9903e séance – matin
CS/16048

Conseil de sécurité: la paix en Colombie est tributaire d’une accélération de la mise en œuvre de l’Accord final, réaffirme le Représentant spécial

À l’occasion de sa réunion d’information trimestrielle sur la Colombie, le Conseil de sécurité a entendu, ce matin, le Représentant spécial du Secrétaire général et Chef de la Mission de vérification des Nations Unies dans ce pays appeler une nouvelle fois à une accélération de la mise en œuvre de l’Accord final signé en 2016 par le Gouvernement colombien et les ex-Forces armées révolutionnaires de Colombie-Armée populaire (FARC-EP).  Un appel justifié par la flambée de violence dans plusieurs départements, qui a des effets délétères sur la réintégration des anciens combattants, mais aussi par la lenteur des progrès réalisés, tant en matière de réforme rurale que de justice transitionnelle. 

De l’avis de M. Carlos Ruiz Massieu, la violence persistante, en particulier dans le département du Catatumbo, met en lumière de graves lacunes dans la mise en œuvre de l’Accord final.  Elle démontre notamment que la sécurité des anciens combattants signataires de l’accord de 2016 doit être renforcée, 23 d’entre eux ayant été tués depuis le début de l’année.  Leur réintégration doit rester une priorité, d’autant plus que la grande majorité de ceux qui ont déposé les armes, soit près de 12 000 personnes, continuent de participer activement au processus, a appuyé le Représentant spécial. 

M. Massieu a d’autre part regretté que certaines dispositions de l’Accord final tardent à être mises en œuvre.  C’est le cas de la réforme rurale globale, qui vise à remédier à une longue histoire d’inégalité de répartition des terres et de pauvreté rurale dans les régions touchées par le conflit.  Malgré la priorité accordée à cette question par le Gouvernement actuel, le programme de substitution volontaire des cultures reste trop limité, a-t-il déploré, imputant ce problème à un manque de suivi de l’État concernant l’aide au développement promise aux paysans qui ont volontairement éradiqué la coca. 

De même, s’agissant du système de justice transitionnelle créé par l’Accord final, il a salué les avancées historiques réalisées par la Juridiction spéciale pour la paix, qui a inculpé les auteurs des crimes les plus graves, tout en appelant à une accélération de la procédure.  Alors que les victimes attendent le prononcé des premières condamnations, il a souhaité que le Gouvernement garantisse les conditions d’exécution des peines réparatrices, assurant que la Mission de vérification veillera au respect de ces mesures.

Nécessaire mise en œuvre de toutes les dispositions de l’Accord final

Plus largement, M. Massieu a appelé à appliquer les dispositions de l’Accord final relatives aux garanties de sécurité, « essentielles pour assurer la prévention et la protection contre la violence ».  Notant que la politique publique de démantèlement des groupes armés illégaux commence tout juste à être mise en œuvre après son adoption tardive en mai 2024, il a indiqué que la Mission continuera à soutenir le développement de projets pilotes dans les territoires.  Il a également jugé essentiel de donner la priorité aux processus de dialogue avec les parties prenantes qui « démontrent un réel désir de paix ». 

Pour le Représentant spécial, la pleine mise en œuvre de l’Accord final est la condition sine qua non d’une paix durable en Colombie.  « S’il avait été appliqué de manière plus rigoureuse au cours des huit dernières années, nous ne serions pas confrontés aujourd’hui à des situations comme celles du Catatumbo ou du Cauca », a-t-il tranché, rejoint dans ce constat par la nouvelle Ministre colombienne des affaires étrangères, selon laquelle des dispositions clefs de l’accord de 2016 ont été « ignorées » sous la présidence d’Ivan Duque. 

Depuis l’arrivée en 2022 du Gouvernement du Président Gustavo Petro, des avancées majeures ont été enregistrées, a souligné Mme Laura Camila Sarabia Torres.  Elle a ainsi cité pêle-mêle la mise en place de 16 plans nationaux de réforme rurale intégrale, avec une approche ethnique et de genre, l’approbation du financement territorial de 2,4 milliards de dollars pour les municipalités historiquement les plus touchées par le conflit, la conclusion de pactes territoriaux pour les départements du Catatumbo, de Nariño et du Cauca, le renforcement du système national de réintégration, l’attribution de plus de 133 000 hectares de terres et les progrès réalisés dans les discussions avec le groupe se faisant appeler Estado Mayor de los Bloques y Frentes (EMBF). 

Une politique de dialogue diversement appréciée 

La Ministre a cependant reconnu que des « dettes impayées » subsistent, à commencer par la sécurité des signataires de l’accord de paix.  Dans plusieurs régions, ces derniers se retrouvent pris dans la violence de groupes armés, ce qui menace de « replonger le pays dans des années de troubles », a-t-elle constaté, réaffirmant qu’il en va de la responsabilité du Gouvernement d’assurer leur réinsertion.  Quant aux dialogues engagés avec certains groupes armés, la priorité ira à ceux qui « génèrent des résultats tangibles, transforment les vies et territorialisent la paix », a-t-elle affirmé.

Sur ce point, la Chine s’est félicitée de l’engagement pris par le Gouvernement de régler les différends par le dialogue.  La Fédération de Russie s’est, elle, inquiétée de l’absence de progrès dans les négociations avec les groupes armés non signataires de l’Accord final. Elle s’est notamment alarmée de l’interruption du processus engagé avec l’Armée de libération nationale (ELN), qui a depuis repris la lutte armée.  Les tentatives de négociation avec les groupes armés devraient, selon elle, s’accompagner de mesures visant à renforcer la présence de l’État sur le terrain et assurer la protection de la population locale et des ex-combattants. 

Dénonçant l’attitude des groupes qui détournent les pourparlers pour étendre leur contrôle territorial et augmenter leur production de coca, les États-Unis ont, pour leur part, réitéré leurs réserves quant à l’approche adoptée par le Gouvernement colombien à l’égard d’organisations désignées comme terroristes par Washington. « Ces entités n’ont pas, pour le moment, fait montre d’un engagement sincère à mettre fin à ces activités illicites ni à œuvrer à une paix pérenne », a estimé la délégation.  « Si l’on veut espérer des progrès durables par le dialogue pendant le mandat restant de ce gouvernement, les groupes concernés doivent démontrer leur engagement politique », a renchéri le Royaume-Uni.

Préoccupé lui aussi par la situation sécuritaire, notamment par les affrontements entre groupes armés et leurs effets sur la population civile, le groupe des A3+ (Algérie, Sierra Leone, Somalie et Guyana) a, par la voix du Guyana, déploré la lenteur persistante de la mise en œuvre du chapitre ethnique de l’Accord final, fondamental selon lui pour combattre la marginalisation des personnes d’ascendance africaine et des peuples autochtones.  Un avis partagé par de nombreuses délégations, du Danemark à la Grèce en passant par le Pakistan, qui ont rappelé que le ciblage continu des anciens combattants affecte de manière disproportionnée ces communautés. 

Appel à la libération des enfants aux mains des groupes armés

Sur le sujet connexe de la violence infantile, la Coordonnatrice du secrétariat technique de la Coalition contre l’implication des enfants et des jeunes dans le conflit armé en Colombie (COALICO), invitée par le Conseil, a mis l’accent sur l’augmentation des violations graves répertoriées affectant les enfants et les adolescents dans son pays ces dernières années.  Faisant état de recrutements sans discontinuer par les groupes armés, souvent par le biais des réseaux sociaux, de disparitions forcées et de cas de violence sexuelle, Mme Hilda Beatriz Molano Casas a averti que les projections pour 2025 sont particulièrement inquiétantes en raison de l’essor des économies illicites. 

À cette aune, elle a demandé au Conseil de tenir compte du fait que les efforts de prévention et de réponse au recrutement d’enfants dépendent directement de la disponibilité des ressources et d’un engagement constant.  C’est une condition essentielle pour garantir la non-répétition de ces actes, a-t-elle insisté, avant d’exhorter le Conseil à réclamer des engagements concrets dans les négociations menées avec les groupes armés afin que ces derniers libèrent immédiatement les mineurs qui sont entre leurs mains. 

À l’instar de la France, qui a enjoint aux groupes armés de mettre fin à ces pratiques contraires au droit international, de nombreuses délégations ont repris l’appel lancé par la représentante de la société civile.  La Slovénie a ainsi condamné l’utilisation croissante d’enfants par les groupes armés, ainsi que les graves violations commises dans leurs rangs, notamment les violences sexuelles et sexistes contre les filles, enjoignant à ces groupes de prendre des engagements concrets et assortis de délais avec les Nations Unies pour mettre fin à ces crimes et les prévenir. 

Concernant enfin la situation au Catatumbo, évoquée par l’ensemble des membres du Conseil, le Panama a exprimé sa totale solidarité avec les familles des plus de 60 personnes tuées, des 59 700 personnes déplacées et des plus de 24 500 personnes confinées à cause de la violence armée.  Condamnant également les attaques survenues la semaine dernière dans les départements du Cauca et de Huila, il a appelé à l’accélération des processus de restitution, d’attribution et de formalisation des terres. 

Lettres identiques datées du 19 janvier 2016, adressées au Secrétaire général et au Président du Conseil de sécurité par la Représentante permanente de la Colombie auprès de l’Organisation des Nations Unies (S/2016/53)

Rapport du Secrétaire général sur la Mission de vérification des Nations Unies en Colombie (S/2025/188)

Exposé

M. CARLOS RUIZ MASSIEU, Représentant spécial du Secrétaire général et Chef de la Mission de vérification des Nations Unies en Colombie, a noté que la flambée de violence survenue à partir de la mi-janvier au Catatumbo a mis en lumière de graves lacunes dans la mise en œuvre de l’Accord final de 2016.  Il a cependant estimé qu’en dépit des défis qui subsistent, la Colombie est un pays « transformé » par rapport aux années précédant la signature de l’Accord final.  Un système politique plus inclusif a émergé et des instruments ont été créés pour permettre au pays de s’attaquer aux problèmes structurels, tels que la répartition inégale des terres et la présence limitée de l’État dans les anciennes zones de conflit, a-t-il rappelé, ajoutant que le dépôt des armes par les anciens combattants des Forces armées révolutionnaires de Colombie-Armée populaire (FARC-EP) a été une étape historique dans leur transition vers la vie civile.  Huit ans plus tard, avec le soutien de trois gouvernements consécutifs, la réintégration reste une priorité et la grande majorité de ceux qui ont déposé les armes, soit près de 12 000 personnes, continuent de participer activement au processus de réintégration. 

Appelant à nouveau à un renforcement de la protection des anciens combattants, dont 23 ont été tués cette année, M. Massieu a déploré que certaines dispositions de l’Accord final n’aient pas encore été mises en œuvre.  C’est le cas de la réforme rurale globale, qui vise à remédier à une longue histoire d’inégalité de répartition des terres et de pauvreté rurale dans les régions touchées par le conflit.  Malgré la priorité accordée à cette question par le Gouvernement actuel et les progrès réalisés en matière d’attribution et de formalisation des terres, la réforme reste en deçà des objectifs fixés dans l’Accord final, a-t-il constaté, regrettant en particulier que le programme de substitution volontaire des cultures ait été limité, notamment en raison du manque de suivi de l’État concernant l’aide au développement promise aux paysans qui ont volontairement éradiqué la coca. 

Le Représentant spécial a ensuite évoqué le système de justice transitionnelle créé par l’Accord final, avec pour pilier principal la Juridiction spéciale pour la paix, lancée il y a sept ans, qui a réalisé des avancées historiques en inculpant les auteurs des crimes les plus graves.  Aujourd’hui, a-t-il dit, les victimes et la société colombienne en général attendent le prononcé des premières condamnations.  Saluant les mesures annoncées cette année par la Juridiction pour optimiser les enquêtes et accélérer le prononcé de peines réparatrices, il s’est dit convaincu que le Gouvernement fera en sorte de garantir que les conditions d’exécution des peines soient solidement établies.  La Mission se tient prête à surveiller le respect des peines réparatrices, a assuré M. Massieu.

Le Chef de la Mission de vérification a toutefois reconnu qu’après la période d’espoir qui a suivi le dépôt des armes par les ex-FARC-EP, la situation s’est progressivement détériorée dans les zones qu’elles contrôlaient, avec l’arrivée d’acteurs armés qui ont cherché à contrôler les économies illicites.  Faisant état de déplacements, de confinements, de meurtres de leaders sociaux et d’anciens combattants, ainsi que du recrutement accru d’enfants, il a appelé à appliquer les dispositions de l’Accord final relatives aux garanties de sécurité, « essentielles pour assurer la prévention et la protection contre la violence ».  Alors que la politique publique de démantèlement des groupes armés illégaux et des organisations criminelles commence tout juste à être mise en œuvre après son adoption tardive en mai 2024, il a assuré que la Mission continuera à soutenir le développement de projets pilotes dans les territoires.  Il a également appelé à la mise en œuvre dans les territoires du plan d’action national inspiré de la résolution du Conseil de sécurité sur les femmes et la paix et la sécurité, ainsi que des dispositions du chapitre ethnique de l’Accord final.

M. Massieu a jugé essentiel de donner la priorité aux processus de dialogue avec les parties prenantes qui « démontrent un réel désir de paix ». Il a souhaité que, pendant le reste de son mandat, le Gouvernement continue de travailler dans un esprit de coopération avec l’autre partie signataire et accélère la mise en œuvre de l’Accord final.  « S’il avait été appliqué de manière plus rigoureuse au cours des huit dernières années, nous ne serions pas confrontés aujourd’hui à des situations comme celles du Catatumbo ou du Cauca », a-t-il dit.  Enfin, après avoir rappelé que « la paix de la Colombie a toujours été dans les prières du pape François », il a invité le Conseil à « répondre au désir de paix du peuple colombien avec le même soutien unanime qu’il lui a apporté au fil des ans ». 

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