Conseil de sécurité: malgré la volatilité de la situation au Yémen, l’Envoyé spécial pour ce pays maintient qu’un règlement politique reste « réalisable »
À l’occasion de son exposé mensuel, ce matin devant le Conseil de sécurité, l’Envoyé spécial du Secrétaire général pour le Yémen s’est déclaré convaincu qu’en dépit de la précarité de la situation, liée notamment aux développements dans la région du Moyen-Orient, aux agissements des houthistes et à la crise humanitaire qui affecte près de 20 millions de personnes dans le pays, un règlement politique demeure « réalisable » si toutes les parties au conflit et les acteurs associés contribuent à la recherche d’une solution durable.
« Sans perspective de paix, il ne peut y avoir de prospérité », a soutenu M. Hans Grundberg, assurant que son bureau poursuit son dialogue avec toutes les parties, en plus des contacts qu’il s’emploie à nouer avec des représentants de la société civile, notamment des jeunes et des femmes, afin d’intégrer les perspectives locales dans le processus de paix. Soucieux de faire revenir les houthistes à la table des négociations, il a souhaité que ces efforts soient « protégés ». À cet égard, il a demandé des éclaircissements concernant la prochaine désignation par les États-Unis d’Ansar Allah – appellation officielle du mouvement houthiste - comme organisation terroriste étrangère.
L’Envoyé spécial a dit répéter le même message à ses interlocuteurs régionaux et internationaux: seul un règlement politique du conflit soutiendra les Yéménites dans leurs aspirations à une paix durable. C’est, selon lui, « réalisable, possible et pragmatique », par le biais de la feuille de route que propose l’ONU. Alors que les parties se sont engagées à un cessez-le-feu national comme première étape vers la stabilité, il faut que cela débouche sur des négociations inclusives, sous les auspices de l’ONU, a-t-il plaidé, non sans saluer la récente libération par Ansar Allah de 153 détenus liés au conflit.
Si le cessez-le-feu à Gaza, la cessation momentanée des attaques d’Ansar Allah contre des navires en mer Rouge et des cibles en Israël, et la libération de l’équipage du Galaxy Leader constituent d’autres signes positifs, les efforts de médiation sont sapés par la nouvelle vague de détentions arbitraires de membres du personnel de l’ONU menée par les houthistes le mois dernier, a constaté M. Grundberg.
Il a également déploré la mort, cette semaine, en détention d’un collègue travaillant pour le Programme alimentaire mondial (PAM), exigeant qu’une enquête transparente soit diligentée et que tous les membres du personnel de l’ONU, d’ONG, d’organisations de la société civile et de missions diplomatiques détenus arbitrairement par les houthistes soient libérés sans condition.
À son tour, le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence a exprimé sa douleur et sa colère après ce décès, appelant à garantir la sécurité des travailleurs humanitaires « comme le droit international le prévoit ». M. Thomas Fletcher a ensuite rappelé que 19,5 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire au Yémen, avant d’alerter sur le fait qu’en décembre dernier, 64% de la population n’était pas en mesure de subvenir à ses besoins alimentaires, soit 3 points de plus qu’en novembre. Comme dans toutes les crises, ce sont les enfants qui souffrent le plus, a-t-il observé, précisant que la moitié des petits Yéménites de moins de 5 ans souffrent de malnutrition aiguë et que 3,2 millions d’élèves sont aujourd’hui déscolarisés.
Suspension temporaire de l’aide, conséquence des risques sécuritaires
Le Coordonnateur des secours d’urgence a ajouté qu’en raison des risques sécuritaires graves et de la détention d’un nombre accru de membres de son personnel, l’ONU a dû suspendre temporairement ses opérations dans la province de Saada. Il a cependant espéré que cette suspension sera de courte durée, assurant que le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) œuvre à préserver les capacités pour une reprise rapide des opérations, une fois obtenues les garanties sur la sécurité.
Ces informations ont suscité la condamnation des actions d’Ansar Allah par une majorité de membres du Conseil. « Nous appelons à la fin du recours à la peur, à l’intimidation et à la détention injustifiée par les houthistes afin que les travailleurs humanitaires puissent effectuer leur travail », a réagi le Royaume-Uni, exigeant la libération immédiate de toutes les personnes détenues sans raison valable par les autorités de facto. Cet appel a été repris par la Somalie, au nom du Groupe des A3+, tandis que la France accusait les houthistes de « porter une responsabilité prépondérante dans la crise régionale en cours » et d’être indifférents aux souffrances du peuple yéménite.
Les États-Unis ont, pour leur part, insisté sur le soutien qu’apporte l’Iran aux houthistes depuis 10 ans et qui se traduit par une grave menace pour la paix et la sécurité internationales. Appelant à faire « payer le prix » de cet appui à l’Iran, la délégation américaine a confirmé que son gouvernement avait entamé le processus visant à désigner Ansar Allah comme organisation terroriste étrangère. Il faut priver les houthistes des fonds qui leur permettent de mener leurs attaques, a-t-elle justifié, réclamant un renforcement du mécanisme de vérification et d’inspection des Nations Unies pour prévenir la contrebande et le trafic d’armes au profit des houthistes.
La baisse de tensions en mer Rouge, espoir d’évolution favorable?
La « décision irréfléchie » des États-Unis d’inscrire Ansar Allah sur leur liste des organisations terroristes risque de nourrir les tensions, a dénoncé la Fédération de Russie, se disant convaincue qu’« aucune partie yéménite ne veut une escalade sur le terrain ». Tout en regrettant l’emprisonnement de membres du personnel des Nations Unies et la mort en détention d’un employé du PAM, la délégation russe a constaté une stabilisation dans les zones maritimes autour du Yémen, se prononçant pour une relance du processus de pourparlers en vue d’une normalisation. Une position partagée par la Chine, qui a noté une baisse de tensions en mer Rouge après l’accord de cessez-le-feu à Gaza.
Saluant l’absence de nouveaux incidents dans cette voie navigable, le Panama a formé l’espoir d’une « évolution favorable » dans la sécurité des zones maritimes, après les attaques perpétrées contre des navires battant pavillon panaméen. Estimant quant à elle que le risque d’une résurgence des agression houthistes contre des navires marchands reste « présent », la Grèce a rappelé qu’elle continue de jouer un rôle de premier plan dans la force navale placée sous la direction de l'Union européenne ASPIDES, mise sur pied en réponse à la crise en mer Rouge. La France a elle aussi promis de poursuivre son engagement dans le cadre de cette opération défensive, conformément au droit international.
Assécher les sources de financement d’Ansar Allah
De son côté, le Yémen a dénoncé les « pratiques criminelles » des houthistes, avant d’exhorter la communauté internationale à soutenir le Conseil de direction présidentiel dans ses efforts sécuritaires et économiques. Un relèvement du pays permettrait notamment de sécuriser les couloirs maritimes en mer Rouge, dans le détroit de Bab el-Mandab et dans le golfe d’Aden, a assuré le représentant yéménite, après avoir adressé ses condoléances aux proches de l’employé du PAM « mort aux mains des milices houthistes » et invité les organisations humanitaires à transférer leur siège opérationnel à Aden, la capitale temporaire du pays.
Selon le délégué, Ansar Allah semble vouloir revenir à une « guerre d’envergure », malgré les efforts déployés par le « seul Gouvernement légitime du Yémen » pour créer un environnement propice à un règlement politique, dans le cadre prévu par la résolution 2216 (2015) du Conseil de sécurité. Dans ce contexte, le peuple yéménite souffre des répercussions de crises humanitaire et économique dues aux actions belliqueuses des houthistes soutenus par l’Iran, a-t-il affirmé, se félicitant de la décision des États-Unis d’inscrire ces milices sur leur liste des organisations terroristes.
Se disant convaincu que cette mesure contribuera à rétablir la paix et la stabilité au Yémen, le délégué a invité les États Membres à assécher les sources de financement d’Ansar Allah et à soutenir son gouvernement politiquement, économiquement et financièrement.
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LA SITUATION AU MOYEN-ORIENT
Exposés
M. HANS GRUNDBERG, Envoyé spécial du Secrétaire général pour le Yémen, a noté qu’après le cessez-le-feu à Gaza et la cessation des attaques d’Ansar Allah contre des navires en mer Rouge et des cibles en Israël, ainsi que la libération de l’équipage du Galaxy Leader, des défis d’ampleur restent à surmonter au Yémen.
Il a tout d’abord mentionné la quatrième vague de détentions arbitraires de membres du personnel des Nations Unies menée par les houthistes le mois dernier, y voyant non seulement une violation des droits humains fondamentaux mais aussi une menace directe pour la capacité de l’ONU à fournir une aide humanitaire à des millions de personnes dans le besoin. Déplorant la mort en détention d’un collègue travaillant pour le Programme alimentaire mondial (PAM), il a exigé qu’une enquête transparente soit diligentée sur ce décès et que les responsables soient tenus de rendre des comptes. Il a également réclamé la libération immédiate et inconditionnelle de tous les membres du personnel de l’ONU, d’ONG, d’organisations de la société civile et de missions diplomatiques détenus arbitrairement.
L’Envoyé spécial s’est ensuite alarmé de la poursuite des activités militaires au Yémen, alors que des rapports font état de mouvements de renforts et de matériel vers les lignes de front, et de bombardements, d’attaques de drones et de tentatives d’infiltration d’Ansar Allah sur plusieurs lignes de front. Appelant les parties à s’abstenir de toute mesure de représailles qui pourrait faire replonger le Yémen dans le conflit, il a assuré que son bureau reste en contact régulier avec les belligérants pour les inciter à désamorcer les tensions et à prendre des mesures concrètes de confiance par l’intermédiaire du Comité de coordination des opérations militaires.
Sur le plan économique, M. Grundberg s’est aussi déclaré préoccupé par la détérioration rapide de la situation. Dans les zones contrôlées par le Gouvernement, les habitants ont subi des coupures de courant prolongées, a-t-il indiqué, tandis que la dépréciation continue du rial yéménite a fait grimper le prix des biens de première nécessité. Ces difficultés économiques sont également ressenties dans les territoires contrôlés par Ansar Allah.
« Ces problèmes sont les symptômes de l’échec de la recherche d’une solution politique durable », s’est désolé l’Envoyé spécial, réaffirmant que « sans perspective de paix, il ne peut y avoir de prospérité ». Il a assuré que son bureau poursuit son dialogue avec les parties au conflit, ayant lui-même noué des contacts avec des représentants de la société civile, notamment des jeunes et des femmes, afin d’intégrer les perspectives locales dans le processus de paix. Il a souhaité que ces efforts soient « protégés », demandant à cet égard des éclaircissements concernant la prochaine désignation par les États-Unis d’Ansar Allah comme organisation terroriste étrangère. Il a dit répéter le même message à ses interlocuteurs régionaux et internationaux: seul un règlement politique du conflit soutiendra les Yéménites dans leurs aspirations à une paix durable. C’est selon lui « réalisable, possible et pragmatique ».
Rappelant le cadre de la feuille de route, M. Grundberg a souligné que les parties se sont engagées à un cessez-le-feu national comme première étape vers la stabilité. Il a estimé que cela pourrait déboucher sur un processus politique structuré dans lequel les Yéménites détermineraient leur propre avenir par le biais de négociations inclusives sous les auspices de l’ONU.
À cette fin, « il est essentiel que mon bureau maintienne un espace approprié pour s’engager dans une médiation efficace », a-t-il plaidé, avant d’appeler à résoudre la crise économique du Yémen par un dialogue soutenu et des mesures concrètes pour reconstruire le pays. Enfin, qualifiant la libération unilatérale de 153 détenus liés au conflit par Ansar Allah d’« étape positive », il a encouragé les parties à faire les compromis nécessaires pour parvenir à un accord sur la libération de toutes les personnes détenues arbitrairement et a exhorté les acteurs régionaux et internationaux à soutenir la diplomatie, la désescalade et un dialogue inclusif.
M. THOMAS FLETCHER, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, a exprimé sa douleur et sa colère après la mort cette semaine en détention d’un collègue du Programme alimentaire mondial (PAM). Il était aux mains des autorités houthistes de facto. Il a indiqué que 19,5 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire au Yémen, en précisant qu’en décembre dernier, 64% de la population n’était pas en mesure de subvenir à ses besoins alimentaires, soit 3 points de plus qu’en novembre. Comme dans toutes les crises, ce sont les enfants qui souffrent le plus, a-t-il observé, estimant à 3,2 millions le nombre d’enfants yéménites déscolarisés. La moitié des enfants de moins de 5 ans au Yémen souffrent de malnutrition aiguë. En 2023, cinq enfants mouraient toutes les heures, de causes qui auraient pu être aisément traitées ou évitées, s’est-il alarmé.
Malgré les risques, les opérations humanitaires ont pu se poursuivre mais la détention d’un nombre accru de membres du personnel des Nations Unies a entravé la capacité du système dans son ensemble à répondre aux besoins, a-t-il regretté. « En raison des risques sécuritaires graves, nous avons dû suspendre temporairement nos opérations dans la province de Saada. » Le Coordonnateur des secours d’urgence a espéré que cette suspension sera de courte durée et indiqué œuvrer à préserver les capacités pour une reprise rapide des opérations, une fois obtenues les garanties sur la sécurité.
Il a formulé trois demandes au Conseil, la première étant de faire libérer le personnel des Nations Unies et celui de la société civile. « Protégez-les comme le droit international le prévoit. » Deuxièmement, soutenez-nous afin d’opérer à pleine capacité et donnez-nous les ressources nécessaires pour répondre aux besoins, a-t-il prié. « Troisièmement, ne prenez aucune action qui entrave l’accès des civils à des services essentiels. » Les décisions politiques et sécuritaires ne doivent pas punir des communautés déjà éprouvées en restreignant les importations d’articles de première nécessité, a-t-il tranché. « Près de 20 millions de Yéménites ont grandement besoin de votre soutien, maintenant. »