L’Assemblée générale organise un débat entre des experts et les États Membres sur le concept de la « sécurité humaine »
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Assemblée générale
Soixante-cinquième session
Débat thématique interactif
Matin & après-midi
L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORGANISE UN DÉBAT ENTRE DES EXPERTS ET LES ÉTATS MEMBRES SUR
LE CONCEPT DE LA « SÉCURITÉ HUMAINE »
Les délégations s’interrogent sur l’intérêt d’une définition de la sécurité humaine
et mettent en garde contre un usage qui irait à l’encontre de la souveraineté des États
À l’occasion d’un débat thématique informel organisé sur convocation du Président de l’Assemblée générale, les États Membres ont aujourd’hui examiné la possibilité de parvenir à une définition du concept de la « sécurité humaine » et ont débattu de la valeur ajoutée que pourrait apporter cette notion au cadre régissant les relations internationales.
« Il est de plus en plus admis que la sécurité, dans son ensemble, doit être envisagée sous un angle beaucoup plus large pour faire face aux dangers complexes et interdépendants qui marquent notre époque », a observé le Président de la soixante-cinquième session de l’Assemblée générale, M. Joseph Deiss, à l’ouverture de la réunion.
La Vice-Secrétaire générale des Nations Unies, Mme Asha-Rose Migiro, a quant à elle rappelé que, lors du Sommet mondial de 2005, les dirigeants du monde entier s’étaient accordés pour dire que la sécurité humaine porte à la fois sur le fait de pouvoir « vivre sans peur » et de « vivre sans être constamment dans le besoin ».
Après un premier débat thématique informel tenu sur cette question en mai 2008, l’Assemblée générale a adopté l’an dernier une résolution reconnaissant la nécessité de poursuivre les discussions autour de la définition du concept de sécurité humaine. Sur le plan pratique, l’ONU n’a pas autant attendu pour créer, dès 1999, son Fonds d’affectation spéciale pour la sécurité humaine, qui a soutenu près de 200 projets dans 70 pays à travers le monde, a souligné Mme Migiro.
Les panélistes de la table ronde organisée dans la matinée étaient invités à préciser les concepts pouvant être inclus dans la définition de la sécurité humaine. L’ancien Président du Nigéria et fondateur du Centre pour la sécurité humaine, M. Olusegun Obasanjo, a mentionné les différents acteurs chargés d’assurer cette sécurité, à savoir les individus, puis les familles, les communautés, les organisations religieuses, et enfin l’État et le gouvernement, ainsi que les organisations internationales. M. Obasanjo a également proposé que l’on se serve de l’Indice de développement humain (IDH) pour développer un indice de sécurité humaine.
Protéger toutes les vies humaines, en vue de renforcer les libertés et l’épanouissement de l’être humain: tel est l’objectif visé par la notion de sécurité humaine, selon la Commission sur la sécurité humaine. Mme Jennifer Leaning, une enseignante de l’Université d’Harvard, a pour sa part précisé les trois éléments fondamentaux de la sécurité humaine, à savoir le sentiment d’appartenir à un foyer (« se sentir chez soi »), le lien à la communauté, et le sentiment d’espoir en l’avenir.
Enfin, le Président du Centre des études sur l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) à l’American University a expliqué que les politiques incombant à l’État, y compris celles créées pour lutter contre la pauvreté, peuvent provoquer des formes d’insécurité humaine. L’absence d’installations de base, le népotisme et le chômage sont les sources principales de la peur qu’éprouvent les populations qui souffrent de ce type d’insécurité, a-t-il précisé.
« Il n’existe pas de définition commune de la sécurité humaine », a rappelé la délégation du Mexique, tout en rappelant que ceci est également vrai en ce qui concerne le terrorisme international, ce qui n’empêche cependant pas que cette question soit traitée dans 11 textes différents de conventions internationales. « Nous sommes encore loin de parvenir à un consensus sur la question de la sécurité humaine », a souligné le représentant de Cuba.
Plusieurs délégations ont averti du risque de voir apparaître des tentatives de mise en œuvre du concept de sécurité humaine qui violerait la souveraineté nationale des États et constituerait une ingérence flagrante dans les affaires internes d’un pays. La sécurité humaine et toutes les mesures veillant à son respect doivent relever de la responsabilité première de chaque État, ont également souligné ces délégations. Plusieurs d’entre elles, comme celles de l’Égypte et du Venezuela, ont en outre réaffirmé que la « sécurité humaine » n’a rien à voir avec la « responsabilité de protéger ».
Grâce aux consultations à venir sur la question, les Nations Unies devraient pouvoir définir cinq ou six critères prioritaires du concept de sécurité humaine, a conclu en fin de journée M. Yukio Takasu, Conseiller spécial du Secrétaire général pour la sécurité humaine.
Cet après-midi, la deuxième table ronde a permis aux experts et aux délégations de réfléchir à la mise en application et à la valeur ajoutée de la sécurité humaine. Dans le système onusien, le concept de sécurité humaine exige que nous nous penchions sur les multiples facettes qui en font partie, comme l’éducation, l’accès aux soins de santé ou encore la protection des personnes contre les catastrophes naturelles, a souligné Cheick Sidi Diarra, Conseiller spécial pour l’Afrique et Haut-Représentant pour les pays les moins avancés (PMA), les États sans littoral et les petits États insulaires en développement (PEID).
DÉBAT THÉMATIQUE INTERACTIF SUR LE THÈME « SÉCURITÉ HUMAINE »
Déclarations liminaires
M. JOSEPH DEISS, Président de la soixante-cinquième session de l’Assemblée générale des Nations Unies, a estimé que la tenue d’un débat sur la sécurité humaine arrive à point nommé pour permettre de mieux ancrer les travaux de l’Assemblée générale dans l’actualité. Après l’introduction du concept de la sécurité humaine dans le cadre des Nations Unies dans le Document final du Sommet mondial de 2005, le premier débat thématique informel sur cette question a eu lieu en mai 2008, a rappelé le Président de l’Assemblée générale. À cette occasion, un consensus s’est dégagé parmi les États Membres sur la nécessité d’avoir une nouvelle conception des relations internationales, qui aille au-delà de réponses ponctuelles et qui favorise des approches globales, intégrées et axées sur l’être humain. Si la sécurité nationale reste une condition essentielle à la paix et de la stabilité et si elle est la prérogative des États, il est de plus en plus admis que la sécurité dans son ensemble doit être envisagée sous un angle plus large pour faire face aux dangers complexes et interdépendants qui marquent notre époque, a observé le Président.
La résolution adoptée par l’Assemblée générale en juillet 2010 reconnaît explicitement qu’il faut poursuivre la discussion ouverte sur la sécurité humaine et parvenir à un accord sur la définition de ce concept à l’Assemblée générale. L’ancien Ambassadeur du Japon, M. Yukio Takasu, nommé dans ce contexte en décembre 2010 par le Secrétaire général comme Conseiller spécial pour la sécurité humaine, a ainsi pour tâche principale de mener des consultations avec les États Membres pour promouvoir une meilleure compréhension du concept, a rappelé M. Deiss.
« Je souhaite que le débat d’aujourd’hui soit une occasion pour les États Membres de s’exprimer sur cette question, et de mieux comprendre les positions des uns et des autres », a déclaré Joseph Deiss. Il a estimé que l’Organisation des Nations Unies, avec le mandat qu’elle a de promouvoir la sécurité, le développement et les droits de l’homme, est le lieu de prédilection pour parvenir à une meilleure compréhension du concept de sécurité humaine. La sécurité humaine fournit un cadre conceptuel qui permet de capitaliser sur les avantages comparatifs des différents acteurs, de renforcer la cohérence de leurs objectifs, de coordonner leurs actions, et de mieux les cibler sur les besoins des individus, a ajouté le Président de l’Assemblée.
Prenant la parole après le Président de l’Assemblée, Mme ASHA-ROSE MIGIRO, Vice-Secrétairegénérale des Nations Unies, a rappelé qu’il y a un an, le Secrétaire général avait publié un rapport soulignant que le concept de sécurité humaine proposait une approche pratique pour répondre aux menaces complexes et multidimensionnelles qui se posent dans le monde interdépendant d’aujourd’hui. Lors du Sommet mondial de 2005, les dirigeants du monde entier étaient tombés d’accord sur le fait que la sécurité humaine porte à la fois sur le fait de pouvoir « vivre sans peur » et de « vivre sans être constamment dans le besoin ». Depuis, les États Membres ont apporté une série de contributions utiles à l’évolution de ce concept et, l’an dernier, l’Assemblée générale a adopté une résolution reconnaissant la nécessité de poursuivre les discussions autour de la définition du concept de sécurité humaine, ce que le débat d’aujourd’hui entend faire, a annoncé Mme Migiro.
Fort heureusement, a affirmé la Vice-Secrétaire générale, les discussions en cours n’ont pas empêché l’ONU de déployer des efforts en ce domaine, comme en témoigne l’existence depuis plus d’une décennie du Fonds d’affectation spéciale des Nations Unies pour la sécurité humaine, qui a soutenu près de 200 projets dans 70 pays à travers le monde. Le système des Nations Unies dans son ensemble répond aux insécurités qui font la une des journaux tous les jours, et qui vont des catastrophes naturelles à la pauvreté extrême, et des épidémies aux conflits. Les récents évènements survenus ces dernières semaines ont mis en évidence la vulnérabilité des pays, qu’ils soient en développement ou développés, a souligné Mme Migiro. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin d’un paradigme de sécurité très large, a-t-elle estimé en indiquant que ce paradigme devrait couvrir les questions de survie, de moyens de subsistance et de dignité des individus. La Vice-Secrétaire générale a rappelé en conclusion que feu Mahbub ul Haq avait était le pionnier d’une réflexion à ce sujet, notamment au travers du rapport sur le développement humain. Il avait notamment expliqué que la sécurité humaine, « c’est un enfant qui ne meurt pas, une maladie qui ne se transmet pas, une tension ethnique qui ne dégénère pas, un dissident qui n’est pas réduit au silence, et un esprit humain qui n’est pas brisé ».
Table ronde interactive 1: « Axe de réflexion pour la définition de la sécurité humaine »
Assurant le rôle de modérateur, Mme MARGARETA WAHLSTRÖM, Représentante spéciale du Secrétaire général pour la réduction des risques de catastrophe, a proposé plusieurs pistes de réflexion, demandant notamment aux experts de préciser les concepts devant être inclus dans la définition de la sécurité humaine.
La survie est la condition essentielle à l’exercice de la liberté de vivre dans la dignité, a expliqué tout d’abord M. OLUSEGUN OBASANJO, ancien Président du Nigéria et fondateur du Centre pour la sécurité humaine, avant de parler des différents acteurs qui ont la responsabilité d’assurer la sécurité humaine. Il y a d’abord la personne, qui a un rôle à jouer tant pour elle-même que pour la sécurité humaine de son entourage. Puis la famille, la communauté et les organisations religieuses. Ce sont enfin l’État et le gouvernement qui ont la responsabilité d’assurer et de garantir la sécurité humaine, de même que les organisations internationales, a-t-il dit. M. Obasanjo a également proposé de se servir de l’Indice de développement humain (IDH) pour développer un indice de sécurité humaine.
Pour la Commission sur la sécurité humaine, représentée par Mme FRENE GINWALA, ancienne Présidente de l’Assemblée nationale de l’Afrique du Sud, la sécurité humaine consiste à protéger le noyau vital de toutes les vies humaines, en vue de renforcer les libertés et l’épanouissement humain. Il s’agit d’une protection face à des menaces répandues, qui peut se faire en créant des systèmes environnementaux, politiques, économiques et militaires permettant aux personnes de survivre et de vivre dans la dignité, a-t-elle dit. Mme Ginwala a averti que toute définition universelle de la « sécurité humaine » ne peut donner qu’un tableau très général qui doit être ensuite affiné par les différentes sociétés humaines. Lors de la création de la Commission, le postulat était que les conflits constituaient la principale menace pour l’Afrique, mais cela n’était pas l’avis des commissaires africains. Un processus consultatif a en effet révélé que les conflits n’arrivaient qu’en quatrième position dans les craintes de la population, les soucis relatifs à l’emploi et à la santé passant en premier. Mme Ginwala a aussi observé qu’au vu des évènements du 11 septembre 2001 et des récentes catastrophes naturelles survenues au Japon, il fallait continuer à explorer les vulnérabilités des sociétés, suggérant aussi d’éviter la proposition de solutions isolées. Toute solution doit émaner d’une démarche multisectorielle, a-t-elle précisé.
C’est en 1983 que la notion de « sécurité humaine » a vu le jour, a indiqué Mme JENNIFER LEANING, Professeur de santé pratique et de droits de l’homme à l’école de santé publique de l’Université d’Harvard. La notion recouvre trois éléments fondamentaux, à savoir le sentiment d’appartenir à un foyer, le lien à la communauté, et le sentiment d’espoir en l’avenir. Le premier, le sentiment d’être chez soi, tient compte du mode de vie, de sons et d’odeurs familières, ainsi que des liens familiaux, a-t-elle expliqué. Mme Leaning a aussi souligné les conséquences que peuvent avoir des guerres durant plusieurs décennies sur la sécurité humaine. Souvent, c’est une troisième génération qui revient dans le pays de ses ancêtres après une guerre, et ces personnes peuvent généralement ne reconnaître ni les lieux ni la langue de leur famille originelle. Il y a ainsi une perte d’histoire, a-t-elle regretté. En outre, les atrocités commises pendant une guerre laissent des blessures dans les esprits, a-t-elle insisté. Après un conflit, il faut reconstruire les structures qui assurent la sécurité humaine sur le plan local, a préconisé Mme Leaning. Il faut aussi intégrer le fait que ceux qui rentrent au pays ne seront pas en mesure de reconstruire ce pays pendant les années qui suivent la fin de la guerre. Les communautés humaines ont besoin de temps pour redonner un sens à leur vie, a-t-elle expliqué.
Pour M. AMITAV ACHARYA, Professeur de relations internationales et Président du Centre des études sur l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) à American University, le débat sur la sécurité humaine ne devrait pas être réduit à une discussion entre universitaires et décideurs. Jusqu’à présent, les victimes de l’insécurité humaine n’ont pas participé à ce débat, a-t-il noté. À cet égard, il a fait part d’une étude organisée il y a cinq ans sur la sécurité humaine en Inde dans deux régions extrêmement pauvres et frappées par des conflits (situées dans le nord-est de l’Inde et dans l’État d’Orissa). Certaines conclusions de cette étude confortent des données qui sont connues, mais d’autres sont nouvelles, a indiqué M. Acharya. Il a ainsi signalé que les populations les plus pauvres sont aussi celles qui vivent dans la peur et l’anxiété. Autre constatation: les politiques de l’État, y compris celles créées pour lutter contre la pauvreté, peuvent provoquer des formes d’insécurité humaine. Cela veut dire que les États représentent parfois une menace pour leur population, a conclu M. Acharya. L’absence d’installations de base, le népotisme et le chômage sont les sources principales de la peur qu’éprouvent ces populations, a-t-il précisé. Face à un conflit, les populations souhaitent généralement qu’un dialogue soit instauré entre les insurgés et le gouvernement, plutôt qu’un renforcement du pouvoir militaire. M. Acharya a donc appelé les participants à poursuivre la discussion sur la sécurité humaine en complétant les études générales déjà faites par des microétudes.
Débat interactif
Au cours du dialogue interactif qui a suivi les interventions liminaires des principaux panélistes, les délégations ont exprimé leurs points de vue en ce qui concerne l’intérêt d’une définition plus précise du concept de la « sécurité humaine », certaines insistant fermement sur les limites à imposer à ce concept, qui doit être cerné avec précision, pour éviter que l’on en fasse une utilisation abusive.
La sécurité humaine est un concept utile permettant de compléter le concept traditionnel de sécurité, a estimé le représentant de la République de Corée. Elle se situe à la croisée des trois piliers des objectifs de l’ONU, qui sont la paix et la sécurité, le développement, et les droits de l’homme, a-t-il observé, invitant les États Membres à l’appliquer sur le terrain. Le représentant du Japon a indiqué que sa délégation était en faveur de l’adoption d’une approche pragmatique du concept de la sécurité humaine. La communauté internationale doit à cet égard accorder une place importante au sort de la jeunesse, quand elle définira ce concept et ses modalités d’application.
Parlant en sa qualité de Président du Réseau sur la sécurité humaine, le représentant de la Suisse a expliqué que le concept de sécurité humaine réunit les notions de sécurité à tous les niveaux: la protection contre toutes les formes de violence et contre les maladies mortelles; le soutien à l’existence de conditions économiques et sociales de base (habitation, eau potable, alimentation, assainissement et environnement sûr) et la protection des droits et des libertés fondamentales. La liste reste ouverte, a-t-il précisé.
Répondant à la délégation de la Suisse sur la nécessité d’une définition de la « sécurité humaine », l’ancien Président du Nigéria, M. OLUSEGUN OBASANDJO, a estimé qu’on pouvait se contenter d’une définition de base, et qui soit commune de ce concept, tout en laissant les États-nations le mettre en œuvre de la manière dont il sera généralement accepté. La représentante de la Commission sur la sécurité humaine a insisté pour qu’aucune restriction ne soit imposée à la définition qui sera faite du concept de la sécurité humaine. Il faut avant tout que chaque partie puisse et sache écouter l’autre, a-t-elle dit. Il faut étudier la façon dont les menaces sont perçues par les êtres humains vers qui elles sont dirigées, a renchéri Mme LEANING, de l’école de santé publique de l’Université d’Harvard. Pour M. AMITAV ACHARYA, d’American University, si une définition de la sécurité humaine peut être utile, il n’est cependant pas essentiel qu’elle soit commune à tous les États ou acteurs mondiaux, régionaux ou locaux.
« Il n’existe pas de définition commune de la sécurité humaine », a tenu pour sa part à rappeler le représentant du Mexique. « Il n’y a pas non plus de convention générale sur le terrorisme international », a-t-il souligné. « Mais il existe 11 conventions sectorielles sur cette question », a-t-il remarqué, estimant que malgré tout, c’est un progrès.
Le représentant de la Fédération de Russie a rappelé que le Sommet mondial de 2005, tenu à l’ONU, a déjà conduit les États Membres et les autres parties à discuter de la notion de sécurité humaine. Parmi les éléments à inclure dans sa définition, il a souligné que la notion ne s’applique que dans le respect des affaires internes des pays et de la souveraineté des États. À l’instar de la délégation de la Fédération de Russie, plusieurs autres délégations participant au débat, comme celles de la Chine, du Venezuela et du Brésil, ont exprimé leurs craintes face au risque de voir apparaître des tentatives de mise en œuvre du concept de sécurité humaine qui violerait la souveraineté nationale des États et constituerait une ingérence flagrante dans les affaires internes d’un pays. La sécurité humaine et toutes les mesures veillant à son respect doivent relever de la responsabilité première de chaque État, ont souligné ces délégations. Le représentant de l’Argentine a, quant à lui, exprimé l’inquiétude que ressent son pays par rapport au lien qui risque d’être créé entre l’application de la notion de sécurité humaine et l’utilisation de la force. Nous sommes encore loin de parvenir à un consensus sur cette question, a conclu le représentant de Cuba.
La délégation de l’Union européenne auprès des Nations Unies, a proposé pour sa part que les participants et les États Membres se concentrent « à définir ce que le concept de la sécurité humaine n’est pas », ceci, en vue d’élaborer un guide pratique pour les décideurs. La « sécurité humaine » n’a par exemple rien à voir avec la « responsabilité de protéger », a dit la délégation, dont le point de vue a été partagé par les représentants de l’Égypte et du Venezuela.
Table ronde interactive 2: « La notion de sécurité humaine –– mise en application et valeur ajoutée »
Quelle est la valeur ajoutée de la sécurité humaine dans les différents domaines où elle s’applique? Dans quelle mesure représente-t-elle une approche concrète pour répondre aux problèmes interdépendants auxquels se heurtent les peuples et les communautés? Comment la sécurité humaine peut-elle à la fois se concentrer sur les menaces émergentes et leurs causes profondes? Quels seront les défis posés par l’intégration du concept de sécurité humaine dans les activités des Nations Unies? Telles ont été quelques-unes des questions posées par M. John Ging, Directeur de la Division de la réponse et de la coordination au Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA/BCAH), en guise de pistes de réflexion pour cette seconde table ronde de la journée.
CHEICK SIDI DIARRA, Secrétaire général adjoint, Conseiller spécial sur l’Afrique et Haut-Représentant pour les pays les moins avancés (PMA), les pays sans littoral et les petits États insulaires en développement (PEID), a fait observer que les ressources de la planète étaient suffisantes pour permettre à toute la population mondiale de vivre décemment. Et pourtant, près d’un milliard de personnes sont aujourd’hui dans une pauvreté extrême, a-t-il fait observer, estimant que ce déséquilibre majeur exigeait de réfléchir à l’idée même de sécurité humaine. Une démarche basée sur la sécurité humaine doit reconnaître les droits individuels de chaque être humain et répondre aux besoins particuliers des groupes les plus vulnérables, a ajouté M. Diarra. Ce concept nous force donc à envisager une approche globale qui tienne compte de toutes les dimensions du problème, a-t-il préconisé. Dans le système onusien, cela exige que nous nous penchions sur l’accès aux soins de santé, à l’éducation, au bien-être social, à la protection des personnes vis-à-vis des menaces politiques, des conflits ou encore des catastrophes naturelles, a souligné M. Diarra. Il a suggéré également la mise en place d’un cadre d’autonomisation des pauvres et des groupes marginaux pour leur permettre de participer aux processus de prise de décisions. La quatrième Conférence des Nations Unies sur les pays les moins avancés (LDC/IV), qui va avoir lieu à Istanbul, en Turquie, constitue une occasion importante de contribuer à l’évolution de ce concept, a souligné M. Diarra.
Mme SONIA PICADO, Présidente de l’Institut interaméricain des droits de l’homme et membre de la Commission et du Conseil consultatif sur la sécurité humaine, a rappelé pour sa part que si elle a vu l’émergence de démocraties au cours des dernières décennies, l’Amérique latine reste cependant encore le théâtre de violences. Or, comme l’indique le rapport du Secrétaire général sur la sécurité humaine en date de l’an dernier, il n’est pas possible de garantir le développement des nations sans y garantir le respect des droits de l’homme. Mme Picado a estimé que la violence qui sévit dans plusieurs pays du continent latino-américain constitue une atteinte à la sécurité humaine. Aussi l’Institut qu’elle dirige met-il l’accent sur les franges de population âgée de 10 à 14 ans afin d’éviter que les enfants joignent des gangs ou des groupes armés. Dans ce contexte, l’État a un rôle essentiel à jouer pour protéger les populations, a fait remarquer Mme Picado. L’Institut interaméricain n’empiète pas sur la souveraineté des États et privilégie une approche multidimensionnelle et multisectorielle visant à instaurer une culture de paix à tous les égards, a-t-elle précisé.
M. ANDREW MACK, Directeur du Projet de rapport sur la sécurité humaine à l’Université Simon Fraser et ancien Directeur du Bureau de la planification stratégique au sein du Bureau exécutif de l’ancien Secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan, a rappelé que si tout le monde s’accorde sur l’importance du concept de sécurité humaine, les avis divergent en revanche sur les menaces que permettrait de contrer un tel concept. Il a estimé que la recherche universitaire peut aider les responsables gouvernementaux à élaborer des politiques efficaces. S’agissant de la menace que font peser les violences évoquées par Mme Picado, la précédente panéliste, M. Mack a suggéré qu’il était temps de faire des collectes de données. « Nous avons des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) mais pas d’objectifs du Millénaire pour la sécurité », a-t-il fait remarquer. En outre, a poursuivi l’expert, la gouvernance mondiale en matière de sécurité humaine rencontre des problèmes de coordination considérables entre les institutions, fonds et programmes du système des Nations Unies, les États, et les organisations non gouvernementales (ONG). Ce système est profondément inefficace et source de désaccords, a jugé le panéliste. Comme l’ont montré les exemples du Rwanda et du Darfour, ce système peut être propice aux échecs les plus tragiques.
M. HANS-GUNTER BRAÜCH, Président de Peace Research and European Security Studies, a rappelé que le nombre de victimes des tsunamis de 2004 en Asie du Sud et du Sud-Est, et de 2011, au Japon, avait varié en fonction du degré de résistance des pays touchés. Si ces catastrophes ne pouvaient pas être anticipées, leur impact en revanche peut être atténué, a-t-il relevé. La catastrophe du 11 mars 2011, survenue au Japon, souligne donc l’importance de mettre en œuvre le Cadre d’action de Hyōgo pour 2005-2015, afin de répondre à des situations d’urgence de plus en plus complexes et susceptibles de déclencher des réactions en chaîne. Le quatrième pilier du concept de sécurité humaine, « Liberté vis-à-vis de l’impact des catastrophes naturelles », exige aussi la mise en place d’une stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 50% d’ici à 2050, a assuré l’expert. Dans ce contexte, la coopération étroite de toutes les institutions, fonds et organismes des Nations Unies est nécessaire, a ajouté M. Braüch.
Débat interactif
Ouvrant la discussion, le représentant de la Bolivie a estimé que la définition de sécurité humaine était ambigüe. Il s’agit en effet d’un concept très vaste, qui recouvre des réalités variables et complexes, a-t-il estimé. Il s’est dit préoccupé, à l’instar des représentants du Brésil, de la Chine et du Venezuela, qui sont intervenus ce matin, par le fait qu’un concept ambigu pourrait donner lieu à des applications très variées. En l’absence de définition reconnue par tous, le représentant a jugé qu’il fallait s’en tenir aux accords qui existent entre les pays. Plutôt que de parler de sécurité humaine, pourquoi ne pas se référer aux concepts de justice, d’équité et de développement durable et de pleine application des droits de l’homme, a-t-il demandé.
Son homologue de l’Équateur a soutenu ce point de vue, soulignant qu’en l’absence d’une définition reconnue universellement, l’application d’un tel concept était difficile. Pour sa part, l’Équateur incorpore le concept de sécurité humaine dans sa Constitution au travers de la promotion de la coexistence pacifique des personnes, a dit le représentant. Le représentant du Pakistan a jugé de son côté que le concept de la sécurité humaine devait être considéré à l’aune des dispositions de la Charte des Nations Unies.
Le représentant du Maroc a déclaré que le concept de démocratie était inextricablement lié au concept de développement. Il a souligné que les vulnérabilités aux crises économique, financière ou alimentaire étaient directement liées aux niveaux d’accès des pays en développement aux marchés étrangers, ainsi qu’aux obstacles posés par les barrières tarifaires et par les subventions versées par les pays riches à leurs producteurs. Dès lors, s’agissant de ce type d’insécurité, l’État concerné ne peut pas être tenu pour entièrement responsable de ce type de vulnérabilité, qui est multidimensionnelle et complexe.
À cet égard, la représentante de la Zambie a estimé qu’en l’absence de mesures pour répondre aux causes profondes de l’insécurité humaine, il était très peu probable que la communauté internationale puisse un jour réaliser la sécurité humaine. S’exprimant au nom du Réseau de sécurité humaine, le représentant de la Suisse a estimé que ce concept remplissait un vide, puisqu’il affirme qu’il n’est pas seulement nécessaire de prévenir les conflits, mais aussi de répondre à un ensemble d’autres menaces, telles que les catastrophes naturelles, la sous-alimentation ou les crises économiques. En outre, a-t-il ajouté, ce concept nous aide à répondre aux causes profondes des conflits et à promouvoir les systèmes d’alerte rapide.
Remarques de clôture
M. YUKIO TAKASU, Conseiller spécial du Secrétaire général pour la sécurité humaine, s’est félicité de la tenue de ce débat dans un esprit positif, ce qui a été une bonne occasion, selon lui, pour les États Membres d’approfondir leur compréhension du concept de la sécurité humaine. M. Takasu a souligné le consensus qui a émergé depuis 2005 sur le concept général de sécurité humaine comme garantie de la survie et de la dignité humaine. Dans ce contexte, il y a aussi un élément concernant la protection des personnes contre les incidences des catastrophes naturelles, a-t-il relevé en écoutant le débat d’aujourd’hui. Personne n’a parlé de définition juridique de la sécurité humaine au cours de la journée, a aussi noté M. Takasu, car on se rend compte que cela nuirait au débat. C’est le même cas en ce qui concerne le « terrorisme international » et « l’état de droit », concepts qui sont cependant acceptés par l’Assemblée générale dans des instruments internationaux, a-t-il relevé. M. Takasu a, en outre, pris note des nombreuses définitions de la sécurité humaine qui existent dans d’autres instances internationales. Il est par ailleurs clair que la sécurité humaine est un concept distinct de celui de la « responsabilité de protéger », a-t-il souligné. En outre, la mise en œuvre de la sécurité humaine doit se faire sans l’usage de la force et dans le plein respect des principes de la Charte de l’ONU, comme il ressort du débat, et elle relève de la responsabilité des États. Une suggestion intéressante a été formulée, qui propose de se mettre d’accord au moins sur ce que n’est pas la sécurité humaine, a rappelé M. Takasu.
S’il faut faire la distinction entre les concepts contenus dans une longue liste de questions liées à la sécurité dans le monde, l’objectif est de fixer des priorités qui soient communes à tous les États et parties, a expliqué Yukio Takasu. Les Nations Unies doivent donc établir des priorités dans les négociations qui ont lieu sur ces questions, ceci en vue de définir cinq ou six critères prioritaires, a-t-il indiqué. Enfin, le Conseiller spécial a recommandé de mener des consultations avant l’établissement du rapport du Secrétaire général sur la sécurité humaine. Les indices de sécurité humaine sont, par exemple, utiles en Inde et en Thaïlande, où le besoin en a été démontré, a-t-il dit, ceci afin d’encourager les discussions, a dit M. Takasu.
Clôturant le débat, M. Joseph Deiss, Président de la soixante-cinquième session de l’Assemblée générale, a appelé à poursuivre le travail intellectuel sur cette question et a indiqué que l’Assemblée continuerait à être active sur le besoin de mettre en œuvre le concept de la sécurité humaine.
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