LA REUSSITE DES REFORMES ADMINISTRATIVES DEPEND DU DEGRE DE PRISE EN COMPTE DES SPECIFICITES NATIONALES, ESTIMENT DES EXPERTS DEVANT LA DEUXIEME COMMISSION
Communiqué de presse AG/EF/367 |
Deuxième Commission
Table ronde sur le thème
« Défis et changements dans l’administration
dans le monde entier » - matin
LA REUSSITE DES REFORMES ADMINISTRATIVES DEPEND DU DEGRE DE PRISE EN COMPTE DES SPECIFICITES NATIONALES, ESTIMENT DES EXPERTS DEVANT LA DEUXIEME COMMISSION
L’importance du rôle des ressources humaines est soulignée
La Commission économique et financière (Deuxième Commission) a organisé, ce matin, une table ronde sur le thème “Défis et changements dans l’administration publique”. Cette table ronde a offert l’occasion à des sommités des sciences administratives entre autres, le Président de l’Institut international des sciences administratives, d’expliquer les réformes entamées en Afrique, en Europe continentale, en Amérique latine, dans les pays du “Common Law”, et en Asie. Ainsi l’ancien Président de l’Institut international des sciences administratives a fait part d’une étude réalisée par son Institut et la Division de l’économie et de l’administration publiques du Département des affaires économiques et sociales, dans laquelle il est indiqué deux types de réformes administratives, à savoir l’application de programmes généraux portant sur l’ensemble de l’appareil d’Etat et celle de programmes portant sur les institutions. Dans ce cadre, il a dit avoir décelé trois générations de réformes : la première qui consiste en une réforme de la fonction publique; la deuxième en un recours à de nouveaux instruments de gestion publique; et la troisième qui place le citoyen au centre de l’action. En règle générale, l’étude a montré que le succès d’une réforme administrative dépend du degré de prise en compte des valeurs, de la tradition et de l’histoire du pays.
Présentant le cas de l’Afrique, le Président de l’Institut des sciences administratives, a fait une analyse des évolutions qui se sont produites dans le fonctionnement des administrations publiques des pays d’Afrique subsaharienne depuis leur indépendance dans les années 60. Ces évolutions peuvent être classées en plusieurs périodes, dont la première s’est caractérisée par le besoin des nouveaux Etats d’assurer un fonctionnement sans rupture de leurs administrations après le départ des administrateurs coloniaux. Essentiellement basée sur les tâches qu’accomplissaient les élites sortant des écoles coloniales, le fonctionnement de la fonction publique de ces pays était alors perçu comme un mécanisme essentiellement générateur de hauts revenus, de postes stables et de prestige. Le besoin de bâtir de nouvelles nations ayant entraîné le recrutement d’effectifs jugés plus tard pléthoriques, les Etats d’Afrique ont dû procéder en raison des exigences de plans d’ajustement structurel, à la réduction de leurs personnels et à un allègement important de la masse salariale que faisait peser les administrations sur les budgets nationaux. Aujourd’hui, l’Afrique fait toujours face au dilemme de l’endogénéisation de ses systèmes administratifs.
Abondant dans ce sens, le Représentant de l’Université de Guelph au Canada, a présenté la situation en Asie. Il a fait remarquer que des erreurs avaient été commises pendant 50 ans par les institutions internationales multilatérales et les gouvernements occidentaux en matière de réforme administrative dans les pays en développement. Ces pays, a-t-il dit, ne peuvent évoluer du fait que leur sont imposées des méthodes exogènes ignorant souvent l’histoire et la culture des peuples. Bien que l’Asie soit ouverte aux échanges d’idées et accepte certains concepts occidentaux, a dit l’orateur, ses peuples ne peuvent atteindre leur potentiel que s’ils se reconnaissent dans les outils de gestion de leur vie.
Présentant le cas de l’Europe continentale, le Directeur du Centre d’études et de recherches sur l’administration de l’Université de la Sorbonne a relevé trois défis en matière de réformes administratives : ceux inhérents à la construction, la modernisation et à la reconfiguration de l’Etat. Dans le défi de la construction, a-t-il expliqué, la place essentielle est donnée à la réforme de la fonction publique et à la mise en place d’une législation fournissant un cadre juridique à l’action des citoyens. Le défi de la modernisation, commun à tous les pays d’Europe continentale, vise l’adaptation des structures et des procédures à un fonctionnement plus complexe des sociétés. La reconfiguration, moins classique, est rendue nécessaire par la mondialisation qui a conduit à un transfert du pouvoir de l’Etat vers la base, le haut ou latéralement. En la matière, deux scénarii s’affrontent, celui du retour de « l’Etat primordial » chargé de la sécurité intérieure, de la défense ou de l’assistance aux plus pauvres et celui de « l’Etat solidaire » qui implique trois types de solidarité, celles entre les individus, entre les territoires, et entre les générations. Cette reconfiguration, a-t-il estimé, mettra l’Etat devant de nouveaux défis tels que la restauration de l’unité interne des collectivités et la construction d’une nouvelle unité qui dépasse les anciennes identités autour desquelles s’est forgé l’Etat.
S’agissant du cas de l’Amérique latine, la représentante du Colegio de Mexico, a expliqué que les réformes administratives s’appliquent à une bureaucratie “forte et politisée”. En conséquence, elle a échelonné les réformes sur quatre phases. D’abord la phase normative en ce qui concerne la déréglementation et la décentralisation, ensuite la phase “administration et développement” avec un rôle renforcé de l’administration dans le développement économique; puis la phase “administration et programmation” et la nécessité d’accroître la coordination; et la phase du renforcement de l’efficacité administrative.
Concluant sur le rôle de l’ONU en matière de réformes administratives, le Directeur de la Division de l’économie et de l’administration publiques du Département des affaires économiques et sociales a indiqué que l’ONU pourrait rechercher un terrain d’entente sur un certain nombre de principes administratifs, contribuer à l´échanges d’information et renforçer les capacités institutionnelles, humaines et technologiques ainsi que les valeurs fondamentales de la fonction publique tout en améliorant la coordination de l’assistance au développement.
Les présentations ont été suivies d’une séance de questions-réponses. Demain, vendredi 2 novembre à 10 heures, la Commission tiendra une table ronde sur le thème “La mondialisation et l’Etat”.
Table ronde sur le thème “Défis et changements dans l’administration publique”
M. IGNACIO PICHARDO PABAZA, ancien Président de l’Institut international des sciences administratives, a estimé que la meilleure introduction du thème de la table ronde serait de présenter le travail collectif de l’Institut dont le siège est à Bruxelles et de la Division de l’économie et de l’administration publiques du Département des affaires économiques et sociales. Ces deux instances ont, en effet, élaboré un questionnaire en dix points qui ont été révisés par les professeurs de l’Institut et d’autres personnalités extérieures. A l’exception de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, tous les pays y ont répondu.
L’analyse des réponses a montré que l’administration publique dans le monde a progressé au cours des dernières décennies. Il est possible de cerner deux types de programmes de modernisation, à savoir : les programmes généraux portant sur l’ensemble de l’appareil d’Etat et les nouveaux programmes de réformes administratives institutionnelles. Il est apparu que tous les Etats ont entamé des réformes administratives globales qui cependant n’ont pas toujours eu beaucoup de succès. En revanche, l’étude montre un réel souci des gouvernements de mener des réformes administratives de caractère institutionnel, c’est-à-dire, le développement des institutions ou la promotion de l’efficacité dans l’administration.
L’étude des réponses montre l’état d’avancement des réformes entreprises. Un nombre de pays, surtout en Europe occidentale, sont au niveau “de la troisième génération des réformes administratives; la grande majorité de pays se trouvant au niveau de la deuxième génération. Mais, un déficit est apparent dans les pays à économie en transition qui se trouvent encore dans leur première phase qui date des années 60-70 et consiste à regrouper les fonctions de l’Etat au sein de grands blocs de pouvoir et, en conséquence, à entamer des réformes du personnel et du service public. La deuxième génération porte elle sur l’utilisation de nouveaux instruments de gestion publique; la troisième génération étant la reconnaissance de la place du citoyen. Ce dernier se trouve, en effet, au coeur des préoccupations de l’administration publique comme le montrent les efforts visant à augmenter sa participation, l’élaboration de la Charte des citoyens ou l’instauration d’une éthique de service public fondée sur le respect des valeurs, des traditions et de l’histoire des pays.
La conclusion la plus importante est que la modernisation de l’administration publique est passée de la réforme des administrations à la réforme des institutions. La deuxième conclusion la plus importante est que le fait de tenir compte des valeurs, de la tradition et de l’histoire de chaque pays constitue un préalable à tout programme de réforme administrative, car les tentatives consistant à importer des méthodes étrangères ont été vouées à l’échec, a conclu l’orateur.
M. MICHAEL DUGGETT, Directeur général de l’Institut international des sciences administratives, a déclaré que l’administration publique est la “bonne servante” d’une bonne vie publique. Depuis 70 ans qu’il existe, l’Institut aide à la formation des fonctionnaires et des personnels associés. Plus de 100 pays en font partie en ce moment. L’Institut organise chaque année de grandes conférences dont celle de cette année qui aura lieu à Athènes, et sera ensuite suivie de rencontres à New Delhi en Inde, et à Yaoundé au Cameroun. L’Institut travaille essentiellement en deux langues, en français et en anglais. Selon un homme politique européen, l’administration tient plus de la magie que de la science, mais en tant qu’expert des sciences administratives, nous connaissons l’importance de la rationalisation des pensées et des méthodes qui permettent de gérer et d’administrer les sociétés humaines. Nous ne sommes pas des hommes politiques, mais des experts. Pour affirmer son caractère universel, l’Institut s’efforce de créer dans son cursus et sa représentativité, des équilibres représentatifs des différentes cultures et réalités du monde.
M. JEAN-MARIE ATANGANA MEBARA, Ministre de l’enseignement supérieur du Cameroun et Président de l’Institut des sciences administratives, a présenté le cas de l’Afrique dans “défis et changements dans l’administration dans le monde entier” et a dans ce contexte expliqué que depuis un certain nombre d’années, les pays africains ont entrepris de nombreuses réformes administratives. Il a évoqué le cas particulier des pays d’Afrique subsaharienne et notamment celui du Cameroun depuis la période des indépendances des pays africains. Dans les années 1960, au moment de ces indépendances, les Etats africains, a-t-il déclaré, ont été confrontés à la nécessité d’assurer la continuation de leur fonctionnement administratif après le départ des administrateurs coloniaux. Les élites africaines qui étaient allées se former à l’étranger rentrent alors dans leurs pays d’origine pour prendre la relève des ex-colonisateurs. Cette période se caractérise par une administration perçue comme pourvoyeuse de revenus confortables et de prestige au sein des sociétés des nouveaux Etats. Au cours de la deuxième période qui suivra les indépendances, les effectifs des administrations croissent en nombre, compte tenu de la nécessité d’assurer le contrôle et la gestion des territoires et des populations des nouveaux Etats qui aspirent à devenir des nations. Ensuite, s’ouvre une période au cours de laquelle les Etats africains ouvrent des écoles d’administration, en vue de former les cadres dont ils ont besoin, et en même temps signent des conventions de coopération avec des centres de formation étrangers. Cette période se caractérise au niveau national par le recours aux outils et aux prérogatives de l’administration comme une source de création d’emplois. Les élites nommées à des positions de pouvoir ou de décision se comportent alors comme des mandataires de leurs régions d’origine, chacune d’elle veillant à promouvoir des projets de développement et de création d’infrastructures dans leurs régions natales.
Cette période prend fin au moment de la mise en oeuvre des premiers programmes d’ajustement structurel. On réduit les effectifs des fonctions tout en réduisant aussi la masse salariale que font peser les administrations sur les budgets nationaux. Des désaffections et des démissions d’agents publics se produisent alors en grand nombre, provoquant une baisse de la qualité des services rendus aux citoyens. La quatrième période, que nous vivons en ce moment, est celle de la conception et de la mise en oeuvre de programmes de bonne gouvernance. Elle vise à asseoir une administration plus efficace et qui prenne en compte les vues et les besoins des citoyens. Les programmes de gouvernance, dont celui appliqué en ce moment au Cameroun, sont appuyés par les plus hautes autorités de l’Etat. Au Cameroun ce programme vise à traduire dans les faits les exigences de “rigueur” et de “moralisation” de la conduite des affaires publiques dont le Président du pays, M. Paul Biya, a fait la base de son action politique.
A Windhoek en Namibie, les pays africains ont adopté il n’y a pas longtemps une charte visant à moderniser le fonctionnement de leurs administrations publiques. Cette charte insiste sur les valeurs fondamentales et les règles que doivent respecter les agents publics et les fonctionnaires. On a cependant l’impression que toutes les réformes initiées par les Etats africains n’ont pas atteint les résultats que l’on en escomptait. Nous sommes d’avis que le manque d’”endogénisation” de la fonction publique est la raison de ce manque de succès. L’administration coloniale avait laissé dans les esprits des images souvent négatives. On parle à ce sujet d’une affaire de “Blancs”. Les nouvelles administrations sont, elles, perçues comme des outils exogènes à nos réalités et à notre vécu culturel. Il faudrait donc sans doute parvenir à intégrer cette administration dans la vie quotidienne des populations, il faudrait qu’elle leur appartienne, pour qu’elle ne soit plus perçue simplement comme l’affaire “des gens de la capitale”. Nous proposons donc qu’une réflexion soit menée sur ces contradictions.
Présentant le cas de l’Europe continentale, M. GERARD TIMSIT, Directeur du Centre d’études et de recherches sur l’administration de l’Université de la Sorbonne a fait deux constatations. Il a d’abord relevé le paradoxe que constitue le fait qu’en dépit de l’extrême diversité du continent, il existe une très grande homogénéité des changements opérés dans les administrations. La deuxième constatation est que les réformes malgré leur apparente homogénéité sont destinées à répondre à des préoccupations différentes et se situent à des stades divers des processus de construction ou de reconstruction de l’Etat. En la matière, les mots d’ordre sont réduction du poids de l’Etat, déréglementation, libéralisation, séparation entre fonctions de réflexion et d’exécution, coordination, renforcement du professionnalisme des fonctionnaires et accroissement de la responsabilité.
En fait, l’homogénéité des réformes dissimule une très grande hétérogénéité des défis. Ces défis sont la construction de l’Etat, la modernisation de l’Etat et la reconfiguration de l’Etat. La construction est le défi auquel se trouvent confrontés les pays à économie en transition qui doivent construire un Etat fondé sur les règles du droit et de la démocratie. La construction concerne aussi des Etats qui ont conservé des séquelles des modes anciens caractérisés par les pratiques de clientélisme ou de favoritisme. Dans ces deux types d’Etat, la place essentielle est donnée à la réforme de la fonction publique et à la mise en place d’une législation qui fournisse un cadre juridique régulier à l’action des citoyens; le risque étant une surestimation du droit comme technique de réformes.
La modernisation de l’Etat est un défi commun à tous les pays d’Europe continentale qui doivent adapter leurs structures et leurs procédures à un fonctionnement plus complexe des sociétés que celles dans lesquelles les administrations avaient été conçues. Les causes immédiates de cette entreprise de modernisation sont soit internes comme les contraintes budgétaires, soit externes comme la construction de l’Europe.
La reconfiguration de l’Etat est différente des deux autres défis en ce qu’il ne s’agit pas d’un processus classique comme les deux premiers. Il s’agit ici de la construction d’un nouveau type d’Etat. Le facteur nouveau dans cette entreprise est le facteur de la mondialisation. Si elle est liée à l’idée d’économie de marché et de libéralisme économique, la mondialisation se traduit aussi par l’importance accrue des ONG qui travaillent sur des questions d’intérêt général. L’émergence d’une société civile transnationale est en fait l’embryon d’une opinion publique mondiale. Cette mondialisation ayant pour effet, le transfert du pouvoir de l’Etat du haut vers le bas ou latéralement, la mobilité des facteurs de production s’accompagne d’une mobilité parallèle des facteurs de destruction dont la criminalité.
En conséquence, un nombre croissant d’activités humaines risquant d’échapper à tout contrôle, le besoin d’une reconfiguration de l’Etat se fait urgent avec son corollaire la nouvelle gouvernance. En la matière, deux scénarios s’affrontent, celui du retour de l’Etat primordial chargé de la sécurité intérieure, de la défense ou de l’assistance aux plus pauvres. Or, dans ce cas, il ne s’agit pas vraiment de restructuration mais plutôt de définition d’un périmètre d’actions pour l’Etat. En outre, un tel scénario ne tient pas compte du rôle de l’Etat dans le maintien de la cohésion sociale.
Le deuxième scénario serait celui de la reconstruction de l’Etat solidaire qui implique d’abord une solidarité entre les individus dans chaque pays et la résolution du problème lié au statut des immigrés; ensuite une solidarité entre les territoires qui implique les questions de l’autonomie, de la décentralisation et du maintien de l’identité nationale; et enfin une solidarité entre les générations qui implique les problèmes de l’environnement.
L’Europe a donc besoin d’un Etat décideur mais aussi d’un Etat opérateur qui puisse assurer la conduite du processus global de gouvernance. Cette reconfiguration si elle se produit, donnerait naissance à de nouveaux défis. En effet, cet Etat se verra confronté d’abord aux défis de la restauration de l’unité interne des collectivités dont il a la charge de la gestion. Ce défi est important en ce sens que les Etats modernes sont menacés de nouvelles fractures. L’autre défi serait la construction d’une nouvelle unité qui dépasse les anciennes identités autour desquelles s’est forgé l’Etat. C’est le défi le plus difficile, a conclu l’orateur, car il impliquerait un nouveau visage pour l’Etat et ses communautés, un visage qu’il a voulu “celui de l’espoir et de la démocratie”.
Mme MARIA DEL CARMEN PARDO, Chercheur du Colegio de Mexico, a d’abord souligné le fait que l’Amérique latine n’est pas une région homogène mais dans la plupart des pays l’administration s’inspire du modèle de l’Etat et de l’administration de l’Europe occidentale. Dans ce continent, il existe toujours une forte intervention de l’Etat dans de nombreux domaines économiques et sociaux. L’administration est, en effet, un espace important de négociations politiques en raison de la concentration des ressources budgétaires et juridiques. Il s’agit souvent d’un véhicule d’intervention entre le gouvernement, l’Etat et la société. Dans certains cas, la bureaucratie peut obtenir une légitimité car elle seule a la capacité de gérer les affaires publiques qui nécessitent toujours plus de spécialisation et de sophistication. En fait, ce sont les compétences qui sont le moteur de la bureaucratie entraînant ainsi le renforcement et la politisation de la bureaucratie.
Comment moderniser l’administration publique? s’est interrogée l’intervenante. Elle a mis l’accent sur quatre phases. D’abord la phase normative qui doit élaborer des lois sur la déréglementation et la décentralisation, ensuite la phase “administration et développement”, où l’administration doit jouer un rôle sur le développement économique; puis la phase “administration et programmation”, et la nécessité de renforcer la coordination; et enfin la phase du renforcement de l’efficacité. A ce propos, l’intervenante a insisté sur le fait que si l’administration peut contribuer au développement, elle doit, dans ce cadre, veiller à une meilleure répartition des avantages. Dans ce contexte, il faut insister sur les principes d’équité et remédier aux excès des modèles bureaucratiques précédents. Toutes ces réformes
doivent passer par des ajustements. En conséquences, des thèmes comme la transparence, la responsabilité et l’évaluation sont des thèmes importants.
Mme Pardo a aussi souligné les changements apportés par les nouvelles technologies de l’information et des communications.
M. ANDREW MASSEY, Professeur de gouvernement, Université de Portsmouth, (Royaume-Uni), a déclaré que depuis le 18e siècle, des tensions se sont produites entre la croissance démographique et le besoin que ressentent les Etats d’assurer l’administration de leurs populations. Il semble aujourd’hui y avoir des ambiguïtés entre la démocratie représentative et l’essence et le fond des réformes publiques entreprises depuis un certain nombre d’années, a estimé l’orateur. Au Royaume-Uni nous avons, a-t-il poursuivi, une unité administrative appelée “Machinery of Government” chargée de la réforme. C’est comme si l’on pensait qu’une administration pouvait être comparée à un logiciel ou à un système sans âme. Or la notion de gouvernement limité et responsable devant des élus est la base de la méthode de gouvernement adoptée par de nombreuses démocraties, notamment celles qui pratiquent la “Common Law” anglo-saxonne.
Quand la révolution américaine a coupé les liens administratifs avec le Royaume-Uni, elle n’a pas mis fin aux échanges d’idées philosophiques entres les deux nations. C’est ce qui explique de nos jours certaines similitudes de fonctionnement entre les deux pays. Selon ces philosophies, les fonctionnaires devaient développer un sens du devoir et de la responsabilité publics. La responsabilité civile des bureaucrates et des administrateurs pouvant parfois être incompatible avec leur statut d’employés, il a fallu développer des doctrines permettant de rendre juridiquement comptables les différentes branches de l’administration et même du Parlement pour les mettre à l’abri des influences des groupes et autres lobbies, comme cela s’observe aujourd’hui dans le cas du Congrès américain. Aux Etats-Unis, le poids du complexe militaro-industriel et les conséquences du premier choc pétrolier ont entraîné il y a quelques décennies un essor inégalé des dépenses publiques. Les politologues se sont alors inquiétés de l’importance croissante de l’administration dans la vie du pays. Ces observations ont suscité une volonté de réformes que l’on a aussi observée dans certains pays d’Europe. La Grande-Bretagne a alors pour sa part, multiplié le nombre d’agences publiques auxquelles ont été imposés des indicateurs de performances. Cette démarche a abouti à la conception des premiers programmes de privatisation à grande échelle, de nombreux domaines publics, en Europe.
On s’est aperçu alors que les réformes changent toujours la nature des rapports entre pourvoyeurs de services et clients. Mais ces réformes ont fini par prendre la forme d’une véritable “religion” selon certains critiques. La nouvelle gestion s’est distinguée par l’application effrénée de la notion de “cibles de performances” et a fait craindre à certains la disparition de la notion de secteur public. Le résultat de ces inquiétudes est que beaucoup de travaux examinent en ce moment l’impact de la mondialisation sur les Etats et la disposition de souveraineté que cela entraîne. Les progrès technologiques qui permettent de déléguer des fonctions gouvernementales à des multinationales sont rendus responsables de ce que certains appellent la “Mc Donaldisation” de la conduite des affaires publiques. Les adversaires de la mondialisation ont parfois alors essayé de créer des systèmes alternatifs. Hong Kong, la Malaisie et Singapour ont appliqué des solutions de gestion administratives qui leur semblaient plus adaptées à leurs réalités et à leurs besoins que le modèle dit de la
“mondialisation universelle”. Thomas Jefferson disait qu’il fallait faire confiance aux citoyens dans la manière de bien gouverner. Nous pensons personnellement que cette phrase devrait être prise en compte dans les réformes administratives actuelles.
M. O. P. DWIVEDI, Professeur d’aministration publique et de gestion de l’environnement à l’Université de Guelph (Canada), a parlé des réformes dans la région Asie. L’Occident a pendant longtemps pensé, a-t-il dit, que si un pays voulait initier son développement, il devait d’abord adopter un modèle administratif qui ne soit pas éloigné de celui de la vieille Europe. Pendant de nombreuses années les experts occidentaux n’ont cependant pas pu apprécier l’importance des cultures traditionnelles et la complexité des identités nationales et culturelles des peuples qui ne sont pas comme eux. L’appareil d’Etat des pays en développement est obligé de perdre de son poids et de suivre parfois les modes coûteuses des pays développés, dont les paradigmes leur ont souvent été imposés au cours des 50 dernières années. Toute réforme administrative imposée aux pays du Sud devrait se baser sur l’identité culturelle de ces pays. On s’est aperçu que l’imposition de réformes de l’extérieur faisait coexister deux systèmes, ce qui créait un climat propice à la corruption. L’Asie a une longue expérience de l’Etat administratif positif, qui est perçu comme un soutien utile au développement. Les peuples d’Asie adhèrent à certaines valeurs occidentales, tout en conservant des valeurs qui leur semblent essentielles au plan communautaire et de la solidarité.
Nous savons qu’il est plus facile de concevoir et planifier des réformes que de les appliquer. Il faut pouvoir sortir de la frénésie des réformes pour faire un bilan des gains obtenus, et si nécessaire proposer des solutions de rechange. Le système d’évaluation que pratiquent les Nations Unies pourrait être appliqué aux programmes de réformes menés par les pays du Sud. La création d’une atmosphère comptable et novatrice est indispensable, si l’on veut stimuler les énergies qui s’appliquent à la réforme. Nous pensons que les réformes ne doivent pas être dictées de l’extérieur, car cette méthode est génératrice d’échec, du fait qu’elle ne tient pas compte du passé et de l’identité des peuples. Le paradigme selon lequel la volonté seule suffit, dès lors que l’on a un plan est faux. Les idées et les plans ne peuvent s’appliquer sans d’abord faire attention à la qualité des structures, des personnels et des institutions des sociétés où le plan de réforme est censé être appliqué. Comment un petit groupe de nations peut-il continuer à s’enrichir, alors qu’au même moment la majorité des peuples sombre dans la misère et la pauvreté? Nous sommes d’avis que la réforme administrative ne peut être un fait isolé. Elle doit s’intégrer dans une vision politique plus large. Il est temps que les idées en provenance du Sud soient prises en considération. L’Institut peut participer à cette prise de conscience et avec l’appui des Nations Unies, aider à opérer de vrais changements.
M. GUIDO BERTUCCI, Directeur de la Division de l’économie et de l’administration publiques du Département des affaires économiques et sociales, a estimé que du point de vue des Nations Unies, la première réaction est de prendre conscience de la diversité des démarches entre les pays qui doivent trouver les moyens de rendre plus efficace leur administration et ceux qui sont en train de développer leurs institutions et leurs ressources humaines. Dans les pays en transition, il s’agit même, a insisté le représentant, de démanteler les anciennes institutions et d’édicter de nouvelles règles. Dans ce contexte, les
Nations Unies doivent faire jouer le principe de précaution et se garder de transposer les mêmes idées dans des situations différentes. Ainsi, le Groupe d’experts de l’ONU sur l’administration publique n’a pas caché son scepticisme quant à l’imposition d’un modèle unique à toutes les administrations.
Ces administrations et leurs réformes doivent être adaptées aux traditions, aux histoires, aux coutumes et aux situations économiques particulières. Comment donc l’ONU et la communauté internationale peuvent-elles jouer un rôle utile? En ce qui concerne l’ONU, elle doit appeler l’attention sur les problèmes, les conséquences de certaines politiques et les options disponibles. Elle peut aussi essayer de trouver un terrain d’entente sur un certain nombre de principes de base tels que l’intégrité des élections, les codes de conduite des fonctionnaires et les normes d’établissement des comptes publics et de vérification des comptes.
L’ONU peut par ailleurs contribuer aux échanges d’information et permettre ainsi aux pays de disposer d’un menu à partir duquel ils peuvent choisir ce qui leur convient le mieux. Le Département a d’ailleurs mis sur pied un “Réseau de l’administration publique” qui est t un réseau informatisé reliant toutes les administrations publiques et permettant aux décideurs politiques d’accéder aux nouvelles pratiques et aux analyses des réformes déficientes. Il peut également revenir à l’ONU de renforcer les capacités institutionnelles, humaines et technologiques et les valeurs fondamentales de la fonction publique. A cet égard, le Groupe d’experts en administration publique a demandé qu’une Journée internationale de la fonction publique soit créée durant laquelle des prix seraient décernés par le Secrétaire général. Enfin, l’ONU peut améliorer la coordination de l’assistance au développement pour assurer que tous les acteurs coordonnent leurs actions. C’est un défi que le système des Nations Unies dans son ensemble doit relever, a conclu le Directeur.
Questions réponses
Ouvrant la série de questions, le représentant de Trinité-et-Tobago a voulu savoir comment le secteur privé pourrait travailler avec le secteur public en ce qui concerne la prestation des services. Répondant à cette question, le Représentant de l’Université de Protsmouth a estimé que tout dépend du type de collaboration et de contexte. Les gouvernements sont souvent déficients dans des domaines comme la construction navale ou automobile alors qu’ils réussissent très bien dans la mise en place d’un cadre juridique pour le secteur privé et dans le remplacement de ce secteur lorsqu’il se révèle déficient comme dans le domaine de la santé. A son tour, le représentant de l’Indonésie a voulu savoir s’il existe un format institutionnel pour des pays comme le sien qui n’ont pas de cadres de coordination clairs. A cette question, le Directeur de la Division de l’économie et de l’administration publiques a répondu qu’au sein du gouvernement, il serait judicieux de constituer un groupe de fonctionnaires chargés de suivre le processus de réformes et assurer la coordination avec les différents ministères. De cette manière, la réforme serait constante et non ponctuelle. Se disant satisfait de l’accent mis sur la culture dans le cadre des réformes administratives, le représentant de l’Ouganda en soulignant toutefois les aspects négatifs de certaines cultures. S’attaquer à ces aspects comporte des risques politiques, a dit le représentant avant de demander des conseils en la matière. Lui répondant,
leDirecteur de la Division de l’économie et de l’administration publiques a
souligné que l’efficacité d’une réforme dépend d’une bonne administration au Sommet, de patience et de courage. Il a insisté sur le fait que toute réforme administrative doit aller dans le sens de la culture. Essayer d’importer des solutions toutes faites serait se condamner à l’échec, a-t-il conclu.
Posant une question, la représentante de la République tchèque a souhaité des commentaires sur la manière de définir le rôle du secteur public et celui du secteur privé dans des domaines d’intérêt général comme l’eau potable, l’éducation, la santé, les infrastructures ou l’électricité.
Répondant aux questions de la représentante de la République tchèque, le panéliste de l’Université de Portsmouth a dit que tout dépendait des buts que s’assignent les agences créées par les Etats. Le monopole de l’eau, de l’électricité ou du téléphone ne pouvait pas continuer à être contrôlé par le secteur public, au vu des performances observées dans le passé. Les consommateurs se trouvent mieux servis par des structures gérées de manière privée. Les réformes ont essentiellement pour but de changer la culture des agences du domaine public en les privatisant. Ces changements étaient aussi destinés à libérer des ressources, améliorer l’accès aux marchés et éviter les abus qui existaient quand ces biens publics étaient aux mains de l’Etat. Après la privatisation, les bénéfices que génèrent ces secteurs sont soumis, dans certains pays, à un contrôle parlementaire. Dans les pays les moins nantis, ces biens publics continuent encore d’être gérés par des entreprises parapubliques, qui sont cependant soumises à des conditionnalités faisant partie des programmes d’ajustement des institutions de Bretton Woods.
Prenant la parole pour faire des remarques de conclusion, le Président de la Deuxième Commission, a dit que l’Etat semble revenir aujourd’hui au premier plan, cette évolution étant due aux changements intervenus dans la situation de l’économie mondiale. La nécessité de réformer ne semble pas seulement s’imposer aux structures publiques, comme le démontrent les débats qui ont cours à la Deuxième Commission, a-t-il noté, en ajoutant que les délégations savent que des réflexions sont en cours sur l’éventualité d’une réforme de la gouvernance des institutions de Bretton Woods et d’autres instances internationales.
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