En cours au Siège de l'ONU

Soixante-neuvième session,
13e séance plénière – après-midi 
FEM/2245

La Commission de la condition de la femme: travail décent et protection sociale au menu de deux dialogues interactifs entre expertes et déléguées

Entrée dans la seconde semaine de sa soixante-neuvième session, la Commission de la condition de la femme a tenu, cet après-midi, deux dialogues interactifs dans le cadre de sa réflexion sur l’égalité des genres.  Le premier avait pour thème « développement inclusif, prospérité partagée et travail décent », le second portait sur l’élimination de la pauvreté, la protection sociale et les services sociaux. 

En ouvrant la séance, Mme Maritza Chan Valverde (Costa Rica), Vice-Présidente du Conseil économique et social (ECOSOC), a constaté que les femmes et les filles ont été les plus durement touchées par les crises mondiales qui ont profondément perturbé les économies et les moyens de subsistance ces cinq dernières années.  En conséquence, la participation des femmes au marché du travail stagne et leur autonomisation économique est confrontée à des défis croissants, qui avaient été relevés à Beijing il y a 30 ans. 

« Des efforts audacieux sont nécessaires pour affronter les inégalités structurelles liées au fossé salarial et au travail domestique non rémunéré », a résumé la modératrice du premier dialogue, Mme Kemi DaSilva-Ibru, fondatrice de la Women at Risk International Foundation, qui lutte contre la prévalence des violences sexuelles, des viols et de la traite des jeunes filles et des femmes au Nigéria et en Afrique. 

Favoriser le travail décent des femmes

Les intervenantes ont pour la plupart appelé à briser le cercle vicieux de l’emploi informel, des bas salaires et de l’accès limité à la protection sociale dans lequel sont prises beaucoup trop de femmes.

Pour planter le décor, Mme Marija Babovic, professeure à la faculté de philosophie de l’Université de Belgrade et activiste dans le domaine de l’égalité des sexes, a rappelé que les femmes et les filles représentent les trois quarts des travailleurs non rémunérés à travers le monde.  Plus édifiant encore, leur travail représente environ 12% de tous les emplois. 

En Afrique de l’Ouest, la question de la prise en charge du travail non rémunéré est centrale, a témoigné Mme Barbara Ky, Directrice du genre au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).  L’intervenante a suggéré d’effectuer des forages pour diminuer le temps de travail non rémunéré des femmes de la région qui consacrent plusieurs heures par jour à la recherche de l’eau potable.  Elle a également plaidé en faveur de données sexospécifiques afin d’intégrer le genre comme outil de planification. 

Une solution serait de créer des emplois décents en tirant parti de la croissance économique, a avancé Mme Diane Elson, professeure émérite de l’Université d’Essex et Présidente du Women’s Budget Group du Royaume-Uni.  Elle s’est ainsi prononcée pour des politiques publiques qui promeuvent le travail décent des femmes, notamment par le biais de la fiscalité. 

Selon l’enseignante, il faut cependant éliminer les avantages fiscaux qui ne servent pas la cause commune et ne concernent que les très riches. À ce sujet, elle a dit appuyer l’idée d’une convention fiscale internationale qui tiendrait compte de la proposition du Brésil en faveur d’un impôt minimum pour les milliardaires.  « Les fonds ne manquent pas pour l’égalité, mais une grande partie de ceux qui les détiennent n’accordent pas d’importance à la cause de l’autonomisation des femmes », a-t-elle déploré. 

Pour le Mexique, la cause de ces dysfonctionnements vient de l’échec du modèle néolibéral, qui a laissé des millions de femmes sans services de base.  La délégation a indiqué que son nouveau gouvernement entend remettre les pendules à l’heure en pariant sur les jeunes et les femmes.  L’une de ses priorités est de faire sortir les femmes rurales de la précarité. 

Le numérique au service ou au détriment du développement inclusif

Le principal obstacle au travail des femmes est le capitalisme financier qui exacerbe les inégalités et l’exploitation du travail rémunéré et non rémunéré, a abondé Mme Corina Rodriguez, chercheuse au Conseil national de recherche scientifique et technique de l’Argentine, également membre du comité exécutif de l’ONG Development Alternatives with Women for a New Era

Si l’on veut progresser vers l’inclusion et le travail décent, la transition numérique est un facteur clef mais elle présente aussi des défis et des risques, a-t-elle mis en garde.  Ce processus peut en effet créer des opportunités et réduire les écarts de genre dans le monde du travail.  Dans même temps, la numérisation peut aussi entraîner des destructions de postes pour les femmes.  Pour prévenir ce danger, il importe, selon la chercheuse, que les femmes aient accès aux formations et aux carrières STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques). 

Au cours de ce dialogue, les délégations ont mis en avant des problématiques locales en lien avec le développement inclusif. La Guinée a confirmé que le problème d’accès à l’eau est un obstacle majeur à l’épanouissement des femmes dans le pays.  Pour relever le défi du travail décent, les autorités guinéennes parient sur l’éducation des filles et des femmes, tout en s’appuyant sur des partenaires externes. L’Algérie a, elle, dit mettre l’accent sur l’alphabétisation numérique des femmes afin de leur permettre de s’intégrer dans l’économie et de bénéficier d’un travail décent. 

Les Philippines se sont enorgueillies d’avoir édicté une forme de Magna Carta pour garantir la protection des femmes contre le harcèlement au travail.  Sur un sujet connexe, le Danemark a appelé à une plus grande protection contre les discriminations des femmes célibataires sur le lieu du travail, se désolant également que l’on demande encore aux femmes de choisir entre une vie de famille et leur carrière.  Une représentante de la société civile a témoigné du sort des femmes palestiniennes, constatant que leur autonomisation est empêchée par l’occupation israélienne.

Des systèmes de protection sociale encore insuffisants pour les femmes

Le second dialogue a mis en exergue le fait que les systèmes de protection sociale ne tiennent pas suffisamment compte des risques spécifiques au genre et des contraintes structurelles auxquels les femmes sont confrontées, tels que l’accès limité à l’emploi, la ségrégation professionnelle, les responsabilités non rémunérées et les vulnérabilités en matière de santé. 

Même si l’accès des femmes à la protection sociale s’est sensiblement amélioré au cours de la dernière décennie, des progrès restent à accomplir.  L’une des trois panélistes de ce dialogue, Mme Naila Kabeer, professeure en genre et développement à la London School of Economics, a insisté sur le potentiel productif et politique d’un système de protection sociale solide et universel. Pour l’intervenante, il serait ainsi utile de garantir une prise en charge universelle pour les personnes âgées, les enfants et les personnes malades, ce qui améliorerait la mobilité des femmes en âge de travailler. 

Jugeant d’autre part qu’il est essentiel de permettre aux femmes de combiner au mieux leur rôle reproductif et professionnel, Mme Kabeer a plaidé pour « davantage de responsabilité collective » en matière de travail non rémunéré, afin que les hommes fassent leur part dans le domaine des soins intrafamiliaux.  L’idée a été reprise à son compte par l’Égypte, qui a également relevé que plus de femmes âgées que d’hommes vivent dans la pauvreté.  Pourtant, « lorsque femmes sont maîtresses de leur destin, elles peuvent mieux gérer leur vie », a observé la délégation. 

Lutter contre l’exclusion des femmes des systèmes de retraite

Dans le même ordre d’idées, Mme Claudia Robles, chargée des affaires sociales à la Division du développement social de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), a axé son intervention sur l’accès des femmes aux retraites sans contributions, mesure indispensable selon elle pour garantir la sécurité économique et la dignité des plus vulnérables. 

Les données administratives pour 12 pays de sa région révèlent que seulement 34% des femmes en âge de travailler ont cotisé au système de retraite.  De plus, en 2023, près d’un quart des femmes de plus de 65 ans ne recevaient aucun type de retraite, tandis que les autres percevaient des pensions inférieures en moyenne de 17% par rapport à celles des hommes.  S’il ne fait aucun doute, selon l’intervenante, que les pays qui dépendent de programmes individuels de capitalisation pour les retraites ont du mal à introduire des mesures de solidarité sociale, « la situation peut changer », notamment en reconnaissant les périodes de prestation de soins fournis par les femmes. 

Cette lutte contre l’exclusion historique des femmes des systèmes de retraite doit avoir pour objectif final de parvenir à une couverture universelle avec un seuil minimum équivalant au moins au seuil de pauvreté, a souligné Mme Robles.  Un tel effort coûterait environ 1,1% du PIB régional, « ce qui est faisable » et aurait une grande répercussion pour les femmes.  Mais il faut pour cela un engagement politique robuste et des cadres institutionnels renforcés en faveur de la viabilité financière, a-t-elle fait valoir.

Montée d’une vague conservatrice réduisant les femmes à la procréation

De son côté, Mme Dorota Szelewa, professeure associée à l’école de politique sociale, de travail social et de justice sociale de l’University College de Dublin, en Irlande, s’est alarmée de la réémergence en Europe de l’Est d’une tendance conservatrice qui défend les rôles traditionnels au sein de la famille.  Parlant d’un véritable « antiféminisme », elle a constaté que, pour certains gouvernements conservateurs, la contribution la plus importante des femmes à la société est de procréer et de produire de « futurs contribuables ». 

Pour illustrer son propos, Mme Szelewa a noté que la Pologne reconnaît désormais le travail non rémunéré des femmes dans son système de sécurité sociale afin d’encourager les femmes à rester au foyer.  Le Gouvernement polonais aurait en outre profité de l’épidémie de COVID-19 pour renforcer la législation pénalisant l’avortement malgré la très forte opposition de la population.  En Hongrie, a-t-elle poursuivi, les autorités invitent les femmes à donner naissance à deux ou trois enfants en échange d’une aide de l’État. 

En raison de ces mesures introduites pour promouvoir le modèle traditionnel de la famille, les taux d’emploi des femmes en Europe de l’Est restent en dessous de la moyenne européenne, ce qui se traduit par des lacunes importantes dans le versement des retraites, a souligné la panéliste. 

Des solutions locales pour aider les femmes 

À la suite ces interventions, les déléguées participant au dialogue ont passé en revue les mesures prises en faveur des femmes dans leurs systèmes sociaux respectifs.  L’Ukraine a pu indiquer avec fierté que, malgré l’aggravation de la pauvreté due à la guerre, son système de protection sociale continue de fonctionner efficacement.  Les femmes représentent environ 72% des bénéficiaires de l’aide sociale, a précisé la délégation, avant d’évoquer le recours à des plateformes numériques pour accroître la transparence et l’accessibilité des services sociaux.  Elle a également fait état d’un service de « nounous municipales », y compris pour les enfants handicapés, afin de permettre aux parents de participer activement au marché du travail. 

La Roumanie a déclaré avoir harmonisé sa législation nationale sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée dans le but de parvenir à une meilleure répartition de la prise en charge, y compris à travers le congé paternel.  D’autres délégations, comme le Mexique, ont mis en avant le rôle des prestations sociales pour mieux redistribuer la richesse et lutter en faveur de la justice sociale.  Le Guyana a quant à lui insisté sur la reconnaissance du travail non rémunéré, précisant que 63% des Guyanaises ont désormais accès à des programmes d’aide sociale accessibles et adaptés à leurs besoins. 

Défendant l’idée selon laquelle les droits socioéconomiques sont des droits fondamentaux, le Burundi et l’Égypte ont, eux, souligné l’importance des programmes de microfinancement pour les femmes entrepreneuses. 

Demain, mardi 18 mars, la Commission tiendra trois dialogues interactifs au cours de la journée.  Dès 10 heures, elle se penchera sur la question de protection des femmes contre la violence, la stigmatisation et les stéréotypes. 

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