AG/EF/3162

LE DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’OMC ET DEUX AUTRES EXPERTS.DÉBATTENT AVEC LA DEUXIÈME COMMISSION DES MOYENS DE SORTIR DE L’IMPASSE DANS LAQUELLE SE TROUVE LE CYCLE DE DOHA

30/10/2006
Assemblée généraleAG/EF/3162
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Deuxième Commission

Table Ronde – après-midi


LE DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’OMC ET DEUX AUTRES EXPERTS DÉBATTENT AVEC LA DEUXIÈME COMMISSION DES MOYENS DE SORTIR DE L’IMPASSE DANS LAQUELLE SE TROUVE LE CYCLE DE DOHA


« Au cours de ces prochains mois, nous traverserons une période critique au cours de laquelle nous pourrons soit remettre sur les rails le Cycle de Doha soit ne rien faire et tomber dans un protectionnisme destructeur », a déclaré cet après-midi Tiina Intelmann, Présidente de la Commission en ouvrant les échanges de la table ronde « Négocier Doha » à laquelle était convié le Directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Pascal Lamy.  Le Cycle de Doha, qui est censé mettre les questions liées au développement au centre des négociations commerciales, a été lancé en 2001 par l’OMC.


Les obstacles tarifaires et non tarifaires qui se posent au commerce des produits agricoles sont au centre des préoccupations comme l’est aussi l’accès aux médicaments, dont ont besoin des populations des pays en développement pour faire face à des pandémies comme le VIH/sida; la tuberculose et le paludisme, a rappelé la Présidente de la Commission.  Après que José Antonio Ocampo, Secrétaire général adjoint au Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies(DESA), l’ait présenté aux délégations, le Directeur général de l’OMC a souligné qu’au vu des blocages sur la question agricole, il a préféré recommander la suspension des négociations du Cycle de Doha, en juillet dernier. 


L’incapacité des pays développés à faire les concessions que l’on attendait d’eux rendait inutile la poursuite des pourparlers.  Les négociations achoppent sur les modalités liées à un accroissement sensible de l’accès aux marchés; à la réduction et, à terme, à l’élimination de toutes les formes de subventions à l’exportation et aux réductions sensibles de soutiens intérieurs qui ont un effet de distorsion des échanges.  Les membres de l’OMC avaient convenu, en 2005, d’assurer l’élimination de toutes les subventions à l’exportation pour la fin de 2013 et selon des modalités telles qu’une partie substantielle soit réalisée pendant la première moitié de la période de mise en œuvre.


Or, en juillet dernier les acteurs principaux du commerce mondial -Australie, Brésil, États-Unis, Inde, Japon et Union européenne- n’ont pas pu se mettre d’accord sur l’ampleur exacte des ajustements.  Les États-Unis exigent un élargissement sensible de l’accès aux marchés, avant d’améliorer leur offre concernant la réduction des soutiens intérieurs.  L’Union européenne et certains pays en développement jugent indispensable de réduire davantage les soutiens intérieurs.


Pourquoi l’agriculture pose-t-elle tant de problèmes, alors qu’elle ne représente que 8% des échanges commerciaux mondiaux?  Parce que, a répondu Pascal Lamy, elle reste l’activité la plus sensible aussi bien pour les pays du Nord que pour les pays du Sud, du fait qu’elle concerne la question cruciale de l’alimentation.  La conclusion du Cycle de Doha sera difficile, a prévenu le Directeur général en expliquant que ce Cycle est le plus ambitieux qui ait été jamais lancé pour ouvrir les marchés.  Non seulement le Cycle touche à l’agriculture mais il concerne un nombre jamais vu de pays, qui veulent tous en tirer des bénéfices.  Si le Cycle d’Uruguay avait créé les premières règles modernes du commerce mondial, Doha veut, pour sa part, ouvrir les échanges internationaux sur une échelle sans précédent.  Ce Cycle mérite donc qu’on se batte pour le faire aboutir, a estimé Pascal Lamy. 


Des coupes larges dans les tarifs appliqués aux échanges de marchandises et la suppression des subventions et des tarifs agricoles libéreraient des bénéfices que l’on ne pouvait imaginer à la conclusion du Cycle d’Uruguay.  En dehors de l’agriculture, si l’objectif final est atteint dans les autres secteurs inclus dans les négociations de Doha, dont celui des services, la communauté internationale pourrait créer une économie mondiale plus libre, plus juste et plus solide au sein de laquelle la concurrence serait plus ouverte.  « Personnellement, je crois que nous pouvons parvenir à cet objectif », a affirmé Pascal Lamy, en notant que les positions des grands blocs commerciaux ne sont pas des obstacles infranchissables.  Mais surmonter ces obstacles exige des gouvernements un certain courage politique. 


Le Cycle de Doha se tient au moment où, dans la plupart des pays,  l’implication des opinions publiques est devenue un facteur à prendre en compte.  Le succès économique, que la mondialisation a promu dans certaines régions du monde, ne se mesure plus seulement en taux de croissance.  Les gens veulent désormais voir les bénéfices de cette croissance être répartis entre toutes les couches de la population.  C’est au niveau national que ces sentiments sont les plus forts et c’est donc à ce niveau qu’on observe le plus d’angoisse et d’anxiété face à la mondialisation, a relevé Pascal Lamy. 


Les gens ont peur de perdre leur identité nationale et leur sens de la sécurité.  Ils demandent donc plus à leur gouvernement.  En même temps, une certaine opinion voudrait voir les pays les plus riches faire plus de concessions en faveur des plus pauvres pour y réduire la pauvreté et leur permettre d’atteindre certains objectifs vitaux de développement.


Le Cycle de Doha met trop d’emphase sur l’agriculture, a reproché Gary Hufbauer, chercheur à l’Institut d’économie internationale de Washington D.C.  Il devrait plutôt mettre l’accent sur les produits industriels et les services car l’agriculture ne représente que 7% à  8% du commercial mondial alors que les biens industriels en représentent 61% et les services 20%.  La valeur foncière, les subventions et les autres protections du commerce agricole telles que pratiquées par les États-Unis, l’Union européenne et le Japon s’élèvent environ à 1 000 milliards de dollars.  Aucune démocratie, a prévenu le panéliste, ne peut endosser des politiques qui dévalueraient sa richesse agricole et foncière du jour au lendemain.


Les lobbies agricoles qui existent aux États-Unis, en Europe, au Japon, au Canada, en République de Corée et ailleurs n’acceptent pas l’ouverture des marchés agricoles de leurs pays et encore moins la fin des subventions.  De même, un certain nombre d’économies émergentes, qui ont jusqu’ici énormément bénéficié de l’ouverture des marchés mondiaux dans d’autres secteurs, n’ont absolument rien cédé.  Le Brésil, la Chine, l’Inde, l’Indonésie et l’Afrique du Sud ne font pas les concessions attendues.  Les pays les moins avancés (PMA) « qui demandent 99% d’exemptions douanières pour leurs produits refusent d’ouvrir leurs propres marchés, même à d’autres PMA », a accusé le professeur.


Si le Cycle de Doha échoue, 400 millions de personnes se verront condamnées à la pauvreté en Afrique, en Asie, et en Amérique latine.  Si au contraire il réussit, l’économie mondiale bénéficierait de 2 000 milliards supplémentaires de richesses dont une partie irait dans les poches des populations pauvres. 


Le Cycle de Doha ne propose que des demi-mesures, a accusé Carlos Correa, de l’Université de Buenos Aires en Argentine.  Les inégalités économiques et sociales sont la cause de l’insécurité qui règne aujourd’hui à travers le monde, a dit Carlos Correa.  Les pays en développement ont une production agricole qui pourrait être très compétitive sur un marché libre.  Mais l’accumulation de mesures de soutien dans les pays développés a provoqué la stagnation de la production agricole au Sud.  Des pays qui auraient dû jouir d’avantages comparatifs indéniables se sont retrouvés importateurs nets de produits alimentaires alors que les agriculteurs du Nord, qui sont loin d’être compétitifs, ont inondés les pays en développement de leurs produits subventionnés.  La sécurité alimentaire de nombreux pays est sacrifiée au profit des lobbies agricoles.  « Nous ne partageons pas le point de vue de ceux qui disent que parce qu’elle ne représenterait que 7% à 8% du commerce mondial, l’agriculture ne devrait pas recevoir l’attention qu’on lui a accordée dans le Cycle de Doha ».


Abordant la question de l’accès aux médicaments et celle des Accords de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC), Carlos Correa a porté un autre coup.  Les riches, qui tiennent tant à leurs brevets d’invention, refusent de reconnaître la propriété intellectuelle des pauvres quant aux connaissances traditionnelles liées à la biodiversité.  Cette dernière, dont les pays en développement détiennent la plus grande richesse, est elle-même pillée sans vergogne par les firmes pharmaceutiques du Nord et les produits qui en sont issus, notamment les médicaments, sont revendus aux populations mondiales à des prix prohibitifs.  


Il est étonnant que les pays riches continuent d’exiger des pays en développement le démantèlement total de leurs tarifs douaniers, a encore dénoncé Carlos Correa.  Non seulement les taxes douanières protègent les petites industries que les pays pauvres ont laborieusement mis en place mais elles constituent aussi un apport important aux budgets de ces pays.  Pourquoi demander aujourd’hui aux pays du Sud ce que les riches n’ont jamais fait au cours de leur propre histoire? s’est demandé le panéliste, en indiquant que jusqu’à une date pas très éloignée les États-Unis et les pays européens avaient protégé leurs industries nationales par des taxes à l’importation de biens industriels qui représentaient généralement 50% à 60% de la valeur du produit concerné. 


Le lien entre le commerce et le développement que l’on vante tant pour faire accepter par les pays du Sud des mesures douteuses, est un lien complexe, a ensuite estimé Carlos Correa, en mettant en garde les pays pauvres « qui seraient assez naïfs pour croire qu’un simple accès au marché et une ouverture compensatoire de leurs marchés suffiraient à leur ouvrir les portes de la prospérité ».  Il faut un accès élargi à des capitaux et aux technologies pour avoir une chance de décoller.  De plus, les pays ne pourront jamais promouvoir leur développement en se contentant d’exporter des produits agricoles même si les marchés leur étaient largement ouverts et les subventions éliminées, a estimé le professeur Correa.  Seule la transformation des matières premières et des produits de base et l’exportation de produits à haute valeur ajoutée permettront aux pays en développement de s’en sortir.  Ici se poserait alors la question de l’élimination des crêtes tarifaires et des droits de douanes progressifs. 


Débat interactif


Des questions ont ensuite été posée par les représentants du Cameroun,de l’Algérie, du Bénin qui a été rappelé qu’à l’ouverture du Cycle de Doha, il était clairement convenu que les PMA devaient y recevoir un traitement spécial séparé, vue leur situation.  Essayer de mettre les PMA au ban des accusés pour justifier le refus des pays riches de tenir leurs engagements revient à vouloir créer une confusion dans le débat.  Les représentants du Pakistan, de la Commission européenne, du Qatar et du Luxembourg ont également posé des questions.


Le professeur Hufbauer a convenu qu’il n’est pas certain qu’une ouverture des marchés agricoles profiterait à tous les pays en développement.  Il existe néanmoins un noyau « dur » de pays, peu nombreux, qui avaient en main la capacité de tirer avantage des marchés agricoles et d’une élimination des subventions.  Le genre de distorsions créées dans le marché du coton par d’importantes subventions est inacceptable, a commenté le Directeur de l’OMC.  L’argument de la valeur des terres agricoles, qui a été avancé par des pays développés, est également inacceptable, a dit Pascal Lamy, en rappelant aux pays en développement que l’OMC n’a jamais suggéré que la question des subventions soit écartée des négociations pour sortir de l’impasse. 


Mais je n’ai aucune formule magique pour débloquer les choses, a-t-il dit.  L’un de mes prédécesseurs au GATT m’a confié qu’il avait pris une initiative de dernier recours lors d’un blocage des négociations du Cycle de l’Uruguay.  Mais c’est une démarche de la dernière chance qu’on ne peut prendre que si on est dans une situation désespérée car elle peut aussi « tuer le malade », a avertit Pascal Lamy, qui s’est opposé aux mesures protectionnistes.  « Mais je donne raison à Carlos Correa quand il dit que la division internationale du travail reste injuste ».  Le professeur l’a dénoncée comme un schéma colonial qui refuse les bénéfices de l’industrialisation aux pays du Sud qui sont donc condamnés à n’exporter que des produits bruts sans grande valeur ajoutée. 


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À l’intention des organes d’information • Document non officiel
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