En cours au Siège de l'ONU

9873e séance – matin
CS/16013

Conseil de sécurité: au Yémen, la crainte d’un retour à un conflit généralisé est « palpable », selon l’Envoyé spécial du Secrétaire général

Malgré l’absence d’opérations terrestres de grande envergure depuis la trêve négociée par l’ONU il y a trois ans, la trajectoire actuelle du Yémen n’en reste pas moins profondément préoccupante, alors que la crainte d’un retour à un conflit généralisé est palpable, a prévenu ce matin, au Conseil de sécurité, l’Envoyé spécial du Secrétaire général pour ce pays.  M. Hans Grundberg intervenait par visioconférence lors d’une séance au cours de laquelle de nombreuses délégations se sont alarmées de la crise humanitaire prolongée du pays, qui touche tout particulièrement les femmes. 

Depuis plus de 10 ans que dure ce conflit, les souffrances accablantes que subissent les Yéménites ne font que s’aggraver, a constaté M. Grundberg. Le PIB par habitant a diminué de plus de moitié et les salaires des fonctionnaires vivant dans les zones contrôlées par Ansar Allah – la branche politique des houthistes, l’une des parties au conflit – ne sont régulièrement pas versés à temps ou en totalité depuis 2018.  Des retards de paiement qui concernent également ceux qui sont établis dans les zones contrôlées par le Gouvernement, où le rial, la devise yéménite, a plongé l’an dernier, faisant flamber les prix des produits de base.  Résultat, la pauvreté a augmenté dans tout le pays, a ajouté le haut fonctionnaire. 

Femmes et filles, premières victimes du conflit

Le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires a confirmé cette tendance négative, aggravée par les « coupes budgétaires sévères » qui sapent le « travail visant à sauver des vies ».  À l’approche de la Journée internationale des femmes le 8 mars, M. Thomas Fletcher a évoqué l’impact de cette contraction de l’aide internationale sur elles, qui endurent déjà discriminations et exclusion systématiques depuis des décennies: elles sont aujourd’hui 9,6 millions à avoir besoin d’une aide humanitaire vitale.  De surcroît, 1,3 million de femmes enceintes et de jeunes mères souffrent de malnutrition, plus de 6 millions de femmes et de filles sont confrontées à des risques accrus de maltraitance et d’exploitation, et près d’un tiers de toutes les filles au Yémen sont victimes de mariage précoce. 

« À mesure que votre financement s’évapore, les chiffres de mes prochains exposés empireront », a prévenu le Secrétaire général adjoint, ajoutant que la raréfaction des fonds entraînera immanquablement la mort de nombreuses femmes et filles.  « D’autres n’auront d’autre choix que d’adopter des mécanismes de survie dangereux: le sexe de survie, la mendicité, la prostitution forcée, la traite d’êtres humains et la vente de leurs enfants », a mis en garde M. Fletcher, suivi sur ce point par plusieurs membres du Conseil, de la Grèce à la France, en passant par la Slovénie. 

Représentante de l’ONG Peace Track Initiative, Mme Nesmah M. Ali a appelé de son côté le Conseil à intégrer la question des changements climatiques aux négociations de paix, et à faire figurer l’adaptation au climat et la restauration de l’environnement au cœur de tout accord de paix ou règlement politique au Yémen.  Elle a expliqué que la guerre a dévasté l’environnement et les écosystèmes de son pays, notamment les attaques contre les raffineries de pétrole et les ports, la dissémination de mines terrestres dans les champs agricoles et les zones côtières, ainsi que les fuites de pétrole et de toxines.  Dans ce contexte, les femmes, en particulier celles qui font vivre des familles, sont touchées de manière disproportionnée par les changements climatiques, qui portent atteinte à leurs moyens de subsistance, notamment l’extraction du sel, le séchage du poisson et l’artisanat. 

Un conflit à basse intensité susceptible de s’aggraver à tout moment

Si aucune offensive majeure n’a été déplorée au Yémen depuis avril 2022, l’Envoyé spécial a tout de même relayé des informations récentes faisant état de bombardements, d’attaques de drones, de tentatives d’infiltration et de campagnes de mobilisation à Mareb ainsi qu’à Jaouf, Chaboua et Taëz.  Sans compter que les parties au conflit multiplient les déclarations incendiaires susceptibles de relancer la confrontation militaire, a regretté M. Grundberg, en les appelant à la retenue. 

Alors que l’Administration américaine vient de désigner Ansar Allah comme organisation terroriste étrangère, le haut fonctionnaire a réitéré l’importance de protéger les efforts en cours pour promouvoir un règlement pacifique de la crise au Yémen et de préserver l’espace de médiation dont disposent les parties sous les auspices de l’ONU.  M. Fletcher a abondé en ce sens, soulignant pour sa part l’importance vitale de veiller à l’acheminement des articles de première nécessité aux civils, que ce soit par des « canaux commerciaux ou humanitaires ». 

« Conformément à un décret exécutif du Président Trump », les États-Unis ont confirmé avoir désigné à nouveau Ansar Allah comme organisation terroriste afin d’éliminer ses capacités et a imposé des sanctions ciblées aux houthistes qui se livrent à des activités illicites, une annonce saluée par le Yémen. Washington agit également pour faire cesser le soutien de Téhéran ainsi que les attaques en mer Rouge et contre Israël, a ajouté la délégation américaine. 

L’Envoyé spécial a quant à lui manifesté un optimisme prudent, partagé par la Fédération de Russie et la Chine, en indiquant qu’aucune attaque d’Ansar Allah en mer Rouge et contre des cibles israéliennes n’avait été perpétrée depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu dans la bande de Gaza.  D’où la nécessité de rendre permanent celui-ci, selon le Pakistan, qui n’a pas été seul aujourd’hui à souligner l’interdépendance des crises au Proche et Moyen-Orient.  Pour la Sierra Leone, qui s’exprimait au nom des A3+ (Algérie, Sierra Leone, Somalie et Guyana), il en va de la stabilité régionale même, au moment où des négociations sont en cours non seulement pour pérenniser le cessez-le-feu à Gaza mais aussi pour appuyer le processus de paix en Syrie, qui se trouve, pareillement, à une phase cruciale. 

Ramifications régionales

Si elle a été saluée par le Yémen, la désignation d’Ansar Allah par les États-Unis a été condamnée par la délégation russe, pour qui elle est de nature à antagoniser l’une des parties au conflit, avec pour corollaire inévitable d’entraver la réponse humanitaire, qui souffre déjà du refus des Américains de continuer à la financer.  Les efforts pour permettre une reprise du processus de paix doivent tenir compte des intérêts légitimes d’Ansar Allah, sous peine de voir reprendre la guerre civile, a insisté la Russie, pour qui la « logique de pressurisation maximale » privilégiée par certains pays a déjà prouvé son inefficacité. 

Le représentant yéménite a, au contraire, vivement mis en cause les « milices houthistes », qui ne respectent aucune de leurs obligations et prévoient de revenir à une « guerre d’envergure », là où le Conseil présidentiel, a-t-il assuré, s’engage à participer aux efforts internationaux et régionaux en faveur d’un règlement politique de la crise, conformément à la feuille de route définie par la résolution 2216 (2015).  Parvenir à une paix juste et inclusive exige de soutenir le Gouvernement yéménite, d’asseoir l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire et d’assurer la sécurité en mer Rouge et dans le détroit de Bab el-Mandab. Pour cela, l’afflux d’armes iraniennes, qui prolonge le conflit et aggrave la crise humanitaire, doit être endigué, a exhorté le délégué yéménite. 

L’annonce par les gardes-côtes yéménites de l’interception d’un boutre à destination de Hodeïda, avec à son bord des composants d’armes de pointe, constitue une nouvelle violation flagrante de l’embargo sur les armes imposé par le Conseil de sécurité, a d’ailleurs dénoncé le Royaume-Uni.  Réitérant son appel à tous les États Membres pour qu’ils le respectent pleinement, la délégation britannique a exigé du Gouvernement iranien qu’il cesse de se livrer à des activités déstabilisatrices.  Elle a également souligné l’importance pour la communauté internationale de fournir un soutien financier « indéfectible » à la Mécanisme de vérification et d’inspection des Nations Unies, qui reste essentielle pour empêcher la contrebande d’armes illicites. 

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La situation au Moyen-Orient

Exposé

M. HANS GRUNDBERG, Envoyé spécial du Secrétaire général pour le Yémen, a commencé par rendre hommage aux musulmans du monde entier, qui célèbrent le mois sacré de ramadan, et notamment « les familles de nombre de nos collègues détenus de façon arbitraire par Ansar Allah ».  Il a réitéré son appel à la libération immédiate et inconditionnelle de tous les détenus.  Depuis plus de 10 ans que dure ce conflit, les souffrances accablantes que subissent les Yéménites ne font que s’aggraver, a rappelé le haut fonctionnaire: le PIB par habitant a diminué de plus de moitié; les salaires des fonctionnaires des zones contrôlées par Ansar Allah ne sont régulièrement pas versés à temps ou en totalité depuis 2018; tandis que les fonctionnaires des zones contrôlées par le Gouvernement yéménite sont également confrontés à des retards dans le paiement de leurs salaires.  En outre, le rial yéménite dans les zones contrôlées par le Gouvernement a chuté de 50% l’an dernier, faisant flamber les prix des produits de base.  En conséquence, la pauvreté a augmenté dans tout le pays. 

Au cours des derniers mois, a rappelé l’Envoyé spécial, nous avons assisté à une escalade de la rhétorique des parties au conflit, qui multiplie les effets d’annonce d’une confrontation militaire.  « Nous ne devons pas permettre que cela se produise », a-t-il plaidé.  « Les messages contradictoires et le discours d’escalade peuvent avoir de réelles conséquences, approfondissant la méfiance et nourrissant les tensions à un moment où la désescalade est cruciale. »

Bien qu’aucune opération terrestre à grande échelle n’ait été menée au Yémen depuis la trêve négociée par l’ONU en avril 2022, l’activité militaire s’y poursuit, a précisé M. Grundberg.  Il s’est dit préoccupé par les récentes informations faisant état de bombardements, d’attaques de drones, de tentatives d’infiltration et de campagnes de mobilisation, observés à Mareb ainsi qu’à Jaouf, Chaboua et Taëz.  Aussi a-t-il réitéré son appel aux parties pour qu’elles s’abstiennent de toute menace militaire et de toute mesure de rétorsion qui risqueraient de replonger le Yémen dans un conflit généralisé dont les civils paieraient à nouveau le prix. 

L’Envoyé spécial a dit poursuivre sans relâche le dialogue avec les parties yéménites et internationales, en recueillant activement des points de vue et des idées sur la voie à suivre, « malgré d’énormes défis ».  Pour régler le conflit au Yémen, il faudra relever trois défis, a-t-il estimé.  Tout d’abord, les parties devront s’entendre sur un cessez-le-feu national et sur un mécanisme pour le mettre en œuvre.  Elles devront également faire des concessions difficiles mais nécessaires et convenir d’un compromis, notamment sur la situation économique difficile du pays.  Enfin, il faudra un processus politique incluant un large éventail de Yéménites pour que ce conflit soit réglé une fois pour toutes. 

L’environnement pour que cela se produise doit être porteur, a expliqué l’Envoyé spécial.  Au cours du mois dernier, nous avons constaté la cessation continue des attaques d’Ansar Allah contre des navires en mer Rouge et des cibles en Israël.  « C’est positif, mais comme le Conseil ne le sait que trop bien, les environnements propices à la paix peuvent être fragiles et éphémères », a-t-il prévenu. 

M. Grundberg a ensuite abordé la question de la mise en œuvre de la désignation américaine d’Ansar Allah comme organisation terroriste étrangère, qui est en cours.  « Bien que toutes les ramifications de cette mesure restent à déterminer, je réitère l’importance de protéger nos efforts pour faire avancer un règlement pacifique au Yémen », a-t-il insisté, jugeant essentiel de préserver l’espace de médiation dont disposent les Yéménites sous les auspices de l’ONU. 

Après avoir salué le travail sans relâche des femmes yéménites pour faire avancer la paix, M. Grunberg a souligné que la trajectoire actuelle du Yémen est profondément préoccupante, alors que la crainte d’un retour à un conflit généralisé est palpable.  Quelle que soit l’évolution des prochaines semaines et des prochains mois, son Bureau reste déterminé à réunir les parties pour mettre fin à ce conflit, a-t-il assuré.

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