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AG/J/324

LA SIXIEME COMMISSION ENTAME L'EXAMEN DU RAPPORT DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL SUR LES TRAVAUX DE SA CINQUANTE-DEUXIEME SESSION

23 octobre 2000


Communiqué de Presse
AG/J/324


LA SIXIEME COMMISSION ENTAME L'EXAMEN DU RAPPORT DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL SUR LES TRAVAUX DE SA CINQUANTE-DEUXIEME SESSION

20001023

La Commission juridique (Sixième Commission) a commencé ce matin l’examen du rapport de la Commission du droit international (CDI) sur les travaux de sa cinquante-deuxième session, examen auquel elle consacrera deux semaines.

Lors de cette première séance, la Commission qui était saisie du rapport de la CDI, s’est penchée sur la question de la responsabilité des Etats. Le président de la CDI, M. Chusei Yamada, en a présenté les quatre premiers chapitres dont celui concernant la responsabilité des Etats.

Les commentaires des délégations ont porté principalement sur la notion de "violations graves" d'obligations envers la communauté internationale, et sur la question des contre-mesures.

Sur le premier point, les représentants des pays occidentaux qui ont pris la parole se sont en général félicités de la disparition de l'ancien article 19 du projet concernant la notion de "crimes internationaux". Toutefois, le représentant du Japon, a fait remarquer que l'ensemble du texte restait "hanté par le fantôme du crime international", puisque subsiste une distinction entre les "violations graves" et d'autres qui le seraient moins, et qu'on prévoit un régime juridique différent pour y faire face. Bien qu’il ne s'agit pas de nier que certaines violations puissent être plus graves que d'autres, il n'y a pas, dans l'état actuel de la société et du droit international, de consensus sur la liste des violations graves, ni sur le régime des mesures spéciales qui pourraient régir cette catégorie à part. Or, il n'appartient pas à la CDI de fixer des règles novatrices, dans ce domaine comme dans d'autres, car son rôle est de codifier et de développer progressivement le droit international, pas de le modifier en profondeur.

Ce refus de voir la CDI trop innover a amené également plusieurs représentants à faire des réserves sur les dispositions concernant les contre- mesures et la limitation de leur emploi. Les représentants du Japon et du Royaume-Uni en particulier ont estimé qu'en l'état actuel du droit international, il n'est pas possible de fixer des règles interdisant l'utilisation de contre-mesures ou obligeant l'Etat lésé à proposer des négociations avant de prendre de telles contre-mesures. Le représentant de la République-Unie de Tanzanie a pour sa part rappelé que les contre-mesures étaient essentiellement une pratique des pays occidentaux et a estimé que ces

derniers cherchaient surtout, au travers du projet d'articles, à légitimer cette pratique. Il s'est inquiété du plus ou moins haut degré de subjectivité qui peut intervenir dans l'application des contre-mesures. La représentante de la Chine s'est, pour sa part, inquiétée des conditions d'application de telles contre-mesures, qui pourraient aboutir à la création de "contre-mesures collectives".

Au cours du débat de ce matin, les représentants des pays suivants ont pris la parole: Afrique du Sud, au nom de la Communauté des Etats d'Afrique australe), Royaume-Uni, Chine, République-Unie de Tanzanie, Allemagne et Japon.

La Sixième Commission poursuivra son examen du chapitre du rapport de la CDI sur la responsabilité des Etats demain, mardi 24 octobre, à 10 heures.

DEBAT

Présentation du rapport de la Commission du droit international (premier volet)

M. CHUSEI YAMADA, Président de la Commission du droit international, a présenté le premier des trois volets de son rapport, consacré aux quatre premiers chapitres, et principalement au Chapitre IV, concernant la responsabilité des Etats.

Le Président a rappelé que le Comité de rédaction avait adopté en seconde lecture les projets d'articles présentés dans l'appendice au Chapitre IV du rapport (soit 59 articles). En principe, a-t-il expliqué, la CDI ne devrait pas demander de commentaires aux gouvernements sur les projets d'articles à ce stade, dans la mesure où ils n'ont pas été entièrement étudiés et adoptés par la CDI et ne sont pas encore accompagnés d'un commentaire révisé. Néanmoins, la CDI a décidé que les circonstances particulières concernant le travail sur la responsabilité des Etats justifient une exception à la pratique habituelle. La responsabilité des Etats, a rappelé M. Yamada, a fait partie des premiers thèmes sélectionnés par la CDI pour être codifiés et ce, dès 1949. La CDI a commencé à les étudier en 1953. Elle a donc passé déjà presque un demi-siècle sur ce point et l'adoption des projets d'articles en première lecture a couvert plus de vingt ans, de 1973 à 1996.

C'est en raison de l'importance du sujet, de l'histoire extraordinaire du projet d'articles et de l'évolution importante du droit sur la responsabilité des Etats depuis l'adoption de nombreux articles en première lecture, que la CDI a pensé que des commentaires des gouvernements à ce stade seraient utiles, a expliqué M. Yamada. C'est pourquoi le rapport du comité de rédaction a été transmis aux gouvernements le 21 août 2000. M. Yamada a rappelé qu'outre les commentaires qui seront faits au sein de la Sixième Commission, une demande avait été faite pour que les gouvernements transmettent des commentaires écrits au Secrétariat avant le 31 janvier 2001. Cela permettra à la CDI de tenir compte de telles observations avant d'achever la seconde lecture du projet d'articles.

M. Yamada a ensuite présenté en détail les projets d'articles, en rappelant cinq des principaux problèmes traités principalement dans leurs parties II et II bis, à savoir: les principes généraux relatifs à la notion de préjudice et de lien de causalité; la satisfaction et les intérêts en relation avec les différentes formes de réparation; le contenu et les conséquences de violations graves d'obligations envers la communauté internationale dans son ensemble; la définition de l'Etat lésé aux fins du projet d'articles; enfin, les conditions et limites aux contre-mesures.

Déclarations

M. ALBERT HOFFMANN (Afrique du Sud), au nom de la Communauté de développement de l’Afrique australe, a noté que la CDI, lors de sa cinquante- deuxième session, avait consacré la plupart de son temps et de son énergie à la deuxième lecture des projets d’articles sur la responsabilité des Etats. Il n’a commenté que les articles qui ont suscité le plus de discussions lors de ladite session. Il a parlé des contre-mesures qui ont été reconnues en droit international dans la célèbre affaire Naulilaa (1928) et plus récemment dans l’affaire Air Service Agreement (1978). Les projets d’articles 50 à 55 concernent directement les limites apportées aux contre-mesures, notamment l’interdiction de l’usage de la force, la protection des droits de l’homme et l’inviolabilité des diplomates et des agents consulaires, a-t-il remarqué, limites auxquelles il ne faut pas déroger. En ce qui concerne l’article 19, qui distingue les crimes des délits internationaux, il a relevé la controverse qui soutend le débat depuis le début et qui est relative à la catégorie des violations les plus graves des obligations internationales. Pour les articles 41, 42 et 54, il a rappelé le compromis atteint par la Commission qui a évité l’utilisation du terme controversé “crime”, mais qui a toutefois reconnu que certaines actions particulièrement nuisibles peuvent donner lieu à une réponse communautaire. Une telle violation oblige l’Etat responsable à verser une indemnisation en rapport avec la gravité de l’acte. M. Hoffmann a ensuite abordé la question du règlement des conflits qui n’a pas donné lieu à une section dans le projet d’articles. Il a souligné que cette section serait nécessaire si une convention était envisagée sur la question et a demandé instamment à la CDI de traiter ce problème sérieusement lors de sa prochaine session. Il a conclu en se félicitant des efforts déjà accomplis par la Commission sur ce sujet et a exprimé l’espoir que le projet sera achevé à la fin du présent quinquennat de la CDI.

M. MICHAEL WOOD (Royaume-Uni) s'est d’abord réjoui des méthodes de travail de la CDI et de leur souplesse, avec notamment le recours à de mini-débats. Il a souhaité que ces méthodes se poursuivent. Il a estimé que le Séminaire de droit international avait été cette année encore un succès, mais s’est inquiété de la raréfaction des contributeurs au Fonds d’affectation spéciale, qui risque de limiter le nombre de boursiers participants. Il a annoncé que le Royaume-Uni contribuera cette année encore au financement, à hauteur du montant d’une bourse et a invité les autres Etats à faire de même. Concernant les travaux futurs de la CDI, M. Wood s’est montré intéressé par les thèmes de “la responsabilité des organisations internationales” et “les effets des conflits armés sur les traités”. Il s’est en revanche demandé si le thème des “risques que pose la fragmentation du droit international” ne mène pas plus à une description et à une analyse qu’à une tentative de solution par la Sixième Commission. Celle-ci devrait y réfléchir davantage cette année avant que la CDI ne prenne des mesures sur ce point.

Concernant la responsabilité des Etats, M. Wood s’est félicité de la décision de la CDI de demander des commentaires aux gouvernements, avant l’adoption formelle du projet d’articles en deuxième lecture par le groupe de rédaction. Les projets d’articles sont, a-t-il constaté, très différents de ceux adoptés en 1996 en première lecture avec, dans de nombreux domaines, des améliorations considérables. Il s’est réjoui notamment de la nouvelle structure de la partie I, désormais beaucoup plus classique que l’architecture précédente, passablement baroque. En outre, il est désormais clair que les actes internationalement illicites forment une catégorie unique.

Toutefois, le Royaume-Uni a de graves préoccupations face à certaines dispositions des Parties II et II bis, qui concernent la nouvelle catégorie des “violations graves” et certains aspects du régime proposé pour les contre- mesures, qui dévient du droit international actuel. Certes, le Royaume-Uni reconnaît le concept fondamental selon lequel il existe des obligations que les Etats doivent à l’ensemble des Etats, ou à la communauté internationale des Etats dans son ensemble si on préfère. Mais l’énoncé actuel qui parle de “Communauté internationale dans son ensemble” risque d’induire en erreur. L’expression devrait donc être modifiée. Concernant les conséquences de ces violations graves, le Royaume-Uni a des doutes sur les trois conséquences spécifiquement attribuées à la catégorie des “violations graves” dans les articles 42 et 54-2. La première conséquence, a rappelé M. Wood, concerne la possibilité d’accorder des dommages proportionnels à la gravité de la violation. On peut d’abord se demander si des dommages punitifs ont une place dans le droit international, mais, s’ils en ont une, la notion doit être potentiellement applicable à des violations de toutes les obligations internationales. La deuxième conséquence concerne les obligations créées pour des Etats tiers. L’énumération proposée par la CDI découle clairement de l’avis consultatif de la CIJ dans l’affaire dite “Namibie”. Mais on peut se demander si on peut partir d’un cas unique et très spécifique pour fixer une règle générale. En outre, cette énumération des conséquences pour les Etats tiers, inclue dans un chapitre séparé consacré aux “violations graves”, semble impliquer qu’elles ne s’appliquent pas aux autres violations.

Mais la plus grande difficulté provient de l’article 54-2, lequel permettrait à n’importe quel Etat, en cas de violation grave d’obligations erga omnes, de prendre des mesures “dans l’intérêt des bénéficiaires des obligations violées”. Ceci va très loin, a estimé M. Wood. Même si on en accepte l’idée, sur la base du dictum de la Barcelona Traction, sur l’existence d’un intérêt juridique des Etats face à certaines obligations, cela n’implique pas nécessairement que tous les Etats puissent faire valoir leurs intérêts de la même manière que les Etats directement lésés, a-t-il affirmé. Les présentes propositions sont donc potentiellement très déstabilisantes pour les relations contractuelles. La CDI doit être saluée pour sa tentative de traiter la question difficile d’un régime de responsabilité pour des “violations graves”, mais d’importantes questions sont ainsi soulevées. L’une des solutions pourrait consister à avoir une clause de sauvegarde générale, qui précise que projet d'articles ne préjuge pas d’un régime établi pour faire face aux violations graves d’obligations erga omnes.

Concernant les contre-mesures, M. Wood a estimé qu’elles jouent un rôle important pour obtenir le respect du droit international et sont d’ailleurs admises par la CIJ. Pourtant, il a fait état de graves préoccupations concernant le recours aux contre-mesures car les dispositions proposées ne sont pas en accord avec l’état du droit en vigueur. En particulier, les conditions énumérées dans l’article 53, paragraphes 2 à 5, sont franchement mal conçues et ne constituent pas une base acceptable pour le droit dans ce domaine, car elles sont passablement éloignées de la réalité internationale. En particulier, l’obligation de proposer des négociations avant de prendre des contre-mesures et de suspendre celles-ci pendant les négociations, ne reflète pas la pratique du droit international général, a déclaré M. Wood. Il a rappelé qu’en l’état actuel du droit international, il n’est pas possible de fixer des règles interdisant l’utilisation de contre-mesures pendant que des négociations sont en cours. Cela aurait pour conséquence de forcer l'Etat victime de recourir à une forme particulière de règlement des conflits, et pourrait même être en contradiction avec l’article 33 de la Charte, a affirmé M. Wood. Cela pourrait même encourager des Etats à violer leurs obligations afin d’obliger un autre Etat à venir à la table de négociation. Et qu’y aurait-il à négocier en cas, par exemple, de génocide? Il faut donc que la CDI revoie ses dispositions sur l’exercice des contre-mesures, afin de mieux refléter les normes du droit qui existent en la matière.

M. Wood a enfin estimé qu’il ne serait pas réaliste de chercher à adopter les articles sur la responsabilité des Etats sous la forme d’une convention internationale. Les travaux de la CDI ont une valeur en soi. La Cour internationale de Justice a déjà eu recours à ses travaux.

Mme XUE HANQIN (Chine) a exprimé tout d’abord sa satisfaction concernant la qualité du travail accompli par la CDI et en particulier par son rapporteur spécial M. James Crawford. En ce qui concerne les contre-mesures, elle a rappelé leur caractère controversé et a déclaré qu’elle croyait en ce moyen légitime, pour un pays lésé par un acte internationalement illicite, de rétablir l’équilibre et de protéger ses intérêts. Les conditions doivent cependant être bien définies, en vue de trouver un équilibre et de prévenir tout mauvais usage de ces mesures. Elle a rappelé que sa délégation a demandé que les articles 30, 47 et 48 soient plus clairs et précis, notamment l’expression “mesures provisoires de protection”, et s’est félicitée des améliorations apportées dans le texte révisé.

Il reste encore le nouvel article 54 sur les contre-mesures collectives et l’article 49 sur ce même sujet, dont il faut examiner l’opportunité. Elle considère que ces articles élargiraient la catégorie des pays qui ont le droit de recourir aux contre-mesures et créeraient ainsi lesdites “contre- mesures collectives”. Elle a averti que cela pourrait aller à l’encontre du principe en vertu duquel les contre-mesures doivent être prises uniquement par les Etats lésés du fait d’un acte internationalement illicite. De plus, a-t-elle fait remarquer, les contre-mesures collectives ne sont pas compatibles avec le principe de proportionnalité énoncé à l’article 52. Elle a finalement proposé de ne pas conserver les articles 49 et 54.

Elle a ensuite abordé l’autre question hautement controversée qui est celle des “crimes” d’Etats. Elle a rappelé des adages du droit international et du droit romain ainsi que d’autres principes de droit qui, selon elle, ne facilitent pas la poursuite des “crimes” d’Etat. Elle a donc rappelé qu’avec de nombreuses délégations, la délégation chinoise a proposé que les dispositions relatives au “crime” d’Etat du projet d’article 19 adopté en première lecture fassent l’objet d’un amendement. Elle a constaté que le texte révisé reflète la plupart des amendements souhaités. A titre d’exemple, elle a noté que le concept de “crime” d’Etat est remplacé par celui de “violations graves des obligations fondamentales envers la communauté internationale". Elle a précisé toutefois qu’elle maintient sa position sur la question des dommages et intérêts qui ne devrait pas être inclue. Elle a aussi demandé à la CDI d’examiner le problème du rapport du Conseil de sécurité avec le paragraphe 2 (a) et (b). En ce qui concerne la troisième partie du projet, relative au règlement des conflits qui surgissent du fait de la responsabilité des Etats, elle a estimé qu’il y a trop de détails et qu’il faut l’amender, notant qu’il est important d’élaborer des dispositions générales sur ce sujet. Elle a déclaré qu’elle était plutôt favorable au vote d’une résolution par l’Assemblée générale pour adopter le texte du projet.

M. TUVAKO N. MANONGI (République-Unie de Tanzanie) a ajouté ses propres observations à celles du représentant de la SADC, pour souligner sa préoccupation première concernant les contre-mesures dans le régime de la responsabilité des Etats. Il a noté en premier lieu que le rapporteur spécial a très justement attiré l’attention de la Commission sur le peu de cas d’action collective en Afrique ou en Asie, alors que les Etats occidentaux qui ont souvent recours à ces mesures. Son impression est donc que ces derniers recherchent d’abord à légitimer cette pratique et que le projet repose essentiellement sur des pratiques et concepts occidentaux, ce qui représente une menace pour les petits Etats faibles. Il a donc exprimé sa préoccupation face à la subjectivité qui entre dans l’application des contre-mesures. Il a estimé qu’une appréciation objective pourrait être obtenue par le biais d’un processus judiciaire. Il a regretté cependant que cela n’entraîne un coût élevé que ne peuvent pas supporter certains Etats présumés responsables et qui méritent pourtant de bénéficier du recours à ce processus. C’est pour cela qu’il attend avec impatience les propositions de la Commission sur les mécanismes de règlement des conflits.

M. Manongi a ensuite relevé que l’acte illicite ne doit pas justifier une action qui, même si elle est légitime, pourrait avoir de très graves conséquences, surtout si les intérêts des Etats tiers peuvent être lésés par les contre-mesures prises par l’Etat lésé à l’origine. Il a préféré que la CDI donne des limites au recours à ces contre-mesures et qu’elle précise celles qui sont interdites, comme prévu à l’article 50 (celles qui recourent à “une extrême coercition politique ou économique destinée à mettre en danger l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de l’Etat qui a commis l’acte internationalement illicite”). Il a noté certains commentaires qui ont rappelé à la Commission non seulement que la définition ainsi donnée est conforme aux termes utilisés à l’Assemblée générale, mais aussi qu’il s’agit d’un principe cher aux Etats en développement. Il a souhaité que la CDI accepte ce principe qui constitue une contribution des pays en développement à ce projet.

Il a conclu en rappelant sa position sur l’article 19 dont la substance adoptée en première lecture lui parait pertinente. Il considère en effet comme utile de citer dans le projet des exemples de violations graves, ce qui ne peut qu’aider à clarifier les incidents relatifs aux actes internationalement illicites emportant la responsabilité d’un Etat.

M. GERD WESTDICKENBERG (Allemagne) s’est dit satisfait de la suppression de la notion de «crimes internationaux» dans l’ancien article 19 du projet d’articles, et a approuvé le concept de violation graves des obligations envers la communauté internationale dans son ensemble, c’est-à-dire des obligations erga omnes, auxquelles il est fait référence dans le chapitre II de la Partie II du projet d’articles. Il a souhaité qu'afin de définir clairement l’étendue de ces obligations erga omnes, des discussions supplémentaires aient lieu concernant la définition de l’ «Etat lésé» et sur l’acceptation et la limitation des contre-mesures par des Etats indirectement lésés. Dans ce cadre, il faut attacher une importance particulière au droit humanitaire, aux normes obligatoires du droit international et aux limites des contre-mesures qui en résultent. Les limites fixées aux contre-mesures dans le projet d’article 53 sont également très importantes, a déclaré le représentant.

M. Westdickenberg s’est félicité des efforts déployés pour se concentrer de nouveau sur l’objectif originel du projet, qui est d’élaborer un système qui régisse les actes illicites des Etats et les conséquences juridiques qui en découlent. C'est dans ce cadre que l’Allemagne se réjouit de la suppression du projet d'article 19 et de la référence aux crimes internationaux, qui aurait supprimé la distinction entre la responsabilité des Etats d’une part, et la responsabilité individuelle de l’autre, alors que cette dernière n’est pas couverte par le projet d’articles, comme cela est clairement explicité dans le projet d’article 58. Les décisions concernant la responsabilité pénale individuelle doivent clairement être réservées aux juridictions nationales, ainsi qu’aux tribunaux pénaux internationaux ad hoc et à la future Cour pénale internationale, a déclaré le représentant.

Cela, dit, l’Allemagne reconnaît l’existence d’obligation fondamentale du droit international dont la violation concerne la communauté internationale dans son ensemble, et va plus loin que ses conséquences pour l’Etat lésé directement. L’Article 41 tel qu’il est proposé constitue un pas décisif dans la bonne direction, a estimé M. Westdickenberg. L’Allemagne estime cependant qu’il faut une définition plus claire et le commentaire devrait mentionner une référence au lien entre les obligations mentionnées et les notions acquises de jus cogens et d’obligations erga omnes.

Concernant les contre-mesures, le représentant a déclaré qu’à son sens, les trois critères retenus dans l’article 52 concernant la proportionnalité des contre-mesures – lien avec le préjudice subi, gravité de l’acte illicite et les droits en question – ne sont pas exhaustifs. Il s'est félicité de ce que l’article 53 pose des limites aux contre-mesures en appelant à des négociations préalables entre les Etats concernés. Pour l’Allemagne, cette procédure s’étend aussi aux mesures provisoires prévues à l’Article 53-3. Toujours à propos des contre-mesures, l’Allemagne estime nécessaire de définir plus clairement les normes obligatoires du droit international protégeant les valeurs humanitaires fondamentales. Les mots-clefs sont ici la prévention du génocide, de la torture et de l’esclavage. En ce sens, l’Allemagne est satisfaite de la réorganisation de l’article 51.

M. SHOTARO YACHI (Japon) a estimé que le nouveau projet d’articles sur la responsabilité des Etats traite plus explicitement que l’ancien des relations multilatérales en définissant trois catégories d’obligations internationales: celles qui concernent les relations bilatérales, quelle que soit la source de ces obligations; celles qui traitent des relations multilatérales; et, enfin, celles qui traitent des obligations à l’égard de la communauté internationale dans son ensemble. Il est également devenu clair que le projet d'articles doit permettre de régir les relations entre trois parties: les Etats responsables, les Etats lésés, et les Etats autres que les Etats lésés.

Le représentant s’est félicité de la meilleure clarté du projet d’articles, mais s’est demandé s’il n’était pas trop novateur. A cet égard, il faut aussi garder à l’esprit la forme finale que prendra ce projet. Le Japon est favorable à une forme non juridiquement contraignante, que ce soit une déclaration ou des lignes directrices. Les articles devraient servir de référence, informant un Etat de ses droits et obligations. Le projet devrait en outre fonctionner de manière à assurer la stabilité et le caractère prévisible du droit dans les relations internationales. Mais, et c’est le plus important, le projet devrait servir de référence pour les instances judiciaires internationales dans le cadre des différends dont elles auraient à connaître.

C’est pour cela que le projet d’articles ne doit pas être adopté sous la forme de lignes directrices au caractère novateur, qui ne reflèterait pas la pratique des Etats et du droit international établi. Les évolutions récentes marquées dans certains traités ou accord spéciaux dans certains domaines, comme le commerce et l’environnement peuvent apparaître à première vue comme ayant réduit l’importance des règles générales fixées dans le projet d’articles. Mais ceux-ci ont une grande importance, justement en tant que règle générale, pour la responsabilité des Etats. Le rôle de la CDI, a rappelé le représentant, est la codification et le développement progressif du droit international, pas la préparation de mesures novatrices ou révolutionnaires allant au-delà de ce développement progressif. La position de base du Japon est que ces dernières ne peuvent être légitimement invoquées que lorsqu’elles sont inscrites dans des dispositions ayant force de loi et non pas dans des directives ou principes, comme le recherche la Commission.

M. Yachi a rappelé que son gouvernement s’était constamment opposé à l’introduction de la notion jugée ambiguë de «crime international», laquelle n’est pas établie dans le droit international. Il se félicite donc de la disparition de ce terme du projet d’articles. Toutefois, un examen attentif de celui-ci montre que le texte reste hanté par le fantôme du crime international. Mais la notion de «violation grave» de l’article 41 n’est rien qu’un autre terme pour «crime international» a estimé le représentant, puisqu'il fixe une hiérarchie dans les obligations internationales. La question centrale est donc de savoir s’il existe une hiérarchie entre obligations internationales, et, dans ce cas, si un régime différent de responsabilité doit être appliqué en fonction de la gravité de ces violations. On peut juger excessivement optimiste de penser que le droit international s’est développé à tel point qu’il serait possible de spécifier quelles obligations ressortissent de la catégorie des «violations graves d'obligations essentielles envers la communauté internationale». M. Yachi s'est défendu de nier l’existence de violations d’obligations plus graves que d’autres. Mais on ne peut pas dire qu’il existe juridiquement un consensus sur la liste des «violations graves» ni sur le contenu des mesures spécifiques à prendre dans ce cas. Dans une telle situation, il faut s'abstenir strictement de créer une norme avec des obligations supérieures. Ce qui est en jeu ici, ce n’est pas d’atteindre l’élaboration de règles secondaires du droit international. C'est un objectif à atteindre dans le contexte de règles primaires. Pour le Japon, les articles 41 et 42 ne se sont pas départis de la notion de crime international et doivent donc être supprimés.

Concernant les contre-mesures, M. Yachi a déclaré qu’elles sont du plus grand intérêt dans les différends internationaux liés à la responsabilité des Etats. On doit donc en traiter avec la plus grande prudence. L’article 54-1 permet aux Etats intéressés, Etats tiers, de prendre des mesures à la demande ou au nom de l’Etat lésé et de l’importance de celles que l’Etat lésé pourrait prendre lui-même. Cela, a estimé M. Yachi, permet à un Etat intéressé de préjuger du droit de l’Etat lésé de prendre des mesures ce qui peut amener à des situations délicates. En outre, l’obligation faite à l’Etat lésé de proposer des négociations à l’Etat responsable avant de prendre des contre-mesures, et l’interdiction qui lui est faite d’en prendre pendant les négociations, sont des dispositions trop strictes. Le représentant s’est également inquiété de l’article 52 qui fixe une règle de proportionnalité aux contre-mesures. Ce critère ne sert pas nécessairement l’objectif des contre-mesures, a estimé M. Yachi. Dans certains cas, cela ne permet pas de prendre des contre-mesures suffisamment fortes pour amener l’Etat responsable à se conformer au droit. Dans d’autres, au contraire, l’article pourrait autoriser des contre-mesures excessives. En outre, là encore, la notion de gravité présente dans l’article est une réminiscence de celle de «crime international» a estimé le représentant.

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