AFR/94

UNE PREMIERE DANS L'HISTOIRE : AKAYESU RECONNU COUPABLE DE GENOCIDE PAR LE TRIBUNAL CRIMINEL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA

3 septembre 1998


Communiqué de Presse
AFR/94
L/2895


UNE PREMIERE DANS L'HISTOIRE : AKAYESU RECONNU COUPABLE DE GENOCIDE PAR LE TRIBUNAL CRIMINEL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA

19980903 ARUSHA, République unie de Tanzanie, 2 septembre (Tribunal criminel international pour le Rwanda) -- C'est en ces termes, entre autres, que le Tribunal criminel international pour le Rwanda dans le premier jugement jamais rendu par une juridiction internationale sur le crime de génocide, a aujourd'hui reconnu Jean Paul Akayesu coupable de génocide et de crimes contre l'humanité.

Quinze chefs d'accusation avaient été retenus contre Akayesu, ancien bourgmestre (maire) de Taba, pour génocide, crimes contre l'humanité et violations de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II auxdites Conventions. Dans son jugement, la Chambre de première instance I, composée du juge Laïty Kama (Sénégal), Président, du juge Lennart Aspegren (Suède) et du juge Navanethem Pillay (Afrique du Sud) a reconnu Akayesu coupable de neuf des quinze chefs d'accusation retenus et l'a déclaré non coupable des six autres. L'ancien responsable rwandais avait plaidé non coupable de tous les chefs d'accusation.

Il a notamment été reconnu coupable de génocide, d'incitation directe à commettre le génocide et de crimes contre l'humanité (extermination, assassinat, torture, viol et autres actes inhumains). La Chambre l'a également reconnu non coupable des chefs de complicité dans le génocide et violations de l'article 3 commun aux Conventions de Genève (assassinat et traitement inhumain) et de l'article 4 (2) (e) du Protocole additionnel II (atteinte à la dignité humaine, en particulier le viol, les traitements dégradants et humiliants et attentat à la pudeur).

Le génocide interprété

Dans ce procès qui fera date dans l'histoire et à l'occasion duquel le génocide, tel qu'il est défini dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948), a été interprété pour la première fois par un tribunal international, la Chambre I du Tribunal international pour le Rwanda a rappelé que ce crime s'entendait de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : y compris le meurtre de membres du groupe ou l'atteinte à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe. "La Chambre a noté que l'intention était de détruire en totalité le groupe Tutsi, puisque même les bébés n'ont pas été épargnés.

Quant à la guerre civile qui faisait rage au Rwanda entre les FAR (Forces armés Rwandaises) et le FPR (Front Patriotique Rwandais) au moment où le génocide est survenu, la Chambre a conclu qu'elle ne saurait justifier le génocide. De plus, de l'avis de la Chambre, le génocide a été organisé non seulement par les membres des FAR, mais a été également encouragé par les dirigeants politiques du "Hutu-power" et exécuté pour l'essentiel par les civils y compris la milice armé ainsi que des citoyens ordinaires. Par dessus tout, la majorité des victimes tutsies, y compris des femmes et des enfants n'étaient pas des combattants.

Akayesu est individuellement responsable

En déclarant Akayesu coupable de neuf chefs d'accusation retenus contre lui, la Chambre a clairement établi la responsabilité individuelle de l'accusé. Si Akayesu a admis pendant sont procès que des massacres visant surtout les Tutsis ont été perpétrés dans la commune de Taba en 1994, la défense a fait valoir quant à elle que l'accusé était dans l'impossibilité d'empêcher la commission de tels actes car le pouvoir effectif dans la commune était entre les mains des Interahamwe, et que, dès que les massacres ont commencé, Akayesu a été dépouillé de toute autorité et n'avait pas les moyens d'arrêter les massacres. La Chambre a estimé au contraire qu'en sa qualité de bourgmestre, Akayesu était chargé du maintien de l'ordre public et de l'exécution des lois dans la commune de Taba et qu'il exerçait une autorité effective sur la police communale. Akayesu a lui-même reconnu devant la Chambre que les populations de Taba le respectaient et obéissaient aux ordre qu'il leur donnait.

Au départ, il a tenté d'empêcher le massacre des Tutsis, mais par la suite, loin d'essayer de maintenir l'ordre et la sécurité, il a assisté à des scènes de massacres et a quelquefois lui-même ordonné qu'il soit porté atteinte à l'intégrité physique ou mentale de certains Tutsis et a cautionné, voire ordonné, les meurtres de plusieurs d'entre eux.

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En plus de la responsabilité pénale individuelle découlant de la commission ou de la participation à la commission de l'une des infractions relevant de la compétence du Tribunal, l'article 6 (3) du Statut du TPIR stipule qu'un supérieur est pénalement responsable des actes de ses subordonnés si, ayant su ou eu des raisons de savoir que ceux-ci s'apprêtaient à commette de tels actes ou les avaient commis, il n'a rien fait pour empêcher ou punir lesdits actes.

Le tribunal a également reconnu Akayesu coupable d'incitation a commettre le génocide pour avoir dirigé une réunion publique à Taba le 19 avril 1994, au cours de laquelle il a exhorté la population à s'unir pour éliminer ce qu'il a appelé l'ennemi unique : le complice de l'"Inkotanyi" qualificatif péjoratif compris comme un appel à tuer les Tutsis en général. La Chambre définit le crime d'incitation directe et publique à commettre le génocide, sur la base notamment de l'article 91 du Code pénal rwandais, comme le fait de provoquer directement autrui à commettre un génocide, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, des imprimés vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou affiches, exposés au regard du public, soit par tout autre moyen de communication audiovisuelle. Elle considère que l'infraction est réalisée dès que l'incitation a eu lieu et qu'elle a été publique, indépendamment de la production d'un résultat.

Le viol en droit international

La Chambre I a également défini le viol, crime dont il n'existe aucune définition couramment acceptée en droit international. "La Chambre définit le viol comme étant tout acte de pénétration physique de nature sexuelle commis sur la personne d'autrui sous l'empire de la coercition. La Chambre considère que la violence sexuelle y compris le viol, ne se limite pas à la pénétration ou même au contact physique". Elle a fait observer que la coercition ne doit pas nécessairement se manifester par une démonstration de force physique. "Les menaces, l'intimidation, le chantage et d'autres formes de violence qui exploitent la peur ou le désarroi peuvent caractériser la coercition".

De nombreuses femmes tutsies qui cherchaient refuge au bureau communal à Taba, fuyant les massacres, ont été systématiquement violées et fréquemment soumises par la force à de multiples actes de violence sexuelle par la milice locale armée. Comme l'a dit une victime au cours de sa déposition pendant le procès Akayesu, "chaque fois que vous rencontriez des assaillants, ils vous violaient". Par son attitude et ses déclarations, Akayesu a, de l'avis de la Chambre, encouragé la commission de ces actes. Une des victimes a rapporté à la Chambre qu'Akayesu, s'adressant à des Interahamwe qui commettaient des viols, leur aurait dit : "ne me demandez plus jamais quel est le goût d'une femme tutsie".

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Dans son jugement, la Chambre a souligné le fait que le viol et les violences sexuelles constituent également des actes de génocide au même titre que tout autre acte, dans la mesure où ils étaient commis dans l'intention de détruire en tout ou en partie, un groupe particulier ciblé comme tel. La Chambre considère que la violence sexuelle faisait "partie intégrante" du processus de destruction du groupe ethnique tutsi. La Chambre a conclu que "les viols des femmes tutsies avaient un caractère systématique, et étaient dirigés contre l'ensemble des femmes tutsies et elles seulement". De plus, les viols s'accompagnaient d'une intention manifeste de tuer les victimes. Au moins 2000 Tutsis ont été tués à Taba entre le 7 avril et la fin du mois de juin 1994, pendant que Akayesu y exerçait les fonctions de bourgmestre.

Violations des Conventions de Genève : faits non établis

S'agissant des chefs d'accusation aux termes desquels Akayesu devait répondre de violation de l'article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et du Protocole additionnel II auxdites Conventions, la Chambre a conclu qu'un conflit armé ne présentant pas un caractère international existait au Rwanda en 1994, et que ce conflit est couvert par les dispositions de ces instruments. Cependant, de l'avis de la Chambre, l'Accusation n'a pas démontré au-delà de tout doute raisonnable qu'Akayesu était un membre des forces armées ou qu'il était dûment mandaté et censé, en sa qualité de personne dépositaire de l'autorité publique, appuyer ou mener à bien l'effort de guerre.

Jean-Paul Akayesu

Jean-Paul Akayesu est né en 1953. Avant d'être nommé bourgmestre de la commune de Taba, dans la préfecture de Gitarama au Rwanda, il a été enseignant puis inspecteur de l'enseignement. Akayesu est entré en politique dans le Mouvement Démocratique Républicain (le MDR), en 1991. Plus tard, il est devenu président de la section locale du MDR à Taba. En avril 1993, Akayesu a été élu bourgmestre de Taba, poste qu'il occupera jusqu'en juin 1994 lorsqu'il s'enfuit du Rwanda.

Akayesu a été arrêté en Zambie le 10 octobre 1995. Inculpé par le Tribunal le 16 février 1996, il a été transféré de la Zambie à Arusha, le 26 mai 1996, pour y être détenu au Quartier pénitentiaire du Tribunal. Son procès s'est ouvert le 9 janvier 1997. Le 17 juin 1997, la Chambre a autorisé le Procureur à modifier l'acte d'accusation pour y inclure des chefs d'accusation relatifs à des allégations de viols et de violences sexuelles. Il est marié et père de cinq enfants.

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