Conseil de sécurité: la Serbie et le Kosovo se rejettent la responsabilité du déficit de confiance intercommunautaire et des incidents sécuritaires
Le Conseil de sécurité s’est réuni, cet après-midi, pour faire le point sur la situation au Kosovo, comme il le fait deux fois par an. La Représentante spéciale, Mme Caroline Ziadeh, a dit qu’après les élections parlementaires réussies du 9 février, le Kosovo attend la formation d’un nouveau gouvernement qui devra remédier au déficit de confiance intercommunautaire et progresser dans le processus de normalisation des relations. La Serbie et le Kosovo se sont renvoyé mutuellement la responsabilité de l’impasse actuelle alors que la majorité des membres du Conseil ont soutenu le dialogue Belgrade-Pristina sous l’égide de l’Union européenne (UE).
Concernant l’avenir de la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) présente depuis 1999 sur le territoire, Mme Ziadeh, qui la dirige, a pu constater les avis divergents des États-Unis et du Kosovo d’un côté, pour qui il est temps de procéder à son retrait, et de l’autre, celui de membres du Conseil comme la Chine et la Fédération de Russie qui se sont dites opposées à la réduction potentielle du budget et des effectifs de la Mission.
Élections réussies mais incidents et déficit de confiance
Les élections du 9 février se sont déroulées dans le calme, a noté la Représentante spéciale se réjouissant qu’elles aient permis de dépasser le quota de 30% des femmes à l’Assemblée du Kosovo. Elle a dit attendre du prochain gouvernement issu de ces élections qu’il mette en œuvre les engagements pris dans le cadre du dialogue facilité par l’UE. Elle a souhaité qu’il progresse dans le processus de normalisation des relations en s’inspirant de l’accord, conclu en décembre entre Belgrade et Pristina, sur le mandat de la commission conjointe sur les personnes disparues.
Relatant sa visite dans le nord du Kosovo le 25 mars, la Représentante spéciale a rapporté que ses interlocuteurs lui ont fait part d’un déficit de confiance à l’égard des institutions et ont exprimé leurs inquiétudes face au contexte politique actuel et aux développements dans la région et au-delà. Ils ont en outre déploré les actes unilatéraux des autorités de Pristina tels que la fermeture de centres de protection sociale gérés par la Serbie et ses conséquences socioéconomiques négatives.
Par conséquent, la Cheffe de la MINUK a exhorté les parties à discuter de bonne foi des questions en suspens, dans le cadre du dialogue facilité par l’Union européenne. Il n’y a pas d’alternative à ce dialogue, selon elle, et il est nécessaire pour les Serbes du Kosovo de retrouver un certain degré d’autonomie grâce à un système d’autogestion au sein de l’Association/Communauté des municipalités à majorité serbe. Elle a donc invité la communauté internationale à soutenir tous les efforts visant à un engagement renouvelé dans le processus de normalisation des relations.
En attendant, elle a demandé une enquête sur l’attaque du 29 novembre dernier contre le canal d’approvisionnement en eau d’Ibar-Lepenac/Ibër-Lepenc, ainsi que des procédures judiciaires équitables et indépendantes à propos de l’incident survenu à Banjska/Banjskë. Préoccupée également par le lancement d’un engin explosif contre le bureau de poste de Zvečan/Zveçan, le 1er avril, Mme Ziadeh a exhorté la police du Kosovo à garantir des enquêtes indépendantes sur les allégations d’usage excessif de la force et de mauvais traitements par des policiers dans le nord du Kosovo, encourageant les autorités à donner suite aux recommandations des procédures spéciales des Nations Unies, notamment en recourant davantage à des alternatives à la détention provisoire.
S’agissant des actes visant une église orthodoxe serbe, la Représentante spéciale a appelé les parties à respecter les lieux de culte et à promouvoir la tolérance. Le rétablissement de la confiance reste fondamental pour favoriser un avenir stable et prospère pour toutes les communautés du Kosovo, a-t-elle rappelé en assurant que la MINUK reste fermement engagée vers cet objectif. En effet, la Mission prend des initiatives pour défendre l’état de droit, les droits humains et l’inclusion des femmes et des jeunes dans les processus de paix et de sécurité. La Mission encourage le dialogue interethnique et la lutte contre les appels à la division afin de remédier au déficit de confiance.
Les délégations divisées quant à l’avenir de la Mission
Voyant la situation d’un autre œil, Mme Donika Gërvalla-Schwarz a prétendu que la Mission avait perdu toute crédibilité en tant qu’agence onusienne, l’accusant de manquer de vision sur ce qui se passe sur le terrain. La Mission ne répond plus à son objectif initial, étant incapable de mettre fin à l’arbitraire et de trouver des solutions aux problèmes déjà identifiés, a-t-elle estimé. En conséquence, sa présence n’est plus justifiée, a tranché l’oratrice. Elle a fait valoir que le Kosovo travaille déjà avec d’autres organismes comme le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) ou ONU-Femmes.
« Il est temps de retirer la MINUK du territoire », a abondé la délégation des États-Unis en lui recommandant justement de commencer à transférer ses fonctions à d’autres organes onusiens. Les États-Unis ont en effet jugé important d’éliminer les dépenses inutiles au sein des organisations internationales. Or la MINUK est une opération de maintien de la paix qui ne possède pas de Casques bleus et dont 80% du budget est consacré à la masse salariale de son personnel, a justifié la délégation. À son avis, elle n’a plus de rôle à jouer dans la gouvernance du Kosovo et elle a bien trop de ressources et de personnels. De plus, la délégation américaine a estimé que la MINUK ne méritait plus qu’une séance à huis clos par an au Conseil, au lieu de deux séances publiques.
Dans la même veine, le Royaume-Uni a observé qu’avec des conditions sur le terrain désormais méconnaissables par rapport à 1999, le temps est venu pour le Conseil de revoir le rôle et les responsabilités de la MINUK afin de s’assurer qu’elle puisse continuer à soutenir efficacement la sécurité, la stabilité et les droits humains au Kosovo, d’une manière qui reflète le monde de 2025. Même souci du côté de la Slovénie pour qui la MINUK doit adapter ses opérations de maintien de la paix afin qu’elles reflètent les réalités du terrain et soutiennent la stabilité sur le long terme.
D’autres membres du Conseil sont venus au contraire appuyer la présence de la Mission, dont la Chine. « La MINUK joue le rôle de maintien de la paix, assure la stabilité et promeut la réconciliation nationale », a insisté la délégation chinoise avant que la Fédération de Russie ne se lance dans un vibrant plaidoyer en sa faveur. « Nous nous opposons catégoriquement à la réduction de la fréquence et à la modification du format des réunions du Conseil de sécurité sur la question du Kosovo, ainsi qu’à la réduction potentielle du budget et des effectifs de la MINUK », a déclaré la Russie. Elle a affirmé soutenir une solution rapide, durable et mutuellement acceptable entre Belgrade et Pristina sur la base de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité.
Les objectifs de stabilité, de dialogue et de règlement durable
Depuis 1999, 10 000 soldats danois ont soutenu la paix et la stabilité au Kosovo, a rappelé le Danemark considérant essentielle la normalisation des relations entre le Kosovo et la Serbie pour une région stable, sécurisée et prospère. Les deux parties sont donc invitées à remplir leurs obligations en vertu de tous les accords existants et à rechercher des compromis, dont la création par le Kosovo d’une « association de municipalités à majorité serbe » et la non-opposition de la Serbie à l’adhésion du Kosovo à des organisations internationales, a rappelé la représentante.
La Grèce, qui ne reconnaît pas l’indépendance du Kosovo, a salué l’engagement de la MINUK à promouvoir la sécurité, la stabilité et le respect de l’état de droit ainsi que la protection des droits humains dans ce territoire. Elle a jugé nécessaire que la MINUK poursuive son mandat d’autant que la coordination de la Mission avec la Force de paix au Kosovo (KFOR) et la mission « État de droit » menée par l’Union européenne au Kosovo (EULEX) est essentielle pour parvenir à des solutions durables et instaurer la paix et la stabilité dans la région.
L’Accord sur la voie de la normalisation des relations entre le Kosovo et la Serbie et son annexe de mise en œuvre, adoptés respectivement en février et mars 2023, doivent être pleinement respectés et mis en œuvre dans les meilleurs délais et sans conditions préalables, a insisté le délégué de l’Union européenne y ajoutant les autres engagements en suspens, conclus dans le cadre du dialogue facilité par l’UE. Il a appelé le Kosovo à permettre la réintégration des juges, procureurs, policiers et autres personnels serbes du Kosovo dans toutes les institutions du Kosovo qu’ils ont quittées en 2022, et réitéré l’espoir que la Serbie appréhende et traduise en justice d’urgence les auteurs des attentats de 2023 dans le nord du Kosovo.
Le Ministre des affaires étrangères de la Serbie, M. Marko Đurić, a souligné la nécessité de respecter les principes internationaux de manière égale et constante. « Que nous le voulions ou non, je crois que nous sommes tous conscients des conséquences du précédent créé en 2008 par la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo », a-t-il déclaré. Après avoir dénoncé la multiplication, depuis 2008, des situations remettant en cause le statut de diverses régions, provinces et territoires de pays souverains membres de l’ONU, le Ministre a jugé nécessaire de relancer le dialogue avec Pristina, en renforçant la confiance par la coopération économique et la connectivité des infrastructures, et en mettant en œuvre tous les engagements pris jusqu’à présent.
Le rôle de l’UE, des États-Unis et d’autres partenaires sera crucial dans la période à venir, a admis M. Đurić en appelant à un engagement plus fort afin de poursuivre le dialogue et de trouver un compromis. Au Conseil de sécurité, il a demandé de réagir de manière significative afin d’éviter des dommages irréparables à la survie des Serbes au Kosovo-Metohija, ainsi que la déstabilisation de toute la région. La France, elle, a appelé la Serbie et le Kosovo à respecter les engagements pris dans le cadre des accords de Bruxelles-Ohrid.
Les attentes sont élevées pour 2025, a reconnu la Slovénie en espérant un nouveau départ. Comme ses homologues, elle a appelé Belgrade et Pristina à poursuivre le dialogue pour normaliser leurs relations et mettre en œuvre les accords conclus, souhaitant une désescalade et la prise en compte des préoccupations des communautés non majoritaires, notamment celles des Serbes du Kosovo, en particulier sur la fermeture d’institutions fournissant des services essentiels. Elle a appelé toutes les parties et la communauté internationale à investir dans des initiatives promouvant le dialogue, la compréhension et la collaboration.
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Résolutions 1160 (1998), 1199 (1998), 1203 (1998), 1239 (1999) et 1244 (1999) du Conseil de sécurité
Exposé
Mme CAROLINE ZIADEH, Représentante spéciale du Secrétaire général et Cheffe de la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK), a indiqué que les élections du 9 février se sont déroulées dans le calme même si elles ont été entachées de quelques difficultés techniques. La représentation des femmes a connu des progrès et ne nécessitera plus le quota de 30% pour l’Assemblée du Kosovo. Le Kosovo attend maintenant la formation du prochain gouvernement qui devra donner la priorité au bien-être de la population ainsi qu’à la mise en œuvre des engagements pris dans le cadre du dialogue facilité par l’Union européenne et aux progrès dans le processus de normalisation des relations.
Mme Ziadeh a salué la nomination de M. Peter Sørensen au poste de Représentant spécial de l’Union européenne pour le dialogue entre Belgrade et Pristina. L’accord de décembre entre Belgrade et Pristina sur le mandat de la Commission conjointe sur les personnes disparues devrait inciter les deux parties à aller de l’avant dans d’autres domaines. Lors de sa visite dans le nord du Kosovo le 25 mars, la Représentante spéciale a dit avoir entendu les interlocuteurs de la société civile et les dirigeants politiques et communautaires faire part d’un manque de confiance à l’égard des institutions. Ils ont aussi parlé de leurs préoccupations face au contexte politique actuel et aux développements dans la région et au-delà. Ils ont en outre déploré les actes unilatéraux des autorités de Pristina dont la fermeture de centres de protection sociale gérés par la Serbie et ses conséquences socioéconomiques négatives.
Néanmoins, a assuré la Représentante spéciale, personne ne voit d’alternative au dialogue facilité par l’Union européenne et à la nécessité pour les Serbes du Kosovo de recouvrer un certain degré d’autonomie grâce à un système d’autogestion au sein de l’Association/Communauté des municipalités à majorité serbe. La communauté internationale est priée de soutenir tous les efforts visant à un engagement renouvelé dans le processus de normalisation des relations. La société civile et les dirigeants politiques et communautaires se sont aussi inquiétés des allégations de harcèlement sexuel subi par des femmes serbes du Kosovo, allégations qui doivent faire l’objet d’une enquête.
Préoccupée par les conséquences socioéconomiques de la fermeture d’institutions gérées par la Serbie, la Cheffe de la MINUK a affirmé que la Mission continuera de surveiller de près la situation et a exhorté les parties à discuter de bonne foi des questions en suspens, dans le cadre du dialogue facilité par l’Union européenne. Commentant la décision du Gouvernement du Kosovo de permettre aux résidents munis de documents délivrés par les institutions serbes au Kosovo d’enregistrer leurs certificats d’état-civil auprès des autorités compétentes, elle a constaté des lacunes importantes en ce qui concerne la portée, l’interprétation et la mise en œuvre de cette décision. Elle a donc dit soutenir la prorogation au 30 avril du délai fixé pour cet enregistrement.
Mme Ziadeh a dûment condamné l’attaque contre le canal Ibar-Lepenac/Ibër-Lepenc, le 29 novembre, et demandé une enquête. S’agissant de l’incident survenu à Banjska/Banjskë, elle a plaidé pour des procédures judiciaires équitables et indépendantes. Elle s’est également dite préoccupée par le lancement d’un engin explosif contre le bureau de poste de Zvečan/Zveçan, le 1er avril, qui a causé des dégâts matériels. Elle a souligné le rôle central de l’Inspection générale de la police du Kosovo pour garantir des enquêtes indépendantes sur les allégations d’usage excessif de la force et de mauvais traitements par des policiers dans le nord du Kosovo, y compris à l’encontre de mineurs.
Les conclusions de ces enquêtes doivent être rendues publiques afin de promouvoir la transparence et la confiance dans les institutions, a insisté Mme Ziadeh, avant d’encourager les autorités à donner suite aux recommandations des procédures spéciales des Nations Unies, notamment en recourant davantage à des alternatives à la détention provisoire.
Préoccupée par les actes qui ont visé une église orthodoxe serbe, la Représentante spéciale a appelé les parties à respecter les lieux de culte et à promouvoir la tolérance. Elle a réclamé la nomination rapide d’un commissaire aux langues pour assurer la protection et la promotion des droits linguistiques et préserver les droits des communautés minoritaires. Le rétablissement de la confiance reste fondamental pour favoriser un avenir stable et prospère pour toutes les communautés du Kosovo.
En la matière, la MINUK reste fermement engagée, a assuré sa Cheffe, en prenant des initiatives qui défendent l’état de droit, les droits humains et l’inclusion des femmes et des jeunes dans les processus de paix et de sécurité. La Mission encourage le dialogue interethnique et la lutte contre les appels à la division afin de remédier au déficit de confiance.
Le travail avec les jeunes reste au centre des projets de rétablissement de la confiance, a fait savoir la Représentante spéciale. Cela est particulièrement important car il y a de moins en moins de contacts entre les jeunes des différentes communautés. À cet égard, un projet qui comprend des visites conjointes dans les sites culturels et religieux de chacune des communautés a le mérite d’attirer les jeunes albanais, ashkali, bosniaques, roms, serbes et turcs. La Représentante spéciale a aussi fait part d’un projet innovant d’éducation aux sciences, technologie, ingénierie et mathématiques pour les filles des écoles rurales dans plusieurs communautés afin de préparer la prochaine génération de scientifiques et de dirigeantes.