est de prescrire la compétence universelle dans le droit interne d’un État donné.
L’arrêt, portant sur les compétences d’un État en droit international, a été rendu le 7 septembre 1927.
M. STEPHEN TOWNLEY (États-Unis) a estimé qu’il serait intéressant de comprendre quels critères les États utilisent pour déterminer l’application de la compétence universelle et comment aborder les plaintes des autres États. Ainsi, les États-Unis pourraient s’abstenir de recourir à la compétence universelle si l’État où un crime a été commis ou l’État dont les ressortissants sont les principales victimes est en mesure de mener des enquêtes et veut les mener. Le représentant a ajouté que d’autres sujets devraient être examinés, comme la manière dont les États garantissent un procès équitable dans l’exercice de la compétence universelle et la manière dont les tribunaux nationaux aborderaient les défis à la tenue d’un procès équitable.
Dans le contexte de la piraterie, un tribunal des États-Unis a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’établir un lien particulier entre les États-Unis et la défense parce que la condamnation universelle de la piraterie fait que le prévenu peut être poursuivi partout où il se trouve, a fait observer le représentant, qui a demandé si ce genre de cas avait été testé dans d’autres tribunaux d’autres États en ce qui concerne la piraterie ou toute autre infraction. M. Townley s’est également dit intéressé par la poursuite de l’examen de l’interaction entre l’obligation d’extrader ou de poursuivre et la compétence universelle. Ce sont des concepts différents qui se chevauchent parfois, en particulier dans les traités qui prévoient l’extradition ou la poursuite et qui requièrent que les États créent une juridiction pour les crimes sous-jacents, a estimé le représentant. Les États-Unis continuent d’analyser les contributions des autres États et organisations, a également déclaré le représentant en conclusion.
M. SERGEY A. LEONIDCHENKO (Fédération de Russie) a pris note des importantes divergences concernant la compétence universelle, dues au fait qu’il n’existe pas de définition. « Ce que je sais, c’est que la compétence universelle doit être conforme au droit international, notamment aux règles concernant l’immunité des représentants de l’État », a ajouté le représentant. Il a toutefois noté que la communauté internationale disposait d’autres instruments pour lutter contre l’impunité. M. Leonidchenko a, en outre, souligné que les débats de l’année dernière sur cette question au sein de la Sixième Commission n’avaient pas permis de progresser. Sans s’opposer à la poursuite de tels débats au sein de la Commission, il a ajouté qu’il faudrait parvenir à savoir si elle peut mettre en place une démarche unifiée autour de la notion de compétence universelle.
M. CHAYAPAN BAMRUNGPHONG (Thaïlande) a déclaré qu’aux termes du chapitre 7 du code pénal de son pays avait été établie une juridiction contre les crimes graves contre la sécurité du royaume, le terrorisme, la contrefaçon ainsi que la piraterie en haute mer, même si ces crimes sont commis en dehors du territoire de la Thaïlande. Le Gouvernement a mis en œuvre des traités internationaux auxquels la Thaïlande est partie et qui visent à réprimer la criminalité internationale organisée et le trafic d’êtres humains. Le représentant a notamment souligné que le Gouvernement élaborait actuellement un projet de loi pour combattre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée, qui permettra aux tribunaux thaïlandais de poursuivre les auteurs de telles pêches sans tenir compte de l’endroit où elle a lieu ou de la nationalité des auteurs.
Mme AHILA SORNARAJAH (Royaume-Uni) a estimé que la raison d’être de la compétence universelle consistait à permettre que les États puissent poursuivre les criminels de guerre. Elle a noté que la compétence universelle devait être distinguée de la compétence extraterritoriale. En vertu du droit international la compétence universelle n’est établie que dans un nombre de crimes restreints, a-t-elle rappelé, tout en notant une absence de consensus international. Le Royaume-Uni considère comme prématuré de conclure que le temps est venu de réfléchir à l’adoption de nouveaux instruments juridiques sur cette question.
M. YOUSSEF HITTI (Liban) a déclaré qu’il fallait veiller à ne pas utiliser la compétence universelle à des fins politiques. La compétence universelle doit être appliquée conformément aux principes de la Charte de l’ONU. Elle peut être exercée lorsque les États ne sont pas en mesure de traiter les crimes les plus graves commis sous leur juridiction ou s’ils ne veulent pas les poursuivre. Ces crimes doivent faire l’objet de définition claire, a précisé le représentant, qui a apporté son appui au Groupe de travail et à la proposition des autres délégations appelant à saisir la Commission du droit international pour examiner cette question.
M. JAMES WAWERU (Kenya) a noté que le principe de la compétence universelle n’était pas un principe nouveau. En revanche, il sera un sujet controversé tant qu’il n’y aura pas de définition claire de la compétence universelle. Le non-respect du principe peut faire l’objet d’abus, ce qui est très grave, a estimé le représentant, qui a mis en garde contre le risque de remplacer l’impunité au niveau national par une impunité au niveau international.
Comme pour d’autres États d’Afrique, l’abus de la compétence universelle est un sujet de préoccupation pour le Kenya, a souligné M. Waweru. Pour le représentant, l’absence d’une vision commune risque de porter atteinte au droit international. Il faut donc trouver un moyen acceptable d’appliquer la compétence universelle sans nuire à d’autres principes du droit international qui régissent les relations entre les États. Le Kenya est convaincu que l’Organisation des Nations Unies est l’enceinte idoine pour définir les crimes dans lesquels la compétence universelle peut être appliquée. Si les États Membres veulent agir, il faut ajuster le système afin de l’adapter aux changements actuels, a-t-il conclu.
M. BHARTRUHARI MAHTAB (Inde) a rappelé qu’au titre du droit international, la piraterie était le seul crime auquel la compétence universelle s’applique. Le principe de la compétence universelle en relation avec la piraterie a été codifié par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Pour le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et la torture, les traités internationaux ont donné une base pour l’exercice de la compétence universelle, qui est applicable entre les États parties aux Conventions pertinentes. Cela inclut, entre autres, les quatre Conventions de Genève de 1949 et la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid. Le représentant a indiqué que la question qui se pose est de savoir si la juridiction prévue pour les crimes graves pourrait être convertie en une juridiction pouvant être appliquée indépendamment de l’adhésion de l’État au traité portant sur le crime commis. Pour M. Mahtab, plusieurs questions restent en outre sans réponse, y compris celles qui touchent aux lois relatives à l’immunité, au pardon, à l’amnistie et à la question de l’harmonisation avec les lois nationales. Le représentant a également insisté sur la nécessité d’empêcher toute mauvaise utilisation du principe de compétence universelle en matière pénale et civile par certains États, sur la base de notions de définitions peu claires.
M. ALI NASIMFAR (République islamique d’Iran) a estimé qu’il n’existait pas encore de conception commune de la compétence universelle au sein de la communauté internationale. Pour lui, la Commission doit se lancer dans des délibérations sur cette notion. Dans de nombreux systèmes juridiques, la juridiction extraterritoriale doit forcément venir d’un traité multilatéral, ce qui signifie que seuls les auteurs des actes qui sont pénalisés par le traité et qui sont ressortissants d’un État partie à ce traité peuvent être poursuivis. En ce qui concerne les crimes internationaux, la portée de la juridiction extraterritoriale doit être sans ambiguïté et conforme à l’intention de mettre fin à l’impunité pour certains crimes, spécifiés dans les traités. Laisser à des juridictions nationales le loisir d’interpréter la portée de tels crimes aurait des effets négatifs pour la stabilité et l’intégrité du droit international, a encore estimé M. Nasimfar.
Pour la République islamique d’Iran, la compétence universelle est une exception aux juridictions conventionnelles. C’est la juridiction territoriale qui est un principe clef dans cette situation, et elle interdit à un État d’exercer sa juridiction pénale au–delà de ses frontières, ce qui est essentiel pour le respect de l’égalité souveraine des États. Ainsi, les tribunaux iraniens ont compétence pour certains crimes commis indépendamment du lieu de leur commission ou de la nationalité de l’auteur présumé lorsque ces crimes ont été définis par un traité international auquel la République islamique d’Iran est partie et que l’auteur présumé du crime se trouve sur le territoire iranien, a fait observer M. Nasimfar. Par ailleurs, la République islamique d’Iran est partie à de nombreux instruments internationaux qui prévoient d’une manière ou d’une autre, une obligation d’extrader ou de juger. Mais cette obligation ne doit pas être confondue avec la compétence universelle, a déclaré le représentant, qui a rappelé que l’un des problème principaux avec la compétence universelle est que son application vient, dans certains cas, contrevenir à des principes fondamentaux du droit international, comme celui d’immunité de juridiction pénale étrangère des représentants de l’État, lequel émane directement du principe d’égalité souveraine des États. En outre, il est allégué que la compétence universelle a été utilisée, à ce jour, de manière sélective. Or, la compétence universelle doit être utilisée de bonne foi et ne peut violer les immunités accordées par le droit international aux chefs d’État et de gouvernement ni au personnel diplomatique et aux hauts fonctionnaires en exercice, a encore déclaré le représentant.
M. ISAÍAS ARTURO MEDINA MEJÍAS (Venezuela) a jugé indispensable d’étudier les catégories de crimes susceptibles d’entrer dans la portée de la compétence universelle, en se concentrant sur les crimes contre l’humanité. Il a demandé une définition restrictive de la portée de la compétence universelle. En outre, la compétence universelle ne devrait pas être applicable aux représentants des États et elle doit rester complémentaire à la compétence des tribunaux nationaux. Elle ne peut pas être appliquée dans les États qui n’auraient pas souhaité exercer leur compétence. Par ailleurs, les crimes en vertu desquels les autorités nationales peuvent évoquer la compétence universelle doivent être établis au niveau international. Pour le représentant, il est nécessaire de poursuivre les consultations officieuses sur cette question afin de discuter de son renvoi à la Commission du droit international.
M. ZHOU WU (Chine) a estimé que la compétence universelle était une question complexe et a regretté qu’en dépit des années passées, il n’y ait aucun consensus sur la question de son étendue et de son applicabilité. La priorité de nos débats doit être d’éviter tout abus de l’exercice de la compétence universelle, a ajouté le représentant, qui a souligné que tout État devait respecter le droit international dans l’exercice de la compétence universelle. La Chine note qu’à l’exception de la piraterie, il existe des divergences notables entre les États sur les crimes qui ressortissent de la compétence universelle. Elle rappelle, en outre, que la compétence universelle ne se confond ni avec le principe aut dedere aut judicare ni avec la compétence octroyée à des juridictions internationales par des traités. En l’absence de consensus, les États doivent s’abstenir d’aller au-delà du droit international actuel, a conclu le représentant.
Mme MYRIAM SOULAMA (Burkina Faso) a déclaré que le principe de la compétence universelle etait devenue une arme redoutable contre l’impunité. La compétence universelle permet la poursuite d’un criminel où qu’il se trouve. Toutefois, il faut s’accorder sur la portée et l’application de ce principe. La représentante a également souhaité que les travaux du Groupe de travail contribuent à une plus grande adhésion au principe de compétence universelle.
Pour le Burkina Faso, le principe de la compétence universelle devait s’intéresser aux crimes les plus graves, comme le génocide, l’esclavage et la piraterie. La compétence universelle doit reposer sur une base légale. Au Burkina Faso, une loi de mise en œuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale a été adoptée en 2010. Elle s’applique à d’autres crimes pouvant nécessiter l’application de la compétence universelle, a précisé la représentante, qui s’est félicitée de ce que les juges burkinabé disposent de l’outil de la compétence universelle. Les divergences de point de vues ne devraient pas empêcher la lutte contre l’impunité, a ajouté Mme Soulama, qui a également estimé que la compétence universelle et le principe « aut dedere aut judicare » étaient complémentaires.
M. ANTÓNIO GUMENDE (Mozambique) a déclaré que la compétence universelle était un thème central pour son pays, de même que pour les États d’Afrique. Comme de nombreux pays, le Mozambique n’appuiera pas l’utilisation de la compétence universelle par un État tiers tant que la question de sa portée et de son application ne sera pas résolue au plan international, car elle risque en l’état de mettre en péril tous les équilibres internationaux. Le Mozambique est en faveur d’une approche prudente, car il existe des préalables à l’application de la compétence universelle, notamment la définition du concept et les crimes auxquels la compétence universelle peut s’appliquer. Le Mozambique, qui ne défend pas l’impunité, reconnaît même que ce principe peut être appliqué aux crimes les plus graves, mais aussi qu’il doit être mis en œuvre en conformité avec le droit international et en particulier avec la Charte des Nations Unies. Il doit par exemple respecter le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des États et les immunités, notamment celles des chefs d’État en exercice, a conclu le représentant.
M. MOHAMED IBRAHIM ELSHENAWY (Égypte) a déclaré que le principe de compétence universelle était un des outils dans le cadre des efforts internationaux pour combattre l’impunité. Il existe des discussions sérieuses pour inclure les crimes atroces comme les crimes de guerre dans la législation égyptienne, y compris dans le cadre de la compétence universelle, a-t-il déclaré. L’application du principe de la compétence universelle devrait être restreinte au cas où l’État concerné ne peut ou ne veut pratiquer sa compétence nationale, a poursuivi le représentant. L’Égypte estime qu’il faut faire plus d’effort pour parachever les réformes juridiques aux niveaux national et régional, afin de respecter le principe d’appropriation national. Pour être efficace, le principe de compétence universelle doit être appliqué en toute neutralité et ne doit donc pas être politisé. Il doit en même temps permettre de respecter les règles du droit international conventionnel et coutumier, ainsi que la jurisprudence de la Cour internationale de Justice (CIJ). L’Égypte continuera de discuter de cette question au sein des groupes de travail.
M. SEBASTIAN ROGAČ (Croatie) a déclaré que son pays appliquait pleinement le principe de la compétence universelle, quels que soient le lieu du crime, la nationalité de l’auteur ou celle de la victime, respectant toutefois le droit international. Pour la Croatie, la compétence universelle doit être utilisée de manière exceptionnelle, suivant le principe de subsidiarité. Elle doit également être appliquée de manière universelle, impartiale et non politique.
Dans ce contexte, M. Rogač a appelé la Serbie à appliquer la compétence universelle en respectant les principes énumérés, en faisant observer que la Loi serbe de 2003 -sur l’organisation et la compétence des autorités nationales dans la cadre de poursuite contre les crimes de guerre- n’était ni universelle puisqu’elle limite la juridiction des tribunaux à des crimes commis dans un nombre limités de pays spécifiquement mentionnés, ni subsidiaire. Il y a là un précédent arbitraire qui nuit non seulement à la souhaitable coopération entre États dans le domaine pénal mais aussi à l’objectif ultime supposé, à savoir une lutte efficace contre l’impunité. Pour le représentant, si la Serbie voulait vraiment lutter contre l’impunité des crimes commis dans l’ex-Yougoslavie, elle aurait pu instituer la compétence universelle pour l’ensemble des graves violations du droit international déjà inscrites dans son propre code pénal sans recourir à cette Loi controversée, dans la mesure où la plupart des personnes poursuivies sont des ressortissants serbes. Pour les cas beaucoup plus rares concernant des ressortissants de pays voisins, la Serbie aurait pu recourir aux mécanismes d’assistance mutuelle existants en matière criminelle ainsi qu’aux accords bilatéraux en vigueur, a encore estimé M. Rogač.
M. HECTOR ENRIQUE CELARIE LANDAVERDE (El Salvador) a déclaré que le principe de compétence universelle était reconnu dans la législation intérieure d’El Salvador, comme dans les normes juridiques de nombreux États. L’article 10 du Code pénal salvadorien dispose qu’il suffit d’une atteinte grave aux droits de l’homme au plan international pour que la compétence universelle s’applique. Ainsi, même si El Salvador n’a pas opté pour une liste exhaustive de crimes, il considère que la nature du crime est le seul élément pertinent. Si l’on exigeait d’autres éléments, la compétence universelle perdrait de sa pertinence, a déclaré le représentant.
M. Celarie Landaverde a souligné que la question de la portée et l’application de la compétence universelle avait été examinée durant plusieurs sessions de la Sixième Commission. Pour lui, il faut reconnaître la nature exceptionnelle de la compétence universelle. Il est, en outre, important de la distinguer d’autres concepts qui ont eux aussi pour but d’éviter l’impunité, comme l’obligation d’extrader ou de poursuivre, ou encore les obligations fixées dans certains traités internationaux. Le représentant a estimé qu’il est nécessaire de poursuivre les débats sur cette question.
M. MOHAMMED ATLASSI (Maroc) a déclaré que, si la compétence universelle est un principe dérogatoire aux règles classiques du droit international, son application doit tenir compte et respecter les principes de l’égalité souveraine des États, et de leur intégrité territoriale, tels que garantis par la Charte des Nations Unies. Car, au-delà de la réalisation d’une justice universelle, la compétence universelle engendre un empiètement sur le principe de la souveraineté nationale et celui de la non-ingérence dans les affaires intérieures des États, a déclaré le représentant. Le droit marocain prévoit un certain nombre de cas qui relèvent bien de la compétence universelle, dont l’incrimination de la torture, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, du génocide ou encore des disparitions forcées. La loi encadre cependant l’application de ce principe lorsque les crimes ont été commis hors du territoire marocain, a précisé le représentant.
M. JOSEPH GRECH, observateur du Saint-Siège, a déclaré qu’une utilisation de la compétence universelle à des fins politiques pourrait nuire à l’équilibre du droit international. Elle ne doit donc pas être utilisée à mauvais escient, a dit l’Observateur, qui a estimé qu’une étude menée par des experts du droit coutumier international constituerait une contribution valable aux débats. En revanche, a ajouté M. Grech, bien utilisée, la compétence universelle peut être un outil de lutte contre l’impunité au plan international.
M. OJEDA, Comité international de la Croix-Rouge (CICR), a estimé que le principe de compétence universelle constituait un outil central pour assurer la prévention et garantir la répression de violations graves du droit international humanitaire. Si des personnes ayant commis des violations graves se trouvent sur le territoire d’un État, celui-ci a l’obligation légale de les poursuivre, a rappelé M. Ojeda. Il a rappelé également que les « violations graves » sont inscrites dans les Conventions de Genève de 1949 et dans ses Protocoles additionnels I et II de 1977, qui disposent que les États parties ont une obligation légale de poursuivre les personnes qui auraient commis ou ordonné de commettre des crimes graves.
Avec l’intention de renforcer le droit international humanitaire, le CICR continue de promouvoir la prévention des violations les plus graves du droit international humanitaire et la mise en œuvre des mécanismes de sanctions, en mettant l’accent sur la compétence universelle. Le CICR travaille aussi à mettre au point des instruments techniques sous la forme de documents, comme le Manuel sur la mise en œuvre nationale du droit international humanitaire ou des législations-types, qui servent d’outils aux législateurs, juges et autres parties intéressées. Les États ont la responsabilité première de diligenter des enquêtes en cas de violation graves des droits de l’homme, a-t-il rappelé.
Le CICR a identifié plus d’une centaine d’États qui ont établi ou prévu une forme de compétence universelle au niveau national pour les crimes de guerre. Alors que certains ont limité l’exercice de la compétence universelle au niveau de leur territoire, d’autres ont permis l’exercice de la compétence universelle si les crimes sont commis à l’extérieur de leurs frontières. Le CICR reconnaît qu’il existe des difficultés techniques, juridiques et pratiques à l’application effective de la compétence universelle, mais il encourage fermement les États à chercher les moyens de les surmonter. Il appelle, en outre, les États à promulguer les législations qui conviennent pour répondre aux violations graves du droit international humanitaire en recourant à tous les types de compétences, y compris la compétence universelle.
Mme ANA CRISTINA RODRÍGUEZ PINEDA (Guatemala) a déclaré que l’impunité n’avait pas sa place sur la planète, où que ce soit. Ce sont les États eux-mêmes qui doivent réfléchir à la compétence universelle, y compris en tenant un forum pour définir les normes et les crimes susceptibles de tomber sous sa juridiction. C’est donc avec intérêt que le Guatemala attend les délibérations du Groupe de travail, qui devra fournir une base intéressante pour la suite des débats. Le Guatemala reste toutefois d’avis que cette question devrait être envoyée devant la Commission du droit international.