La Commission de la condition de la femme s’ouvre sur le constat de « reculs effrayants » en matière de droits des femmes
L’inquiétude était de mise, ce matin, à l’ouverture de la soixante-huitième session de la Commission de la condition de la femme devant les « reculs effrayants » récemment enregistrés en matière de droits des femmes, selon l’expression de la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes. Regain du patriarcat, nouvelles technologies biaisées en faveur des hommes, inégalités persistantes, violence des conflits ont été quelques-uns des facteurs explicatifs avancés.
La Commission de la condition de la femme, qui est le plus grand rassemblement annuel des Nations Unies consacré à l’égalité des sexes et à l’autonomisation des femmes, se tient du 11 au 22 mars 2024. Le thème prioritaire de cette année est: « Accélérer la réalisation de l’égalité entre les hommes et les femmes et l’autonomisation de toutes les femmes et les filles en s’attaquant à la pauvreté et en renforçant les institutions et le financement dans une perspective d’égalité entre les hommes et les femmes ».
Premier orateur de la journée, le Président de la Commission a rappelé qu’aujourd’hui, plus de 400 millions de femmes et de filles vivent dans la pauvreté extrême. « Si rien ne change, d’ici à 2030, 8% des femmes dans le monde continueront à vivre avec moins de 2,15 dollars par jour », a averti M. Antonio Manuel Lagdameo, appuyé par le Président de l’Assemblée générale, M. Dennis Francis. Outre cette dimension économique, le Secrétaire général de l’ONU a identifié deux tendances préoccupantes, alertant que malgré les progrès réalisés, le patriarcat est loin d’être vaincu et gagne même du terrain.
Les autocrates et populistes attaquent les libertés des femmes et leurs droits reproductifs, au nom de valeurs dites « traditionnelles », a assené le Secrétaire général qui a pris comme exemple les 50 décrets émis par les Taliban limitant les droits des femmes en Afghanistan. Un monde où une petite fille aurait moins de droits que sa grand-mère est inacceptable, a-t-il tranché.
Une autre tendance a trait aux technologies, en particulier l’intelligence artificielle, qui est dominée par les hommes, a poursuivi M. António Guterres. « Il existe une montagne de preuves qui montrent que lorsque les systèmes sont élaborés par des hommes, les algorithmes sont alors biaisés. »
La violence sexuelle commise contre les femmes en temps de conflit a été au cœur de nombreuses interventions. Le Président de l’Assemblée s’est ainsi dit bouleversé par les informations faisant état d’abus sexuels à l’encontre de femmes et de jeunes filles en Palestine, en Ukraine et en Haïti. Il a également mentionné les preuves crédibles de viols et de tortures à caractère sexuel commis contre des femmes et des jeunes filles par le Hamas pendant et après les attaques du 7 octobre, ajoutant qu’il existe des motifs raisonnables de croire que de tels abus ont toujours cours.
Rien n’illustre davantage le recul dans les droits des femmes que le mépris total pour leur bien-être, leur dignité et leur humanité constaté dans les conflits les plus récents, a appuyé la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences, Mme Reem Alsalem. Elle a notamment accusé la communauté internationale d’avoir échoué à faire adopter un cessez-le-feu à Gaza, où le conflit est principalement une « guerre faite aux femmes et enfants ». La Présidente du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Mme Ana Peláez Narváez, a, elle, dénoncé l’utilisation de la violence sexuelle comme méthode de guerre. Des appels insistants à un cessez-le-feu à Gaza, en cette première journée de ramadan, ont également été lancés, notamment par M. Guterres et Mme Peláez Narváez.
Loin de se borner à dresser le constat de ces reculs, les intervenants ont multiplié les propositions pour y remédier. Mme Alsalem a ainsi plaidé pour un pacte mondial contre les violences faites aux femmes, ainsi que pour le renforcement des liens entre la Commission de la condition de la femme et des mécanismes régionaux et internationaux des droits humains.
Sur le plan socioéconomique, le Président de l’Assemblée a plaidé en faveur d’engagements forts et concrets capables de placer l’égalité de genre et l’autonomisation des femmes au cœur des efforts pour éliminer la pauvreté. Le Vice-Président du Conseil économique et social (ECOSOC), M. Ivan Šimonović, a appelé à préserver les droits sexuels et génésiques des femmes, à s’attaquer aux disparités économiques et à renforcer leur représentation politique et juridique. Mme Peláez Narváez a, elle aussi, appelé au renforcement de la participation des femmes dans les processus de décision. « Cela est vital pour relever les grands défis mondiaux tels que les changements climatiques, les conflits et les crises économiques. »
Plusieurs intervenants, dont l’Administrateur du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), M. Achim Steiner, ont plaidé pour des politiques fiscales favorables aux femmes. « Les États doivent reconnaître le rôle économique essentiel du travail de soins non rémunéré, en adoptant des mesures qui aident les mères et les pères à exercer un travail rémunéré en dehors du foyer », a recommandé en outre le Secrétaire général.
Même son de cloche du côté de la Directrice exécutive d’ONU-Femmes, Mme Sima Sami Bahous, qui a demandé des « pactes fiscaux inclusifs et équitables », plaidant pour des services publics accessibles, une éducation de qualité pour les filles, un travail décent pour les femmes, ainsi que pour des systèmes de protection sociale inclusifs. « Nous devons investir dans l’économie des soins en tant que stratégie pour réduire la pauvreté des femmes et des filles », a préconisé la Directrice exécutive.
La Présidente du Groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles, Mme Dorothy Estrada-Tanck, a exhorté de son côté à la transformation des systèmes économiques inégaux existants. Elle a ainsi appelé de ses vœux une « économie féministe » fondée sur les droits humains qui permette de construire l’égalité réelle, la solidarité et la justice socioéconomique et environnementale. Elle a aussi réclamé une redistribution équitable des richesses et un ordre commercial et fiscal mondial équitable.
« L’égalité des sexes doit être au cœur des stratégies d’éradication de la pauvreté », a-t-elle insisté, un appel relayé par la totalité des orateurs. Enfin, Mme Chetna Gala Sinha, représentante de la société civile indienne, a témoigné du courage des femmes vivant en milieu rural en Inde. Ces femmes qui ne sont pas allées à l’école, n’ont pas eu de diplômes et n’ont pas voyagé ont accompli des choses extraordinaires, en dépit de l’impossibilité initiale d’accéder à des financements bancaires, voire d’ouvrir un compte, a-t-elle dit.
Mme Sinha a ainsi témoigné avoir réussi à créer une banque et une école de commerce pour les femmes vivant en milieu rural. « Il ne faut jamais proposer de mauvaises solutions aux pauvres - ils sont intelligents! » a-t-elle lancé. Mais le mot de la fin est probablement revenu à Mme Stacey Mdala, représentante des jeunes, lorsqu’elle a fait siens ces propos de l’ancien Président des États-Unis, M. Barack Obama: « Soyez les alliés des femmes, c’est une question éthique mais aussi de bon sens. »
En début de séance, le Président de la Commission a supervisé l’élection par acclamation de Mmes Yoka Brandt, des Pays-Bas, María Florencia González, de l’Argentine, et Dúnia Pires do Canto, de Cabo Verde, à la vice-présidence de la Commission pour la présente session.
La Commission de la condition de la femme poursuivra ses travaux demain, mardi 12 mars, à partir de 10 heures.