AG/J/261

LE DEBAT SUR LA DEFINITION DE LA RESPONSABILITE DES ETATS POUR LES FAITS ILLICITES LES PLUS GRAVES REVELE DE PROFONDES DIVERGENCES

5 novembre 1998


Communiqué de Presse
AG/J/261


LE DEBAT SUR LA DEFINITION DE LA RESPONSABILITE DES ETATS POUR LES FAITS ILLICITES LES PLUS GRAVES REVELE DE PROFONDES DIVERGENCES

19981105 La Sixième Commission (Commission juridique) a poursuivi, ce matin, l'examen du rapport de la Commission du droit international (CDI) sur les travaux de sa cinquantième session. Dans ce cadre, les représentants des pays suivants ont pris la parole : Slovénie, République tchèque, Bahreïn, Italie, Inde et Chine.

De l'avis de la délégation chinoise, dans la mesure où la communauté internationale est composée d'Etats souverains, il ne saurait exister d'organe ayant compétence pénale sur un Etat. En conséquence, il est difficile de déclarer un Etat responsable et de le punir au sens pénal, du moins dans la structure sociale actuelle. Il est également difficile de concevoir qu'un Etat - entité collective - puisse être accusé. La Chine rappelle que, du point de vue de la pratique internationale, seuls les individus responsables d'un acte d'agression ou d'autres violations graves du droit international peuvent être poursuivis et jugés pour répondre de ces actes devant des juridictions créées à cet effet. La responsabilité d'un Etat ne peut être que civile. En revanche, la délégation indienne a exhorté la Commission à maintenir la notion de crime international dans son projet d'articles sur la responsabilité des Etats, justifiant sa proposition par la nécessité de prévenir la commission de tels crimes et par la nécessité d'une réponse concertée de la communauté internationale aux infractions les plus graves.

La prochaine séance aura lieu, cet après-midi, à partir de 15 heures.

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RAPPORT DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL SUR LES TRAVAUX DE SA CINQUANTIEME SESSION

Déclarations

Mme MIRJAM SKRK (Slovénie) a réaffirmé, parlant de la question de la responsabilité des Etats, que les crimes d'Etat devraient être traités avec toute la diligence et l'expertise juridique nécessaires ainsi qu'avec toute la prudence politique nécessaire. Néanmoins, sa délégation est d'avis que les crimes internationaux, quand ils sont considérés comme des actes illicites commis par les Etats engendrent des effets juridiques plus étendus que les délits internationaux ordinaires; ils devraient être retenus dans le nouveau texte que la Commission du droit international élaborera à cet effet. La suppression des crimes internationaux de la liste des actes illicites commis par les Etats par la non-exécution de leurs obligations internationales, signifierait que l'on fuit la réalité dans les relations internationales contemporaines et que l'on affaiblit le processus en cours de codification et de développement progressif du droit international sur la responsabilité des Etats. Les crimes internationaux relèvent du droit international applicable à la responsabilité des Etats. Sa délégation réaffirme que la responsabilité des Etats pour les crimes internationaux ne devrait pas revêtir un aspect répressif.

Abordant ensuite la question de la nationalité en relation avec la succession d'Etats, Mme Skrk a rappelé que son pays appuie l'approche adoptée par le Rapporteur spécial selon laquelle dans le cas de la dissolution d'un Etat, le principe de continuité de la nationalité secondaire - celle attribuée à un individu par l'ex-Etat fédéré, devrait prévaloir sur le principe de résidence permanente pour acquérir la nationalité d'un Etat successeur. Ce principe devrait s'appliquer dans le cas de la dissolution d'un Etat, lorsque l'Etat prédécesseur était une fédération, et lorsque, au sens du droit international, le droit de conférer la nationalité interne était reconnu à un Etat fédéré. La pratique des Etats successeurs émergeant de l'ex- Tchécoslovaquie et de l'ex-République fédérale de Yougoslavie appuie cette approche. A cet égard, Mme Skrk a estimé que la CDI devrait en tenir compte dans l'élaboration des projets d'articles sur la nationalité des personnes physiques en relation avec la succession d'Etats, en deuxième lecture. Sa délégation estime qu'en raison de la complexité de la question, la CDI devrait examiner la question de la nationalité des personnes morales dans le cadre de ses travaux futurs. Réaffirmant l'importance du régime des réserves établi par les Conventions de Vienne, Mme Skrk s'est déclarée convaincue que le projet de guide établi par la CDI constitue une base solide pour les travaux futurs de la Commission sur la question.

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M. MARTIN SMEJKAL (République tchèque) a fait des observations sur les questions générales soulevées par la responsabilité des Etats et par la distinction entre les crimes et délits internationaux.

S'agissant des questions générales, le représentant a affirmé que les règles relatives aux contre-mesures avaient leur place dans les articles sur la responsabilité. Cela est justifié, a-t-il ajouté, par le fait que les contre-mesures sont conçues dans le texte non pas comme un droit de l'Etat lésé au sens strict, mais comme une des circonstances excluant l'illicéité. Sur la procédure de règlement des différends, le représentant a déclaré que son contenu ultime dépendra dans une large mesure de la forme finale du projet d'articles. Sur ce point précis, il a émis le voeu que le texte final soit de nature déclaratoire, ce qui, a-t-il affirmé, donnera plus d'autorité au texte que s'il revêtait une forme conventionnelle.

Abordant la question de la distinction entre les crimes et délits, le représentant de la délégation tchèque a déclaré qu'il convenait à présent de dépassionner le débat sur la question. Il a affirmé que la responsabilité des Etats en droit international n'est ni civile, ni pénale mais internationale. C'est pourquoi il s'est déclaré satisfait que la Commission ait écarté une approche pénaliste de la question. Cela ne signifie nullement que l'on empêche la mise en oeuvre de la responsabilité pénale des Etats, par exemple au moyen de la future Cour pénale internationale, lorsque des individus se seront rendus coupables de crimes tels que le génocide ou le crime contre l'humanité, a-t-il précisé. Le représentant a affirmé que la distinction entre crimes et délits n'était pas la plus opportune pour refléter la distinction obligatoire en droit international entre les faits simplement illicites et les faits illicites exceptionnellement graves. Il faudrait moduler le régime de responsabilité des Etats en fonction de la nature et du contenu de la règle primaire violée, a-t-il fait remarquer. Enfin, le représentant a insisté sur la nécessité d'étudier les spécificités des faits exceptionnellement graves pour en tirer les conséquences qui s'imposent tant au plan du fond que procédural.

M. HUSSAIN M. AL-BAHARNA (Bahreïn) a abordé de façon détaillée l'ensemble des sujets soumis à l'examen de la Commission du droit international. Sur la question de la responsabilité pour les conséquences préjudiciables découlant d'activités qui ne sont pas interdites par le droit international, le représentant, tout en se félicitant de la définition d'une obligation de prévention, a regretté que la Commission ne se soit pas davantage consacrée aux aspects de la responsabilité des Etats en ce domaine. Toutefois, il a appuyé le choix de la Commission de traiter des questions de prévention et de responsabilité de façon séparée. Il a affirmé que le manquement des Etats à leur obligation de prévention devait donner lieu à des réparations.

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Sur le sujet de la protection diplomatique, le représentant a déclaré que l'entreprise de codification, tout souhaitable qu'elle soit, devrait se limiter aux règles secondaires du droit international. Il a précisé qu'un individu, de façon isolée, n'avait pas un droit direct à la protection diplomatique, sauf lorsque son Etat d'origine décide de prendre en charge sa situation par le biais de la protection diplomatique. Le représentant s'est demandé si les législations nationales sur le sujet pouvaient affecter l'exercice discrétionnaire par un Etat de la protection diplomatique. Il a affirmé que la question devrait faire l'objet d'un examen plus approfondi. Le représentant a affirmé que les questions de la protection diplomatique et des droits de l'homme étaient distinctes. Ceci étant, il a reconnu que dans certains cas d'espèces, un lien pouvait exister entre les deux notions, lorsqu'un dommage subi par un étranger a consisté en la violation d'un de ses droits fondamentaux. Il a précisé que dans de tels cas, rien ne devrait interdire à un Etat d'exercer la protection diplomatique.

Abordant la question des réserves aux traités, le représentant du Bahreïn a rappelé que les règles posées par les Conventions de Vienne devaient être préservées, tout en faisant remarquer que le régime existant devait être clarifié et complété. Il a insisté sur le fait que la définition des réserves et la licéité de leur exercice étaient des questions distinctes.

Intervenant sur la question de la responsabilité des Etats, M. UMBERTO LEANZA (Italie), a déclaré qu'en ce qui concerne les conséquences juridiques d'un fait internationalement illicite, son Gouvernement attache une importance fondamentale à la circonstance que le projet de texte traite non seulement des conséquences substantielles - à savoir les nouvelles obligations qui incomberont à l'Etat auteur du fait illicite - mais également des contre- mesures prises à l'encontre de cet Etat et des conditions de leur mise en oeuvre. Le Gouvernement italien estime qu'une convention sur la responsabilité internationale des Etats pour fait illicite doit prévoir des dispositions sur le règlement des différends liées à l'interprétation et à l'application de ladite convention. Le dommage ne constitue pas un des éléments constitutifs du fait illicite. M. Leanza a fait remarquer que les différences du régime de responsabilité prévu par le droit international devraient être codifiées dans le projet et complétées à la lumière, d'une part, de la nécessité de rendre plus efficaces les réactions à ces faits illicites particulièrement graves et, d'autre part, de la possibilité d'éviter un abus.

De l'avis de la délégation italienne, si on examine la pratique et la jurisprudence internationales, on constate qu'on n'accorde aucune importance à la distinction entre les organes de l'Etat - centraux ou décentralisés - ou entre les activités. Peu importe s'il s'agit d'activités administratives, législatives, juridictionnelles ou commerciales. Cette distinction ne relève pas du niveau des relations interétatiques, mais seulement du niveau des systèmes internes.

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M. Leanza a fait observer que la distinction entre les actes "jure gestionis" et les actes "jure imperii" est souvent difficile à définir, comme on le constate aussi dans les travaux de la Commission du droit international en matière d'immunité juridictionnelle des Etats. Il a souligné qu'il est important de déterminer des principes universellement acceptables en matière de conséquences de l'acte illicite international. Il serait également souhaitable de préciser les dispositions en vue notamment de garantir un niveau plus élevé de certitude du droit dans un domaine aussi délicat que celui de la responsabilité internationale. Concernant la sélection des sujets à inscrire au programme de travail à long terme, M. Leanza a estimé que le sujet retenu doit correspondre aux besoins des Etats en ce qui concerne le développement progressif et la codification du droit international et être suffisamment mûr sur le terrain de la pratique des Etats. Il a fait sienne l'idée que la CDI ne devrait pas s'en tenir aux sujets classiques, mais envisager également l'examen des questions correspondant à des tendances nouvelles du droit international et à des préoccupations pressantes de l'ensemble de la communauté internationale.

M. RUP CHAND PAL (Inde) a fait remarquer que la question des droits de l'individu était au coeur des débats sur le sujet de la protection diplomatique. Il a fait remarquer que cette promotion de l'individu, sujet de droit international, était significative de l'époque actuelle.

S'agissant des actes unilatéraux des Etats, le représentant a apporté son soutien au Rapporteur spécial pour qui de tels actes ne sont pas créateurs de droit international mais d'obligations internationales. Il a appuyé l'idée d'exclure du régime des actes unilatéraux les actes politiques des organisations internationales ainsi que les actes soumis aux traités internationaux et à la responsabilité des Etats. Le représentant de la délégation indienne a ajouté que les effets juridiques du silence d'un Etat ou du consentement implicite à certaines obligations devraient être visés par le régime des actes unilatéraux. Il a douté de l'opportunité de rédiger un projet d'articles à ce stade des travaux, et a invité la Commission à poursuivre plus avant la clarification des principes directeurs régissant le sujet des actes unilatéraux.

Sur le sujet de la responsabilité des Etats, le représentant a souhaité que le projet d'articles fasse l'objet d'un consensus. Il a salué la distinction entre les dommages juridiques et matériels, pour fixer la nature du droit à réparation des Etats lésés, mais a toutefois insisté sur la nécessité de préciser cette notion. Il est important qu'elle soit suffisamment encadrée car le droit accordé à l'Etat lésé de prendre des contre-mesures peut conduire à des abus dangereux. Le représentant a exhorté la Commission à maintenir la notion de crime dans son projet d'articles afin de dissuader les Etats de se livrer à de tels actes et de promouvoir une réaction efficace de la communauté internationale lorsqu'ils se produisent.

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M. YIN YUBIAO (Chine) a rappelé que la responsabilité des Etats découlant d'actes internationalement illicites, comporte trois éléments principaux, à savoir en premier lieu le caractère international de l'acte illicite, l'attribution de cet acte à un Etat et les conséquences qui en découlent. Un acte d'Etat qui ne constitue pas une violation du droit international, mais engendre des conséquences préjudiciables, ne relève pas de la responsabilité des Etats. Cet acte entre plutôt dans le cadre de la responsabilité internationale pour les conséquences préjudiciables découlant d'activités non interdites par le droit international, thème qui est également à l'ordre du jour de la Commission du droit international (CDI). Notant que le texte amendé reflète des progrès considérables, la délégation chinoise estime toutefois que certaines questions exigent encore un examen approfondi.

M. Yubiao a suggéré de supprimer le projet d'articles relatif à la présomption de la responsabilité des Etats pour les actes internationalement illicites car il ne porte pas directement sur la responsabilité des Etats. En revanche, un Etat devrait être présumé lié par des normes en application des principes de bonne foi. Par ailleurs, la délégation chinoise estime qu'il est inapproprié de supprimer l'expression "conformément à son droit interne". Le droit interne est de première importance dans la définition des organes d'un Etat. En outre, le droit interne est riche par définition et peut couvrir la pratique et les coutumes. En théorie, a estimé M. Yubiao, il est irréaliste et impossible d'introduire la notion de crime au sujet de la responsabilité des Etats ou dans le cadre du droit international. Dans la mesure où la communauté internationale est composée d'Etats souverains, il n'existe aucun organe qui ait compétence pénale sur un Etat. En conséquence, il est difficile de déclarer un Etat responsable et de le punir au sens pénal, du moins dans la structure sociale actuelle. Il est également difficile de concevoir qu'un Etat - entité collective - puisse être accusé. Du point de vue de la pratique internationale, seuls les individus responsables d'un acte d'agression ou d'autres violations graves du droit international sont poursuivis et jugés pour leur responsabilité pénale conformément au droit international, comme par les Tribunaux de Nuremberg, de Tokyo, pour l'ex- Yougoslavie et pour le Rwanda. De l'avis de la délégation chinoise, la responsabilité d'un Etat ne peut être que civile.

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