L’APPLICATION DU CONSENSUS DE WASHINGTON N’A PAS FAVORISÉ LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE, CONSTATE UNE TABLE RONDE DE LA DEUXIÈME COMMISSION
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Deuxième Commission
L’APPLICATION DU CONSENSUS DE WASHINGTON N’A PAS FAVORISÉ LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE, CONSTATE UNE TABLE RONDE DE LA DEUXIÈME COMMISSION
Dani Rodrik, Professeur à Harvard, recommande que les politiques de développement soient définies en respectant les réalités et les besoins de chaque pays
« L’expérimentation et les solutions novatrices et non conventionnelles sont essentielles à l’élaboration de stratégies de croissance », a souligné Dani Rodrik, Professeur à la John F. Kennedy School of Government de l’Université Harvard, qui s’exprimait ce matin devant la Commission économique et financière (Deuxième Commission), dans le cadre d’une table ronde sur le thème: « À la recherche de la prospérité: une vue sur les stratégies de croissance nationales ».
Présentation liminaire
Dans son discours liminaire, M. Rodrik a indiqué qu’on ne pouvait obliger les États à appliquer uniformément des politiques économiques et des stratégies arbitrairement classées comme étant de « bonnes pratiques », mais qu’il fallait plutôt laisser un espace politique et une marge de manœuvre aux gouvernements des pays en développement, afin de leur laisser la latitude de définir eux-mêmes les stratégies qui s’adaptent le mieux aux circonstances particulières de chaque État.
Dans ses remarques d’introduction, le Président de la Deuxième Commission, M. Aminu Bashir Wali (Nigéria), a noté la pertinence du sujet de la rencontre d’aujourd’hui, au moment où il a été convenu, lors du Sommet mondial 2005, que les pays en développement devaient adopter, d’ici à 2006, des stratégies leur permettant d’atteindre les Objectifs de développement agréés au niveau mondial, dont les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).
Le Professeur Rodrik a estimé qu’il était important que la communauté internationale comprenne bien les différences de situation entre les pays dont les efforts ont été couronnés de succès, et ceux dont les efforts se sont soldés par des échecs. Il a rappelé la place prédominante qu’ont occupé au cours des vingt dernières années chez les économistes, les principes du « Consensus de Washington » qui, grosso modo, se basait sur trois piliers réputés favorables à la croissance économique: la libéralisation de l’économie, la stabilisation macroéconomique et la privatisation accompagnée de dérégulation. Dans un deuxième temps, des recommandations supplémentaires ont été incorporées au « Consensus de Washington » concernant, entre autres, la gouvernance des entreprises, la lutte contre la corruption, la souplesse du marché du travail et la liberté des actions des banques centrales concernant le contrôle de l’inflation. La liste de mesures que les pays devaient prendre pour satisfaire à ces impératifs libéraux ne cessait de croître, a relevé le Professeur Rodrik.
Il a ensuite fait remarquer que les pays qui ont accepté et appliqué les directives du « Consensus de Washington » avec enthousiasme, notamment en Amérique latine, n’ont pas accompli les progrès escomptés. L’écart de croissance entre ces pays et ceux d’autres régions s’est creusé, a dit M. Rodrik en ajoutant que les performances de l’Amérique latine après l’application des mesures du Consensus de Washington ont été moins bonnes que dans le passé. Par contraire, a poursuivi le Professeur, les États qui ont mis en œuvre d’autres types de politiques et de recommandations, basées notamment sur leurs véritables réalités nationales, qui ont enregistré les meilleures performances économiques. Il a à cet égard cité les exemples de la Chine, de l’Inde et du Viet Nam, dont les taux de croissance se sont accrus de manière durable. Ces trois « superstars » de l’Asie, a-t-il observé, ont opté pour des recettes très différentes de celles conseillées par les institutions financières internationales, notamment en ce qui concerne leurs politiques commerciales, et se sont néanmoins très rapidement intégrées dans l’économie mondiale en dépit d’une situation économique aggravée, dans le cas du Viet Nam, par un embargo.
Ces exemples, a dit M. Rodrik, ont fait planer des doutes sur le bien-fondé et la justesse du « Consensus de Washington », qui est aujourd’hui remplacé par de nouvelles idées qui, même si elles sont encore embryonnaires, se fondent sur un certain scepticisme envers toutes les recommandations économiques qui ne tiennent pas compte des circonstances particulières de chaque pays. Il a estimé qu’il importait maintenant avant tout de définir, entre autres, des arrangements institutionnels en matière fiscale, bancaire ou commerciale, et il a noté qu’une certaine incertitude était inhérente à l’élaboration de toute politique de croissance.
S’interrogeant sur la meilleure manière de concevoir les stratégies de développement, le conférencier a mis en avant trois composantes essentielles. Il a d’abord insisté sur l’importance d’un diagnostic, qui doit être fait par les gouvernements afin d’identifier les contraintes majeures qui se posent à la croissance, et il a indiqué qu’il était nécessaire de choisir des secteurs prioritaires d’intervention. Après cet examen, a-t-il poursuivi, il faut élaborer des orientations et politiques permettant d’alléger les contraintes préalablement identifiées par des réformes ciblées. Enfin, il a expliqué que l’exercice de diagnostic et celui d’élaboration de politiques devaient ensuite être institutionnalisés. Les contraintes évoluent et la croissance ralentira si des diagnostics ne sont pas régulièrement conduits, a-t-il recommandé en indiquant qu’il fallait continuellement être capable de s’adapter et de concevoir de nouveaux arrangements au vu de l’évolution de la situation économique et financière.
Débat interactif
Dans la discussion qui a suivi la présentation du panéliste, plusieurs délégations, dont celles de la Jamaïque, du Maroc et de l’Union européenne, ont interrogé M. Rodrik sur ce qu’il attendait de la prochaine Réunion ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Hong Kong. Il a estimé que le Cycle de Doha n’avait pas encore répondu au mandat qui lui avait été donné d’être un cycle de négociations commerciales en faveur du développement, notamment parce qu’il n’a pas abordé la question centrale de la mobilité des travailleurs dans une économie mondialisée. Il a d’autre part ajouté que les gains, pour les pays en développement, d’une libéralisation de l’agriculture étaient largement surestimés.
Sur la place du Consensus de Monterrey, le représentant du Royaume-Uni a jugé que son approche était davantage adaptée à la réalisation des OMD et que, contrairement au Consensus de Washington, celui de Monterrey répondait aux attentes et aux spécificités des États. Le Professeur Rodrik a déclaré que l’ancien Consensus de Washington n’était cependant pas encore enterré. Toutefois, a-t-il précisé, les gouvernements ont aujourd’hui des politiques plus cohérentes qui leur permettent de ne pas toujours se conformer aux directives et aux désirs d’institutions extérieures. S’agissant de la question de la bonne gouvernance, il a jugé erronée toute approche consistant à en faire une condition préalable à la croissance économique, citant en exemple la corruption qui régnait à la fin du 19ème siècle aux États-Unis.
La Deuxième Commission poursuivra ses travaux lundi, le 10 octobre, à 10 heures, en entendant un exposé de José Antonio Ocampo, Secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales, sur l’Étude sur la situation économique mondiale et les perspectives en 2005. La Commission entamera ensuite l’examen du point de son ordre du jour relatif aux questions de politique macroéconomique.
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