LES EXCEPTIONS AU PRINCIPE DE L’EPUISEMENT DES RECOURS INTERNES NE DEVRAIENT PAS ENCOURAGER UN EXERCICE ABUSIF DE LA PROTECTION DIPLOMATIQUE
Communiqué de presse AG/J/405 |
Sixième Commission
18ème séance – matin
LES EXCEPTIONS AU PRINCIPE DE L’EPUISEMENT DES RECOURS INTERNES NE DEVRAIENT PAS ENCOURAGER UN EXERCICE ABUSIF DE LA PROTECTION DIPLOMATIQUE
Poursuivant l’examen du rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa cinquante-cinquième session, la Sixième Commission (Commission juridique) a mis l’accent ce matin sur la protection diplomatique. Les délégations se sont prononcées notamment sur la pertinence du critère retenu pour déterminer la nationalité d’une société, à savoir celui de l’immatriculation, et qui habilitera un Etat à exercer sa protection diplomatique à l’égard de la société. De l’avis de la délégation du Royaume-Uni, ce critère a l’avantage d’être utilisé aisément alors que la France propose plutôt de retenir deux critères cumulatifs, celui de l’immatriculation et celui du siège social, afin de limiter notamment la création de sociétés dans des paradis fiscaux.
Les délégations se sont attardées également sur le projet d’article concernant les exceptions au principe de l’épuisement des voies de recours internes. En effet, le projet d’article dispose que le principe ne s’applique pas lorsque les recours internes n’offrent aucune possibilité raisonnable d’obtenir une mesure de réparation efficace, lorsque l’administration du recours subit des retards liés à l’Etat présumé responsable, lorsqu’il n’existe pas de lien pertinent entre la personne lésée et l’Etat présumé ou lorsque les circonstances font qu’il est déraisonnable de vouloir les épuiser, et enfin lorsque l’Etat présumé responsable a renoncé à ce que les voies de recours internes soient épuisées. Ainsi, les délégations ont dans l’ensemble exprimé leurs doutes quant à la pertinence de cette règle et ses fondements en droit international coutumier. Ainsi, les Etats-Unis ont souligné que la définition proposée par la Commission du droit international ne permettait qu’un recours très restrictif aux moyens disponibles sur le plan interne alors que le droit international coutumier fait référence à tous les recours. Pour sa part, la France a soutenu que seule l’existence de difficultés extraordinaires devrait permettre de s’écarter du principe de l’épuisement des voies de recours internes. Cette disposition, a estimé la Chine, a un libellé trop vaste qui risque d’ouvrir la voie à une extension abusive de l’exception.
Par ailleurs, les délégations ont formulé de brefs commentaires sur les travaux de la Commission du droit international concernant la responsabilité pour les conséquences préjudiciables découlant d’activités qui ne sont pas interdites par le droit international.
Outre ceux déjà cités, les représentants du Portugal, de la Hongrie et du Mexique se sont exprimés.
La Sixième Commission a entendu le Président de la Commission du droit international, M. Enrique Candioti, qui a présenté les chapitres VII et VIII du rapport de la CDI, consacrés aux actes unilatéraux et réserves aux traités. Ces questions seront examinées demain, vendredi 31 octobre à 15 heures.
RAPPORT DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL SUR LES TRAVAUX DE SA CINQUANTE-CINQUIEME SESSION
Protection diplomatique (Chapitre V) et Responsabilité internationale pour les conséquences préjudiciables découlant d’activités qui ne sont pas interdites par le droit international (Chapitre VI)
Déclarations
M. LUIS SERRADAS TAVARES (Portugal) a déclaré que son pays soutenait l’extension de la portée du projet d’articles sur la protection diplomatique au personnel d’un navire par l’Etat du pavillon, et au personnel d’une organisation internationale. Sur ce point, le critère retenu pourrait être le lien permanent avec l’organisation internationale qui en fait un fonctionnaire international. L’Etat de nationalité garderait un droit résiduel à exercer sa protection. La Commission du droit international pourrait également étudier les situations dans lesquelles un Etat ou une organisation internationale administre un Etat ou territoire étranger. Le Portugal estime par ailleurs que les critères retenus pour la protection diplomatique des apatrides et des réfugiés, à savoir une résidence habituelle et légale, sont trop rigoureux et pourraient les priver de protection. Concernant la responsabilité pour les conséquences préjudiciables découlant d’activités dangereuses qui ne sont pas interdites par le droit international, le Portugal estime que le régime devrait être contenu dans un projet d’articles afin de compléter celui de la prévention. Ce projet de texte devrait prévoir la définition du dommage, des activités dangereuses, et de l’opérateur; le principe général selon lequel les Etats et victimes sous leur juridiction ne devraient pas supporter le dommage et que les opérateurs sont responsables des dommages causés par leurs activités; le principe d’une responsabilité résiduelle pour l’Etat; la possibilité de limiter la responsabilité; la nécessité de créer des fonds de garantie; la nécessité d’une réparation adéquate et l’inclusion des dommages causés à l’environnement.
M. STEPHEN MATHIAS (Etats-Unis), intervenant sur la question de la protection diplomatique, a déclaré que son pays procédait actuellement à l’examen des dix projets d’articles et leurs commentaires que la Commission du droit international a adoptés provisoirement et les six projets d’articles renvoyés au Comité de rédaction. La protection diplomatique de l’équipage d’un navire ne fait pas l’objet d’une coutume internationale, a-t-il rappelé avant de recommander à la Commission de limiter ses travaux à la codification du droit international coutumier. Les Etats-Unis sont convaincus que nombre de projets de textes ne se fondent pas sur le droit international, notamment le projet d’article sur les apatrides et réfugiés et le projet d’article 4. Ce dernier projet soumet la règle du droit international coutumier à deux règles restrictives: cette continuité doit-elle jouer dès qu’une requête est formée? Est-ce que la continuité de nationalité joue au cours de la période intermédiaire entre la survenance du dommage et le dépôt de la demande? Les Etats-Unis ne sont pas convaincus que la règle d’épuisement des voies de recours internes soit conforme au droit international coutumier. La définition proposée par la CDI ne permet qu’un recours très restrictif aux moyens disponibles au plan interne alors que le droit coutumier fait référence à tous les recours. Le représentant a estimé que ces déviations par rapport au droit international coutumier amènent à penser que la Commission dépasse son mandat. Il a donc demandé à la Commission de revoir les projets d’articles et de les soumettre au droit international coutumier. Sur les conséquences dommageables découlant d’actes non interdits par le droit international, le représentant a fait sienne la recommandation du Rapporteur spécial selon laquelle les Etats devraient faire preuve de souplesse pour développer des régimes de responsabilité qui tiennent compte de leurs besoins particuliers. De l’avis de sa délégation, un Etat ne peut être tenu sur le plan international de garantir un partage équitable des pertes.
M. ZHENMIN LIU (Chine), abordant la question de la protection diplomatique, a indiqué, concernant la règle de l’épuisement des voies de recours, qu’il serait bon de préciser que cette question doit être examinée au regard du droit interne de l’Etat concerné, et qu’il incombe à l’Etat demandeur de prouver que les voies de recours ne sont pas adéquates. Le libellé du projet d’articles semble permettre une extension abusive de l’exception. Il faut laisser la place au règlement pacifique des différends, et empêcher toute incertitude. La renonciation par l’Etat à l’épuisement des voies de recours doit être formulée expressément. Quant à la protection des actionnaires d’une société, il faut ménager les intérêts de l’Etat hôte. Le droit d’exercer la protection diplomatique doit être limité à l’état de nationalité de la société. Il ne faut pas l’étendre à ses actionnaires. La Chine estime que le projet d’article sur cette question est acceptable. Quant au lien effectif avec un Etat, l’immatriculation dans un Etat est suffisante. Il n’est pas nécessaire d’adopter un critère supplémentaire de lien général ou de lien effectif. La Chine estime par ailleurs que lorsqu’une société a cessé d’exister au lieu de son immatriculation, il s’agit d’une cessation de jure, en droit et non en fait. De plus, ce principe doit s’aligner avec le principe de continuité de société, où une concurrence peut exister entre la protection par l’Etat de nationalité de la société et par celui des actionnaires. Cela compliquera la question du règlement des différends. La protection par l’Etat de nationalité des actionnaires n’est pas automatique, elle ne peut intervenir que si la société ne peut faire valoir ses droits. Quant à l’inclusion de la lex specialis, la Chine considère qu’elle devrait être étendue à tout le régime de protection diplomatique, et qu’elle devrait recevoir priorité. En revanche, la Chine n’est pas favorable à l’extension mutatis mutandis du régime aux autres personnes morales que les sociétés commerciales, et suggère l’élimination de cette disposition.
M. RONNY ABRAHAM (France), intervenant sur la protection diplomatique, a rappelé avoir déjà contesté le bien-fondé de la référence au projet d’article 7 sur la protection des apatrides et réfugiés, qui ne sont pas l’objet d’une règle coutumière. S’agissant de l’épuisement des voies de recours, le projet d’article 9 pose le principe du dommage immédiat mais ne donne pas de précisions quant aux facteurs permettant de mesurer sa prépondérance. Le projet d’article 10 répertorie les cas dans lesquels les recours internes n’ont pas à être épuisés. M. Abraham a demandé à la CDI de préciser les exceptions proposées. Seule l’existence de difficultés extraordinaires devrait permettre de s’écarter du principe de l’épuisement des voies de recours internes, a-t-il affirmé. S’agissant de la protection des actionnaires, il a proposé de retenir cumulativement le critère du lieu d’incorporation et celui du siège social, conjonction qui pourrait avoir pour effet de limiter les possibilités d’installation dans des paradis fiscaux. L’adoption de ces critères pourrait laisser sans protection une société qui a constitué son siège social dans un autre Etat que celui de sa constitution, a estimé le représentant qui insiste sur le critère du lien effectif. Etablir la nationalité par rapport à ce lien effectif, a-t-il précisé, ne serait pas suffisant car cela reviendrait à introduire des éléments d’appréciation relatifs au contrôle économique de la société et donc à la composition de son actionnariat. Le projet d’article 21 devrait s’appliquer à l’ensemble des projets. Il n’y a pas de raison que cela ne s’applique pas aux personnes physiques par exemple, qui pourraient alors invoquer des droits de l’homme. Le projet d’article 22 ne pose pas de problème majeur, si ce n’est que la pratique des Etats est trop parcellaire pour pouvoir en dégager une règle. De l’avis de la délégation française, le projet d’article 22 devrait être remplacé par une clause figurant dans la partie générale du projet de texte, qui indiquerait que les dispositions de celui-ci sont sans préjudice de l’exercice de la protection diplomatique lorsqu’un dommage est causé à une personne morale autre qu’une société.
M. CHANAKA WICKREMASINGHE (Royaume-Uni) s’est déclaré satisfait de ce que les solutions retenues en matière de protection diplomatique étaient largement dérivées de l’arrêt de la CIJ « Barcelona Traction ». Toutefois, le Royaume-Uni reste attaché au critère de l’immatriculation pour déterminer la nationalité d’une société, critère aisé à appliquer. Le représentant s’est déclaré préoccupé par l’omission de ce critère dans le projet d’articles, et par l’introduction d’un critère supplémentaire tiré d’un lien avec l’Etat qui exerce la protection. Quant aux règles d’exception, elles risquent de conduire à l’exercice concurrent par l’Etat de nationalité et l’Etat de nationalité des actionnaires. Le Royaume-Uni considère que sa pratique dans un tel cas sera de rechercher une concertation avec l’autre Etat. Par ailleurs, il serait bon de prévoir une clause de sauvegarde générale concernant les régimes spéciaux. Sur la question de la protection diplomatique par l’Etat du pavillon d’un navire, il serait souhaitable de se reporter à la décision du Tribunal international pour le droit de la mer dans l’affaire Saiga. Quant à la protection exercée par une organisation internationale, c’est une protection fonctionnelle qui n’est pas liée au régime considéré. Abordant la responsabilité pour les dommages causés par des activités non illicites, M. Wickremasinghe a estimé qu’il était trop tôt pour se prononcer sur la forme du futur régime. Il serait bon de poursuivre les travaux, mais un instrument juridique contraignant ne serait sans doute pas la meilleure solution. Le Royaume-Uni a plaidé pour que la question des actes unilatéraux soit retirée du programme de travaux de la CDI; il présentera des observations sur la question des réserves lorsque les travaux auront progressé.
M. ARPAD PRANDLER (Hongrie) a indiqué que sa délégation attachait une importance particulière à la question de la responsabilité internationale pour les conséquences préjudiciables découlant d’activités qui ne sont pas interdites par le droit international. Outre la pollution de l’air, la Hongrie a subi l’impact négatif de la pollution de l’eau, dans la mesure où ses ressources dépendent à 95% des rivières en provenance de pays voisins. Ces conséquences négatives se sont manifestées par la pollution industrielle qui a causé des dommages aux personnes et aux biens, notamment au patrimoine national. Des régimes régionaux existent déjà, notamment celui mis en place par la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe, qui a adopté le principe « pollueur payeur ». La Hongrie accueille favorablement les propositions de la Commission du droit international, et estime que chaque Etat doit avoir la latitude pour mettre en place un régime de protection sur son territoire. Cette protection exige des mesures de prévention et de réparation, la victime innocente ne devant pas supporter seule le poids du dommage. Par ailleurs, l’objectif du régime de responsabilité n’est pas l’imputation des pertes mais l’imputation de la responsabilité. Cette dernière devrait être supportée par l’opérateur, avec un soutien de l’Etat. La Hongrie estime que la pratique et la jurisprudence en la matière constituent déjà un droit coutumier et formel suffisant. Cela a d’ailleurs été rappelé par l’adoption en 2003 du Protocole de Kiev sur la responsabilité civile et l’indemnisation pour les dommages causés par les effets transfrontières des accidents industriels sur les eaux transfrontières.
M. ALFONSO ASCENCIO (Mexique) a déclaré que la responsabilité internationale pour les conséquences préjudiciables découlant d’activités qui ne sont pas interdites par le droit international est une question primordiale. Son examen par la Commission du droit international était une initiative positive. La Commission est amenée à combler un vide important en droit international pour que les Etats se conforment à leurs obligations, notamment aux principes de Rio qui prévoyaient le développement du droit international en vue d’une prévention et réparation des dommages transfrontières. Le représentant a indiqué que sa délégation avait répondu aux questions de la CDI, en notant que l’expression « attribution de la perte » n’était pas claire. Cette formule peut s’écarter du principe « pollueur payeur » selon lequel la victime innocente ne doit pas subir les conséquences de la perte, a-t-il fait remarquer. Quand il y a plusieurs responsables - c’est-à-dire plusieurs exploitants -, on peut envisager une responsabilité solidaire. La délégation du Mexique propose d’instaurer un système d’assurance pour indemniser les victimes. Le principe du « pollueur payeur » devrait s’étendre aux questions de procédure et la victime ne devrait pas se voir imposer de charges trop lourdes. En général, a rappelé le représentant, dans les régimes de responsabilité civile, une responsabilité objective est retenue pour l’opérateur. Les Etats devraient élaborer des régimes similaires pour résoudre les problèmes liés aux dommages transfrontières, a-t-il estimé. L’instrument final qui sera adopté par la CDI devrait inclure des aspects liés aux dommages à l’environnement, a estimé le représentant, qui a précisé que sa délégation soutient l’idée d’adopter une convention qui traitera à la fois de la prévention et de la réparation.
Actes unilatéraux et Réserves aux traités (Chapitre VII Et VIII du Rapport de la CDI)
M. ENRIQUE CANDIOTI, Président de la Commission du droit international, a fait observer que depuis l’inscription de la question des actes unilatéraux des Etats au programme de travail de la Commission, les difficultés rencontrées avaient trait à une conceptualisation claire du sujet, la délimitation de son champ d’application, et l’accès à la pratique des Etats. Le remplacement de l’approche globale par une approche au cas par cas, ainsi que la référence limitée à la pratique des Etats ne permet pas à la Commission de traiter convenablement la question, a-t-il affirmé. Un Groupe de travail a alors été constitué afin de déterminer la meilleure approche pour traiter la question. Ce dernier a fait des recommandations que la Commission a entérinées selon lesquelles l’acte unilatéral de l’Etat est une déclaration exprimant sa volonté ou son consentement et visant à créer à son égard des obligations ou d’autres effets juridiques de droit international. L’étude en question traitera de la conduite des Etats lorsque celle-ci crée des obligations ou autres effets juridiques internationaux similaires à ceux des actes unilatéraux et que pour cela l’étude se penchera sur la pratique des Etats afin d’établir des principes directeurs. S’agissant des méthodes de travail, le Président de la CDI a fait des recommandations au Rapporteur spécial notamment en vue d’une présentation aussi large que possible de la pratique des Etats permettant de dégager les règles applicables aux actes unilatéraux des Etats et les comportements d’Etats. Il l’a invité à établir une classification de la pratique sans pour autant en déduire des règles matérielles. Le Président de la CDI a réitéré son appel aux gouvernements afin que ceux-ci fournissent des informations sur leur pratique en la matière.
S’agissant de la question des réserves aux traités, M. Candioti a rappelé que la Commission avait adopté onze projets de principes directeurs et qu’elle en avait renvoyé cinq au Comité de rédaction. Ces projets portent sur le retrait des réserves, la forme de ce retrait, le réexamen périodique de l’utilité des réserves, la formulation du retrait d’une réserve au plan international, l’absence de conséquences au plan international de la violation des règles internes relatives au retrait des réserves, la communication du retrait d’une réserve, les effets du retrait d’une réserve, la date d’effet du retrait d’une réserve, les cas dans lesquels l’Etat ou l’organisation internationale réservataire peut fixer unilatéralement la date d’effet du retrait d’une réserve, le retrait partiel d’une réserve et les effets du retrait partiel d’une réserve. Le Président de la CDI a conclu en invitant les Etats à présenter leurs commentaires et observations sur quatre points du Chapitre VIII, à savoir la définition des objections aux réserves, la valeur juridique de la sentence arbitrale Mer d’Iroise de 1977 qui établit que l’intention est un élément primordial de l’objection, les avantages et désavantages d’une détermination claire des éléments constitutifs de l’objection, et l’élargissement du champ d’application des réserves.
* *** *