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Secrétaire général: respecter la Charte des Nations Unies, c’est respecter la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Ukraine

On trouvera, ci-après, le texte de l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcée lors de la séance du Conseil de sécurité consacrée à l’Ukraine, à New York, aujourd’hui:

La Charte des Nations Unies et le droit international nous guident dans la création d’un monde exempt du fléau de la guerre.  Pourtant, l’invasion à grande échelle de l’Ukraine a constitué une violation directe des deux.

Depuis deux ans – et dix ans après l’annexion illégale par la Russie de la République autonome de Crimée et de la ville de Sébastopol – la guerre en Ukraine demeure une plaie ouverte au cœur de l’Europe.  Il est grand temps d’instaurer la paix, une paix juste, fondée sur la Charte des Nations Unies, le droit international et les résolutions de l’Assemblée générale.

La Charte est sans ambiguïté: l’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses Membres; les différends internationaux sont réglés par des moyens pacifiques; et tous les Membres s’abstiennent de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout autre État.

Au Chapitre VI, on trouve des mécanismes de règlement des différends qui sont, entre autres, la négociation, l’enquête, la médiation, la conciliation, l’arbitrage, le règlement judiciaire et le recours aux organismes ou accords régionaux.  Ce sont là les outils que nous devons utiliser pour apaiser les querelles.

Notre monde connaît un moment de chaos.  Après la guerre froide puis une période d’unipolarité, nous opérons à présent une transition mouvementée vers un monde multipolaire encore très incertain. Les relations de pouvoir restent floues, ce qui crée une impression d’instabilité et suscite un sentiment d’impunité.

Toutes les frontières sont le fruit de l’histoire.  De nombreuses communautés sont divisées par ces frontières.  De nombreuses populations vivant d’un côté ont des liens ethniques, culturels et autres avec les communautés qui vivent de l’autre côté.  Pouvons-nous nous permettre de traiter les différentes interprétations de l’histoire, largement répandues dans le monde, par la guerre?

Il nous faut rendre hommage à la sagesse des dirigeants africains et suivre leur exemple.  Les puissances coloniales, y compris celle de mon propre pays, ont divisé le continent africain d’un simple trait de plume, tout comme ils l’ont fait dans d’autres parties du monde.  Les dirigeants de la période postindépendance ont toutefois compris qu’essayer de changer les frontières ouvrirait une boîte de Pandore qui entraînerait une effusion de sang et nourrirait toujours plus d’animosité.

L’expérience m’a enseigné que les gens s’accordent très difficilement sur le passé.  Ce qui est important –et moins difficile–, c’est de les aider à s’entendre sur l’avenir.  Pour s’accorder sur cet avenir, le droit international et les principes énoncés dans la Charte de l’ONU –notamment le respect de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique des États– sont fondamentaux. 

C’est pourquoi l’invasion russe de l’Ukraine constitue un précédent si dangereux.

Dans toute guerre, tout le monde souffre.  Mais le peuple ukrainien souffre terriblement de la guerre que lui inflige la Russie.  Plus de 10 500 civils, hommes, femmes et enfants, ont été tués, mais le nombre réel est probablement beaucoup plus élevé.  Les dégâts et la destruction d’hôpitaux, d’écoles, d’établissements de santé et d’infrastructures civiles sont fréquents et s’intensifient.  Quatre-vingt-dix établissements d’enseignement et de santé ont été endommagés ou détruits rien qu’au mois de janvier.  Dans la rigueur de l’hiver, plus de 380 villes et villages du pays ont été privés d’électricité au début du mois, selon la compagnie ukrainienne d’électricité.

L’ONU a recueilli des informations faisant état d’une brutalité généralisée et inquiétante: la Commission internationale indépendante d’enquête sur l’Ukraine a fait état de civils et des prisonniers torturés, et plus de 200 cas de violence sexuelle ont été recensés, principalement, mais pas seulement, aux mains des forces de la Fédération de Russie.

Tous les auteurs de ces actes doivent en répondre.  De nombreux Ukrainiens vivent le cauchemar de perdre leurs enfants.  Tous les enfants qui ont été déportés doivent être réunis avec leur famille.  Près de quatre millions d’Ukrainiens et d’Ukrainiennes ont été déplacés à l’intérieur du pays, dont près d’un million d’enfants. Plus de 14,5 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire dans le pays.

Les programmes d’aide humanitaire mis en œuvre par l’ONU et nos partenaires, en particulier nos partenaires ukrainiens, ont touché onze millions de personnes l’année dernière.  Il s’agissait notamment de fournir de la nourriture, de l’eau, des soins de santé et des abris d’une importance vitale, ainsi que d’éliminer les explosifs mortels éparpillés sur le territoire ukrainien. Pourtant, l’accès à environ un million et demi de personnes est extrêmement restreint.

Cela doit changer.  Les attaques contre le personnel humanitaire et les infrastructures civiles doivent cesser. J’exhorte les donateurs à financer intégralement les 3,1 milliards de dollars dont nous avons besoin pour mettre en œuvre notre plan de réponse humanitaire pour l’Ukraine et poursuivre notre travail essentiel.

La guerre fait également du mal à la population russe.  Des milliers de jeunes Russes ont trouvé la mort sur le front.  Les civils touchés par les frappes sur les villes russes souffrent aussi.  Le risque que le conflit s’aggrave et se répande est bien réel.  Dans le monde entier, la guerre accentue les clivages géopolitiques; elle attise l’instabilité régionale; elle réduit l’espace disponible pour traiter d’autres problèmes mondiaux urgents; et elle sape les normes et les valeurs communes qui contribuent à notre sécurité à tous.

Le conflit a accéléré une flambée des prix alimentaires, des chocs économiques et une crise mondiale du coût de la vie, frappant de plein fouet les pays en développement qui sont encore en train de se relever du COVID-19.

En outre, la possibilité que cette guerre entraîne un accident nucléaire glace le sang du monde entier.

Les deux parties au conflit doivent prendre toutes les mesures possibles pour empêcher cela – et ce sur tous les sites nucléaires du pays.  L’Agence internationale de l’énergie atomique continuera de soutenir ces efforts.

Nous continuerons également à pousser en faveur de la liberté et de la sûreté de la navigation en mer Noire, et que les denrées alimentaires et les engrais ukrainiens et russes, dont le monde a tant besoin, puissent atteindre le marché international sans restrictions.

Depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, nous avons connu deux années de combat, deux années de souffrances – deux années durant lesquelles les tensions mondiales ont été attisées, et les relations internationales mises à mal.

C’en est assez.

Le mépris de la Charte était à l’origine du problème.  La respecter en est la solution.  Cela veut dire respecter la souveraineté, l’indépendance, l’unité et l’intégrité territoriale de l’Ukraine, dans ses frontières internationalement reconnues.  Il est temps de réaffirmer notre attachement à la Charte et de faire preuve d’un respect renouvelé pour le droit international.  Telle est la voie de la paix et de la sécurité, en Ukraine et dans le monde entier.

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