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AG/EF/457

LA MONDIALISATION SERAIT PLUS POSITIVE SI ELLE RESPECTAIT LES REGLES COMMERCIALES ETABLIES ET LES BESOINS DES DIVERS GROUPES DE PAYS

10/11/2003
Communiqué de presse
AG/EF/457


Deuxième Commission

Table ronde


LA MONDIALISATION SERAIT PLUS POSITIVE SI ELLE RESPECTAIT LES REGLES COMMERCIALES ETABLIES ET LES BESOINS DES DIVERS GROUPES DE PAYS


Invités par la Deuxième Commission, des experts débattent des aspects financiers, commerciaux, humains et politiques de l’économie mondiale post-Cancùn


Modèle imposé par les principales puissances économiques mondiales ou évolution naturelle de l’interdépendance, la mondialisation a-t-elle eu un impact positif sur le développement économique et social?  C’est la question qu’a posée, ce matin, la Commission économique et financière (Deuxième Commission) à un groupe de spécialistes de l’économie venus de l’Université de Princeton; de la «School of Public and International Affairs» de l’Université de Colombia; du «Dialogue interaméricain», et de la Ligue des consommateurs du Burkina Faso.  En réponse à la question posée, ces personnalités ont affirmé que le désenchantement que l’on observe par rapport aux modèles économiques de la mondialisation provient d’une certaine confusion entre ses différents aspects.  Pour ces spécialistes, il serait possible de dresser un bilan globalement positif de la mondialisation si une nette distinction était par exemple établie entre la libéralisation commerciale et l’intensification des flux migratoires, d’une part, et la libéralisation des marchés financiers, d’autre part.  Défendue comme un aspect positif de la mondialisation, la libéralisation du commerce mondial n’a pas, toutefois, échappée à des phénomènes créateurs de distorsions comme en a témoigné la «question du coton» débattue à Cancùn et au cours de la table ronde de ce matin.


Professeur d’économie à l’Université de Colombia, M. Jagdish Bhagwati, a été le premier à demander plus de clarté dans le débat sur la mondialisation, et à ce qu’une distinction soit faite entre les incidences commerciales de la mondialisation et ses incidences socio-économiques.  En fait, a-t-il estimé, le débat doit viser à trouver les moyens d’influer sur les résultats de la mondialisation.  Prenant un exemple, il a posé la question suivante: la libéralisation commerciale améliore ou aggrave-t-elle la situation dans laquelle vivent les enfants à travers le monde?  Deux réponses «justes» peuvent être apportées à cette question, a-t-il dit.  Mais qui a raison?  Ceux qui prétendent que la libéralisation commerciale entraînant la hausse du pouvoir d’achat des parents, les enfants n’auront plus à travailler?  Ou, ceux qui supposent que la libéralisation commerciale ouvrant la voie à la délocalisation et à la recherche de main-d’oeuvre toujours moins coûteuse, les enfants seront obligés de continuer à servir de main-d’œuvre bon marché?  La question essentielle est donc celle de trouver les moyens de «faire pression» sur la mondialisation pour qu’elle donne des résultats socio-économiques «moralement» acceptables, a-t-il estimé.  Toujours pour étayer son appel à la clarté dans le débat, le Professeur d’économie a donné

un autre exemple.  Il a ainsi rappelé que la crise asiatique des années 1997 et 1998 avait été imputée à la mondialisation.  De quel aspect de la mondialisation s’agissait-il?  A cet égard, il a souligné que là encore, il aurait fallu faire une distinction entre la libéralisation commerciale, qui a permis le décollage des économies asiatiques, et la libéralisation financière, qui a créé les problèmes auxquels ont eu à faire face ces pays, compte tenu des sorties soudaines de capitaux qu’elle permet.


M. Paul Krugman, Membre de la «School of Public and International Affairs» de l’Université de Princeton, a cité les succès économiques de la République de Corée, de la Chine, et du Bangladesh, pour démontrer l’aspect positif de la mondialisation qui devrait permettre à terme à tous les pays d’œuvrer à leur développement socio-économique.  La mondialisation ne doit être perçue comme «ce que les Occidentaux veulent aux dépends des autres», mais plutôt comme un moyen de permettre l’accès de tous les peuples au potentiel socio-économique que recèlent les échanges économiques et financiers.  A son tour, M. Krugman a cité les crises financières du Mexique, de  l’Argentine et de l’Asie, pour illustrer la nécessité de dissocier, dans l’analyse, la libéralisation commerciale de la libéralisation financière.  L’expérience a montré, a-t-il concédé, que l’afflux massif de capitaux n’est pas toujours salutaire.  M. Krugman a donc appelé à une certaine prudence et modestie en vue de tempérer la «fièvre» des années 90 son mot d’ordre qui se résumait à «privatisez, libéralisez, ouvrez vos marchés, et la croissance suivra!» 


Le Directeur de projet de l’Amérique centrale pour le Dialogue interaméricain, M. Manuel Orozco, voulant, à son tour, que le débat aille au-delà de la libéralisation commerciale ou financière, a développé la question de la migration pour illustrer les avantages de la mondialisation.  Les flux migratoires, a-t-il affirmé, sont le «visage humain» de la mondialisation.  Il a ensuite démontré sa thèse en soulignant l’importance économique de ces migrations et en commençant par leur influence non négligeable sur les secteurs du transport aérien et des télécommunications.  Il a aussi mis l’accent sur le poids économique des «biens nostalgiques», les gens voulant retrouver et consommer ce qu’ils connaissent dans leur pays d’accueil.  A cet égard, a-t-il fait remarquer, les ventes de haricots ou de rhum aux Etats-Unis représentent aujourd’hui 10% des exportations d’un pays comme la République dominicaine.  Le Directeur de projet s’est aussi attardé sur l’importance des envois de fonds, en indiquant qu’ils représentent actuellement 35% des revenus nationaux des pays d’Amérique latine.  Pour garantir le lien entre ces transferts et la croissance économique, il a préconisé plusieurs stratégies consistant, entre autres, à remédier au manque d’institutions bancaires dans ces pays, et en particulier dans leurs zones rurales, et à investir dans les nouvelles technologies.


Enfin, le Représentant de la Ligue des consommateurs du Burkina Faso, M. Jean Pierre Ouedraogo, a commenté la question du coton qui autour de laquelle s’est «cristallisée» la revendication commune du Bénin, du Burkina Faso, du Mali et du Tchad à Cancùn.  Précisant que le coton représente plus de 60% du PIB dans 10 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre, il a estimé que la cinquième Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui s’est tenue à Cancùn, aurait dû être l’occasion pour ces pays d’obtenir des contributions financières pour compenser les effets des subventions accordées par les pays du Nord à leurs producteurs de coton.  Estimant à 250 millions de dollars les pertes annuelles directes occasionnées dans les pays africains par ces subventions, il a salué l’Allemagne pour avoir organisé, quelques jours avant l’ouverture des négociations de Cancùn, un séminaire au terme duquel la contribution des exportations de coton à la lutte contre la pauvreté a été confirmée ainsi que les contradictions qui existent, dans certains pays du Nord, entre la politique proclamée en matière d’aide publique au développement (APD) et la politique commerciale. 


Questions-réponses


Répondant aux questions du représentant du Zimbabwe sur l’apport potentiel des transferts de fonds des migrants et des produits de base au développement, et des représentants de la Nouvelle-Zélande et de l’Inde sur la capacité des pays en développement à résister aux inégalités de la mondialisation, le Directeur de projet pour l’Amérique centrale a indiqué que des réflexions sont menées pour limiter les prélèvements qui sont opérés sur les transferts de fonds que les migrants envoient dans leurs pays d’origine.  Les commissions prélevées sur les virements et les frais de change représentent en moyenne 10% des montants transférés, a-t-il indiqué.  De leur côté, le Professeur de l’Université de Columbia et le représentant de la Ligue des consommateurs du Burkina Faso ont souligné le cas commercial très particulier du coton, qui présente la spécificité d’être exclusivement un produit d’exportation.  Ils ont insisté sur la sensibilité de la question puisque, contrairement à d’autres produits de base, le coton est produit à la fois dans les pays du Nord et dans ceux du Sud.  De ce fait, toute une filière d’activités, toujours compétitive, mais dont la rentabilité est menacée, est aujourd’hui mise en danger par les subventions des pays développés. 


      Reprenant la série de questions aux panélistes, le représentant du Maroc s’est demandé comment les pays du Sud pourraient attirer les investissements privés si on continue à leur refuser toute souveraineté sur leur politique monétaire?  Les règles de fonctionnement de l’économie ne sont en aucun cas libérales, et le marché ne fonctionne pas librement, comme en atteste le commerce du coton, a estimé le représentant.  Beaucoup de pays comptent sur la libéralisation des échanges pour assurer leur croissance, a poursuivi la représentante du Brésil, en plaidant pour une libéralisation totale des échanges de produits agricoles et pour l’accélération des politiques liées au transfert des technologies.  Elle a été appuyée, en cela, par le représentant de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) qui a aussi contesté la thèse relative à l’impact des «biens nostalgiques» sur la croissance économique.


Ne convient-il pas de modérer l’optimisme qui entoure la question des flux migratoires au regard du phénomène de la fuite des cerveaux?  S’est inquiété le représentant de l’Afrique du Sud.  Les envois de fond doivent-ils être considérés comme des crédits accordés par les migrants à leur pays d’accueil ou comme autre chose?  a demandé le représentant du Cameroun.


Répondant à ces questions, Le Pr. Krugman de l’Université de Princeton a cité pour exemple le cas de la République de Corée, dont le succès repose sur une politique d’exportations et sur sa composante technologique.  L’Amérique latine, a-t-il dit, n’a pas su reprendre à son compte l’exemple de l’Asie, car elle pas mis l’accent requis sur l’éducation, les infrastructures ou encore la répartition des revenus.  Se montrant prudent par rapport à l’impact réel de l’ALENA, M. Krugman a dit craindre que les intérêts des petits pays se retrouvent marginalisés.  Il a donc plaidé en faveur de négociations commerciales à l’échelle mondiale en prévenant que la multiplication de négociations bilatérales ou de portée restreinte, qui vont automatiquement découler de l’échec de Cancùn, ne vont pas dans le bon sens. 


Sur la question des flux migratoires, le Directeur de projet de l’Amérique centrale pour le Dialogue américain a insisté sur le fait qu’il y a une réalité que l’on ne peut ignorer, et c’est celle de la circulation accrue des personnes.  Les bienfaits vont dans le sens, a-t-il dit en réitérant les exemples donnés au cours de son exposé.  «Il faut sortir des stéréotypes sur la migration, analyser la façon dont les mouvements des personnes changent l’équation du développement et, à partir de là, élaborer des politiques opérationnelles pour gérer, par exemple, les envois de fonds», a-t-il dit.  Venant à la question de la fuite des cerveaux, il a lancé un défi aux délégations concernées, en leur demandant de rendre le marché du travail de leurs pays respectifs plus attrayant.  Lors de son passage au Mali, a ajouté le représentant de la Ligue des consommateurs du Burkina Faso, le Président de la France a soulevé la question de l’immigration pour s’entendre rappeler par son hôte que les envois de fonds des émigrés maliens sont bien supérieurs à l’aide française au développement.  Abordant aussi la question de la cohérence des politiques internationales, le représentant a estimé que, compte tenu du manque de progrès dans la mise en œuvre des résultats des grandes conférences tenues sur les questions économiques, la priorité pour les pays du Sud doit être d’étudier la manière de défendre leurs intérêts dans les instances décisionnelles.


En conclusion, le Directeur de la Division d’appui au Conseil économique et social du Département des affaires économiques et sociales (DESA), M. Saburland Khan, a regretté que de nombreuses questions vitales - comme l’agriculture, le mouvement et la circulation des personnes, ou encore les spécificités nationales de pays en développement- aient été négligées par la mondialisation:  Il a souligné la nécessité de traiter de la dimension internationale de la mondialisation en même temps que ses aspects nationaux.  Il faut que les pays comprennent l’importance d’adapter leurs politiques nationales de manière à les rendre complémentaires et non contradictoires, a-t-il recommandé. 


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