En cours au Siège de l'ONU

AG/EF/368

LA MONDIALISATION EST-ELLE UNE MENACE POUR L’ETAT-NATION? LA QUESTION EST POSEE DEVANT LA DEUXIEME COMMISSION

02/11/01
Communiqué de presse
AG/EF/368


Deuxième Commission

Table ronde sur le thème

« La mondialisation et l’Etat » - matin


LA MONDIALISATION EST-ELLE UNE MENACE POUR L’ETAT-NATION? LA QUESTION EST POSEE DEVANT LA DEUXIEME COMMISSION


Une table ronde sur le thème “Mondialisation et Etat”a été, ce matin, l’occasion pour la Commission économique et financière (Deuxième Commission) de réfléchir au rôle de l’Etat dans une structure nationale de plus en plus influencée par l’extérieur.  Dans ce contexte, la question de savoir si la mondialisation constitue une menace pour l’Etat-nation  a été très vite posée par les participants à la table ronde qu’étaient le Premier Ministre de l’Ouganda, le Ministre de l’administration publique de l’Espagne, le Ministre de la science et de la technologie du Venezuela, l’ancien Ambassadeur du Pakistan auprès de l’ONU et le Directeur de la “London School of Economics and Political Science”.


Ainsi, l’ancien Ambassadeur du Pakistan a invoqué la faculté, renforcée par la mondialisation et les nouvelles technologies de l’information et des communications, des pays du Nord et des institutions internationales à exercer sur les pays du Sud une pression politique, économique et culturelle pour défendre la thèse de l’affaiblissement de l’Etat-nation. On a tort aujourd’hui, a-t-il dit, de vouloir imposer au monde un modèle unique basé sur la culture occidentale qui, loin d’être la plus ancienne, pourrait apprendre beaucoup des autres cultures.  Il serait donc, selon lui, impérieux de laisser les personnes préserver leurs identités, leurs cultures et leurs intérêts si l’on veut bâtir des nouvelles structures étatiques favorables à la mondialisation. 


C’est exactement ce à quoi a conduit la mondialisation, a estimé, pour sa part, le Directeur de la “London School of Economics and Political Science”.  Pour lui, la mondialisation a fait  de l’Etat-nation une forme universelle d’Etat.  Relevant le paradoxe de ce phénomène, il a expliqué que tout en mondialisant les activités humaines, la mondialisation a exacerbé le “besoin du local et du national”.  Il a ainsi cité l’exemple des pays successeurs de l’ancien empire soviétique, qui, confrontés aux pressions extérieures, ont vite fait de reconstruire leur identité nationale et de consolider l’Etat-nation.  L’Universitaire a catégoriquement rejeté la thèse de l’affaiblissement de l’Etat.  Il a, au contraire, dit déceler dans les tendances actuelles un rôle accru de l’Etat qui est passé d’un mouvement régulateur à un mouvement d’investissement dans le développement humain et d’un mouvement de privatisation à un mouvement de “publicisation”, avec le retour en force des institutions publiques.


Mais tout en conservant une partie de leurs prérogatives et de leur souveraineté, les Etats doivent mettre plus d’accent sur l’intégration et les interactions régionales, a déclaré, pour sa part, le Ministre de l’administration publique de l’Espagne. Citant le cas de l’Union européenne, que l’orateur précédent a qualifié d’exemple “d’Etat-nation à l’échelle régionale”, le Ministre


(à suivre – 1a)

dont le pays assurera la présidence de l’Union européenne, à partir du mois de janvier 2002, a indiqué que son objectif est de faire avancer l’élargissement de l’Europe et de participer à la création d’un espace de prospérité et de sécurité pour tous.


La prospérité et la sécurité en Afrique, a dit le Premier Ministre de l’Ouganda ne viendra que de la faculté des Etats africains à  faire entendre leurs voix sur la scène internationale et à mettre en place, au niveau national, des institutions administratives qui reflètent véritablement le contexte socioculturel de leur société.  A cet égard, le Ministre de la science et de la technologie du Venezuela, a expliqué le potentiel des nouvelles technologies de l’information et des communications dans la mise en place d’une administration orientée vers le développement humain.


La Commission reprendra ses travaux le lundi 5 novembre, à 10 heures.  


TABLE RONDE SUR “LA MONDIALISATION ET l’ETAT”


Exposés liminaires


M. FRANCISCO SEIXAS DA COSTA, Président de la Deuxième Commission, a ouvert le débat en relevant que les mécanismes de la mondialisation n’avaient pas jusqu’à maintenant fonctionné de façon équitable entre les pays du Nord et du Sud.  La mondialisation a besoin d’une démocratisation de son fonctionnement, a estimé le Président en ajoutant que beaucoup d’observateurs pensent, à ce sujet, que les Nations Unies sont le cadre où pourraient être discutées les mesures qui rendraient le phénomène de la mondialisation plus équitable et plus bénéfique pour les peuples du monde entier.


M. NITIN DESAÏ, Secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales et Modérateur de la table ronde, a estimé que la communauté internationale était devenue plus sensible aux problèmes que pose la mondialisation, dont la première caractéristique est qu’elle est un phénomène qui entraîne une interdépendance des économies.  On s’est demandé quel pouvait être le rôle de l’Etat dans ce nouveau cadre, et notamment le rôle des gouvernements, a dit M. Desaï.  Le multilatéralisme qui préside à son existence a profondément changé les règles du jeu économique et politique, bien que certains pensent que les mécanismes de négociation et de prise de décision ont trop longtemps manqué de transparence.  La libéralisation de certains secteurs de l’économie doit-elle devenir irréversible, une fois qu’un accord a été trouvé au niveau international? Où se trouve désormais la souveraineté de décision des Etats?  Voila quelques-unes unes des questions que se posent les observateurs.  Depuis le 11 septembre, on s’est rendu encore plus compte de la nécessité de l’amélioration de la coopération internationale, non seulement dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, mais aussi dans les grandes négociations dont dépend l’avenir de l’économie mondiale.


Les craintes qui existent vis-à-vis de la mondialisation sont devenues de plus en plus visibles, comme l’ont démontré les différentes manifestations qui ont marqué les derniers grands sommets économiques internationaux.  Les gens sont de plus en plus conscients de l’impact du système de production et de consommation actuel sur l’environnement de la planète et la vie sociale des peuples.  Certains veulent des gouvernements dont les prérogatives seraient réduites au strict minimum, alors que d’autres sont d’avis que l’Etat a encore un rôle à jouer, notamment dans les régions en développement.  Un débat existe entre les tenants de l’administration et du service public et les partisans du tout-privé.  Les débats de la Deuxième Commission ont relevé les contradictions qui existent sur cette question.  Les théories de Keynes sur la place des Etats dans la promotion et la régulation de l’économie sont revenues à l’ordre du jour, et nous sommes certains que bien des débats qui auront lieu à la Conférence internationale sur le financement du développement, à Monterrey au Mexique, porteront sur ces sujets.


A son tour, M. APOLO R. NSIBAMBI, Premier Ministre de l’Ouganda, souligné qu’aujourd’hui, la mondialisation est perçue comme un verre à moitié plein par les uns et comme un verre  à moitié vide par les autres.  Pour lui, il s’agit plutôt d’un processus de changements qui offre opportunités et défis.  En Afrique, a-t-il expliqué, l’effet de la mondialisation sur l’Etat n’est pas seulement économique mais politique, social et culturel.  Cette mondialisation, qui exige des concepts d’administration publique extranationale, a “mondialisé” l’influence de l’Etat qui doit partager son pouvoir avec les différents groupes de pression.  L’Etat est acculé à changer son comportement envers ses partenaires internes et externes.

En Afrique, a poursuivi le Premier Ministre, l’administration publique est prise en étau entre la nécessité d’accélérer le développement économique et la pression des groupes locaux et mondiaux de défense de l’environnement et des institutions internationales comme celles de Bretton Woods.  Il est temps, a estimé le Premier Ministre, que la voix des Etats africains se fassent plus forte au sein de ces institutions.  Insistant sur cette question, il a souligné le caractère non démocratique des partenaires internationaux qui continuent d’imposer des modèles de développement.  La conséquence la plus dangereuse de cette situation, a dit le Premier Ministre, est que la confiance des populations dans la rhétorique de démocratisation s’étiole au vu de la discordance qu’il y a entre le discours pro-démocratique de ces partenaires et la manière dont ils imposent des décisions qui ont des conséquences énormes sur la vie des populations..


Pour le Premier Ministre, l’Etat africain doit déplacer ses priorités vers le développement humain et, en la matière, s’attaquer à la question importante qu’est la fuite des cerveaux.  La  conclusion qui s’impose, a-t-il dit, est que la mondialisation est un défi énorme pour les systèmes africains d’administration publique.  C’est un véritable drain pour les capacités nationales qui, comme chacun sait, sont très faibles ou encore en cours de formation.  Partant, pour s’intégrer au “monde mondialisé”, le Premier Ministre a appelé les Etats africains à être ouverts aux changements et à créer des systèmes d’administration souples. 


Ces pays doivent intégrer la transparence et la responsabilité dans l’exercice du pouvoir administratif pour prévenir la méfiance des populations.  Les pays africains, a encore dit le Premier Ministre, doivent abandonner leur attitude de passivité et adopter une approche proactive par rapport à la mondialisation.  Dans ce contexte, ils doivent s’attaquer aux besoins humains et institutionnels, adopter des approches et des méthodes d’administration souples et fondées sur leur propre contexte socioculturel, défendre la voix de l’Afrique dans les organes internationaux,  promouvoir une gouvernance participative et le “e-gouvernement”, et développer le capital social en investissant dans les secteurs de l’éducation et de la santé.


M. JESUS POSADA MORENO, Ministre de l’administration publique de l’Espagne, a déclaré que l’Organisation des Nations Unies représente aujourd’hui l’outil nécessaire à la recherche de solutions aux questions complexes qui se posent au monde, notamment depuis le 11 septembre dernier.  L’Espagne avait prévenu, il y a quelques années, que le terrorisme allait utiliser les mécanismes de la mondialisation pour agir et rendre ses actes plus spectaculaires.  On fait face aujourd’hui à deux nouvelles grandes idées de portée économique et politique de plus en plus importante: ce sont les regroupements régionaux et les actions que peuvent engendrer les interactions entre régions au niveau mondial.  On ne peut réduire la mondialisation à son seul aspect économique; il faut susciter un dialogue sociopolitique qui puisse la guider et la soutenir.  Elle devrait finir par s’appuyer sur des normes universelles reconnues par tous.  La révolution des technologies de l’information et de la communication (TIC) et la libre circulation des capitaux et des personnes ont abouti aux spéculations financières et à l’internationalisation de la production qui ont caractérisé la mondialisation ces dernières années.  En même temps, sur le plan politique, les nouveaux moyens d’information faisaient disparaître les frontières, les peuples pouvant de plus en plus rapidement savoir ce qui se passe ailleurs et réagir à tous évènements ou décisions qui menacent d’influencer leur vie.


Nous ne pouvons séparer la mondialisation de la démocratie, des droits de l’homme, des spécificités de croyances et du respect des identités culturelles, a poursuivi M. Moreno. On a beaucoup discuté ces dernières années de la place de l’Etat dans la mondialisation, et de nombreux analystes ont conclu que l’Etat, tel qu’on l’avait connu, était en train de perdre de sa force et ne représentait souvent plus le peuple auquel il était censé s’identifier.  La notion d’Etat-nation elle-même semble remise en question.  Certains estiment que la légitimité de l’Etat doit venir de l’efficacité de son fonctionnement et qu’elle se justifie seulement quand il se montre capable de mener des politiques efficaces.  Le rôle de l’Etat serait désormais de veiller à la mise en oeuvre de politiques macroéconomiques saines générant la croissance et la liberté d’échanges.  Sur le plan politique, ce sont les décisions des Etats qui permettent le renforcement de liens au niveau régional, indispensable à une bonne adaptation aux défis de l’avenir.  L’Union européenne oeuvre en ce sens, et travaille à son élargissement en vue de créer et d’étendre une zone de stabilité et de prospérité au niveau du continent.  Pour l’Europe, les attentats du 11 septembre sont perçus comme une attaque directe contre les principes auxquels elle croit.  C’est dans cette optique qu’elle prend des mesures qui lui permettront, en coopération avec  la communauté internationale, de lutter contre le terrorisme.


L’Espagne pense que la mondialisation doit reposer sur la tolérance et la réciprocité.  Nous sommes en faveur d’une lutte contre l’exploitation et le trafic des personnes, et contre le terrorisme et les violations des droits de l’homme.  On a pensé que le capitalisme sans régulation et la mondialisation sont synonymes, ce qui, pensons-nous, n’est pas vrai. La mondialisation doit s’appuyer sur une éthique visant à promouvoir la prospérité pour le monde entier.  L’Espagne assurera la présidence de l’Union européenne à partir du mois de janvier prochain.  Notre présidence mettra l’accent sur la création d’un espace de sécurité et de prospérité en Europe et dans les régions du monde qui connaissent encore l’instabilité.  Les Etats doivent jouer un rôle de création de la confiance, et nous pensons que l’interaction au niveau régional peut les aider à penser et agir de manière plus efficiente en ce sens.


M. CARLOS GENATIOS, Ministre de la science et de la technologie du Venezuela, a indiqué que dans son pays, aucune politique globale n’avait été mise en place en matière de nouvelles technologies de l’information et des communications et que les actions avaient plutôt été axées sur les différents acteurs de la société civile.  Aujourd’hui, l’objectif fixé est de palier à la rupture numérique qui s’est créée entre les segments des populations; 78% des utilisateurs de l’Internet étant concentrés dans les trois grandes villes.  Les efforts porteront donc sur l’éducation, la création de sites dans les langues espagnole et autochtone ainsi que sur le contenu.  L’objectif global est de faciliter l’accès à la technologie et d’intégrer les nouvelles technologies dans les secteurs privé et  public.  En effet, en ce qui concerne le secteur public, le potentiel de  l’Internet dans la démocratisation et la décentralisation de l’appareil d’Etat est énorme.  Le Gouvernement a donc décidé de préparer des politiques graduelles dans différents domaines, a expliqué le Ministre. 


Ainsi des programmes sur le renforcement de la demande et du secteur universitaire ont été mis en place ainsi qu’un réseau d’éducation auxquels participent la Colombie, l’Argentine, le Brésil et le Venezuela.  De plus, un programme de coopération latino-américaine et des Caraïbes a été conçu qui est financé à hauteur de 50 millions de dollars. Le Ministre a surtout insisté sur

l’expérience des “infocentres” qui, répartis dans les zones éloignées, donnent la possibilité aux citoyens d’utiliser leur créativité et de faire partie du réseau.  En la matière, a conclu le Ministre, il est important de mettre une coopération internationale fondée d’abord sur l’intégration régionale.


M. AHMAD KAMAL, ancien Représentant permanent du Pakistan auprès de l’Organisation des Nations Unies et Professeur à l’Université de New York, a parlé du symbole de la bougie, symbole de la connaissance.  Parfois, plus vous avancez, la bougie à la main, et plus vous vous rendez compte du temps qui vous reste pour passer de la nuit au jour.  Le monde s’est rétréci depuis la première migration de l’espèce humaine, a déclaré M. Kamal.  Nous sommes quelque part, tous des Africains, originaires de la Rift Valley. Le monde a donc commencé son existence par des migrations.  Plus tard les “explorateurs” ont permis de découvrir que le monde était un globe duquel on ne risquait pas de tomber dans le vide, et que l’on pouvait donc commercer, échanger.  Ce fut la première mondialisation.  Plus tard, certains empires arrogants ont cru qu’ils pouvaient se créer un domaine de possessions sur lequel le soleil ne se coucherait jamais.  Ce fut la naissance du colonialisme, et ce fut la deuxième mondialisation, forcée.  Aujourd’hui nous en sommes à la troisième qui, contrairement à la deuxième, peut être vécue chez soi, sans que l’on ait besoin de se déplacer, grâce aux nouveaux moyens de communication.  Cette mondialisation fait aujourd’hui face à des manifestations et à des oppositions, parce que les peuples n’en sont pas satisfaits.  Elle est injuste, inéquitable, et l’écart s’y creuse toujours plus chaque jour, entre nantis et démunis.  L’écart moyen de revenu entre individus des zones du Sud et des zones du Nord, qui était de 42 contre 1 il y a 30 ans, est aujourd’hui de 250 contre 1.  On est donc loin d’une quelconque équité.


Les droits de l’homme, qui ne sont pas nouveaux, n’ont pas été inventés par l’Organisation des Nations Unies en 1948, a poursuivi M. Kamal.  Ils ont toujours existé, quels que soient les lieux, ou les peuples.  Les êtres humains se sont toujours protégés les uns les autres, dans toute famille, toute société, tout pays.  Le problème et la contradiction auxquels nous faisons face aujourd’hui viennent du fait que l’on parle des droits de l’homme, que l’on menace les pays qui les violent, mais qu’en même temps, on refuse aux peuples et aux individus le droit au développement, à la libre circulation, à la recherche du bonheur, et à la latitude de réellement se gouverner eux-mêmes.  Une exception existe, et elle se trouve dans la fuite des cerveaux.  On la favorise, parce qu’on veut se renforcer toujours plus, même aux dépens des plus pauvres.


Le commerce est quant à lui, devenu la question clef de notre temps. Depuis le Cycle d’Uruguay, on a voulu l’ériger en nouvelle religion.  Mais le problème est qu’on refuse aux pays du Sud un accès juste aux marchés des riches.  A quoi sert-il de nous dire que l’on ne nous taxera pas si nous voulons exporter des avions, et dans le même temps que l’on taxe lourdement le textile.  Nous ne produisons pas d’avions, mais nous produisons des textiles de bonne qualité.  Il faudrait donc être un peu plus raisonnable, et ne pas vouloir organiser des rencontres de lutte entre des petits poids légers du Sud et des lutteurs de Sumo venant du Nord. Cette image illustre la réalité du cadre actuel des “négociations commerciales internationales”.


L’Internet est devenu l’”outil” de la mondialisation et on dit aux pays pauvres qu’il suffit de l’avoir pour s’en sortir.  Mais la réalité est que la majorité des peuples du monde n’auront jamais d’accès à l’Internet.  Ils n’ont d’abord ni eau potable ni électricité, et ils ne lisent pas forcément l’anglais.  L’Internet est un outil d’homogénéisation de la planète.  On veut nous transformer tous en buveurs de Coca-Cola et mangeurs de hamburgers.  La vraie mondialisation ne devrait pas se baser sur ce genre d’attitude.  Nous ne rêvons pas d’un monde qui serait régi par des modèles venus une nouvelle fois de l’Occident.  Il est triste que l’on veuille écarter les valeurs de civilisations qui sont souvent beaucoup plus anciennes et plus riches que celles de l’Occident.  Il nous manque un vrai dialogue des civilisations qui pourrait éviter à de nombreux groupes et cultures de se faire phagocyter par un modèle qui se veut dominant.  Nous sommes inquiets de ce qui se profile à l’horizon pour l’Etat-nation.  Va-t-il disparaître?  Le monde de demain sera-t-il un monde sans frontières, réellement gouverné par les peuples du monde entier?  Pour le moment, nous en sommes encore loin. 


M. ANTHONY GIDDENS, Directeur de la “London School of Economics and Political Science”, a estimé que le débat sur la mondialisation comporte deux phases.  La première, a-t-il dit, qui est terminée à ce jour, s’est tenue dans les universités et a porté sur la question de savoir si cette période de l’histoire se distingue tant des périodes précédentes.  Aujourd’hui, il est donc admis que le “monde mondialisé” se distingue des mondes précédents et que cette ère est beaucoup plus intense, plus dynamique, plus rapide et plus participative que les périodes précédentes.  La deuxième phase, a poursuivi l’orateur, aboutira à une définition de la forme future du monde.  Ce débat soulève beaucoup de questions, a-t-il précisé, car il ne s’agit plus de savoir si la mondialisation existe mais d’identifier ses conséquences pour le monde et pour la nature des gouvernements.


Les lieux d’affrontements, comme à Seattle ou à Gênes, sont la caractéristique du débat sur la mondialisation qui ne doit pas seulement être identifiée à l’expansion des marchés mondiaux et des institutions financières. La mondialisation, a insisté l’orateur,  est politique, culturelle, sociale et économique et surtout multidimensionnelle.  S’il faut se prononcer dans le débat sur l’impact de la mondialisation sur l’Etat-nation, je dirai, au contraire, a déclaré l’orateur, que la mondialisation a renforcé le “besoin du local ou du national”.


La mondialisation est un phénomène complexe qui comporte aussi ses propres contradictions car si elle a mondialisé les activités humaines, elle a aussi instauré, et c’est une première dans l’histoire du monde, l’Etat comme forme universelle de gouvernement, comme en témoignent d’ailleurs les pays de l’ancien empire soviétique.  Ces Etats ont en effet, recréé leur identité mais sous l’effet des changements extérieurs et cela c’est le paradoxe de la mondialisation. Poussant plus loin sa réflexion, l’orateur a donc considéré que l’Union européenne est un Etat-nation, à partir du postulat que l’identité nationale peut se développer dans un cadre d’intégration régionale. 


D’ailleurs, les dernières tendances montrent le renforcement de l’Etat.  Il passe d’une phase régulatrice à une phase d’investissements dans le développement humain et à un mouvement de privatisation à celui de “publicisation”.  Ceci n’est en aucun cas, a souligné l’orateur, un retour en force de l’Etat mais plutôt à une mise en place d’une gamme plus étendue d’institutions publiques.  Le troisième changement concerne d’ailleurs ce mouvement de l’Etat vers les institutions publiques.  Il découvre, en effet, que les marchés ne peuvent régir seuls la société, d’où la nécessité d’introduire des éléments de sécurité et une plus grande réglementation.


Le représentant de l’Ouganda s’est étonné que l’on veuille interpréter les évènements du 11 septembre et les affrontements de Seattle ou de Gênes comme une manifestation d’un quelconque antagonisme Nord-Sud.  Les manifestants occidentaux ont leurs propres intérêts et ne représentent certainement pas les soucis des pays pauvres, a estimé le représentant 


Intervenant à sa suite le représentant de l’Algérie a dit que la mondialisation ressemblait à un grand gâteau pour la consommation duquel certains ont été invités, alors que d’autres étaient laissés à l’écart, devant simplement se contenter d’en humer l’arôme.  La mondialisation est considérée de ce fait comme une menace créée par les pays riches contre les pauvres.  Quelles sont les mesures qui, sous cet angle, pourraient être recommandées et prises pour apaiser les inquiétudes des pauvres et créer la confiance, a demandé le représentant.


Le représentant de la République de Corée a estimé que durant le mandat au pouvoir de l’administration du Président Bill Clinton, il y avait une certaine convergence transatlantique entre les Etats-Unis et l’Union européenne.  Cet esprit existe-t-il toujours?  Y a-t-il des divergences avec le nouveau gouvernement américain?


Répondant à cette série de questions, le Directeur de la London School of Economics and Political Science, a dit que différentes positions et réactions existaient face au phénomène de mondialisation.  Il y a des contradictions et des divergences d’intérêts, même au niveau des Etats. Parfois on prêche le libéralisme alors que dans le même temps on pratique le protectionnisme.  Quant aux manifestants antimondialisation qui descendent dans la rue dans les pays du Nord, ils ont sans doute des motifs qui ne concernent pas vraiment les soucis des pays du Sud.  Du fait de leur action, on parle de plus en plus de la nécessité de créer une nouvelle forme de démocratie sociale, mais nous doutons que cela se fasse avec les méthodes gauchistes du passé.  Concernant l’interaction entre les deux rives de l’Atlantique, il y a sans doute moins de concertation qu’il n’en existait du temps de l’administration Clinton, a dit l’orateur.


Le représentant de la Belgique a ensuite pris la parole pour mettre en doute la perception selon laquelle les affrontements relatifs à la mondialisation étaient de nature Nord-Sud.  Y a-t-il eu des cas de manifestations antimondialisation initiés par la société civile des pays du Sud? a-t-il demandé.


Après lui, la représentante de Sainte-Lucie a déclaré que la mondialisation n’était pas quelque chose de nouveau. Le phénomène actuel est cependant différent, parce qu’il s’attaque aux pays et aux Etats.  Le fait qu’il soit conditionné par la privatisation des outils de production du secteur public, qui finissent curieusement dans les mains de groupes privés étrangers, étrangement tous originaires de l’hémisphère Nord, crée un malaise sur ses véritables objectifs.  La question du contrôle de l’avenir des pays en développement se pose, dès lors que ce futur se trouve placé entre des mains étrangères et intéressées.  C’est une atteinte à la souveraineté et au libre choix politique, économique et existentiel des peuples.  Qui donc contrôle notre avenir, qui, en ce moment ne se fait visiblement pas au bénéfice de nos populations?


Répondant à cette série de questions, l’ancien Ambassadeur du Pakistan  a dit savoir que les manifestants de Seattle et d’ailleurs viennent des pays du Nord comme du Sud avec des revendications différentes. Pour ce qui est du Nord, les manifestants peuvent être partagés entre la droite et la gauche. Les “gens de droite”, a-t-il estimé, manifestent contre la délocalisation de l’appareil productif et ont donc des préoccupations liées à la sécurité de l’emploi alors que les “gens de gauche”, peut-être pour compenser le vide idéologique dans leur pays, ont pour objectif d’amener le débat sur les droits de l’homme sur la scène internationale.  En ce qui concerne les participants du Sud, leurs préoccupations concernent le fait que les avantages promis dans le cadre des négociations du Cycle d’Uruguay tardent à se faire jour. Répondant également, le Ministre de l’administration publique de l’Espagne a, au contraire, attribué les manifestations aux citoyens des pays du Nord en adhérant à la thèse du vide idéologique.


Répondant, en particulier, à la question de l’Algérie, l’ancien Ambassadeur du Pakistan a dénoncé les retards dans l’application de l’objectif relatif à l’aide publique au développement (APD) et le maintien des barrières tarifaires et non tarifaires.  Venant à la question de la représentante de Sainte-Lucie, il a relevé la contradiction entre démocratie et mondialisation, d’une part, et décentralisation, d’autre part, arguant que contrairement aux thèses défendues, la mondialisation n’a jamais donné naissance à la décentralisation.


Pour sa part, le Ministre de la science et de la technologie du Venezuela a souligné que face à la pauvreté dans le monde la mondialisation offre une chance d’élargir les réseaux en faveur du développement humain et que le rôle de l’ONU en la matière doit être reconnu.  L’Etat a un rôle à jouer pour garantir un bien-être de la société, a souligné, en écho, le Ministre de l’administration publique de l’Espagne en défendant un remaniement des finances publiques pour investir davantage dans le développement humain.  En définitive, a-t-il dit, la mondialisation est un phénomène inévitable et tous les Etats doivent se garder de rester à l’écart au risque de tout perdre.  En l’occurrence et pour pouvoir “déménager” dans le village mondial, l’objectif de l’Afrique doit être d’assurer la stabilité de l’Etat, a dit pour sa part, le Premier Ministre de l’Ouganda.  Il a dénoncé, dans ce cadre, l’absence de responsabilité de certains gouvernants africains et a insisté sur la nécessité de traiter de la qualité des élites et de lutter contre le clientélisme et le mépris de l’intérêt général.


A son tour, le Directeur de la “London School of Economics and Political Science”, a mis en garde contre une tendance à rejeter toute la faute sur la mondialisation.  Insistant sur les apports positifs de ce phénomène, il a indiqué son désaccord à la représentante de Sainte-Lucie en répondant que depuis 30 ans, il y a trois fois plus de gouvernements démocratiques, qu’aujourd’hui le lien entre flux d’information et démocratie a été prouvé.  La perte du pouvoir de l’Etat n’est pas nécessairement regrettable, a conclu l’orateur, en soulignant que comme l’a montré l’histoire, l’Etat peut être un ennemi plus grand de la société que les forces du marché. 


M. NITIN DESAI, Secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales, a jugé intéressant le débat de ce jour.  Répondant au représentant de la Belgique, il a dit que les peuples du Sud étaient beaucoup plus inquiets des conséquences de la mondialisation que ceux du Nord.  S’ils ne manifestent pas, a estimé M. Desaï, c’est simplement parce qu’ils ont moins de moyens de se déplacer que les ressortissants de pays nantis pour aller exprimer leur mécontentement lors des rencontres internationales.


S’il y a eu libéralisation des mouvements de capitaux, il n’en a pas été de même pour celle des personnes.  C’est une caractéristique d’une mondialisation limitée et incomplète.  Le déficit de démocratie dans ce phénomène fait que non seulement certaines couches de la société au sein de certains pays, mais aussi certains groupes de pays au niveau mondial, sont exclus de la réflexion et des prises de décisions.  C’est un des symptômes les plus visibles de l’absence de démocratie de la mondialisation.  L’Organisation des Nations Unies a donc beaucoup de travail en perspective, et la Deuxième Commission et les autres organes pertinents de l’ONU travaillent, à cet égard, à l’établissement d’un monde plus équitable, a dit M. Desaï.


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