L’Assemblée générale rend hommage aux victimes de la Seconde Guerre mondiale en exposant ses divisions sur la mémoire et les enseignements de ce conflit
L’Assemblée générale a tenu, aujourd’hui, une séance solennelle spéciale en hommage à toutes les victimes de la Seconde Guerre mondiale, dans le cadre du point de son ordre du jour consacré au quatre-vingtième anniversaire de la fin de ce conflit. Au-delà des immenses sacrifices consentis par des millions de personnes sur l’autel des libertés, il a été question des leçons tirées de cette conflagration mondiale et de la mémoire à transmettre, sur fond de divisions profondes autour des conflits en cours, notamment en Ukraine et à Gaza.
Dans une déclaration liminaire, le Président de l’Assemblée générale a observé qu’au fil du temps, les commémorations de la Seconde Guerre mondiale prennent une signification plus profonde, la plupart des vétérans survivants étant aujourd’hui centenaires. « Préserver leur histoire n’est pas seulement un hommage à leur rendre, c’est une responsabilité morale pour nous tous », a souligné M. Philémon Yang, appelant à veiller à ce que les leçons qu’ils laissent derrière eux « ne s’estompent pas mais perdurent ».
Après avoir rappelé que l’ONU a été créée au sortir de ce conflit mondial pour préserver les générations futures du fléau de la guerre, M. Yang a constaté que les principes de la Charte de l’Organisation des Nations Unies sont aujourd’hui trop souvent « ignorés, sapés ou carrément violés ». Alors que les conflits se propagent et que la paix mondiale est mise à rude épreuve, nous devons renouveler notre engagement envers ces idéaux fondateurs, a-t-il plaidé, estimant que « les sacrifices de ceux qui ont péri pour nous offrir un monde meilleur ne doivent pas être vains ».
Accusations d’instrumentalisation de l’histoire
Ce message a été diversement interprété par les États Membres, dont un grand nombre a dénoncé une distorsion et une instrumentalisation de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale à des fins politiques. Ouvrant le bal des déclarations, la Fédération de Russie a ainsi observé que « la mémoire sacrée des héros et des victimes du nazisme est devenue l’objet d’attaques du révisionnisme historique et du revanchisme ». C’est notamment le cas, selon elle, en Ukraine, où, « après le coup d’État inconstitutionnel de Maïdan et plusieurs années de lavage de cerveau », des slogans semblables au « Deutschland über alles » nazi ont commencé à résonner.
Dans ce pays, « les parallèles avec le IIIe Reich ne s’arrêtent pas là », a ajouté le représentant russe, dénonçant pêle-mêle les démolitions de monuments à la mémoire des combattants contre le fascisme, la promotion de collaborateurs nazis comme héros nationaux, la tenue de processions aux flambeaux par des néonazis et l’interdiction de la langue russe.
« On tente aujourd’hui de justifier et de blanchir les nazis et leurs complices, de réécrire l’histoire, d’effacer les exploits des pays indésirables et de tracer de nouvelles lignes de démarcation pour satisfaire les politiciens en place et leurs intérêts à court terme », a renchéri le Bélarus, qui s’est dit résolument en faveur de la « préservation de la vérité historique » et d’une « coopération constructive », à l’image de la coalition antihitlérienne composée de pays aux systèmes politiques, aux traditions culturelles et aux visions du monde différents. Rappelant que les « formes de génocide nazi » ont coûté la vie à un habitant sur trois de son pays, le délégué bélarussien a souhaité que cette « capacité à mettre de côté les différences au profit du bien commun » serve à tous de leçon.
Au nom du Groupe des Amis pour la défense de la Charte des Nations Unies, le Venezuela a défendu une vision semblable en relevant que la manipulation de l’histoire à des fins politiques constitue un sérieux obstacle à la paix et à la stabilité internationales. « Loin d’être inoffensifs, les récits révisionnistes déshonorent la mémoire de ceux qui ont péri, tout en favorisant la division et la méfiance entre les nations », a-t-il mis en garde.
Toujours au nom de la mémoire, l’Ukraine a, elle, déploré que la Russie célèbre la fin de la Seconde Guerre mondiale « en s’arrogeant le monopole historique de la victoire » et en passant sous silence le fait que l’Union soviétique a collaboré avec l’Allemagne nazie au début du conflit. Huit millions d’Ukrainiens ont été tués, dont plus d’un million de Juifs, a rappelé la délégation, accusant Moscou de vouloir « dénaturer cette histoire » et de recourir au prétexte de la lutte contre le nazisme pour justifier sa guerre d’agression contre son voisin.
« Mettre sur un pied d’égalité l’invasion de l’Ukraine et la lutte contre le nazisme est l’exemple le plus vil qui soit de la perversion de l’histoire et un camouflet pour la mémoire des victimes du nazisme », a assené l’Union européenne, tandis que la Nouvelle-Zélande, qui s’exprimait au nom des délégations du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande (CANZ), pointait l’incohérence de la guerre d’agression menée par la Russie « au regard du sacrifice du peuple soviétique et de sa contribution à la victoire contre le nazisme ». De surcroît, « dire que le Gouvernement ukrainien est nazi relève de la propagande russe et salit la mémoire des soldats soviétiques tombés pendant la guerre », a fait valoir le Royaume-Uni, pour qui la sécurité européenne est à nouveau menacée par un mépris de la souveraineté des États.
Condamnant cet « expansionnisme colonial », opéré en violation de la Charte des Nations Unies, la Lituanie a accusé elle aussi la Russie d’instrumentaliser la mémoire de la Seconde Guerre mondiale pour « justifier ses crimes actuels sans rendre de comptes ». Dans le même ordre d’idées, la Pologne a fustigé la « campagne néo-impériale » de Moscou, non sans rappeler qu’elle a été la « première victime de la guerre » en étant attaquée par les forces pactisées de l’Allemagne nazie et de l’Union soviétique en 1939.
De l’horreur de la Shoah à l’« épidémie d’antisémitisme »
Renvoyée à son lourd passé, l’Allemagne a dit « porter le fardeau de cette histoire avec humilité et responsabilité morale ». Nous sommes obligés d’entretenir la flamme de la justice, a expliqué sa déléguée, selon laquelle les procès de Nuremberg ont marqué un tournant. « Plus jamais ça », a-t-elle clamé, ajoutant que, 20 ans à peine après la Shoah, Israël a tendu la main à l’Allemagne. « Les plus grandes divisions peuvent être dépassées, à condition que les crimes qui ont été commis soient pleinement reconnus. »
Soulignant pour sa part que la Shoah n’a pas commencé avec les chambres à gaz du régime nazi mais est le fruit de siècles d’antisémitisme, Israël a constaté que la haine des Juifs gagne à nouveau du terrain, rappelant que, le 7 octobre 2023, des Juifs ont été massacrés chez eux, en Israël, sans que le monde se montre solidaire. « N’avons-nous rien appris? » s’est-il interrogé, avant d’accuser l’Iran de vouloir « renouveler l’expérience de la Shoah et effacer les Juifs de la surface de la terre ».
À leur tour, les États-Unis ont rappelé l’effroyable bilan de la Seconde Guerre mondiale et l’horreur unique de la Shoah. Après avoir dénoncé la grave « épidémie d’antisémitisme » qui se propage aujourd’hui, ils ont rendu hommage au courage des forces alliées. Convaincue que « la justice finit toujours par vaincre », la délégation américaine a invité tous les États Membres à tirer le bilan de cette guerre sans distorsion.
Appels à défendre le système international autour de l’ONU
Pour la Chine, il importe aujourd’hui de défendre le système international fondé autour de l’ONU, alors que certains traitent l’Organisation « comme quelque chose qui peut être utilisé et mis ensuite au rebut », notamment en coupant leurs financements et en ne versant pas leur contribution.
« Les victimes que nous honorons nous poussent à renforcer l’ONU, à rejeter la force dans les affaires internationales et à défendre la dignité, la justice et la coopération », a affirmé le Kazakhstan, le Turkménistan appelant pour sa part à défendre activement la paix conquise il y a 80 ans, et à contrer la falsification de l’histoire. La guerre ne commence pas par des frappes mais par l’oubli, a renchérit la Serbie qui a affirmé s’exprimer non pas en tant que vainqueurs mais en tant que gardiens de la mémoire.
Lui aussi tourné vers l’avenir, le Japon a préféré souligner l’importance de l’ONU dans la promotion de la paix et de la sécurité internationales, saluant en particulier l’adoption, fin 2024, du Pacte pour l’avenir. La République populaire démocratique de Corée a quant à elle rappelé les victimes de « l’impérialisme japonais », rendant hommage aux martyrs coréens de la lutte antifasciste.
De son côté, Cuba s’est alarmée de la résurgence des idéologies extrémistes, de l’utilisation de la puissance militaire pour promouvoir des intérêts géopolitiques et de la prolifération de mesures coercitives unilatérales et illégitimes. Dans ce contexte, elle a jugé que « le génocide perpétré par Israël contre le peuple palestinien, avec la complicité et le soutien du Gouvernement des États-Unis », est la preuve évidente d’une « nouvelle forme répugnante de fascisme ».
Résumant le point de vue des pays africains, le Togo a rappelé pour sa part que la fin de la Seconde Guerre mondiale a favorisé l’accélération des luttes de décolonisation qui, avec l’appui des Nations Unies, ont abouti à l’accession de plusieurs territoires à la souveraineté internationale. Quatre-vingts ans plus tard, il a appelé de ses vœux une réforme du Conseil de sécurité de l’ONU afin de le rendre plus représentatif, un appel repris par l’Inde, pour qui une réforme de l’architecture internationale s’impose pour façonner un monde plus pacifique.
Adoption de trois textes relatifs à des réunions et sommets de l’ONU
En marge de cette séance solennelle spéciale, l’Assemblée générale a adopté un projet de décision relatif aux Déclarations liminaires à la troisième Conférence des Nations Unies sur les pays en développement sans littoral (A/79/L.82).
L’Assemblée a également décidé d’inviter les trois organisations intergouvernementales suivantes à participer à la Conférence sur l’océan (A/79/L.85):
1. Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique;
2. Société interaméricaine d’investissement;
3. Commission RAMOGE.
Elle a ensuite décidé que la réunion de haut niveau sur le trentième anniversaire de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes se tiendra à New York, le lundi 22 septembre 2025 (A/79/L.81).
Au préalable, elle a rejeté par 15 voix pour, 73 contre et 46 abstentions une proposition d’amendement russe (A/79/L.84) qui visait à remplacer le paragraphe 6 du dispositif par ce qui suit:
« Prie son Président d’établir, en tenant compte des principes de transparence, de représentation géographique équitable et de parité des genres, une liste de représentants d’autres organisations non gouvernementales concernées et d’organisations de la société civile, d’établissements universitaires et du secteur privé intéressés qui pourraient assister à la réunion de haut niveau, de soumettre cette liste aux États Membres pour examen selon la procédure d’approbation tacite, au plus tard en juillet 2025 aux fins des préparatifs, et de porter la liste à son attention. »
Le paragraphe 6 du dispositif a été maintenu par 94 voix pour, 10 contre et 31 abstentions.
Avant le vote, la Pologne, au nom de l’Union européenne, a dénoncé un amendement qui vise à empêcher la participation des organisations non gouvernementales (ONG) « sans raison ni transparence ». Le Royaume-Uni, et le Mexique ont jugé essentielle la participation de la société civile, rejoints par le Canada qui a rappelé qu’un État ne peut en décider seul. La Fédération de Russie a rétorqué qu’elle ne s’oppose pas à la participation des ONG. « Mais il existe une procédure au Comité des ONG et nous voulons qu’elle soit utilisée », a fait valoir sa déléguée, en évoquant des abus. Elle a par ailleurs jugé superflu de mettre en avant la participation des jeunes.
Après le vote, Cuba a plaidé pour la réaffirmation de la procédure d’approbation tacite de la participation des ONG, lesquelles « jouent un rôle crucial ». La Türkiye a partagé cette position tout en estimant que certaines ONG peuvent jouer un rôle politisé contre certains Membres. Le Bélarus a dénoncé la tendance consistant à mettre sur un pied d’égalité les ONG et les États lors des négociations. « Ce sont les États qui doivent décider », a-t-il tranché. Les États-Unis se sont dissociés du paragraphe 6 et ont dit s’opposer à la prise de mesures spécifiques pour la promotion des femmes. L’Argentine a rappelé pour sa part l’existence de deux sexes, l’un féminin, l’autre masculin.
La prochaine réunion de l’Assemblée générale sera annoncée dans le Journal des Nations Unies.
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