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AG/J/327

SUJET D'INQUIETUDE DU PRESIDENT DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE A LA MULTIPLICATION DES INSTANCES JUDICIAIRES INTERNATIONALES

27 octobre 2000


Communiqué de Presse
AG/J/327


SUJET D’INQUIETUDE DU PRESIDENT DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE A LA MULTIPLICATION DES INSTANCES JUDICIAIRES INTERNATIONALES

20001027

Le Président de la Cour internationale de Justice, M. Gilbert Guillaume, a prononcé ce matin devant la Commission juridique un discours sur le thème de la multiplication des instances judiciaires internationales et ses conséquences pour le droit international, phénomène qui préoccupe aujourd’hui sérieusement les milieux universitaires et les praticiens du droit.

Cette prolifération, a estimé le Président Guillaume, peut être perçue comme un processus d’adaptation à ces changements fondamentaux des rapports internationaux, avec la multiplication des domaines de la coopération interétatique et l’intensification des activités transfrontières d’acteurs non étatiques (entreprises, ONG, individus). Mais cette multiplication entraîne un risque de concurrence entre les différentes instances judiciaires et un risque réel de jurisprudences contradictoires. Pour y faire face, le Président de la CIJ a souhaité que s’engage entre les différentes instances un dialogue interjudiciaire constant.

Il s’agit là cependant d’une solution minimale qui risque d’être insuffisante et il faudrait institutionnaliser les relations entre les tribunaux. Comme solution, le Président de la CIJ a suggéré que celle-ci puisse, sur demande des instances judiciaires internationales, donner des avis sur des points de droit, afin de limiter les risques d’interprétations contradictoires et de jurisprudences divergentes. Cette demande d’avis pourrait, a-t-il estimé, être transmise par les juridictions du Système des Nations unies mais aussi d’autres, via le Conseil de sécurité ou l’Assemblée générale, deux organes qui, conformément au Statut de la Cour, peuvent lui demander de tels avis.

A l’issue du discours du Président de la CIJ, une discussion s’est engagée entre les représentants, qui ont fait diverses observations et posé quelques questions auxquelles le juge Guillaume a répondu.

La Commission a ensuite poursuivi l’examen du rapport de la Commission du droit international (CDI), en se concentrant toujours sur le chapitre consacré à la responsabilité des Etats. Les interventions ont une nouvelle fois tourné principalement autour des dispositions du projet d’articles relatives aux

violations graves, aux réparations et aux contre-mesures, ainsi que sur la forme finale, normative ou non, que devra prendre le projet d’articles. Lors du débat sur le rapport de la CDI, les représentants des pays suivants ont pris la parole ce matin: Chili, Costa Rica, Autriche et Grèce. Le représentant du Chili a abordé dans sa déclaration d’autres chapitres du rapport de la CDI.

La Sixième Commission poursuivra son examen du rapport de la CDI cet après-midi, à 15 heures. Elle achèvera son débat sur le chapitre relatif à la responsabilité des Etats. Puis elle commencera l'examen de deux autres thèmes du rapport: La protection diplomatique et les actes unilatéraux. DISCOURS DU PRESIDENT DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

M. GILBERT GUILLAUME, Président de la Cour internationale de Justice, a prononcé devant la Commission juridique un discours sur le thème de la multiplication des instances judiciaires internationales et son impact sur le droit international, phénomène, qui, a-t-il déclaré, préoccupe aujourd’hui sérieusement les milieux universitaires et les praticiens du droit.

Le Président a d’abord rappelé que la Cour permanente de Justice internationale créée en 1920, fut longtemps seule. Son remplacement par la Cour internationale de Justice (CIJ) après la Seconde Guerre mondiale a coïncidé avec le développement de nouvelles instances juridictionnelles, sur un plan d’abord régional, puis mondial (Cour européenne des droits de l’homme, Cour européenne de Justice, Cour interaméricaine des droits de l’homme…). Le processus s’est ensuite accéléré au cours des deux dernières décennies avec le Tribunal international sur le droit de la mer, entré en fonction en 1996, le mécanisme quasi-juridictionnel de règlement des différends de l’OMC et les projets de Cour africaine des droits de l’homme et de Cour pénale internationale. En outre, de nombreux tribunaux ad hoc ont été mis en place durant ces vingt dernières années.

Cette évolution s’inscrit dans le cadre de transformations profondes des rapports internationaux, avec la multiplication des domaines de la coopération interétatique et l’intensification des activités transfrontières d’acteurs non étatiques (entreprises, ONG, individus). Ce double élargissement, en substance comme en fréquence, a inévitablement créé le besoin, voire la nécessité, de soumettre l’ensemble de ces rapports à des règles du droit. La multiplication des tribunaux peut être perçue comme un processus d’adaptation à ces changements fondamentaux. Pour appliquer les normes juridiques retenues dans des domaines de plus en plus complexes et spécialisés, des connaissances plus approfondies en matière, économique ou autre, peuvent devenir nécessaires. Parallèlement, le besoin de tenir compte de particularismes locaux a entraîné la création de tribunaux dont la composition est fixée au niveau régional.

La prolifération des juridictions internationales a, toutefois, des conséquences déplorables, a déclaré le Président Guillaume. Elle a influencé la mise en œuvre du droit international au plan procédural comme en ce qui concerne le contenu de la règle du droit. Les risques de chevauchement de compétence ont augmenté et sont devenus réalité. Le Président a cité sur ce point le chevauchement entre le Tribunal sur le droit de la mer de Hambourg, créé par la Convention de Montego Bay pour connaître des litiges relatifs à l’application de cette Convention, et la CIJ, devant laquelle les Etats portent traditionnellement leurs différends maritimes.

Cette prolifération autorise un choix et ouvre ainsi la porte au «forum shopping». Celui-ci peut, certes, créer une certaine émulation entre les tribunaux et stimuler leur imagination. Mais il faut aussi en souligner les conséquences négatives. Toute institution judiciaire évalue son importance plus ou moins consciemment en fonction de la fréquence avec laquelle elle est saisie. Certains tribunaux pourraient de ce fait être amenés à orienter leur jurisprudence en vue de développer leurs activités, aux dépens d’une approche plus objective de la justice. Une telle évolution serait profondément dommageable à la justice internationale, a déclaré M. Guillaume.

Les chevauchements juridictionnels ont une autre conséquence fâcheuse: le risque de contrariété de jugement. Les systèmes de droit nationaux, confrontés depuis longtemps à ce type de problème, l’ont résolu par deux méthodes: Le développement d’une hiérarchie claire entre instances juridictionnelles et l’élaboration de règles relatives à la litispendance et à l’autorité de la chose jugée. Or, le système international à cet égard est fort dépourvu. Actuellement, il importe que les tribunaux internationaux parviennent à articuler l’exercice de leur propre juridiction lorsque plusieurs d’entre eux s’estiment compétents pour connaître d'un différend. Cela, évidemment, repose beaucoup sur l’attitude des juges et leur capacité de déterminer leur propre compétence en ayant à l’esprit leur situation dans l’architecture internationale. Quels critères devraient guider le choix de l’instance? Comment déterminer les compétences respectives lorsque le chevauchement n’a trait qu’à l’une des questions en litige alors que les autres tombent sous la compétence exclusive de l’un ou l’autre des tribunaux saisis? Et, surtout, comment articuler l’autorité de la chose jugée dans plusieurs instances, de manière à assurer l’intégrité des décisions prises? La réponse, nécessaire, à ces questions, ne peut être donnée en l’état actuel des choses, a constaté le Président de la CIJ.

Si on ne peut que se féliciter du développement et de l’enrichissement du droit international provoqué par l’augmentation sensible du nombre des affaires soumis au juge du fait de la multiplication des juridictions internationales, il existe des risques sérieux d’incohérence jurisprudentielle, même si les juridictions ont montré qu'elles étaient soucieuses de les éviter. Autrefois, le risque existait déjà entre les différentes chambres de la CIJ. Mais le risque est plus grand lorsque les conflits de jurisprudence interviennent entre des juridictions différentes, et notamment lorsqu’on a affaire à des tribunaux spécialisés enclins à privilégier leur discipline propre, a déclaré M. Guillaume. A cet égard, il a cité deux exemples à savoir: conflit entre la CIJ et la Cour européenne des droits de l’homme dans le cadre de l’affaire Loizidou contre Turquie, et conflit entre le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et la jurisprudence de la CIJ dans l’affaire Procureur contre Dusko Tadic.

La spécialisation croissante des juridictions internationales comporte le danger grave que soient oubliées les perspectives d’ensemble, a poursuivi le Président de la CIJ. Comment faire en sorte que la multiplication des juridictions ne soit pas source d’anarchie mais plutôt d’enrichissement?

Avant de créer une nouvelle juridiction, le législateur international devrait d’abord se demander si les fonctions qu’il entend confier au juge ne pourraient pas être avantageusement remplies par une juridiction existante. En outre, comment répondre à l’absence de relations structurées entre les tribunaux? On pourrait s’en remettre à la sagesse des magistrats, qui doivent prendre conscience des dangers de la fragmentation du droit, s’informer plus complètement des jurisprudences développées par leurs collègues, entretenir des relations plus suivies avec les autres tribunaux et engager un dialogue interjudiciaire constant. La CIJ pourrait s’y employer si elle en avait les moyens.

Mais il s’agit là d’une solution minimale qui risque d’être insuffisante, a estimé M. Guillaume. En effet, tout organe, judiciaire ou non, a tendance à se développer de manière autonome. De ce fait, il importe d’institutionnaliser les relations entre les tribunaux. Certes, du fait de son ancienneté, de son statut d’organe principal des Nations Unies et de seule juridiction universelle à compétence générale, la CIJ dispose d’une autorité particulière. Mais les mécanismes lui permettant d’assumer son statut sont extrêmement limités et, bien que la CIJ puisse jouer un rôle d’appel de certaines décisions, l’appel ou la révision sont très peu utilisés dans l’ordre international. Ils ont d’ailleurs été encore limités récemment.

La suggestion parfois faite d’utiliser la CIJ comme instance d’appel ou de cassation de jugements rendus par d’autres tribunaux internationaux impliquerait une volonté politique forte des états et une modification profonde de la Cour, qui devrait être dotée de moyens importants. Je ne suis pas certain qu’une telle volonté existe, a déclaré le Président de la CIJ, qui a, en revanche, estimé que, pour réduire les risques d'interprétations contradictoires du droit international, les autres juridictions internationales pourraient demander à la Cour un avis sur des points douteux et importants. Une telle procédure existe en droit communautaire sous la forme de la question préjudicielle que peuvent poser les tribunaux nationaux à la Cour de justice européenne, a-t-il rappelé. On pourrait utiliser une procédure analogue en droit international, puisque la CIJ est compétente pour donner des avis consultatifs sur saisine de l’Assemblée générale ou du Conseil de sécurité. Les tribunaux internationaux pourraient demander un tel avis, via le Conseil de sécurité et le Tribunal administratif des Nations Unies, via l’Assemblée générale. La même procédure pourrait être utilisée pour les juridictions internationales qui ne sont pas des organes des Nations Unies, comme la future Cour pénale internationale ou le Tribunal international du droit de la mer, là encore, via l’Assemblée générale. Peut-être celle-ci pourrait-elle même encourager ces juridictions à agir ainsi, a déclaré M. Guillaume.

Débat

Le représentant de l’Italie a considéré qu’un dialogue mieux structuré entre les organismes judiciaires serait souhaitable mais qu’une telle entreprise restait fort difficile à cause de l’indépendance de chaque instance. Il a mis en garde contre le risque d’une prise de contrôle politique du fait de l’avis consultatif qui pourrait être demandé à la Cour.

Le représentant de l’Inde a rappelé que les intérêts juridictionnels sont déjà en place dans les tribunaux et s’est interrogé sur la possibilité de mettre en place des organismes de liaison sur un plan pratique. L’idée, a-t-il déclaré, est intéressante mais il faut encore que le Président de la CIJ la précise .

Le représentant du Cameroun a rappelé que la CIJ a gagné en confiance auprès des Etats qui sont les justiciables. Il a observé cependant qu’un trop long délai peut conduire à un déni de justice. Or, cette situation pourrait être améliorée si les mesures conservatoires étaient plus contraignantes. Il a souhaité qu’il soit donné à la Cour tous les moyens notamment financiers dont elle a besoin pour fonctionner. Même devant le tribunal pour le droit de la mer, les décisions de référés s’imposent aux parties et il a souhaité que l’on s’interroge sur ce point.

Le représentant du Royaume-Uni a souhaité qu’on n’exagère pas les difficultés que rencontre la Cour. Il a rappelé que les plus importantes sont les difficultés de procédures, comme le "forum shopping". Il a exprimé sa confiance en la justice qui y est rendue et a relevé la présence de plus en plus de spécialistes. Enfin, il a posé la question de savoir s’il était réaliste de s’attendre à ce que les autres tribunaux internationaux interrompent leurs procédures en cours pour prendre l’avis de la Cour.

Le représentant du Nigéria s’est interrogé sur ce qui différencie vraiment les autres tribunaux internationaux de la CIJ et quelle pourra être la future mission de la Cour. Il a demandé si la CIJ s’en tenait à connaître des cas entre Etats ou si désormais elle pouvait servir de Cour d’appel des tribunaux internationaux comme pour le Rwanda. En ce qui concerne le langage de la Cour, qui travaille en anglais et en français, il a demandé pourquoi elle ne pouvait pas utiliser d’autres langues.

Le représentant de la Slovaquie a rappelé la différence d’interprétation de certaines affaires par la CIJ et le tribunal pour la Yougoslavie. Il s’est félicité de ce que les organes judiciaires internationaux se multiplient mais a rappelé que la CIJ doit conserver son rôle de juridiction mondiale.

Le représentant de la Sierra Leone a déclaré que son pays soutiendra sans réserve toute demande de ressources que fera la CIJ. Toutefois, il a déclaré qu’il pensait que les jugements de la CIJ, en tant qu’Organe principal du Système des Nations Unies, avaient force obligatoire et s’imposaient aux autres organes judiciaires internationaux. Or, d’après ce qui vient d’être dit, il semblerait que ce ne soit pas le cas. Est-ce que ce fait n’amoindrit pas la position de la CIJ en tant qu’organe principal des Nations Unies? Que peut-on faire pour être sûr que les jugements de la CIJ prévaudront sur toutes décisions d’autres organes?

Le représentant du Soudan s’est dit d’accord pour dire que la saisine de plusieurs juridictions pour une même affaire recèle de graves dangers. Il partage donc les inquiétudes du président de la CIJ concernant la multiplication des organes judiciaires internationaux. La saisine des autres juridictions pourrait en outre se faire aux dépens de la juridiction principale qu’est la CIJ. D’autres juridictions pourraient aussi être choisies par des Etats du fait qu’ils disposent de plus de moyens et cela pourrait encore entraîner une diminution des ressources de la CIJ. C’est donc aussi une question politique.

Réponses du président de la CIJ

Concernant les langues de travail de la Cour, M. Guillaume a rappelé que le problème est réglé par le Statut de la Cour dans son article 39. La CIJ y est donc tenue. Cela dit, la Cour est consciente que, pour que ses décisions soient connues le plus largement, elle a intérêt à ce que ces dernières le soient en plus de langues. Le site Internet de la Cour comprend, outre l’anglais et le français, certains éléments en espagnol et le Livre bleu de la Cour a été rédigé dans les six langues officielles de l’ONU. En outre, des requérants peuvent toujours s’exprimer dans une autre langue – cela s’est produit deux fois – mais doivent fournir eux-mêmes les interprètes, la Cour n’ayant pas les crédits pour cela. Concernant les mesures conservatoires, le texte du Statut précise en son article 41 que la Cour a le pouvoir d’indiquer quelles mesures conservatoires doivent être prises à titre provisoire. Le caractère obligatoire ou non de ces mesures n’a pas encore été tranché mais pourrait avoir à l’être prochainement dans une affaire pendante (Allemagne contre Etats-Unis).

Concernant la question posée par le représentant de la Slovaquie, le juge Guillaume a déclaré que, vu la rareté relative des jugements de la Cour par rapport aux juridictions internes, on peut penser que la Cour peut avoir à trancher des éléments de droit même si cela n’est pas nécessaire pour la résolution du litige. Cela dit, ce n’est pas forcément dans la tradition du droit et il vaut mieux un jugement court, clair, et rendu de manière unanime, qui sera applicable facilement.

Concernant le problème de fond de la multiplication des juridictions internationales, M. Guillaume a réitéré sa position. Certes, cette multiplication a des aspects positifs, comme l’ont fait remarquer plusieurs délégués. Mais elle a aussi des aspects négatifs et ces risques sont peut-être plus grands qu’on ne le pense. Ce n’est pas un problème facile à résoudre et la solution évoquée dans l’exposé soulève elle aussi des problèmes.

A la question du représentant de l’Italie (le recours à la CIJ, via l’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité ne risque-t-il pas de porter atteinte à l’indépendance des tribunaux?), le Président de la CIJ a estimé qu’il faut être clair: Le Conseil de sécurité ou l’Assemblée générale ne devraient absolument pas avoir le pouvoir de modifier les questions des organes judiciaires recourant à la CIJ pour obtenir un avis, et devraient seulement transmettre les questions.

Le Président de la CIJ a également remercié le représentant du Royaume-Uni de sa grande confiance dans les juges. Mais si la procédure de l’avis consultatif n’est jamais utilisée, cela démontrerait plutôt que cette sagesse n’est peut-être pas totale, a-t-il fait remarquer. Certes, la procédure devrait être exceptionnelle, mais elle pourrait être utile, et surtout, à ce stade, on n’en a pas imaginé d’autre. Faut-il laisser le problème s’élargir ou faut-il réagir? M. Guillaume s’est déclaré très ouvert à toute autre proposition.

A la question: Comment éviter que les jugements de la Cour ne soient pas suivis par une autre juridiction? Le Président de la CIJ a rappelé que les arrêts de la Cour ne sont obligatoires que pour les cas d’espèce qui lui sont soumis et pour les parties en litige (article 59 du Statut). Donc, si les motifs de la Cour, s’ils ont une grande autorité morale et, on peut l’espérer, juridique, ne sont pas techniquement obligatoires pour d’autres juridictions internationales.

Le président de la CIJ s’est enfin défendu d’avoir voulu par ses suggestions faire de la Cour une juridiction d’appel d’autres organes judiciaires internationaux, ce qui supposerait une profonde réforme d’ordre juridique international. EXAMEN DU RAPPORT DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL

SUITE DU DEBAT SUR LA RESPONSABILITE DES ETATS

Déclarations

M. CLAUDIO TRONCOSO REPETTO (Chili), à la question de savoir si le projet d’articles devait prendre la forme d’un traité international, a estimé que la forme de convention doit être privilégiée pour atteindre un degré de certitude juridique supérieur. A titre provisoire toutefois, il a envisagé une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies. En ce qui concerne les obligations erga omnes, il a donné sa préférence à une distinction entre les délits et les crimes internationaux, même s’il comprenait les raisons d’une solution médiane qui facilite le compromis. Sur la question des obligations envers la communauté internationale, il faut maintenir le concept de “Communauté Internationale des Etats” dans son ensemble, car cela exclut les organisations internationales, a-t-il déclaré. Il a indiqué que la notion d’obligation erga omnes a une autre facette, qui est celle de la responsabilité qui peut être invoquée par tout Etat membre de la Communauté internationale. En ce qui concerne le règlement des différends, il s’est déclaré partisan d’un projet de convention qui déterminerait les formes sous lesquelles les différends doivent être réglés.

Au sujet des contre-mesures, il a relevé que les restrictions nécessaires ne doivent pas aboutir à l’autre extrême qui serait de les priver de tout effet. Les mesures ne doivent pas compromettre les régimes préétablis et, en ce qui concerne le concept de proportionnalité, il faut examiner s’il doit être apprécié à la lumière des mesures individuelles de chaque Etat ou de l’ensemble des Etats. L’article 54 devrait être plus explicite. Sur l’article 51, il a rappelé que toutes les obligations ne seraient pas affectées par les contre- mesures, mais que cela vise un autre concept qui est de ne pas enfreindre les droits de l’Homme par des contre-mesures. Il a souhaité que l’on distingue les contre-mesures qui découlent du non-respect d’une décision du droit international, ce qui nécessite au préalable que l’on juge que la décision n’a pas été respectée.

Sur la protection diplomatique, il a indiqué qu’elle ne doit pas disparaître. Quant à la nationalité, il a souhaité que l’exigence de liens effectifs ne soit pas toujours pleinement appliquée car dans la majorité des cas il y a conformité entre les relations effectives et que dans les autres, il faut examiner les conditions et si l’Etat tiers a contesté les liens effectifs. S’agissant de la protection des apatrides qui résident habituellement sur un Etat, il s’est dit favorable à ce que les apatrides soient protégés davantage, à condition que les liens authentique avec l’Etat soient démontrés. S’agissant du réfugié qui n’est pas protégé par son Etat d’origine, il faudrait étendre les règles applicables aux apatrides. Il a souhaité que le rapporteur analyse la question de l’initiative pour l’exercice de la protection diplo, par le particulier ou par l'Etat.

Sur les actes unilatéraux des Etats, il a relevé que les Etats y ont souvent recours et qu’il convient de les réglementer. Pour ce qui est de la relation entre le projet d’articles sur les actes unilatéraux et la convention sur le droit des traités de 1969, il a considéré que certaines dispositions de cette dernière peuvent s’appliquer mutatis mutandi aux actes unilatéraux, notamment à ceux qui sont déterminés par la convention de Vienne de 1969. Il a estimé que la définition des actes unilatéraux est adéquate et que l’élément d’autonomie doit être inclus dans cette définition. Il a donné son accord au paragraphe 1 de l’article 3 concernant les personnes habilitées à passer des actes unilatéraux, mais a pensé que le paragraphe 2 requiert un meilleur examen. En ce qui concerne la possibilité de confirmation ultérieure d’un acte passé par une personne non habilitée (article 4), il a souhaité que cela se fasse par écrit pour éviter les problèmes.

Quant au chapitre relatif aux réserves aux traités, il a relevé l’importance du sujet et a noté que la Convention de Vienne ne devrait pas être modifiée et que des amendements entraîneraient des incertitudes. Il a souhaité que les critères appliqués soient les plus précis possibles. Il a souligné que les traités ne doivent pas pouvoir être sans cesse modifiés et que, dans le silence de celui-ci, les réserves tardives soient soumises à certaines garanties comme l’exigence d’unanimité.

M. BERND NIEHAUS (Costa Rica) a déclaré que le projet d’articles est en général un texte équilibré et réaliste, qui codifie le droit coutumier et introduit en même temps des éléments novateurs. Le document montre donc bien la double fonction de codification et de développement progressif du droit international qui est celle de la CDI. Le régime proposé est satisfaisant et fonctionnel et n’aurait besoin que de quelques modifications mineures pour être adopté définitivement, a affirmé le représentant.

Le représentant s’est félicité de la distinction entre les violations graves envers la communauté internationale dans son ensemble et les autres violations, ainsi que de la distinction faite entre Etats directement lésés et Etats seulement juridiquement intéressés. Pour les violations graves, l’élément qui caractérise ces obligations est le fait que l’obligation concerne la communauté internationale dans son ensemble, et il n’est pas nécessaire de préciser que cette violation doit être grossière ou systématique, a-t-il affirmé. Mais les réparations mentionnées dans l’article 42 semblent impliquer des mesures punitives qui ne sont pas acceptables. Il vaudrait mieux faire un renvoi aux dispositions concernant les réparations en général, a estimé M. Niehaus.

Le Costa Rica soutient la limitation au minimum de l’emploi des contre- mesures, a rappelé le représentant, qui a indiqué que son pays préférerait même l’interdiction totale des contre-mesures qui favorisent les grandes puissances. Néanmoins, on doit admettre leur utilisation dans l’état actuel de la société internationale. L’équilibre trouvé par la CDI est acceptable, a estimé M. Niehaus. Le Costa Rica souhaiterait toutefois une liste plus claire des contre-mesures interdites, qui devraient recouvrir toute mesure supposant l’emploi de la force. Les contre-mesures doivent non seulement être proportionnées mais tendre, en outre, à obliger l’Etat responsable à mettre fin à la violation. Il faudrait aussi voir ce qui peut être fait pour éviter l’abus des contre-mesures. Le Costa Rica souhaite que les contre-mesures ne puissent être appliquées qu’après une offre de négociation. En revanche, même en cas de suspension des contre-mesures, on pourrait autoriser l’Etat qui y a recours à en maintenir quelques-unes, de manière à préserver ses droits.

Concernant les formes de réparation, le représentant a approuvé l’article 39 relatif à l’obligation de payer des intérêts. Il a en revanche maintenu ses doutes sur l’utilité de la satisfaction et des garanties de non-répétition dans la société internationale du XXIe siècle.

M. Niehaus a enfin fait part de sa préférence pour l’adoption du projet d’articles sous forme de convention. Toutefois, le Costa Rica est bien conscient des difficultés de ce projet et accepte donc l’idée de les adopter sous forme d’une déclaration non contraignante à l’Assemblée générale. Ce serait aussi un moyen de rendre hommage au travail de la CDI.

M. HANS WINKLER (Autriche) a abordé la question de la forme que doit revêtir le résultat des travaux de la CDI sur la responsabilité des Etats. Après avoir rappelé les avantages et inconvénients de chaque option - forme contraignante ou résolution de l’Assemblée générale - il a indiqué que la codification serait sans doute plus utile à la communauté internationale, mais qu’elle pourrait s’avérer aussi contre-productive. Quant à une conférence diplomatique qui adopterait le texte, elle pourrait entraîner une discussion complexe à divers niveaux et pourrait menacer l’équilibre déjà très fragile du projet de texte. Pour ces raisons, le représentant de l’Autriche a souhaité que le projet soit adopté sous la forme d’une résolution de l’Assemblée générale, la forme d’un instrument contraignant lui paraissant trop ambitieuse. En outre, le fait pour l’Assemblée générale d’entériner le texte lui confèrera un surcroît de force morale et pratique qui s’additionnerait, selon lui, à l’autorité professionnelle de la CDI. Si une telle solution devait être retenue, il faudra, a-t-il estimé, éliminer certaines dispositions, comme celles relatives au règlement des conflits.

Il a ensuite abordé le projet d’articles proprement dit et l’a trouvé plus réaliste que le précédent. En ce qui concerne la compensation pour dommage moral, il a rappelé qu’en droit international elle s’exerce sous la forme de la “satisfaction” et que les articles 37 et 38 pourraient être interprétés différemment, (l’article 37 faisant exclusivement référence au “dommage susceptible d’évaluation financière”). S’agissant des violations graves d’obligations, l’Autriche se félicite de ce qu’il ne soit plus fait référence au “crime international”. Cette nouvelle solution souffre cependant d’une faiblesse, a-t-il remarqué, car il n’y a pas de moyen objectif de déterminer si la violation est “grave ou systématique” et de ce fait “sérieuse”. Selon lui, la question de savoir si l’obligation de "coopérer autant que possible pour faire cesser une violation" est une obligation distincte ou si elle est en relation avec l’application des contre-mesures prévues à l’article 54, reste ouverte.

Sur la notion d’Etat lésé, il a noté que le projet prévoit diverses solutions en fonction de la catégorie de violation, et, à cet égard, la définition d’obligation prévue à l’article 43 lui semble vraisemblablement recouvrir certaines règles de Jus cogens et des accords de protection de l’environnement. Il a estimé qu’il fallait des éclaircissements à ce sujet. A propos des obligations erga omnes, le concept a été ramené par le rapporteur spécial à un niveau plus réaliste. Il a relevé que les Etats autres que les Etats lésés peuvent demander la cessation de l’acte illicite et des garanties de non-répétition et que cela peut concerner les propres citoyens d’un Etat dans le cas d’une affaire relative à l’environnement. Cependant, dans les cas de violation des droits de l’homme, les Etats agissent le plus souvent pour le compte des victimes qui sont des citoyens de l’Etat qui a commis l’acte illicite. Or, dans ce cas, le projet ne prévoit pas une obligation de coopérer entre les Etats qui invoquent la responsabilité, a-t-il regretté. De ce fait, il faut prévoir que les Etats fassent des demandes diverses de réparation, à des niveaux financiers différents.

Il a estimé par ailleurs que le projet rencontre une difficulté sérieuse en ce qui concerne les contre-mesures car c’est la justification d’une intervention. Cependant, dans le cas de violations graves prévues par l’article 41, tout Etat intéressé peut avoir recours à des contre-mesures et il a trouvé que cette règle pouvait entraîner une confusion et qu’elle ne s’intégrait pas dans la structure du projet. Il a aussi examiné les conséquences d’une modification de cet article sur la rédaction de l’article 54, paragraphes 2 et 3. Par exemple, s’agissant de l’article 54, paragraphe 3 concernant la coopération entre plusieurs Etats dans l’application de contre-mesures, il a relevé que la règle de la proportionnalité est alors difficile à appliquer. Il a estimé que l’article 53 doit être réécrit pour s’appliquer à tout évènement, puisque pour l’instant il ne s’intéresse qu’aux Etats lésés. Il a aussi relevé que la relation entre les articles 54, paragraphes 2 et 42, paragraphe 2 © n’est pas claire. Enfin, en ce qui concerne l’article 59, il l’a trouvé ambigu et a souhaité qu’un éclaircissement lui soit apporté pour que les contre-mesures prises en dehors du système des Nations Unies et celles prises à l’intérieur, soient toutes soumises au principe de proportionnalité.

MME PHANI DASCALOPOULOU-LIVADA (Grèce) a estimé que le projet d’articles devrait prendre la forme d’une convention qui aura plus d’impact qu’une déclaration non contraignante. S’agissant du fond, elle a constaté une grave lacune puisque la partie sur le règlement des différends a été supprimée, mais elle a noté qu’elle pourrait être réinsérée. Elle a regretté que la notion de crime d’Etat soit supprimée, car elle constitue une valeur intrinsèque de dissuasion et parce qu’elle est plus efficace que la notion de violation d’obligation internationale. Elle a cependant félicité la CDI pour les travaux qu’elle a menés afin de combler les lacunes qui subsistaient. Elle a considéré qu’il fallait accorder plus d’importance aux conséquences de ce genre de violation. En ce qui concerne les contre-mesures, elle a déclaré qu’elles constituent des mesures archaïques et s’est dite préoccupée par les contre- mesures provisoires dont elle souhaite l’élimination du projet. Elle s’est déclarée convaincue que les dispositions spécifiques relatives au règlement des différends avant l’application de contre-mesures devaient être respectées et que celles-ci ne doivent pas être appliquées de façon unilatérale. Le rôle du Conseil de sécurité est important et il faut trouver une disposition pour compléter l’article 54, paragraphe 2. Elle a souhaité que des modifications ou des précisions soient apportées aux articles 50, 37(2), 39(1) et 53. A son avis, il n’est pas nécessaire de prévoir une disposition spéciale sur les intérêts. Enfin elle a donné son accord à la notion de communauté internationale dans son ensemble.

Sur les nouveaux sujets que souhaite aborder la CDI, comme la responsabilité des organisations internationales, elle a déclaré qu’il lui semblait opportun de délimiter leurs responsabilités. L’effet des conflits armés sur les traités est un autre sujet qui mériterait d’être examiné par la Commission. En ce qui concerne la question des ressources naturelles partagées par plusieurs Etats, elle pourrait être examinée par la CDI, mais il faut cependant éviter un chevauchement des études. S’agissant du sujet des “risques de fragmentation du droit international”, elle a trouvé le sujet très intéressant bien qu’il ne se prête guère à la codification. En conclusion, elle a souhaité que la CDI continue le travail inestimable accompli cette année.

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