Vingt-quatre ans après la résolution 1325, la participation des femmes dans les processus de paix stagne à 10%, alors que les conflits les affectent de manière disproportionnée
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C’est un constat sans appel qui a été fait aujourd’hui au Conseil de sécurité par les nombreux États Membres venus, à l’invitation de la présidence suisse, au débat public annuel du Conseil de sécurité sur le programme pour les femmes et la paix et la sécurité: presque 25 ans après l’adoption de la résolution 1325, les femmes restent trop peu associées au maintien de la paix et sont toujours affectées de façon disproportionnée par les conflits armés. Pour illustrer la lenteur des progrès vers l’égalité, la Présidente de la Confédération suisse a cité une médiatrice afghane de haut rang: « À 27 ans, je me battais déjà pour l’avenir de l’Afghanistan. Aujourd’hui, à 67 ans, je continue de me battre. C’est comme si tout était à recommencer. »
Ce témoignage a rejoint le constat de la Vice-Secrétaire générale, Mme Amina J. Mohammed: la prise de décisions en matière de paix et de développement reste dominée par les hommes. En effet, la participation des femmes aux négociations de paix reste inférieure à 10%, un chiffre qui stagne depuis une décennie, a confirmé la Directrice exécutive d’ONU-Femmes, Mme Sima Sami Bahous, en citant aussi les trop peu nombreuses médiatrices, qui représentent 13,5% des médiateurs.
La Vice-Secrétaire générale a donc insisté sur la nécessité d’inclure des femmes dans tous les processus de paix officiels, arguant que cela permet d’améliorer ces processus et de les rendre plus durables et viables. Pour illustrer l’importance de cette directive, la Présidente de la Confédération suisse a relevé que la participation des femmes dans les accords de paix augmente de 30% la probabilité d’une durée de plus de 15 ans de ces accords.
La Coprésidente de FemWise-Africa, la juge kényane Effie Owuor, a apporté une raison d’espérer dans ce domaine. En effet, son organisation, qui dépend du Groupe des Sages de l’Union africaine (UA), a enregistré des victoires majeures dans l’insertion de femmes médiatrices dans les panels de médiation de haut niveau de l’UA pour l’Éthiopie et le Soudan. De plus, elle a mentionné le cadre politique élaboré par l’Union africaine (UA) pour atteindre un quota de femmes dans tous les processus de médiation et de paix. Ce cadre vise un minimum de 30% de femmes dans tous les processus de médiation et de paix dirigés par l’UA.
Pour donner un nouvel élan au niveau mondial à la mise en œuvre de la résolution 1325, Mme Mohammed a, elle, annoncé « l’engagement commun en faveur de la participation des femmes aux processus de paix » du Secrétaire général, qui a reçu un large soutien de la part des délégations. Cette initiative rassemble un large éventail d’acteurs de la médiation qui s’engagent à prendre des mesures concrètes pour la participation des femmes à tous les processus de paix dans lesquels elles sont impliquées. Quel genre de mesures? Par exemple, la nomination de femmes aux postes de médiatrice principale ou la promotion de la participation « directe et véritable » des femmes à toutes les étapes des processus de paix.
Cette initiative n’est pas simplement un engagement de principe. Elle se focalise sur des mesures et des indicateurs, a précisé Mme Mohammed. Le Secrétaire général invite donc les États Membres, les organisations régionales et d’autres acteurs clefs à s’y rallier et à faire rapport sur les progrès réalisés, l’année prochaine, lors du débat public qui se tiendra à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire du programme pour les femmes et la paix et la sécurité.
Autre note positive: 110 États Membres ont adopté des plans d’action nationaux pour mettre en œuvre ce programme, contre seulement 19 en 2010, a signalé la Directrice exécutive d’ONU-Femmes. Ces engagements sont régulièrement réaffirmés dans les accords multilatéraux, a-t-elle ajouté, disant également apprécier que la pleine participation des femmes soit désormais un thème récurrent dans les résolutions du Conseil de sécurité.
« Aujourd’hui, il est temps que ces promesses se traduisent en actions concrètes. » En disant ces mots, Mme Bahous n’a pas oublié en effet les multiples violences et discriminations dont sont victimes les femmes dans les zones de conflit. Elle a cité notamment les femmes afghanes, privées d’éducation et de perspectives, celles de Gaza, contraintes de survivre dans des conditions de guerre incessante, ou encore les femmes soudanaises et haïtiennes aux prises avec la violence sexuelle et les déplacements forcés.
En 2023, le nombre de femmes tuées dans les conflits a doublé, tandis que les cas de violences sexuelles liées aux conflits ont augmenté de 50%, s’est alarmée Mme Bahous. Un tableau effrayant dont un témoin a pu parler directement au Conseil: Mme Wai Wai Nu, du Myanmar, à la tête d’un réseau des femmes pour la paix qu’elle a fondé, le Women’s Peace Network, est venue témoigner du sort subi par des femmes dans son pays, y compris des femmes rohingya, pour avoir osé protester contre un coup d’État.
Outre ces violences, les droits des femmes à l’échelle mondiale ont reculé, a également observé Mme Bahous, en particulier dans les pays en guerre, où le droit des femmes à la liberté de mouvement, à la sécurité et à l’autonomie corporelle devient une question de vie ou de mort.
Les membres du Conseil ont insisté, à cet égard, sur la nécessité impérative de lutter contre l’impunité des auteurs de ces crimes, notamment en appuyant les juridictions nationales et internationales. Ils ont salué les efforts déployés par la Cour pénale internationale pour enquêter sur les violences sexuelles et certains, dont la Slovénie, la France et le Royaume-Uni, se sont dits favorables à ce que le Conseil recoure davantage aux sanctions ciblées contre les auteurs de violences sexuelles en temps de conflit. Ceux qui violent les droits humains doivent rendre des comptes, en particulier les Taliban et les généraux au Myanmar et au Soudan, ont tranché les États-Unis.
Un autre domaine d’action a été mis en évidence pour faire avancer les choses: « il faut remédier à la tendance à la baisse (troisième année consécutive) des financements destinés aux organisations de femmes dans les zones de conflit », a recommandé ONU-Femmes. En soutien à cette injonction, la Slovénie a fait valoir que le manque de financement dans les processus inclusifs empêche de renforcer les interactions avec les organisations féminines locales. Un point de vue partagé par la Vice-Secrétaire générale ainsi que par la France, qui a dit soutenir ces organisations à travers son Fonds de soutien aux organisations féministes avec 250 millions d’euros sur la période 2023-2027.
Idem pour le Royaume-Uni, qui a investi 33 millions de livres sterling dans un partenariat avec le Fonds pour l’égalité, un fonds qui soutient plus de 1 000 organisations depuis 2019, y compris dans des zones de conflit. Les États-Unis, eux, ont donné 40 millions de dollars au Fonds pour les femmes, la paix et l’action humanitaire de l’ONU. Malte a également assuré répondre à l’appel du Secrétaire général en faveur d’un financement accru et durable de la cause « femmes, paix et sécurité ».
Plus en amont, la Chine s’est enorgueillie de contribuer activement à l’égalité de genre et l’autonomisation des femmes dans plus de 100 pays. Elle a plaidé pour un financement accru de l’aide aux pays en développement pour améliorer les conditions de vie des femmes, lançant un appel aux institutions financières internationales et multilatérales à cet égard. Le Mozambique a vu cette aide comme une occasion d’autonomiser les femmes pour qu’elles puissent endosser des rôles de leadership dans les processus de paix.
Un constat a été fait par ailleurs par la Fédération de Russie sous la forme d’une critique à l’égard de l’ONU: celle-ci appliquerait de façon inégale le programme pour les femmes et la paix et la sécurité par l’ONU. La preuve en est, selon la délégation russe, que ce programme est d’un côté, activement mis en œuvre en Afrique, tandis qu’il reste absent dans d’autres contextes, comme dans le conflit israélo-palestinien. La Fédération de Russie a ainsi déploré l’absence de débats consacrés aux femmes de Gaza et le manque d’enthousiasme de certaines délégations, qui se disent pourtant championnes de cet agenda, pour promouvoir les droits des femmes dans cette région.
La Fédération de Russie a d’ailleurs mis en garde contre la politisation de l’implication des femmes dans les processus de paix. Elle a critiqué le recours à des organisations non gouvernementales ou des individus soutenus par des donateurs extérieurs, qui prétendent représenter les droits des femmes, mais qui, en réalité, répondent à des intentions cachées.
Pour la délégation américaine, la représentation des femmes n’est pas une fin en soi. Relevant les similarités frappantes entre il y a 25 ans et aujourd’hui, leur représentante en a conclu qu’il fallait endiguer les inégalités au sein de l’ONU afin d’être à la hauteur des objectifs du programme pour les femmes et la paix et la sécurité. Pour cela, la délégation a présenté l’initiative « des trois I »: investissement, initiative et implémentation (mise en œuvre, en français).
Le débat s’est poursuivi toute la journée avec les délégations non membres du Conseil, qui étaient nombreuses à être inscrites sur la liste des orateurs: près de 90.
Le Conseil de sécurité poursuivra ce débat demain, vendredi 25 octobre, à 10 heures.
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LES FEMMES ET LA PAIX ET LA SÉCURITÉ
Les femmes œuvrent pour la paix dans un monde en évolution (S/2024/671, S/2024/709)
Exposés
Mme AMINA J. MOHAMMED, Vice-Secrétaire générale de l’ONU, a regretté que la prise de décisions en matière de paix et de développement reste dominée par les hommes. Elle a pourtant fait remarquer que de nombreuses femmes sont touchées par les conflits, comme à Gaza, au Liban, en Israël, au Soudan et ailleurs, où des dizaines de milliers de femmes ont perdu la vie ou ont été blessées. La haute responsable a réitéré l’appel du Secrétaire général en exigeant que les civils soient protégés, que les infrastructures civiles ne soient pas prises pour cible et que le droit international soit respecté par toutes les parties belligérantes.
« L’ONU reste déterminée et ne perd pas espoir. » Le programme pour les femmes et la paix et la sécurité trace l’avenir, a assuré Mme Mohammed qui y a vu un guide pour l’action de l’ONU en faveur des femmes dans les théâtres de conflit. Elle a mentionné à cet égard les efforts de la mission de l’ONU en République centrafricaine pour soutenir la participation des femmes aux élections locales. Autre exemple: la proportion des femmes en uniforme dans les contingents onusiens a plus que doublé en quelques années. Mais il faut aller plus loin, a-t-elle concédé rappelant que la réussite du maintien de la paix dépend de la volonté des États Membres.
Mme Mohammed a saisi cette occasion pour saluer les efforts des Émirats arabes unis s’agissant de l’émancipation des femmes dans la paix et la sécurité à travers les formations offertes à plus de 600 femmes du Moyen-Orient et de l’Afrique. Elle a aussi souligné que rien ne peut se faire sans les organisations de femmes de la société civile, auxquelles l’ONU vient d’ailleurs en aide. L’ONU s’est ainsi fixé pour objectif de lever 300 millions de dollars pour soutenir ces organisations.
Mme Mohammed a ensuite mis l’accent sur l’importance de l’inclusion des femmes dans tous les processus de paix officiels, arguant que cela permet d’améliorer ces processus et de les rendre plus durables et viables. Or, elles restent largement sous-représentées dans les négociations de paix, a-t-elle regretté: selon ONU-Femmes, elles ne représentent toujours que moins de 10% des négociateurs et 13,5% des médiateurs.
Notant que certains acteurs nationaux et régionaux lancent aujourd’hui des processus de médiation, certaines initiatives de paix se chevauchant parfois, Mme Mohammed a annoncé « l’engagement commun en faveur de la participation des femmes aux processus de paix » du Secrétaire général.
Cette initiative rassemble un large éventail d’acteurs de la médiation qui, en entérinant cet engagement commun, s’engagent à rejoindre l’ONU et à prendre des mesures concrètes pour la participation des femmes à tous les processus de paix dans lesquels elles sont impliquées. Cela comprend la nomination de femmes aux postes de médiatrice principale, ainsi que la promotion de la participation directe et véritable des femmes à toutes les étapes des processus de paix, y compris en les incluant dans les délégations.
Cette initiative n’est pas simplement un engagement de principe. Elle se focalise sur des mesures et des indicateurs, a précisé Mme Mohammed. Le Secrétaire général invite les États Membres, les organisations régionales et d’autres acteurs clefs à s’y rallier et à faire rapport sur les progrès réalisés l’année prochaine, lors du débat public sur le programme pour les femmes et la paix et la sécurité, à l’occasion de son vingt-cinquième anniversaire.
Mme SIMA SAMI BAHOUS, Secrétaire générale adjointe et Directrice exécutive d’ONU-Femmes, a dressé un tableau alarmant des violences et des discriminations auxquelles sont confrontées les femmes dans les zones de conflit. Elle a rappelé la situation dramatique des femmes afghanes, privées d’éducation et de perspectives, et des femmes de Gaza, contraintes de survivre dans des conditions de guerre incessante. Les femmes soudanaises et haïtiennes, quant à elles, subissent des violences sexuelles et des déplacements forcés, tandis que celles du Myanmar sont détenues pour avoir osé protester contre un coup d’État. Mme Bahous a aussi mentionné les femmes d’Ukraine, de Syrie, de République démocratique du Congo (RDC), et bien d’autres, parmi les 612 millions de femmes et de filles affectées par la guerre, un chiffre 50% plus élevé qu’il y a 10 ans.
En 2023, le nombre de femmes tuées dans les conflits a doublé, tandis que les cas de violences sexuelles liées aux conflits ont augmenté de 50%. Le taux de mortalité maternelle est particulièrement élevé (61%) dans les pays en guerre où des infrastructures de santé reproductive sont souvent détruites. Le rapport du Secrétaire général souligne également que la participation des femmes aux négociations de paix reste inférieure à 10%, un chiffre stagnant depuis une décennie. Les financements pour les organisations de femmes dans les zones de conflit ont diminué pour la troisième année consécutive, a par ailleurs fait savoir Mme Bahous. Elle a critiqué le recul des droits des femmes à l’échelle mondiale, en particulier dans les pays en guerre, où le droit des femmes à la liberté de mouvement, à la sécurité et à l’autonomie corporelle devient une question de vie ou de mort.
Malgré ces défis, la haute fonctionnaire a célébré le courage des femmes dans des situations de crise. En Syrie, des femmes ont joué un rôle décisif dans la levée des sièges. En Afghanistan, des écoles clandestines ont été ouvertes par des femmes dans leur foyer. En Ukraine, elles coordonnent l’aide humanitaire et l’évacuation des civils. En RDC, des femmes ont contribué à la condamnation historique d’un chef de milice pour crimes contre l’humanité, notamment de grossesses forcées.
Mme Bahous a plaidé pour que la communauté internationale, à l’approche du vingt-cinquième anniversaire de la résolution 1325 (2000) sur les femmes et la paix et la sécurité, réponde à l’appel des femmes en assurant un financement adéquat pour la prévention des violences basées sur le genre, en supprimant les lois discriminatoires et en garantissant la participation pleine et égale des femmes aux processus de paix. Elle a souligné l’importance de la décision récente de la Cour de justice de l’Union européenne, qui reconnaît la persécution fondée sur le genre comme motif d’octroi d’asile aux femmes afghanes, y voyant « des étincelles de progrès qui, espérons-le, deviendront des flammes ».
Enfin, Mme Bahous s’est réjouie qu’à ce jour, 110 États Membres ont adopté des plans d’action nationaux sur les femmes et la paix et la sécurité, contre seulement 19 en 2010. Elle a ajouté que ces engagements sont régulièrement réaffirmés dans les accords multilatéraux et que la pleine participation des femmes est désormais un thème récurrent dans les résolutions du Conseil de sécurité. Il est temps que ces promesses se traduisent en actions concrètes, a-t-elle conclu.
Mme EFFIE OWUOR, Coprésidente de FemWise-Africa, a affirmé que la participation des femmes en tant que médiatrices et négociatrices dans le domaine « complexe et souvent difficile » de la résolution des conflits est devenue la référence pour des processus de paix réussis. Mais en dépit de ce fait bien documenté, la participation réelle des femmes aux processus de paix reste décevante, ce qui a conduit à la création de l’Alliance mondiale des réseaux régionaux de femmes médiatrices, en 2019.
Les femmes savent coordonner et mobiliser le soutien pour leur participation significative aux processus de paix, elles donnent de la légitimité au travail que les femmes accomplissent dans des contextes informels, elles font du mentorat pour les jeunes médiatrices, elles peuvent observer la mise en œuvre du programme pour les femmes et la paix et la sécurité et favoriser la communication avec la société civile, a argumenté la juge kényane. Nos réseaux jouent également un rôle clef dans le positionnement des femmes en tant que médiatrices principales et expertes techniques dans les processus de médiation formels, a-t-elle ajouté.
FemWise-Africa, qui dépend du Groupe des Sages, a enregistré des victoires majeures dans l’insertion de femmes médiatrices dans les panels de médiation de haut niveau de l’Union africaine pour l’Éthiopie et le Soudan, s’est prévalue l’oratrice. Se disant fière des travaux accomplis par son réseau, Mme Owuor a affirmé que la trajectoire globale est pessimiste et déprimante. L’intégration des femmes en tant que leaders dans la médiation se heurte à de graves défis notamment les préjugés culturels, politiques et sexistes, un accès limité aux plateformes de négociation, les risques sécuritaires et des ressources maigres. Elle a aussi parlé du manque de soutien de la part de décideurs politiques, d’institutions multilatérales ou encore de parties prenantes nationales et régionales, qui restent peu favorables.
Mme Owuor a estimé que des engagements politiques sérieux sont nécessaires pour mettre en œuvre les cadres internationaux et démanteler les obstacles liés au genre à tous les niveaux de la consolidation de la paix. Elle a donc recommandé davantage de volonté politique et de soutien institutionnel aux femmes médiatrices, ce qui exige la mise en œuvre de politiques adéquates.
Elle a attiré l’attention sur le cadre politique que l’Union africaine (UA) a élaboré pour atteindre un quota de femmes dans tous les processus de médiation et de paix. L’adoption de ce cadre devrait garantir que tous les processus de médiation et de paix dirigés par l’UA comportent un minimum de 30% de femmes en tant que médiatrices principales et expertes en médiation. Elle a préconisé d’investir pour que les femmes médiatrices puissent accéder à la table des négociations et de soutenir les médiatrices qui s’engagent dans la résolution des conflits au niveau communautaire. Enfin, il faut faire pression pour des accords de paix sensibles au genre donnant la priorité aux droits des femmes, à la justice transitionnelle, à la protection et à l’autonomisation dans les contextes d’après conflit.
Mme WAI WAI NU, Fondatrice et Directrice exécutive du Réseau des femmes pour la paix (Women’s Peace Network), une organisation qui œuvre pour la paix et l’égalité au Myanmar, a mis en exergue et regretté le faible taux de participation des femmes dans les processus de paix, ce qui est « inacceptable ». Dans un monde aux prises avec un niveau record de conflits armés et de crises humanitaires, de Gaza à l’Ukraine, en passant par la prise de contrôle des Taliban en Afghanistan, elle a martelé que les femmes sont exposées de manière disproportionnée à la violence sexuelle liée aux conflits, aux féminicides, à l’apartheid de genre, à la persécution liée au genre et à d’autres atrocités ciblées. Ces conditions sapent la capacité collective des femmes à participer de manière significative à la consolidation de la paix, a-t-elle argué, alors qu’« il y a 24 ans, les mouvements féministes du monde entier ont rappelé à la communauté internationale que nous pouvons garantir un avenir égalitaire, juste et pacifique ». Si le Conseil avait répondu à cet appel en adoptant la résolution 1325 (2000), nous sommes loin d’avoir tenu cette promesse d’égalité, a regretté la représentante de la société civile.
« En tant que défenseuse des droits humains et ancienne prisonnière politique », elle a expliqué que l’espoir d’un changement a longtemps guidé son activisme. Aujourd’hui, au Myanmar, des femmes résistent à l’armée et à sa tentative de coup d’État de 2021. Elles risquent leur vie en luttant contre toutes les formes d’oppression, y compris le patriarcat, l’homophobie et la transphobie. Brossant un tableau accablant de la campagne de terreur menée par l’armée du Myanmar à l’échelle nationale, elle a observé qu’il est question de la même armée qui, selon l’ONU, a commis des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et un génocide. Depuis sa tentative de coup d’État, l’armée a lancé des frappes aériennes contre des civils, a pris pour cible des maisons, des écoles, des hôpitaux et des lieux de culte et déplacé des millions de personnes, a affirmé l’intervenante en ajoutant que les violences basées sur le genre ont augmenté de manière significative.
Il est essentiel de s’attaquer aux causes profondes du conflit pour garantir la pleine participation des femmes à l’avenir du Myanmar, a insisté l’intervenante, en pointant l’impunité comme l’une des causes principales, en particulier dans l’État Rakhine. Tout comme en Afghanistan, au Soudan, dans les territoires palestiniens occupés et ailleurs, l’impunité au Myanmar devient contagieuse: elle encourage les auteurs à poursuivre leurs crimes et montre aux autres qu’ils sont libres de brutaliser les groupes qu’ils jugent inférieurs, en particulier les femmes.
Invoquant la résolution 1325, l’intervenante a rappelé que cette dernière consacre la reddition de comptes et le respect du droit international pour protéger les droits des femmes, non seulement au Myanmar, mais aussi dans d’autres conflits à travers le monde. Pourtant, selon l’ONU, l’année dernière a été la plus meurtrière pour les Rohingya qui ont fui par voies terrestres et maritimes, les femmes et les filles ayant été victimes de violences sexuelles atroces. Cette année sera probablement pire, a-t-elle mis en garde, ce qui retardera davantage le retour volontaire, sûr, digne et durable de sa communauté dans ses foyers au Myanmar.
Déclarations des délégations non membres du Conseil de sécurité
Comme les membres du Conseil, de nombreux États ont souligné l’importance d’une participation active des femmes à tous les niveaux des processus de paix. L’Union européenne (UE) a ainsi rappelé que, malgré les quelques avancées réalisées au cours des 25 dernières années, un trop grand nombre de femmes et de filles en restent exclues, et a encouragé à surmonter les obstacles institutionnels qui freinent l’inclusion des organisations locales de femmes dans les négociations.
L’institution de quotas a été proposée par l’Albanie pour garantir qu’au moins un tiers des participants aux processus de paix soient des femmes. Cela permettrait d’apporter des perspectives uniques et de renforcer la durabilité des accords de paix, a—t-elle argué.
Le programme pour les femmes et la paix et la sécurité n’est pas uniquement destiné aux femmes, a insisté la Norvège: « il s’agit d’un programme par les femmes mais pour tous ». Forte de sa longue tradition de facilitation des processus de paix, la Norvège n’a pu que constater, elle aussi, que l’espace donné aux femmes dans la médiation reste limité, malgré les appels du Secrétaire général.
Coup de projecteur sur les réseaux de femmes médiatrices
Pour remédier à ce problème, les pays nordiques (Danemark, Finlande, Islande, Norvège, Suède) ont créé en 2014 un réseau de femmes médiatrices, qui s’est depuis élargi pour former une alliance mondiale, et qui représente, selon la Norvège, une précieuse ressource pour soutenir la participation des femmes aux processus de paix.
De son côté, en tant que coprésidente du Groupe des Amis de la médiation, la Türkiye a mis l’accent sur son engagement à promouvoir la participation des femmes dans la médiation, rappelant le rôle de ses diplomates dans plusieurs efforts récents. Elle a par ailleurs appelé à renforcer les mécanismes de suivi pour garantir une représentation féminine accrue dans les négociations de paix.
L’Indonésie a appuyé cette perspective, estimant que la paix est plus durable lorsque les femmes sont impliquées dans les processus de paix. Elle a particulièrement mis en avant son rôle dans la création du Réseau des femmes médiatrices en Asie du Sud-Est en 2019, qui vise à développer les compétences des femmes médiatrices et à promouvoir leur déploiement à tous les stades des processus de paix. L’Indonésie a également rappelé son initiative pour l’éducation des femmes afghanes, démontrant son engagement dans les efforts de reconstruction postconflit.
Exemples concrets et partage de bonnes pratiques
Aux Philippines, c’est une femme qui avait été nommée principale négociatrice dans le processus de négociations de paix avec le Front de libération islamique Moro, a mis en avant la délégation, rappelant que ce processus avait abouti à la création de la Région autonome bangsamoro. Une des propositions des Philippines a été de financer durablement les femmes constructrices de paix, afin de garantir leur participation sur le long terme.
La Colombie a rappelé que, dans sa « longue histoire de violence et de conflit », la participation des femmes aux négociations de paix a été essentielle. Toutefois, a-t-elle insisté, leur participation doit être pensée de manière « stratégique » afin de garantir un impact réel et durable sur la prise de décisions.
Le Chili, lui, a mis en avant son ambitieuse « politique étrangère féministe », précisant qu’il accueillera en mars une rencontre régionale pour renforcer les compétences des femmes en matière de médiation, de dialogue et de négociation. Le Chili a également insisté sur l’importance des approches transversales, telles que l’intersectionnalité, l’interculturalité et l’égalité des droits, se disant prêt à partager son expérience avec d’autres nations.
La lutte contre l’impunité dans les conflits
Le Canada, s’exprimant au nom du Groupe des Amis des femmes de la paix et de la sécurité, a quant à lui dénoncé les violences sexuelles et sexistes, tant en ligne qu’hors ligne, qui continuent de cibler les femmes engagées dans la paix. Il a également insisté sur l’importance pour les États de poursuivre les auteurs de violences sexuelles liées aux conflits et a demandé au Conseil de sécurité d’inclure ces crimes dans les régimes de sanctions de l’ONU.
L’UE a exprimé des préoccupations similaires, appelant à des mesures concrètes pour lutter contre l’impunité des auteurs de crimes de guerre, notamment dans les zones de conflit comme l’Ukraine et la Palestine.
L’Indonésie a ajouté que les femmes restent les plus vulnérables en temps de guerre, citant Gaza, où 70% des victimes civiles sont des femmes et des filles. Le pays a mis en garde contre les attaques contre l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), qui, selon lui, constituent un assaut direct contre le programme pour les femmes et la paix et la sécurité.
La Ligue des États arabes a exprimé des préoccupations similaires concernant la situation en Palestine, où les femmes palestiniennes sont victimes de violences, de déplacements forcés et de conditions de vie insupportables dues à l’occupation israélienne. Quant à l’État observateur de Palestine, il a exhorté le Conseil à assumer ses responsabilités, notamment en demandant la libération de toutes les femmes palestiniennes emprisonnées par Israël.
L’Ukraine, de son côté, après avoir mis en lumière les effets dévastateurs de l’agression russe sur les femmes et les filles ukrainiennes, a appelé la communauté internationale à renforcer les sanctions contre la Russie. Elle a notamment exhorté le Secrétaire général de l’ONU à inscrire la Russie sur la « liste de la honte » pour son utilisation généralisée de la violence sexuelle contre les civils et les prisonniers de guerre.
Autre pays en situation de conflit, la République démocratique du Congo a proposé de renforcer la participation des femmes à tous les niveaux des processus de paix, et a mis en avant sa Stratégie nationale de la masculinité positive visant à sensibiliser ses citoyens sur les problématiques de genre.
Le débat a révélé un consensus général sur la nécessité de renforcer les efforts pour garantir une participation pleine et égale des femmes à tous les niveaux des processus de paix, le tout accompagné de financements durables. En conclusion, le Brésil a encouragé les États Membres à adopter des objectifs concrets pour garantir l’inclusion des femmes dans les processus de paix, et a rappelé que « nous ne pourrons jamais atteindre la paix sans l’aide des femmes ».