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CIJ/694

LA COUR DECLARE QUE M. CUMARASWAMY JOUIT DE L'IMMUNITE DE TOUTE JURIDICTION POUR LES PAROLES QU'IL A PRONONCEES AU COURS D'UNE INTERVIEW

29 avril 1999


Communiqué de Presse
CIJ/694


LA COUR DECLARE QUE M. CUMARASWAMY JOUIT DE L'IMMUNITE DE TOUTE JURIDICTION POUR LES PAROLES QU'IL A PRONONCEES AU COURS D'UNE INTERVIEW

19990429 LA HAYE, le 29 avril 1999 -- La Cour internationale de Justice (CIJ) a rendu ce jour son avis consultatif sur la demande formulée par le Conseil économique et social, l'un des six organes principaux des Nations Unies, en l'affaire du Différend relatif à l'immunité de juridiction d'un rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme.

La Cour est d'avis, par quatorze voix contre une, que la section 22 de l'article VI de la convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies est «applicable» au cas de Dato' Param Cumaraswamy, juriste malaisien nommé rapporteur spécial chargé de la question de l'indépendance des juges et des avocats par la Commission des droits de l'homme de l'ONU en 1994, et que celui-ci «jouit de l'immunité de toute juridiction pour les paroles qu'il a prononcées au cours d'une interview, telles qu'elles ont été publiées dans un article du numéro de novembre 1995 de la revue International Commercial Litigation».

M. Cumaraswamy fait actuellement l'objet de plusieurs procès intentés contre lui devant des tribunaux malaisiens par des demandeurs qui affirment qu'il a tenu des propos de caractère diffamatoire dans l'interview et qui lui réclament des dommages et intérêts pour un montant total de 112 millions de dollars des Etats-Unis. Mais, selon le Secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, M. Cumaraswamy s'est exprimé en sa qualité officielle de rapporteur spécial et bénéficie par conséquent de l'immunité de juridiction, conformément à la convention susmentionnée.

Le Conseil économique et social, dont la Commission des droits de l'homme est un organe subsidiaire, a demandé un avis consultatif sur la question à la Cour en août 1998 après que des démarches du Secrétaire général pour faire respecter l'immunité de M. Cumaraswamy n'eurent pas permis, selon ce dernier, d'atteindre le résultat souhaité.

Dans son avis consultatif, la Cour a affirmé que le Gouvernement de la Malaisie aurait dû aviser les tribunaux malaisiens de la conclusion du Secrétaire général et que ces tribunaux auraient dû traiter la question de l'immunité de juridiction comme une question préliminaire à trancher dans les meilleurs délais. Elle a indiqué à l'unanimité que M. Cumaraswamy devait être «dégagé de toute obligation financière mise à sa charge par les tribunaux malaisiens, notamment au titre des dépens».

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La Cour a en outre indiqué, par treize voix contre deux, que le Gouvernement de la Malaisie était à présent «tenu de communiquer [l']avis consultatif aux tribunaux malaisiens, afin qu'il soit donné effet aux obligations internationales de la Malaisie et que soit respectée l'immunité de [M.] Cumaraswamy».

Bien que les avis consultatifs rendus par la Cour n'aient généralement pas force obligatoire, la section 30 de l'article VIII de la convention susmentionnée stipule que ceux rendus dans le cadre d'un différend entre l'ONU et un Etat Membre «ser[ont] accepté[s] par les parties comme décisif[s]». Toutes les procédures devant les tribunaux malaisiens ont été suspendues dans l'attente de l'avis.

Raisonnement de la Cour

La Cour commence par indiquer que la demande d'avis consultatif du Conseil économique et social remplit les conditions énoncées dans le Statut. La question posée est de nature juridique et elle entre dans le cadre de l'activité du Conseil économique et social. La Cour a donc compétence pour y répondre.

La Cour rappelle ensuite qu'un rapporteur spécial à qui est confiée une mission pour les Nations Unies doit être considéré comme un expert en mission au sens de la section 22 de l'article VI de la convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies. Elle observe que la Malaisie a reconnu que M. Cumaraswamy était un expert en mission et que ces experts jouissent des privilèges et immunités prévus par la convention dans leurs relations avec les Etats parties, y compris ceux dont ils sont les ressortissants.

La Cour recherche alors si l'immunité s'applique à M. Cumaraswamy dans les circonstances propres au cas d'espèce. Elle souligne que c'est au Secrétaire général, en sa qualité de plus haut fonctionnaire de l'Organisation des Nations Unies, que sont principalement conférés la responsabilité et le pouvoir d'apprécier si ses agents, y compris les experts en missions, ont agi dans le cadre de leurs fonctions et, lorsqu'il conclut par l'affirmative, de protéger ces agents en faisant valoir leur immunité. Ce faisant, le Secrétaire général, conformément aux dispositions de la convention susmentionnée, protège la mission confiée à l'expert. La Cour observe qu'en l'espèce, le Secrétaire général a été conforté dans son opinion que M. Cumaraswamy avait parlé en sa qualité officielle par le fait que l'article paru dans International Commercial Litigation faisait état à plusieurs reprises de sa qualité de rapporteur spécial et qu'en 1997, la Commission des droits de l'homme avait prorogé son mandat de trois ans, reconnaissant ainsi qu'il n'avait pas outrepassé ses fonctions en donnant l'interview.

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Examinant les obligations juridiques de la Malaisie, la Cour indique que lorsque les tribunaux nationaux sont saisis d'une affaire mettant en cause l'immunité d'un agent de l'ONU, toute conclusion du Secrétaire général concernant cette immunité doit leur être notifiée immédiatement et qu'ils doivent y accorder le plus grand poids. Les questions d'immunité sont des questions préliminaires qui doivent être tranchées par les tribunaux nationaux dans les meilleurs délais in limine litis (dès le début de la procédure). Le comportement d'un organe de l'Etat, y compris de ses tribunaux, devant être considéré comme un fait de cet Etat, la Cour conclut que le Gouvernement de la Malaisie n'a pas agi conformément aux obligations que lui impose le droit international en l'espèce.

Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit: M. Schwebel,président; M. Weeramantry, vice-président; MM. Oda, Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Herczegh, Shi, Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin, Mme Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, juges; M. Valencia-Ospina, greffier.

M. Weeramantry, vice-président, MM. Oda et Rezek, juges, ont joint à l'avis consultatif les exposés de leur opinion individuelle. M. Koroma, juge, a joint l'exposé de son opinion dissidente.

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